juillet 2018
La circulation des modèles
Le Community Land Trust
aux États-Unis, au Kenya
et en Belgique
Canaux de circulation d’un modèle alternatif
et jeu d’intertextualité
Le Community Land Trust aux États-Unis, au Kenya et en Belgique : canaux de circulation d’un modèle alternatif et jeu d’intertextualité,
Riurba no
6, juillet 2018.
URL : https://www.riurba.review/article/06-modeles/community/
Article publié le 1er juil. 2018
- Abstract
- Résumé
Community Land Trust in the United States, in Kenya, and Belgium. Circulation channels of an alternative model and intertextuality
The Community Land Trust (CLT), which is a model of land possession and land use aiming to ensure affordable housing and share the management of a territory, represents an alternative to the conventional model of individual freehold property. This article analyzes the international circulation of the CLT model and the modalities of its local anchorage, based on three case studies in the United States, Kenya, and Belgium. They are examined through a discourse analysis of the “grey literature” related to these projects from their beginnings. We point out the circulation channels that are both original and fully inserted in the “best practices” system, and the re-interpretations of spiritual, theoretical and experiental references throughout the processes of local anchorages.
Le Community Land Trust (CLT), modèle de possession et d’usage du sol visant à assurer un habitat abordable et une gestion partagée du territoire, se pose en alternative au modèle dominant de la pleine propriété privée individuelle. Cet article étudie la circulation internationale du modèle CLT et les modalités de son ancrage local à partir de trois études de cas aux États-Unis, au Kenya et en Belgique. Elles sont appréhendées par une analyse de discours à travers l’étude de la « littérature grise » entourant les différents projets depuis leur naissance. Nous montrons les canaux de circulation à la fois originaux et pleinement insérés dans le système des meilleures pratiques, ainsi que les réinterprétations des références spirituelles, théoriques et expérimentales du CLT au fil des arrimages locaux.
post->ID de l’article : 4074 • Résumé en_US : 4091 • Résumé fr_FR : 4087 •
Introduction
La référence aux modèles urbains a accompagné l’urbanisme depuis sa naissance à la fin du XIXe siècle[1]Cette réflexion a été suscitée par une recherche sur les communs fonciers urbains (Simonneau C. (2018). Communs fonciers urbains. Étude exploratoire des dispositifs collectifs d’accès et d’usage du sol dans les villes du Sud global. Comité technique foncier et développement, AFD, MEAE, Paris, coll.Regards sur le foncier, 95 p. [En ligne (Choay, 1965[2]Choay F. (1965). L’urbanisme, utopies et réalités, Paris, Seuil, 464 p.). Dans les pays des Sud, africains en particulier, la référence aux modèles s’est faite encore plus prégnante dans l’histoire, allant de pair avec un projet colonial imposant, dans le même temps, vision du monde et utopie du fonctionnement des espaces et des sociétés (Massiah et Tribillon, 1988[3]Massiah G, Tribillon JF. (1988). Villes en développement, Paris, La Découverte, 320 p.). Les politiques d’aide au développement ont pris le relais dès les indépendances, véhiculant par d’autres moyens des modèles de développement et de fonctionnement de la ville, accompagnés de méthodes et d’outils de planification et de gestion (Osmont, 1995[4]Osmont A. (1995). La Banque Mondiale et les villes. Du développement à l’ajustement, Paris, Karthala, 309 p. ; Ward, 2000[5]Ward SV. (2000). « Re-examining the International Diffusion of Planning », dans Freestone R (dir.), Urban planning in a changing world: The twentieth century experience, New York, E & FN Spon, p. 40-60.). La montée en puissance des approches standardisées du développement, à partir des années 1990 (New Public Management, bonne gouvernance, best practices, différentes générations d’objectifs de développement), a encore renforcé la puissance de ces flux. Enfin, « l’urbanisme des modèles » mondialisé contemporain (Bourdin et Idt, 2016[6]Bourdin A, Idt J. (2016). L’urbanisme des modèles. Références, benchmarking et bonnes pratiques, Paris, Éditions de l’Aube, 192 p.), diffusant exemples emblématiques et approches dites néolibérales, entraînerait la standardisation des approches, voire l’uniformisation des villes (Carriou et Ratouis, 2014[7]Carriou C, Ratouis O. (2014). « Actualité des modèles urbanistiques », Métropolitiques [En ligne).
Le traitement de l’exclusion urbaine n’échappe pas à cette standardisation. La promotion de l’intégration des pauvres par la pleine propriété privée individuelle adossée à un marché foncier libre est une constante, dans les Nord comme dans les Sud. Or le transfert de ce modèle de pleine propriété privée individuelle dans les pays des Sud a été fortement critiqué par la recherche urbaine depuis les années 1990, démontrant la difficulté de sa mise en œuvre massive et ses effets pervers, notamment en termes d’éviction par le marché des ménages pauvres (Durand-Lasserve, 2006[8]Durand-Lasserve A. (2006). « Market-driven evictions and displacements: implications for the perpetuation of informal settlements in developing countries », dans Huchzermeyer M, Karam A (dir.), Informal settlements. A Perpetual challenge?, Cape Town, UCT Press, p. 207-230. ; Payne, Durand-Lasserve et Rakodi, 2008[9]Payne G, Durand-Lasserve A, Rakodi C. (2008). Social and economic impacts of land titling programmes in urban and peri-urban areas: International experience and case studies of Senegal and South Africa, Ministry of Foreign Affairs (MFA), Government of Norway, Swedish International Development Agency (SIDA), Global Land Tools Network (GLTN), 72 p., 2009[10]Payne G, Durand-Lasserve A, Rakodi C. (2009). « The limits of land titling and home ownership », Environment and Urbanization, n° 21(2), p. 443-462. ; Michel, Denis et Soares-Gonçalves, 2011[11]Michel A, Denis É, Soares-Gonçalves R. (2011). « Introduction : les enjeux du foncier urbain pour le développement. Nouveaux marchés et redistribution des responsabilités », Tiers Monde, n° 206, p. 7-20.).
Cet article a pour point de départ l’étude d’un projet à rebours du schéma dominant : le projet de régularisation du quartier de Tanzania-Bondeni, dans la ville secondaire de Voi, au Kenya. Démarrée à la fin des années 1990, la conception de ce projet aboutit, à travers un processus voulu participatif, à la mise en place d’un Community Land Trust[12]Nous gardons l’expression anglophone pour insister sur la filiation des cas étudiés avec le modèle étatsunien, mais aussi car c’est l’expression en usage dans les pays étudiés. Plusieurs traductions en français existent : fiducie foncière communautaire (Québec), organisme foncier solidaire (France). (CLT), conçu comme une alternative aux titres fonciers individuels. Les CLT, nés aux États-Unis dans les années 1960, représentent une forme communautaire de gestion du foncier se démarquant fortement du modèle de la pleine propriété privée individuelle, dans ses caractéristiques juridiques comme dans son organisation et son fonctionnement. Point original et suffisamment intrigant pour susciter l’étude de ses modalités de circulation : il tire son inspiration d’un certain nombre de pratiques de pays des Sud, comme l’Inde et l’Afrique subsaharienne. En outre, ce modèle à rebours d’un néolibéralisme prétendu dominant est aujourd’hui implanté en Europe (Grande-Bretagne, France, Belgique), au Kenya, à Porto Rico et à l’étude en Amérique latine (Bolivie, Brésil).
Cet article reconstitue la circulation globale de ce modèle original et alternatif qu’incarnent le CLT et les discours de légitimation accompagnant cette circulation. Il s’inscrit dans les débats sur la circulation internationale des modèles et des politiques urbaines, en questionnant l’idée selon laquelle les foyers d’innovation se trouveraient dans le Nord, et en s’interrogeant sur d’éventuelles modalités de circulation sud-nord, voire de références croisées (Koop et Amilhat-Szary, 2011[13]Koop K, Amilhat-Szary AL. (2011). « Introduction », L’Information géographique, n° 75(1), p. 6-14. ; Peyroux et Sanjuan, 2016[14]Peyroux E, Sanjuan T. (2016). « Stratégies de villes et “modèles” urbains : approche économique et géopolitique des relations entre villes. Introduction », EchoGéo, n° 36 [En ligne). En cela, il s’inscrit dans une posture réintégrant pleinement les Sud dans l’analyse de la circulation des idées en matière de politiques urbaines et décalant le regard vers les modèles a priori non dominants, à contre-courant d’un néolibéralisme prétendu homogénéisant (Robinson, 2011[15]Robinson J. (2011). « Cities in a world of cities: the comparative gesture », International Journal of Urban and Regional Research, n° 35(1), p. 1-23. ; Parnell et Robinson, 2013[16]Parnell S, Robinson J. (2013). « (Re)theorizing cities from the global south: looking beyond neoliberalism », Urban Geography, n° 33(4), p. 593-617.).
Notre analyse, inscrite dans un questionnement d’échelle globale, procède par études de cas localisées, en examinant la mise en place de trois CLT à travers le monde : la construction du modèle aux États-Unis, le projet dans la ville de Voi au Kenya, l’ancrage du modèle en région bruxelloise, en Belgique. L’attention est portée non pas sur l’objet architectural, urbanistique ou juridique, mais sur le processus sociopolitique et géographique de circulation, et le discours qui l’accompagne : il s’agit d’analyser et de « suivre » (Peck et Theodore, 2010[17]Peck J, Theodore N. (2010). « Mobilizing policy: Models, methods, and mutations », Geoforum, n° 41, p. 169-174.) les jeux d’acteurs et canaux de circulation aux différentes échelles, de prêter attention à l’intertextualité et aux interprétations territorialisées du modèle. Nous n’adoptons pas une approche proprement comparative. Nous procédons plutôt à l’étude d’un seul objet — la circulation du modèle du CLT à travers le monde — à partir de plusieurs moments et points d’observation. L’analyse se base sur la « littérature grise » entourant les différents projets depuis leur naissance (manuels, documents de projet, sites Internet, récits des acteurs, documentaires, etc.). Elle est donc essentiellement constituée d’une analyse de textes. Dans le cas de Bruxelles, nous avons pu réaliser des entrevues avec quelques acteurs clés associatifs et individuels du CLT, et participer à des rencontres non académiques dédiées à l’habitat participatif. Nous nous appuyons enfin sur des données secondaires provenant de la littérature académique.
Cet article s’organise en trois parties. Nous exposons tout d’abord l’originalité du modèle du CLT dans le débat sur l’accès au foncier et au logement, et détaillons le cadre théorique à travers lequel nous appréhendons sa circulation. Nous présentons ensuite les trois études de cas de mise en place de CLT, avant d’analyser les canaux de circulation du modèle et l’usage des références initiales du modèle dans les discours accompagnant les différents cas.
Combattre la précarité par le foncier
Le Community Land Trust à rebours du modèle dominant
Le modèle du CLT s’inscrit dans un débat relatif aux solutions à la précarité urbaine. Cette dernière se manifeste par des situations de mal-logement ou d’habitat précaire, caractérisées par une faible accessibilité financière du logement (dans les Nord) ou le développement de quartiers précaires peu dotés en services et sans autorisation officielle (dans les Sud), en particulier dans les secteurs sous pression foncière. Les recherches en économie ont démontré l’importance du foncier dans les mécanismes de vulnérabilité/résilience des populations urbaines : le sol urbain représente non seulement le support du logement, mais aussi celui de nombreuses activités économiques dans des contextes d’informalité, et constitue le centre des réseaux de solidarité (voisinage, etc.). La sécurité de la tenure foncière[18]Par tenure foncière, on entend le mode de possession d’un bien foncier. Étymologiquement, il s’agit d’une terre concédée à titre précaire. est ainsi reconnue comme un élément central pour lutter contre la précarité urbaine (Moser, 1998[19]Moser C. (1998). « The asset vulnerability framework: reassessing urban poverty reduction strategies », World Development, n° 26(1), p. 1-19. ; Payne, 2002[20]Payne G (2002). « Tenure and shelter in urban livelihoods », dans Rakodi C (dir.), Urban livelihoods. A people centred approach to reducing poverty, London, Earthscan, p. 151-164.). Les moyens d’atteindre cette sécurité de la tenure foncière sont cependant discutés autour de deux principales postures.
Intégrer par le marché ou sécuriser l’usage du sol
et mettre en commun la plus-value
Une première posture s’appuie sur l’idée — libérale — que le régime de propriété privée permet l’allocation la plus efficace du sol. Elle promeut le système de la propriété individuelle pleine et entière adossé aux marchés foncier et immobilier, et interprète les situations de mal-logement et de précarité urbaine comme un problème d’ajustement entre une offre réduite et une demande importante de parcelles en propriété privée. Les solutions proposées passent alors par la régularisation massive des occupations informelles et la simplification drastique des procédures d’obtention des titres fonciers, supposées libérer un fantastique « capital mort », favorisant l’entrepreneuriat et agissant comme levier de développement (De Soto, 2000[21]De Soto H. (2000). The Mystery of Capital. Why capitalism triumphs in the West and fails everywhere else, New York, Basic Books, 288 p.).
La seconde posture pointe les écueils de la pleine propriété individuelle : rente foncière indue, spéculation et creusement des inégalités entre propriétaires et non-propriétaires. Dans les pays occidentaux, le courant du socialisme utopique et les théoriciens de la socialisation du sol, tel Henri Georges, ont fortement critiqué le système de la propriété privée et la rente foncière privée, et ont proposé la redistribution de ce surplus de valeur au bénéfice de la collectivité (Attard, 2012[22]Attard JP. (2012). Dissociation de la propriété du sol et du logement. Transposition des pratiques des Community Land Trust aux activités de l’établissement public foncier d’Ile de France, epf Ile de France, 135 p. ; Davis, 2014b[23]Davis JE. (2014b). « Redistribuer la plus-value. Fiducie foncière et réforme foncière », dans Davis JE (dir.), (2014), Manuel d’antispéculation immobilière. Une introduction aux fiducies foncières communautaires, Montréal, Les Éditions Écosociété, p. 95-112.). Les cités-jardins de Ebenezer Howard, où le foncier est une propriété municipale mise à disposition à des individus agissant en fiduciaires, en sont un exemple. À propos des pays des Sud, les recherches ont démontré l’exclusion de la majorité de la population, mais surtout l’inefficacité, voire les effets pervers, d’une politique de distribution massive de titres fonciers là où elle a été tentée (Payne et al., 2009[24]Op. cit.). Elles mettent à l’inverse en lumière la diversité des modes de tenure foncière, historiquement construits, localement valides, et adéquats aux usages du sol. Elles proposent la sécurisation des tenures foncières plutôt que leur légalisation et le maintien de la coexistence des différents régimes juridiques. Cette position a progressivement été endossée par les organismes d’aide au développement dans les décennies 2000 et 2010 (UN-Habitat, 2008[25]Un-Habitat. (2008). Secure Land Rights for All, UN-Habitat, Global Land Tool Network, Nairobi, 45 p. ; Comité Technique « Foncier et Développement », 2009[26]Comité Technique « Foncier et Développement ». (2009). Gouvernance foncière et sécurisation des droits. Livre blanc des acteurs de la coopération française, Paris, 37 p. ; Rolnik, 2013[27]Rolnik R. (2013). Rapport de la Rapporteuse spéciale sur le logement convenable en tant qu’élément du droit à un niveau de vie suffisant ainsi que sur le droit à la non-discrimination dans ce domaine, Assemblée Générale des Nations Unies, Conseil des droits de l’homme, 27 p.). Elle constitue une approche par les droits (à la ville, au logement convenable, à la sécurité d’occupation), qui donne priorité à l’usage du sol et fait valoir l’intérêt général sur les intérêts privés du propriétaire, ce que résume la notion de « fonction sociale du sol et de la propriété[28]Définie comme « une propriété utilitaire et pénétrée de devoirs, qui ne se justifie qu’autant qu’elle respecte sa finalité d’intérêt général » par Bernard et Thys (Bernard N, Thys P. (2014). « Introduction : “socialiser” le foncier en le soustrayant au jeu de la spéculation », dans Mathivet C (dir.), La terre est à nous ! Pour la fonction sociale du logement et du foncier, résistances et alternatives, Paris, Ritimo/AITEC, p. 21-25). » (Mathivet, 2014[29]Mathivet C (dir.). (2014). La terre est à nous ! Pour la fonction sociale du logement et du foncier, résistances et alternatives, Paris, Ritimo/AITEC, 201 p.).
Le CLT : une alternative à la propriété individuelle,
une genèse étatsunienne inspirée du monde,
un modèle en pleine diffusion
Le CLT constitue une des formes opérationnelles les plus abouties de cette seconde posture. Élaboré dans les années 1960 aux États-Unis, le CLT peut être défini de manière générique comme une organisation de la possession et de l’usage du sol croisant collectif et individuel, visant à assurer une gestion partagée du territoire. Cette organisation repose sur quatre principes (Periferia, 2014[30]Periferia. (2014). Community Land Trust. Pour une gestion durable et partagée du territoire, Periferia aisbl, Bruxelles, 52 p.) :
– la propriété du sol et celle du bâti sont séparées : le trust détient le terrain, et les usagers détiennent le bâti ;
– des conditions à la revente sont inscrites dans le bail foncier dans une perspective anti-spéculative ;
– la gestion du territoire est commune : les usagers du sol sont membres du CLT avec d’autres acteurs du territoire (représentants du voisinage et des pouvoirs publics) et participent à la gestion du territoire au sein du conseil d’administration du CLT.
Ainsi, le CLT dépasse la propriété privée individuelle, puisque le sol appartient à une entité collective, le trust, tandis que les habitants détiennent des droits d’usage à long terme du sol. Il offre également un fonctionnement anti-spéculatif et qui contrôle la rente foncière, grâce à des règles telles que l’obligation d’être résident, la limitation de la plus-value pour le vendeur ou encore le droit de préemption du trust en cas de revente du bien. Enfin, il propose un modèle de gouvernance collective et de participation à la vie urbaine et à la communauté locale.
Ce modèle s’inspire d’un large panel de théories, utopies et expériences se posant en alternative à la pleine propriété individuelle. Deux guides fondateurs (International Independence Institute, 1972[32]International Independence Institute. (1972). The Community Land Trust. A guide to a new model for land tenure in America, Cambridge (MA), Center for Community Economic Development, 119 p. ; Institute for Community Economics, 1982[33]Institute for Community Economics. (1982). The Community Land Trust Handbook, Emmaus, PA, Rodale Press, 230 p.) offrent une image synthétique des sources d’inspiration spirituelle, théorique et expérimentale du CLT. Dans son approche générale, le CLT s’inscrit dans une conception ancestrale du rapport à la terre, selon laquelle la terre est un bien commun, voire sacré, qui ne peut faire l’objet d’une appropriation privée. Il se pose également en héritier des penseurs d’une réforme foncière radicale, en particulier George et Howard, favorables à la récupération de la plus-value sociale et à la socialisation du sol. Enfin, le CLT s’inspire d’expérimentations concrètes combinant détention commune de la terre (par emphytéose) et organisation coopérative. Les références en la matière proviennent des États-Unis — notamment les colonies de la taxe unique, les fiducies foncières de Borsodi, des réserves de conservation et un ensemble divers de « communautés intentionnelles » souvent chrétiennes — ainsi que du Royaume-Uni avec les cités-jardins de Howard. Les références convoquées ne s’arrêtent cependant pas aux pays anglo-saxons, puisque sont également mentionnés les coopératives agricoles kibboutz et moshav en Israël, le mouvement Gramdam de gestion en fiducie des terres en Inde, le programme de regroupement villageois Ujamaa Vijijini en Tanzanie, le système de terres communautaires dit ejidos au Mexique.
Le modèle original des CLT connaît une diffusion mondiale à partir des années 1990 au Canada, en Australie, au Kenya et, depuis le début des années 2000, en Grande-Bretagne, en Belgique et en France, et tout dernièrement à Porto Rico. Ces dernières années, une attention croissante est accordée au modèle et à sa possible adaptation dans les quartiers précaires, avec des réflexions au Brésil ou en Inde. Des réseaux internationaux se mobilisent autour de l’enjeu de diffusion du modèle : la consolidation d’un mouvement européen des CLT à l’horizon 2020 est un objectif explicite du projet européen SHICC[34]The Sustainable Housing for Inclusive and Cohesive Cities (SHICC) project (2017-2020). Ce projet a l’ambition de créer un mouvement de CLT dans l’Europe du Nord-Ouest, en prouvant l’efficacité du modèle, en créant un environnement politique, réglementaire et financier favorable aux CLT, et en soutenant le partage d’expériences entre quatre organisations de CLT à Lille, Bruxelles, Gand et Londres, en partenariat avec le Fonds mondial pour le développement des villes (FMDV) et le National CLT Network britannique. Le projet est principalement financé par le fonds INTERREG de l’Union Européenne (1,74 million d’euros). ; une plate-forme de recherche et d’innovation sur le CLT vient d’être lancée par des activistes étatsuniens et Global Land Alliance[35]Global Land Alliance. Community Land Access & Security [En ligne.
Circulation et ancrage des modèles
d’organisation foncière pour l’habitat :
posture de recherche
Le CLT apparaît ainsi comme le fruit d’un croisement original de références d’origines géographiques diverses et « voyage » à son tour à la période contemporaine. Comment analyser cette circulation ?
Alors que la circulation des modèles a largement été analysée en matière de « transfert » Nord-Sud et d’appropriation locale (Meny, 1993[36]Meny Y (dir.). (1993). Les politiques du mimétisme institutionnel. La greffe et le rejet, Paris, L’Harmattan, coll. Logiques Politiques, 285 p. ; Olivier de Sardan, 1995[37]Olivier De Sardan JP. (1995). Anthropologie et développement. Essai en socio-anthropologie du changement social, Paris, APAD-Karthala, 221 p.), le contexte contemporain marqué par le couple mondialisation/métropolisation bouleverse les cadres d’analyse : d’une part, les villes des Sud sont pleinement inscrites dans la mondialisation et sont le théâtre de nouvelles centralités (Malaquais, 2006[38]Malaquais D. (2006). « Villes flux. Imaginaires de l’urbain en Afrique aujourd’hui », Politique Africaine, n° 100, p. 15-37. ; Robinson, 2006[39]Robinson J. (2006). Ordinary cities: Between modernity and development, London, Routledge, 204 p.) ; d’autre part, les changements sociétaux font émerger dans les villes des Nord des situations que l’on croyait réservées aux pays pauvres — camps, économie informelle, forte exclusion, etc. (Koop et Amilhat-Szary, 2011[40]Op. cit. ; Saunders, 2011[41]Saunders D. (2011). Arrival cities: How the largest migration in history is reshaping our world, London, Windmill Books, 368 p. ; Agier, 2014[42]Agier M (dir.). (2014). Un monde de camps, Paris, La Découverte. 422 p.). Aussi, nous nous inscrivons dans une perspective considérant la circulation des idées et des modèles comme un processus pluridirectionnel, décentré, où la figure centre-périphérie — où les Sud sont simples récepteurs de modèles — perd de sa pertinence. Il s’agit plutôt d’explorer des liens, des collaborations, d’identifier des organisations et individus aux affiliations multiples, vecteurs de cette circulation (Robinson, 2011[43]Robinson J. (2011). « Cities in a world of cities: The comparative gesture », International Journal of Urban and Regional Research, n° 35, p. 1-23.), et de mener à des études plus fines, focalisées sur des individus et des étapes intermédiaires de circulation des idées (Peyroux, 2012[44]Peyroux E. (2012). « Circulation internationale et construction sociale d’un “modèle” de gestion des services urbains : les city improvement districts à Johannesburg », L’Espace géographique, n° 41, p. 68-81.). Cette perspective s’appuie sur les propositions de la géographie anglophone, qui mettent la focale sur la circulation elle-même, ses acteurs, ses échelles et ses lieux, et sur la manière dont les idées se constituent et circulent, façonnées par des jeux de pouvoir, de réseaux et de pratiques (Peck et Theodore, 2010[45]Op. cit. ; Mc Cann, 2011[46]Mc Cann E. (2011). « Urban policy mobilities and global circuits of knowledge. Toward a research agenda », Annals of the Association of American Geographers, n° 101, p. 107-130.). Elles permettent de saisir leur « construction sociale » localisée (Peyroux, 2012[47]Op. cit.).
Cette perspective s’inscrit également dans le sillon des études urbaines postcoloniales, réinsérant les Sud dans l’étude des flux mondiaux. Parnell et Robinson (2013[48]Op. cit.) montrent ainsi comment la surreprésentation des villes du Nord dans la recherche urbaine a entraîné une surreprésentation des recherches sur l’expansion du néolibéralisme, renforçant in fine l’hypothèse d’une homogénéisation des politiques urbaines. Le débat sur le foncier en est un bon exemple : il a été dominé jusqu’au milieu des années 1990 par une vision « évolutionniste » des systèmes fonciers à l’échelle mondiale (Platteau, 1996[49]Platteau JP. (1996). « The evolutionary theory of land rights as applied to sub-saharan Africa: A critical assessment », Development and change, n° 27, p. 29-86.), pariant sur la progression généralisée du modèle d’inspiration occidentale de la pleine propriété individuelle, permettant de faire fonctionner le marché immobilier (Demsetz, 1967[50]Demsetz H. (1967). « Towards a theory of property rights », The American Economic Review, n° 57 [En ligne ; Mayo et Angel, 1993[51]Mayo SK, Angel S. (1993). Housing: Enabling markets to work, The World Bank, Washington DC, Policy Paper, 172 p. ; De Soto, 2000[52]Op. cit.). Le CLT se présente au contraire comme la formulation d’une alternative au pur fonctionnement de marché, formulée sur le temps long et puisant son inspiration dans des géographies diverses. Réintégrer pleinement les Sud dans l’analyse de la circulation de modèles urbains autorise ainsi à s’intéresser à d’autres moteurs de changements que les effets de la finance et du pouvoir des grandes entreprises, à l’instar des approches par les droits humains, largement issues des stratégies de lutte contre la pauvreté appliquées dans les Sud (Pereira et Perrin, 2011[53]Pereira E, Perrin M. (2011). « Le droit à la ville. Cheminements géographiques et épistémologiques (France – Brésil – International) », L’information géographique, n° 75, p. 15-36.).
En définitive, nous posons l’hypothèse d’une diversité des idées et modèles urbains et de leurs modes de circulation, dépassant la vision d’une domination exclusive des modèles urbains néolibéraux des Nord. Notre posture de recherche ouverte permet d’investiguer des aspects sous-étudiés de la mondialisation, comme ici la circulation des modèles alternatifs en matière de foncier pour l’habitat, et ses modalités renouvelées par le contexte contemporain. L’approche par l’analyse de discours et l’intertextualité permet de repérer les multiples sources d’inspirations, fussent-elles contradictoires ou éphémères, et le panel de canaux de circulation.
Trois constructions sociales de CLT
Trois cas de CLT sont étudiés dans cet article, représentant trois continents d’ancrage. Le cas étatsunien s’impose en ce qu’il permet de saisir les inspirations initiales du modèle. Le cas kenyan nous paraît particulièrement intéressant, car il est le seul CLT établi dans la décennie 1990 en Afrique. Enfin, nous avons inclus le cas belge, à la fois branché sur les réseaux européens et mondiaux et issu d’un travail social de fond avec les communautés immigrées. Les modalités de construction sociale de ces trois cas sont examinées ici.
L’élaboration du modèle des CLT aux États-Unis
(1960-)
C’est la lutte pour les droits des communautés noires dans le Sud des États-Unis, en particulier pour leur accès aux terres agricoles, qui motive la création des premiers CLT dans les années 1960. Deux personnages clés en donnent l’impulsion : Bob Swann, militant pour la paix, et Slater King, cousin de Martin Luther King et militant des droits civiques. Le premier CLT, « New Communities Inc. », se crée en 1969 à Albany, en Géorgie, par l’acquisition collective de terres agricoles (Cohen et Lipman, 2016[54]Cohen HS, Lipman M. (2016). Arc of justice. The rise, fall and rebirth of a beloved community, Production O. S. (réalisateur).). La décennie 1970 verra la multiplication des expériences, avec notamment le premier CLT en milieu urbain à Cincinnati en 1980, et l’affinement du modèle. L’objectif social du CLT, favorisant les classes les moins nanties en luttant contre l’augmentation des coûts du logement, est affirmé dans le Guide de 1982, ainsi que le principe de garantie d’accessibilité permanente des logements via des clauses antispéculatives dans le bail foncier.
La crédibilité du mouvement des CLT s’accroît tout au long de la décennie 1980, grâce notamment à l’Institute for Community Economics (ICE), qui coordonne le partage d’expériences et les réflexions aux États-Unis. La dimension sociale du modèle favorise largement son essor, apportant à la fois un argument politique fort et un accès à des financements publics dédiés. Plusieurs organisations nationales apportent leur soutien : Lincoln Institute of Land Policy, Fondation Ford, fondateurs d’Habitat for Humanity (Davis, 2014a[55]Davis JE (2014a). « L’essor d’un mouvement ». dans Davis JE (dir.) (2014), Op. cit. p. 45-61.).
En 1992, le CLT est reconnu par une loi fédérale. Cette étape marque le début d’un déploiement important dans le pays : on comptait au début des années 1980 une douzaine de CLT, au début des années 2000, environ 120, et aujourd’hui 240[56]Les CLT étatsuniens sont de forme et de taille très variées. Le plus important, le Champlain Housing Trust (Vermont), détient 2 200 logements (acquisitif et locatif), 10 000 m2 de surface commerciale, de services et d’activités sans but lucratif (Davis JE. (2010a). « Origins and Evolution of the Community Land Trust in the United States », dans Davis JE (dir.), The Community Land Trust Reader, Cambridge, Lincoln Institute of Land Policy. p. 3-47)., dont une partie est initiée par les gouvernements locaux et non plus par la seule société civile. L’ICE continue de jouer son rôle de catalyseur de la pensée des CLT jusqu’au début des années 2000, où l’Institut disparaît pour laisser place à un réseau national des CLT (2006).
Le CLT de Voi au Kenya (1990-)
Au Kenya, la mise en place du CLT de Voi s’inscrit dans un projet de développement financé par la coopération allemande, au début des années 1990 : le Small Town Development Project (STDP). Ce projet a pour objectif d’améliorer les conditions de vie d’un quartier précaire, Tanzania-Bondeni, à travers la construction d’infrastructures, la sécurisation de la tenure foncière et un soutien à la construction (formations, équipements, matériaux). Le montage du projet entend éviter le risque de revente des terrains après leur régularisation et ainsi une éviction (par le marché) des bénéficiaires initiaux au profit des classes moyennes.
Dans cette perspective, l’équipe du projet envisage des modes de sécurisation foncière alternatifs à la distribution de titres fonciers individuels et pouvant garantir aux habitants des avantages durables. Elle bénéficie de premières réflexions menées au début des années 1990 au sein des organisations de la société civile impliquées dans le développement communautaire. Ainsi, une étude explorant la contribution possible du CLT à la problématique du logement des populations pauvres est réalisée par deux consultants américains de Equity Trust Ltd, grâce à une subvention de la fondation Ford[57]L’étude s’est principalement basée sur des échanges avec les ONG kenyanes impliquées dans le développement communautaire en milieu urbain (regroupements de coopératives d’habitat, églises, ONG, etc.). Des rencontres ont également été organisées avec des représentants de la recherche académique, des autorités publiques et des institutions financières (Matthei et Hahn, 1991, Op. cit. p. 49-52). (Matthei et Hahn, 1991[58]Matthei C, Hahn R. (1991). Community Land Trusts and the delivery of affordable shelter to the urban poor in Kenya, The Ford Foundation, Voluntown, Equity Trust Ltd. 53 p.). L’étude confirme le potentiel du dispositif en raison des enjeux similaires qui façonnent les contextes américain et kenyan, tout en pointant les adaptations nécessaires. Elle est relayée et discutée pendant le Shelter Forum, co-organisé par la fondation Ford et Mazingira Institute, en 1990, et réunissant les principales ONG du secteur.
Suite à cette étude, la mise en place d’un CLT a été proposée par les porteurs du projet et votée par une assemblée communautaire du quartier, fin 1993. Pour les habitants, cette solution procurait l’avantage de droits réels sur le logement, y compris l’héritage ; elle offrait la possibilité à la communauté de mieux contrôler le foncier dans son quartier (notamment pour résister à la pression du marché) et de lutter contre les propriétaires absents et la location spéculative ; enfin, elle permettait d’envisager des emprunts bancaires à l’échelle du groupe (Bassett et Jacobs, 1997[59]Bassett EM, Jacobs HM. (1997). « Community-based tenure reform in urban Africa: the community land trust experiment in Voi, Kenya », Land Use Policy, n° 14, p. 215-229. ; Bassett, 2001[60]Bassett EM. (2001). Institutions and informal settlements: the planning implications of the Community Land Trust experiment in Kenya, University of Wisconsin-Madison, 356 p.).
L’option du CLT a également été soutenue par les autorités publiques. Pour les instances municipales, il offrait l’intérêt d’étendre l’assiette des taxes foncières et de limiter la formation de nouveaux quartiers précaires. Pour le gouvernement central et les agences de développement, il s’agissait de contrôler le phénomène d’éviction par le marché des quartiers régularisés et d’encourager la communauté à s’organiser pour de futurs projets de développement. Enfin, la perspective d’accéder au fonds de réhabilitation des quartiers précaires de l’Association nationale des syndicats d’habitat coopératif[61]Fonds doté par la fondation Ford., disponible aux seuls quartiers s’organisant en coopérative, constituait également une motivation.
La mise en place du CLT s’est révélée relativement fastidieuse et aura duré treize ans, notamment en raison des adaptations nécessaires du modèle au contexte législatif kenyan[62]En particulier, afin de contrer la règle contre la détention à perpétuité du foncier, deux entités ont été créées : d’une part, la société de quartier (settlement society) regroupant les résidents du quartier et, d’autre part, le Community Land Trust, pouvant détenir le bail emphytéotique du terrain (le titre foncier étant au nom de l’État kenyan), et pouvant délivrer des sous-baux (sublease) aux résidents.. Le projet a cependant suscité un grand engouement dans le monde professionnel et politique kenyan, au début des années 1990 ; il est, par exemple, retenu par le gouvernement dans son rapport national pour Habitat II (1996).
La plate-forme CLT-Bruxelles (2000-)
L’histoire des CLT dans la région de Bruxelles-Capitale est plus récente et principalement motivée par l’enjeu de l’accessibilité financière des logements : les prix du logement en locatif et en acquisition ont doublé en région bruxelloise, entre 2000 et 2010, tandis que le logement social est loin de satisfaire la demande (Observatoire de la santé et du social de Bruxelles-Capitale, 2012[63]Observatoire de la santé et du social de Bruxelles-Capitale. (2012). Baromètre social. Rapport bruxellois sur l’état de la pauvreté, Commission communautaire commune, Bruxelles.). Ce goulot d’étranglement provoque, au début des années 2000, quelques initiatives localisées d’organisations sociales et associatives en faveur de l’accès à la propriété pour des familles précarisées.
En 2003, le CIRÉ (Coordination et Initiatives pour Réfugiés et Étrangers) travaille à améliorer l’accès au crédit hypothécaire social. Il met en place des groupements d’épargne collective et solidaire inspirés des « tontines » existant notamment en Afrique subsaharienne, d’où vient une partie du public du CIRÉ. L’initiative prend une dimension supplémentaire lorsque le CIRÉ, avec comme partenaire une maison de quartier, entreprend d’accompagner un groupe de 14 familles, non seulement dans l’accès au crédit, mais dans toute « l’aventure immobilière » (Dawance et Louey, 2014[64]Dawance T, Louey C. (2014). « Quand l’Europe s’inspire des États-Unis. L’exemple du Community Land Trust Bruxelles », dans Davis JE (dir.) (2014), Op. cit., p. 170.) d’un projet de construction d’un immeuble et d’acquisition de logements passifs, depuis la conception du programme architectural jusqu’au choix du projet. Cette initiative pilote génère une dynamique de réflexion au sein du secteur associatif bruxellois. Le CLT est identifié comme un modèle intéressant ; une équipe fait le déplacement à Lyon pour écouter une conférence donnée par Yves Cabannes, puis réalise un voyage d’études à Burlington (Vermont) pour étudier le Champlain Housing Trust, un des plus grands CLT des États-Unis. La plate-forme Community Land Trust Bruxelles (CLTB) est mise en place en 2009, et une étude de faisabilité commandée par le secrétaire d’État au logement est réalisée dans la foulée. Le CLT bruxellois est finalement officiellement créé fin 2012 et doté par le gouvernement régional d’une subvention pour un premier projet de logements pour neuf familles. Pour la période 2014-2017, la région accorde une subvention permettant la construction d’une trentaine de logements par an, et la plate-forme CLTB devient un partenaire des pouvoirs publics régionaux dans la réflexion sur les politiques de logement social (Periferia, 2014[65]Op. cit.). La structure permet d’initier plusieurs projets ponctuels sur l’ensemble de la région bruxelloise.
Des constructions sociales territorialisées
Une première synthèse de ces trois études de cas laisse apparaître trois histoires de (re)constructions sociales territorialisées du modèle du CLT. L’expression de « construction sociale » du modèle, empruntée à Élisabeth Peyroux (2012[66]Op. cit.), met l’accent sur le processus de légitimation et d’adaptation locales d’un modèle. Si les trois cas ont en commun une initiative largement portée par la société civile, les arguments suscitant le recours au modèle CLT sont ancrés dans des situations territoriales précises : un enjeu ciblé devient, à un moment donné, un problème d’ordre sociopolitique, suscitant le passage à l’action d’un certain groupe d’acteurs.
Dans le contexte étatsunien, la terre est un support — parmi d’autres — de mise en œuvre de l’égalité des droits civiques, mais aussi d’émancipation économique pour les populations afro-américaines. Le modèle CLT naît dans le contexte du mouvement des droits civiques et des mouvements catholiques ouvriers. Ses arguments s’élargissent au fil des décennies 1970-1980 pour inclure l’accès au sol pour le logement en milieu urbain et une dimension socioéconomique plus large (les bénéficiaires ciblés sont les populations pauvres). Aujourd’hui, le CLT bénéficie d’une organisation fédératrice nationale forte, le National CLT Network, et de l’appui de nombreux gouvernements locaux. Au Kenya, l’adoption du CLT est le fait d’un projet de développement visant à maintenir les résidents sur place après la régularisation foncière et à lutter contre les comportements lucratifs liés à l’augmentation de la valeur du foncier. Ces principes n’ont pas été édictés par la seule agence de coopération, mais au fil d’une démarche volontairement multiacteurs et participative, incluant les autorités publiques (ministères des Autorités locales et du Foncier et municipalité de Voi) et les habitants organisés en comités de résidents. Enfin, le modèle bruxellois met l’accent sur l’abordabilité des logements et se positionne comme « une réponse durable à la crise du logement, tout en prenant en compte l’aspect multiculturel qui caractérise Bruxelles[67]Source : site web de CLT-Bruxelles [En ligne ». Par ailleurs, le CLT bruxellois se présente comme une fédération d’organisations de la société civile, organisée sous forme de « plate-forme » de promotion du modèle. Le tableau 1 permet de récapituler ces éléments factuels, avant d’entrer dans l’analyse des trois études de cas.
Analyse croisée et histoires entrecroisées
Pour analyser la circulation du modèle CLT, il convient d’examiner les canaux de circulation et les sources d’inspiration et de légitimation.
Les canaux de la circulation internationale du CLT
Le caractère alternatif du modèle CLT renvoie à des canaux de circulation pour partie en dehors des sphères et des processus classiques des politiques publiques, relevant d’une société civile comprise comme l’ensemble des acteurs n’ayant aucune dimension gouvernementale ni objectif lucratif. Trois canaux peuvent être identifiés.
Le premier canal est constitué des organisations de la société civile jouant un rôle de relais dans la diffusion du modèle CLT. Historiquement, la première d’entre elles est l’ICE, qui a contribué à diffuser le CLT au sein du territoire étatsunien. L’ensemble des documents que l’organisation a produits constitue également une base de données fondamentale pour sa vulgarisation à l’international, et est bien exploitée par une série d’organisations étatsuniennes nées de l’ICE, comme le National CLT Academy, Equity Trust Ltd, ou encore le projet en ligne « Roots & Branches » qui recueille les archives digitales des origines et de l’évolution des CLT. La fondation Ford a, elle aussi, joué un rôle non négligeable. Accompagnant les CLT aux États-Unis depuis les années 1980, elle est présente en Afrique subsaharienne à travers différents programmes d’aide. Grâce aux relais d’organisations de la société civile locale œuvrant dans le domaine du développement communautaire dans les quartiers précaires, elle a accompagné la réflexion sur l’implantation du CLT au Kenya en amont du projet de la GTZ[68]Le Mazingira Institute et la fondation Ford organisent un forum en 1990 à Nairobi rassemblant un panel large d’ONG et de bailleurs intervenant dans le secteur, ayant vocation à présenter l’étude sur la contribution possible du CLT à la problématique du logement des populations pauvres. Entre 1990 et 1992, l’ONG Kituo Cha Seria, organisation d’aide paralégale, spécialisée dans les litiges fonciers dans les quartiers précaires, étudie la possibilité de mettre en place un CLT dans un quartier précaire de Nairobi. L’important coût du projet, notamment pour l’acquisition du foncier, contribue à son abandon (Jaffer M. (2000). « Expanding equity by limiting equity », Property and values: Alternatives to public and private ownership, Washington DC, Island Press, p. 175-188 ; Rodriguez-Torres D. (2006). « Les pouvoirs publics et les politiques de rénovation urbaine à Eastlands. L’exemple du “Mathare 4A Slum Upgrading Project” », dans Charton-Bigot H, Rodriguez-Torres D (dir.), Nairobi contemporain : les paradoxes d’une ville fragmentée, Paris, Karthala. p. 101-146). La GTZ bénéficiera cependant de ces premiers éléments de réflexion au démarrage de son projet..
Deuxièmement, le système international des « best practices » et le jeu de référencement qui y est associé (Mc Cann, 2011[69]Op. cit.) ont joué un rôle décisif à plusieurs moments clés. La mise en place du CLT au Kenya, dans les années 1990, suscite un engouement certain parmi les gestionnaires de projets et les autorités publiques kenyanes, qui prennent rapidement le relais des acteurs du développement communautaire dans la promotion du modèle (Bassett, 2005[70]Bassett EM. (2005). « Tinkering with tenure: The community land trust experiment in Voi, Kenya », Habitat International, n° 29, p. 389.) : le projet est sélectionné comme l’une des meilleures pratiques du Kenya dans le rapport national pour la conférence des Nations unies Habitat II à Istanbul en 1996, et fait même partie des cent meilleures pratiques sélectionnées lors de la Conférence. Dans un pays comme le Kenya à la « politique de branchement » (Söderström et Dupuis, 2010[71]Söderström O, Dupuis B. (2010). La mondialisation des formes urbaines à Hanoi et Ouagadougou. Introduction, Institut de géographie et Fonds national suisse de la recherche scientifique, Neuchâtel, 23 p., p. vi.) orientée vers la coopération internationale et accueillant le siège de ONU-Habitat à Nairobi, on ne s’étonne pas des liens entre l’expérimentation CLT et les organisations internationales. On retrouve aujourd’hui la mention du CLT dans plusieurs publications de ONU-Habitat (notamment Augustinus et Benschop, 2003[72]Augustinus C, Benschop M. (2003). Security of tenure: Best practices, Communication au Regional Seminar on Secure Tenure, Nairobi, 12-13 June. ; UN-Habitat, 2011[73]Un-Habitat. (2008). Secure Land Rights for All, UN-Habitat, Global Land Tool Network, Nairobi, 45 p.), mais également, souvent au chapitre des modes de tenure collective ou des alternatives « simplifiées » à la propriété individuelle pleine et entière, dans de nombreuses publications de bailleurs de fonds, notamment de la Banque mondiale (2006[74]World Bank. (2006). Thirty years of World Bank shelter lending. What have we learned?, Buckley RM, Kalarickal J (dir.),The World Bank, Washington DC, 138 p., p. 31.), de la coopération française (Comité Technique “Foncier et Développement”, 2009[75]Op. cit., p. 60.) et de la coopération allemande (GTZ, 1997[76]Gtz. (1997). Droit foncier et systèmes fonciers. Cadre d’orientation. Résumé et document de travail, GTZ, 19 p.). Mais c’est surtout le Prix mondial de l’habitat, décerné annuellement par la Building and Social Housing Foundation (BSHF) en partenariat avec ONU-Habitat, qui semble avoir joué un rôle pivot. En plus d’un classement des meilleures pratiques, il finance des visites d’étude des initiatives récompensées. En 2008, le Champlain Housing Trust (Burlington, Vermont) remporte ce prix. L’année suivante, le voyage d’études à Burlington comprend une délégation kenyane et une délégation bruxelloise (alors au démarrage de la réflexion). En 2015, le Prix est décerné au CLT de Cano Martin Pena (Puerto Rico), contribuant encore à la notoriété du modèle.
Enfin, entre ces deux sphères des organisations locales et des catalogues internationaux de meilleures pratiques, quelques experts transnationaux (Peck et Theodore, 2010[77]Op. cit.) voire nomades (Verdeil, 2005[78]Verdeil É. (2005). « Expertises nomades au Sud. Éclairages sur la circulation des modèles urbains », Géocarrefour, n° 80 p. 165-169 [En ligne) ont permis à la circulation du modèle qu’elle soit véritablement incarnée. Ces experts combinent des parcours individuels à la frontière mouvante entre l’expertise, l’action de terrain et le militantisme. Ils contribuent par leurs multiples activités à diffuser des idées et convaincre les acteurs. Dans la lignée de Bob Swann et Slater King, créateurs de liens entre différentes expériences et pensées à travers le monde dans les années 1960, nous pouvons évoquer plusieurs figures clés. Chuck Matthei, pionnier des CLT aux États-Unis, directeur de l’ICE de 1980 à 1990 et fondateur de Equity Trust Ltd en 1991, mène avec cette dernière organisation l’étude sur la mise en place des CLT au Kenya pour la fondation Ford, en 1991 (Matthei et Hahn, 1991[79]Op. cit.). Yves Cabannes, urbaniste et professeur à University College London (Royaume-Uni), au parcours professionnel et militant en ONG, a contribué à faire connaître le modèle CLT dans le système des Nations unies, en coordonnant le rapport Collective and Communal Forms of Tenure pour la rapporteuse spéciale des Nations unies pour un logement convenable. Il est également proche des acteurs belges des CLT. Enfin, John E. Davis a un long parcours militant pour le CLT : employé de l’ICE de 1982 à 1985, directeur du logement dans la municipalité de Burlington où se trouve le plus important CLT des États-Unis, éditeur de deux manuels des CLT et administrateur du site Roots & Branches. Il donne de nombreuses conférences à l’international et a accompagné la mise en place d’une centaine d’expériences de CLT, dont la plate-forme belge.
Intertextualités
De l’Afrique aux États-Unis et vice-versa ?
L’intertextualité, notion forgée en études littéraires, renvoie à l’idée que les textes se construisent les uns par rapport aux autres (Fairclough, cité par Peyroux, 2012[80]Op. cit.). Mobilisée dans le cadre d’une analyse de discours, la notion sert ici à mettre en évidence les liens entre les différents cas d’études dans les arguments et stratégies de légitimation, et à relever les cohérences et incohérences de ce panel de registres de légitimation. Nous étudions ici deux pôles d’inspiration fondamentaux : les États-Unis et l’Afrique subsaharienne.
Les États-Unis en référence
S’il est largement connu que le modèle CLT est né aux États-Unis, les CLT belges et kenyans font un usage différencié de la référence étatsunienne. La filiation est présentée comme directe dans le cas belge, à l’instar du titre de cet article de Dawance et Louey (2014[81]Op. cit.) : « Quand l’Europe s’inspire des États-Unis. L’exemple du Community Land Trust de Bruxelles ». Dans son introduction, l’étude de faisabilité des CLT vise explicitement à « traduire cette formule développée aux États-Unis en termes bruxellois », s’interrogeant sur des éléments culturels de mise en place du modèle : « Sommes-nous beaucoup plus casaniers que les Américains ? » (De Pauw et Sereno Regis, 2012[82]De Pauw G, Sereno Régis O. (2012). Étude de faisabilité des Community Land Trusts en Région de Bruxelles-Capitale, Bonnevie/Periferia/Credal/Lydian/UCL London/Gut-T, 223 p., p. 5.).
La chronologie de l’expérience kenyane montre un lien direct avec les CLT étatsuniens : l’idée a été émise dans une étude financée par la fondation Ford, élaborée par deux consultants étatsuniens. Le rapport de cette étude est organisé comme une comparaison systématique des enjeux du travail des ONG avec les communautés dans le domaine de l’habitat entre le Kenya et les États-Unis. Elle démontre que les deux contextes présentent des similarités : demande en logement dépassant largement l’offre disponible, prévalence des propriétaires non-résidents dans les quartiers les plus pauvres, faibles ressources gouvernementales pour le secteur. Les auteurs mettent finalement en évidence les adaptations nécessaires au contexte kenyan, caractérisé par l’insécurité foncière et l’augmentation rapide des prix du sol, le faible niveau de documentation foncière et la réticence des pouvoirs publics à pourvoir des titres fonciers aux occupants (Matthei et Hahn, 1991[83]Op. cit.).
En dehors de cette étude fondatrice, l’expérience kenyane semble s’être déroulée sans grande référence aux États-Unis, convoquant plutôt l’argument d’un retour à la tenure traditionnelle de la terre, ce que nous discutons dans la section suivante.
L’inspiration africaine en question
La référence à l’Afrique subsaharienne et ses traditions dans plusieurs documents de présentation du CLT interroge : de quelle inspiration africaine est-il question dans le modèle du CLT ? Comment et dans quelle mesure cette inspiration a-t-elle circulé ?
En premier lieu, une lecture attentive des textes fondateurs du CLT, soit les guides édités aux États-Unis dans les années 1970-1980, révèle une double inspiration africaine. D’une part, il s’agit d’une inspiration d’ordre spirituel, relative au rapport des sociétés à la terre et à sa dimension sacrée et non appropriable pour des intérêts privés. D’autre part, il est fait mention de la réforme foncière tanzanienne de Julius K. Nyerere, dans les années 1960, Ujamaa Vijijini, présentée comme réactualisant la tenure foncière traditionnelle (International Independence Institute, 1972[84]Op. cit., p. xiv.) : « In Africa, common tradition often held land to be the property of no single person or tribe. It was to be shared by all. There were territorial boundaries fixed by custom or agreement; however, within these boundaries land was communally used. Today, (…) the program of Ujamaa Vijijini (“familyhood in villages”) (…) represents a return to the traditional landholding concept ».
Cette seconde source relevant des politiques publiques est moins connue. Ce programme tanzanien de regroupement villageois, mis en œuvre de 1967 à 1977, avait pour objectif de favoriser la fourniture de services publics et la modernisation de la production agraire. Il portait l’idée d’étendre la notion de collectivité et la responsabilité morale à son égard à l’échelle du village, voire de la nation (Askew, 2008[85]Askew KM. (2008). « Les villages tanzaniens ujamaa 40 ans plus tard : moralisation et commémoration du collectivisme », Anthropologies et sociétés, n° 32, p.103-132.). Sa mise en œuvre a cependant impliqué des déplacements de populations importants, parfois forcés, et est réputée avoir détruit les bases des systèmes de tenure traditionnels et, par là même, renforcé l’insécurité foncière rurale en Tanzanie (Midheme, 2007[86]Midheme E. (2007). State- vs. community-led land tenure regularization in Tanzania. The case of Dar es Salaam City, International Institute for Geo-Informaiton Science and Earth Observation, Enschede, The Netherlands, 100 p.). Cette analyse rétrospective peut expliquer pourquoi la référence à ce programme a disparu de la grande majorité des manuels de CLT dans le monde[87]Elle n’est pas citée dans la majorité des manuels ou documents de présentation des CLT à l’étranger, par exemple l’étude de faisabilité pour la France (Attard, 2012, op. cit.), le manuel australien (Crabtree et al. (2013). The Australian Community Land Trust Manual, The University of Western Sydney, 246 p.), ou en Belgique (De Pauw et Sereno Regis, 2012, op. cit.), étudiés par l’auteure.. Comment les acteurs kenyans ont-ils repris à leur compte cette double inspiration africaine ?
D’après nos recherches, la mise en place du CLT à Voi ne mentionne pas le programme tanzanien Ujamaa. En revanche, la référence à la tenure traditionnelle et au caractère de bien commun (sacré) de la terre est reprise à plusieurs titres, et ce, d’une manière qui nous semble ambiguë. D’un côté, le discours des promoteurs du projet de Voi laisse entendre que le CLT offre une forme légale contemporaine au système de tenure traditionnelle africain et à ses valeurs : « The experience of CLTs (…) appeared to be socially and culturally relevant to Africa » (Jaffer, 2000[88]Jaffer M. (2000). « Expanding equity by limiting equity », Property and Values: Alternatives to Public and Private Ownership, Washington DC, Island Press, p. 179). En 1995, un film de présentation du projet est produit par la GTZ. Son fil conducteur explore comment la mise en place du CLT permet aux résidents de Tanzania-Bondeni de retrouver le mode de tenure ancestral[89]“We can combine traditional ways of land ownership with the modern one of title deeds. It could be combined so that people can have land but it won’t be like cigarettes or soda, something you can sell easily” — interview de Murtaza Jaffer, dans le film de la GTZ consultant sur les aspects légaux pour le projet de CLT à Voi. Le film s’achève avec les phrases suivantes : “The once dispossessed and marginalized citizens of Tanzania-Bondeni can celebrate. Like their ancestors, they now own their land in trust”. (The Ministry of Local Government of the Republic of Kenya et GTZ, 1995[90]The Ministry of local government of the Republic Of Kenya, Gtz. (1995). Our land in trust. A programme about the Community Land Trust Project in Tanzania/Bondeni in Voi, Kenya, GTZ [En ligne). Plus précisément, le modèle du CLT est présenté comme le mode de tenure foncière offrant une structure de répartition de la valeur foncière entre individus et communauté la plus proche de celle de la tenure traditionnelle (Jaffer, 2000[91]Op. cit., p. 187-188.) : « collective ownership arrangements based on the African concept of land as a gift from God and its ownership being collectively vested in its users ensure that equity is shared between the users (owners) and society at large, value in property accruing not by virtue of purchase by the wealthy but by the quantity of social investments made by residents. Equity limitations (…) are more pronounced in CLT-type arrangements where the limitations are clearly spelled out up front. Equity remains pooled for the community ».
D’un autre côté, la mise en œuvre pratique du CLT n’offre pas la même perspective. Ainsi, le choix de la communauté d’habitants de Voi pour le CLT découle de mécanismes de marché (et de leurs désavantages) bien compris à un moment précis de vulnérabilité de la communauté. Les enquêtes doctorales de Ellen Bassett auprès des habitants mettent en lumière des arguments en faveur d’un développement économique communautaire facilité par la mise en place du trust (systèmes d’entraide à la construction, crédits collectifs, systèmes de coopératives). Du côté du gouvernement, ce qui ressort est un intérêt pour la structuration de la communauté par le biais de ce projet à d’autres fins : obtention de fonds pour une réhabilitation communautaire (dont ceux de la fondation Ford dans les années 1990) ou futurs projets nécessitant comme interlocuteur une organisation communautaire solide.
Enfin, le fait que l’expérimentation de Voi soit restée un cas isolé dans le pays et sa vraisemblable absence du débat autour de la réforme foncière kenyane, ouvrant pourtant la possibilité de la tenure foncière communautaire, suggèrent que le principal moteur de ce projet n’était pas une remise en cause du système foncier postcolonial — et un retour à une tradition réactualisée — par les autorités publiques[92]Le Community Land Act de novembre 2016 ouvre la possibilité de reconnaissance des terres communautaires (community land), que la communauté soit basée sur des liens ethniques, culturels ou de communautés d’intérêt. Cette définition large permet d’appliquer aisément ces dispositions aux communautés urbaines, notamment des quartiers précaires (Alden Wily L. (2018). « The Community Land Act in Kenya Opportunities and Challenges for Communities », Land, n° 12). Cet aspect serait à confirmer par une étude plus approfondie du processus récent de formulation de la réforme kenyane, non effectuée dans le cadre de cet article, mais approchée à travers les recherches de Francesca Di Matteo (Di Matteo F. (2017). “Community Land” in Kenya: Policy making, social mobilization, and struggle over legal entitlement, Department of International Development, London School of Economics, Working Paper, Series 2017)..
En Belgique, si les documents consultés font état d’une filiation forte aux États-Unis, il nous semble tout à fait significatif que « l’histoire » du CLT soit née des activités du CIRÉ avec, entre autres, des populations d’origine africaine. Cette histoire montre un fil conducteur entre des premiers projets de crédits collectifs sur le modèle de la tontine jusqu’à une « aventure immobilière » (Dawance et Louey, 2014[93]Op. cit., p. 170.) menée en commun, partageant un montage financier solidaire et un accent sur la gestion collective et le partage des espaces.
En somme, suivre les différentes formes de l’inspiration africaine amène à déconstruire une image parfois romantique de la possession foncière collective traditionnelle et du fonctionnement des sociétés africaines. En revanche, il nous semble que la filiation africaine du CLT tient dans la proposition d’un modèle économique solidaire, la dissociation de la possession du sol et du bâti (situation de fait à Voi, déjà) qui a émergé dans les contextes de crise et de vulnérabilité, dans les Sud comme dans les Nord. C’est donc plutôt en ce sens que l’on pourrait parler d’enseignement Sud-Nord.
Un modèle « dans l’air du temps »
La circulation temporelle du CLT
En dernier lieu, nous nous interrogeons sur la circulation temporelle du CLT : comment comprendre la circulation somme toute récente d’un modèle élaboré dans les années 1960 ?
Comme souligné plus haut, le CLT bénéficie d’une certaine flexibilité qui semble lui avoir permis de s’intégrer dans diverses évolutions politico-institutionnelles. Aux États-Unis, les CLT se sont intégrés à la décentralisation et ont été réappropriés par les gouvernements locaux (Davis, 2014a[94]Op. cit.). Au Kenya, c’est le paradigme de la participation des populations et du développement communautaire qui sous-tend la mise en place du CLT dans les années 1990. Le discours de la plate-forme CLTB traduit quant à lui l’inscription du CLT dans le puissant mouvement contemporain des « communs », entendu comme une philosophie politique et un mode d’action collective offrant une troisième voie entre l’organisation par l’État et les mécanismes de marché, et mettant au cœur du processus les citoyens ou les communautés (Bollier, 2014[95]Bollier D. (2014). La renaissance des communs. Pour une société de coopération et de partage, Paris, Éditions Charles Léopold Mayer, 189 p. ; Dardot et Laval, 2014[96]Dardot P, Laval C. (2014). Commun. Essai sur la révolution au XXIe siècle, Paris, La Découverte. 600 p.). Le modèle CLT semble alors matérialiser la contestation des standards néolibéraux de politiques urbaines initiée par les réseaux activistes urbains (Douay et Prévot, 2012[97]Douay N, Prévot M. (2012). « Introduction », L’Information géographique, n° 74, p. 8-10.). Dans cette optique, le CLTB se présente comme une voie alternative, entre les politiques publiques subventionnées et les mécanismes de marché, mais aussi comme une voie de renouvellement de la démocratie (Dawance et Louey, 2014[98]Op. cit., p. 177-178.) : « le modèle des CLT participe de la recherche de nouveaux modes de gouvernement davantage collaboratifs. (…) il s’agit en Europe de montrer qu’une réponse citoyenne et partenaire du pouvoir représentatif est légitime, souhaitable et peut être envisagée. »
Enfin, à l’échelle globale, le modèle du CLT s’intègre dans des mouvements militants internationaux, notamment celui du droit à la ville, en référence directe à Henri Lefebvre, ce qui lui vaut, par exemple, d’être présent dans plusieurs publications à portée internationale, comme le rapport déjà mentionné de Yves Cabannes (2013[99]Cabannes Y. (2013). Collective and Communal Forms of Tenure, UN Special Rapporteur on Adequate Housing, Background Paper, 37 p.), parmi d’autres publications alternatives à vocation mondiale (notamment Mathivet, 2014[100]Op. cit.).
Conclusion
Cet article, examinant les modalités de circulation d’un modèle alternatif de gestion du foncier pour l’habitat, va à l’encontre d’une hypothèse d’homogénéisation des modèles urbains et des villes. À travers l’étude de trois CLT sur trois continents, nous montrons que les modèles urbains néolibéraux ne sont pas les seuls à se diffuser : les principes du CLT, à rebours du modèle dominant, ont voyagé et convaincu des acteurs locaux en se rattachant à des enjeux territoriaux.
Le CLT offre également l’exemple d’une circulation d’un modèle qui dépasse le cadre des États et de la coopération internationale (Béal, Epstein et Pinson, 2015[101]Béal V, Epstein R, Pinson G. (2015). « La circulation croisée. Modèles, labels et bonnes pratiques dans les rapports centre-périphérie », Gouvernement et action publique, n° 3, p. 103-127.), mais aussi celui des villes et de leurs stratégies de positionnement dans la concurrence métropolitaine (Peyroux et Sanjuan, 2016[102]Op. cit.). Les canaux de circulation du modèle CLT sont relativement originaux, au sens où ils sont initiés par une société civile aux échelles locale et internationale, ainsi que des individus au profil et parcours transnationaux. Ces acteurs de la société civile sont insérés (pleinement ou partiellement) dans des mouvements militants sur des thèmes reflétant des problématiques territoriales (c’est-à-dire géographiquement et historiquement situées) : exclusion raciale ou financière pour l’accès au logement, sécurité foncière dans les quartiers précaires, renouvellement de la démocratie. Néanmoins, ces canaux sont également pleinement intégrés dans une mondialisation favorisant les flux d’information, le partage d’expériences, l’usage des nouvelles technologies, et participent d’un système de référencement international des « bonnes pratiques » qui, in fine, n’appartient plus exclusivement à la sphère de la société civile locale. Comme le souligne Valérie Clerc dans le cas des influences subies par les politiques urbaines au Cambodge (Clerc, 2005[103]Clerc V. (2005). « Les politiques de résorption de l’habitat informel à Phnom Penh. Influence des organisations internationales et contradictions de l’action publique », Géocarrefour, n° 80.), l’appartenance multiple de certains individus et les proximités avérées de certaines organisations publiques et de la société civile rendent incertaine la paternité des idées et des influences. Le relais rapidement assuré par les autorités publiques en Belgique et au Kenya témoigne des frontières poreuses entre les catégories d’acteurs.
Enfin, la diffusion contemporaine du CLT témoigne d’une tendance de fond de contestation des normes néolibérales, ici appliquées au domaine de l’habitat, dans un contexte de crise qui fait émerger au Nord des phénomènes communément assignés aux pays pauvres. Elle s’accompagne d’un regain d’intérêt pour des conceptions ancestrales du rapport de l’humain à la terre, dont la référence reste forte dans les pays des Sud, et pour des expériences de gestion communautaires dont les Sud ont l’expérience ; regain d’intérêt dont le mouvement des communs est l’une des expressions.
Pour autant, assiste-t-on avec cette diffusion mondiale du CLT à un enseignement donné par les Sud aux villes des Nord ? Donne-t-elle à voir une géographie radicalement nouvelle des relations entre espaces et expériences urbaines ? La réponse reste ambiguë. Le modèle du CLT est initialement étatsunien. Le discours entourant le projet de CLT au Kenya promettait enfin la combinaison des valeurs traditionnelles avec un système foncier légal sécure, suscitant un engouement certain. Notre analyse de la référence à la tenure foncière traditionnelle africaine montre qu’il s’agit d’une référence plutôt superficielle, de l’ordre du discours. Dans la pratique, le modèle du CLT est un montage juridique complexe pleinement encastré dans les systèmes légaux modernes. En revanche, de manière plus subtile, nous avons repéré l’influence de pratiques de l’économie sociale et collaborative provenant des Sud, réinterprétées et institutionnalisées, accompagnant des références générales à certains principes philosophiques.
[1] Cette réflexion a été suscitée par une recherche sur les communs fonciers urbains (Simonneau C. (2018). Communs fonciers urbains. Étude exploratoire des dispositifs collectifs d’accès et d’usage du sol dans les villes du Sud global. Comité technique foncier et développement, AFD, MEAE, Paris, coll.Regards sur le foncier, 95 p. [En ligne]), financée par l’Agence française de développement ici remerciée. Je remercie également Éric Denis et les évaluateurs anonymes de cet article.
[2] Choay F. (1965). L’urbanisme, utopies et réalités, Paris, Seuil, 464 p.
[3] Massiah G, Tribillon JF. (1988). Villes en développement, Paris, La Découverte, 320 p.
[4] Osmont A. (1995). La Banque Mondiale et les villes. Du développement à l’ajustement, Paris, Karthala, 309 p.
[5] Ward SV. (2000). « Re-examining the International Diffusion of Planning », dans Freestone R (dir.), Urban planning in a changing world: The twentieth century experience, New York, E & FN Spon, p. 40-60.
[6] Bourdin A, Idt J. (2016). L’urbanisme des modèles. Références, benchmarking et bonnes pratiques, Paris, Éditions de l’Aube, 192 p.
[7] Carriou C, Ratouis O. (2014). « Actualité des modèles urbanistiques », Métropolitiques [En ligne].
[8] Durand-Lasserve A. (2006). « Market-driven evictions and displacements: implications for the perpetuation of informal settlements in developing countries », dans Huchzermeyer M, Karam A (dir.), Informal settlements. A Perpetual challenge?, Cape Town, UCT Press, p. 207-230.
[9] Payne G, Durand-Lasserve A, Rakodi C. (2008). Social and economic impacts of land titling programmes in urban and peri-urban areas: International experience and case studies of Senegal and South Africa, Ministry of Foreign Affairs (MFA), Government of Norway, Swedish International Development Agency (SIDA), Global Land Tools Network (GLTN), 72 p.
[10] Payne G, Durand-Lasserve A, Rakodi C. (2009). « The limits of land titling and home ownership », Environment and Urbanization, n° 21(2), p. 443-462.
[11] Michel A, Denis É, Soares-Gonçalves R. (2011). « Introduction : les enjeux du foncier urbain pour le développement. Nouveaux marchés et redistribution des responsabilités », Tiers Monde, n° 206, p. 7-20.
[12] Nous gardons l’expression anglophone pour insister sur la filiation des cas étudiés avec le modèle étatsunien, mais aussi car c’est l’expression en usage dans les pays étudiés. Plusieurs traductions en français existent : fiducie foncière communautaire (Québec), organisme foncier solidaire (France).
[13] Koop K, Amilhat-Szary AL. (2011). « Introduction », L’Information géographique, n° 75(1), p. 6-14.
[14] Peyroux E, Sanjuan T. (2016). « Stratégies de villes et “modèles” urbains : approche économique et géopolitique des relations entre villes. Introduction », EchoGéo, n° 36 [En ligne].
[15] Robinson J. (2011). « Cities in a world of cities: the comparative gesture », International Journal of Urban and Regional Research, n° 35(1), p. 1-23.
[16] Parnell S, Robinson J. (2013). « (Re)theorizing cities from the global south: looking beyond neoliberalism », Urban Geography, n° 33(4), p. 593-617.
[17] Peck J, Theodore N. (2010). « Mobilizing policy: Models, methods, and mutations », Geoforum, n° 41, p. 169-174.
[18] Par tenure foncière, on entend le mode de possession d’un bien foncier. Étymologiquement, il s’agit d’une terre concédée à titre précaire.
[19] Moser C. (1998). « The asset vulnerability framework: reassessing urban poverty reduction strategies », World Development, n° 26(1), p. 1-19.
[20] Payne G (2002). « Tenure and shelter in urban livelihoods », dans Rakodi C (dir.), Urban livelihoods. A people centred approach to reducing poverty, London, Earthscan, p. 151-164.
[21] De Soto H. (2000). The Mystery of Capital. Why capitalism triumphs in the West and fails everywhere else, New York, Basic Books, 288 p.
[22] Attard JP. (2012). Dissociation de la propriété du sol et du logement. Transposition des pratiques des Community Land Trust aux activités de l’établissement public foncier d’Ile de France, epf Ile de France, 135 p.
[23] Davis JE. (2014b). « Redistribuer la plus-value. Fiducie foncière et réforme foncière », dans Davis JE (dir.), (2014), Manuel d’antispéculation immobilière. Une introduction aux fiducies foncières communautaires, Montréal, Les Éditions Écosociété, p. 95-112.
[24] Op. cit.
[25] Un-Habitat. (2008). Secure Land Rights for All, UN-Habitat, Global Land Tool Network, Nairobi, 45 p.
[26] Comité Technique « Foncier et Développement ». (2009). Gouvernance foncière et sécurisation des droits. Livre blanc des acteurs de la coopération française, Paris, 37 p.
[27] Rolnik R. (2013). Rapport de la Rapporteuse spéciale sur le logement convenable en tant qu’élément du droit à un niveau de vie suffisant ainsi que sur le droit à la non-discrimination dans ce domaine, Assemblée Générale des Nations Unies, Conseil des droits de l’homme, 27 p.
[28] Définie comme « une propriété utilitaire et pénétrée de devoirs, qui ne se justifie qu’autant qu’elle respecte sa finalité d’intérêt général » par Bernard et Thys (Bernard N, Thys P. (2014). « Introduction : “socialiser” le foncier en le soustrayant au jeu de la spéculation », dans Mathivet C (dir.), La terre est à nous ! Pour la fonction sociale du logement et du foncier, résistances et alternatives, Paris, Ritimo/AITEC, p. 21-25).
[29] Mathivet C (dir.). (2014). La terre est à nous ! Pour la fonction sociale du logement et du foncier, résistances et alternatives, Paris, Ritimo/AITEC, 201 p.
[30] Periferia. (2014). Community Land Trust. Pour une gestion durable et partagée du territoire, Periferia aisbl, Bruxelles, 52 p.
[31] Le terme « trust » n’est pas traduit dans ce texte pour garder la référence à l’idée d’une propriété « mise au service du bien commun », garantissant l’allocation du sol dans le sens de l’intérêt général, et renvoyant à la notion d’intendance (stewardship) (Durand M. (2014). « Commentaires sur les termes utilisés », dans Davis JE (dir.) (2014), Op. cit., p. 13-15). Il ne s’agit pas d’une forme juridique spécifique (Attard JP. (2013). « Un logement foncièrement solidaire : le modèle des community land trusts », Mouvements, n° 74, p. 143-153).
[32] International Independence Institute. (1972). The Community Land Trust. A guide to a new model for land tenure in America, Cambridge (MA), Center for Community Economic Development, 119 p.
[33] Institute for Community Economics. (1982). The Community Land Trust Handbook, Emmaus, PA, Rodale Press, 230 p.
[34] The Sustainable Housing for Inclusive and Cohesive Cities (SHICC) project (2017-2020). Ce projet a l’ambition de créer un mouvement de CLT dans l’Europe du Nord-Ouest, en prouvant l’efficacité du modèle, en créant un environnement politique, réglementaire et financier favorable aux CLT, et en soutenant le partage d’expériences entre quatre organisations de CLT à Lille, Bruxelles, Gand et Londres, en partenariat avec le Fonds mondial pour le développement des villes (FMDV) et le National CLT Network britannique. Le projet est principalement financé par le fonds INTERREG de l’Union Européenne (1,74 million d’euros).
[35] Global Land Alliance. Community Land Access & Security [En ligne].
[36] Meny Y (dir.). (1993). Les politiques du mimétisme institutionnel. La greffe et le rejet, Paris, L’Harmattan, coll. Logiques Politiques, 285 p.
[37] Olivier De Sardan JP. (1995). Anthropologie et développement. Essai en socio-anthropologie du changement social, Paris, APAD-Karthala, 221 p.
[38] Malaquais D. (2006). « Villes flux. Imaginaires de l’urbain en Afrique aujourd’hui », Politique Africaine, n° 100, p. 15-37.
[39] Robinson J. (2006). Ordinary cities: Between modernity and development, London, Routledge, 204 p.
[40] Op. cit.
[41] Saunders D. (2011). Arrival cities: How the largest migration in history is reshaping our world, London, Windmill Books, 368 p.
[42] Agier M (dir.). (2014). Un monde de camps, Paris, La Découverte. 422 p.
[43] Robinson J. (2011). « Cities in a world of cities: The comparative gesture », International Journal of Urban and Regional Research, n° 35, p. 1-23.
[44] Peyroux E. (2012). « Circulation internationale et construction sociale d’un “modèle” de gestion des services urbains : les city improvement districts à Johannesburg », L’Espace géographique, n° 41, p. 68-81.
[45] Op. cit.
[46] Mc Cann E. (2011). « Urban policy mobilities and global circuits of knowledge. Toward a research agenda », Annals of the Association of American Geographers, n° 101, p. 107-130.
[47] Op. cit.
[48] Op. cit.
[49] Platteau JP. (1996). « The evolutionary theory of land rights as applied to sub-saharan Africa: A critical assessment », Development and change, n° 27, p. 29-86.
[50] Demsetz H. (1967). « Towards a theory of property rights », The American Economic Review, n° 57 [En ligne].
[51] Mayo SK, Angel S. (1993). Housing: Enabling markets to work, The World Bank, Washington DC, Policy Paper, 172 p.
[52] Op. cit.
[53] Pereira E, Perrin M. (2011). « Le droit à la ville. Cheminements géographiques et épistémologiques (France – Brésil – International) », L’information géographique, n° 75, p. 15-36.
[54] Cohen HS, Lipman M. (2016). Arc of justice. The rise, fall and rebirth of a beloved community, Production O. S. (réalisateur).
[55] Davis JE (2014a). « L’essor d’un mouvement ». dans Davis JE (dir.) (2014), Op. cit. p. 45-61.
[56] Les CLT étatsuniens sont de forme et de taille très variées. Le plus important, le Champlain Housing Trust (Vermont), détient 2 200 logements (acquisitif et locatif), 10 000 m2 de surface commerciale, de services et d’activités sans but lucratif (Davis JE. (2010a). « Origins and Evolution of the Community Land Trust in the United States », dans Davis JE (dir.), The Community Land Trust Reader, Cambridge, Lincoln Institute of Land Policy. p. 3-47).
[57] L’étude s’est principalement basée sur des échanges avec les ONG kenyanes impliquées dans le développement communautaire en milieu urbain (regroupements de coopératives d’habitat, églises, ONG, etc.). Des rencontres ont également été organisées avec des représentants de la recherche académique, des autorités publiques et des institutions financières (Matthei et Hahn, 1991, Op. cit. p. 49-52).
[58] Matthei C, Hahn R. (1991). Community Land Trusts and the delivery of affordable shelter to the urban poor in Kenya, The Ford Foundation, Voluntown, Equity Trust Ltd. 53 p.
[59] Bassett EM, Jacobs HM. (1997). « Community-based tenure reform in urban Africa: the community land trust experiment in Voi, Kenya », Land Use Policy, n° 14, p. 215-229.
[60] Bassett EM. (2001). Institutions and informal settlements: the planning implications of the Community Land Trust experiment in Kenya, University of Wisconsin-Madison, 356 p.
[61] Fonds doté par la fondation Ford.
[62] En particulier, afin de contrer la règle contre la détention à perpétuité du foncier, deux entités ont été créées : d’une part, la société de quartier (settlement society) regroupant les résidents du quartier et, d’autre part, le Community Land Trust, pouvant détenir le bail emphytéotique du terrain (le titre foncier étant au nom de l’État kenyan), et pouvant délivrer des sous-baux (sublease) aux résidents.
[63] Observatoire de la santé et du social de Bruxelles-Capitale. (2012). Baromètre social. Rapport bruxellois sur l’état de la pauvreté, Commission communautaire commune, Bruxelles.
[64] Dawance T, Louey C. (2014). « Quand l’Europe s’inspire des États-Unis. L’exemple du Community Land Trust Bruxelles », dans Davis JE (dir.) (2014), Op. cit., p. 170.
[65] Op. cit.
[66] Op. cit.
[67] Source : site web de CLT-Bruxelles [En ligne].
[68] Le Mazingira Institute et la fondation Ford organisent un forum en 1990 à Nairobi rassemblant un panel large d’ONG et de bailleurs intervenant dans le secteur, ayant vocation à présenter l’étude sur la contribution possible du CLT à la problématique du logement des populations pauvres. Entre 1990 et 1992, l’ONG Kituo Cha Seria, organisation d’aide paralégale, spécialisée dans les litiges fonciers dans les quartiers précaires, étudie la possibilité de mettre en place un CLT dans un quartier précaire de Nairobi. L’important coût du projet, notamment pour l’acquisition du foncier, contribue à son abandon (Jaffer M. (2000). « Expanding equity by limiting equity », Property and values: Alternatives to public and private ownership, Washington DC, Island Press, p. 175-188 ; Rodriguez-Torres D. (2006). « Les pouvoirs publics et les politiques de rénovation urbaine à Eastlands. L’exemple du “Mathare 4A Slum Upgrading Project” », dans Charton-Bigot H, Rodriguez-Torres D (dir.), Nairobi contemporain : les paradoxes d’une ville fragmentée, Paris, Karthala. p. 101-146). La GTZ bénéficiera cependant de ces premiers éléments de réflexion au démarrage de son projet.
[69] Op. cit.
[70] Bassett EM. (2005). « Tinkering with tenure: The community land trust experiment in Voi, Kenya », Habitat International, n° 29, p. 389.
[71] Söderström O, Dupuis B. (2010). La mondialisation des formes urbaines à Hanoi et Ouagadougou. Introduction, Institut de géographie et Fonds national suisse de la recherche scientifique, Neuchâtel, 23 p., p. vi.
[72] Augustinus C, Benschop M. (2003). Security of tenure: Best practices, Communication au Regional Seminar on Secure Tenure, Nairobi, 12-13 June.
[73] Un-Habitat. (2008). Secure Land Rights for All, UN-Habitat, Global Land Tool Network, Nairobi, 45 p.
[74] World Bank. (2006). Thirty years of World Bank shelter lending. What have we learned?, Buckley RM, Kalarickal J (dir.),The World Bank, Washington DC, 138 p., p. 31.
[75] Op. cit., p. 60.
[76] Gtz. (1997). Droit foncier et systèmes fonciers. Cadre d’orientation. Résumé et document de travail, GTZ, 19 p.
[77] Op. cit.
[78] Verdeil É. (2005). « Expertises nomades au Sud. Éclairages sur la circulation des modèles urbains », Géocarrefour, n° 80 p. 165-169 [En ligne].
[79] Op. cit.
[80] Op. cit.
[81] Op. cit.
[82] De Pauw G, Sereno Régis O. (2012). Étude de faisabilité des Community Land Trusts en Région de Bruxelles-Capitale, Bonnevie/Periferia/Credal/Lydian/UCL London/Gut-T, 223 p., p. 5.
[83] Op. cit.
[84] Op. cit., p. xiv.
[85] Askew KM. (2008). « Les villages tanzaniens ujamaa 40 ans plus tard : moralisation et commémoration du collectivisme », Anthropologies et sociétés, n° 32, p.103-132.
[86] Midheme E. (2007). State- vs. community-led land tenure regularization in Tanzania. The case of Dar es Salaam City, International Institute for Geo-Informaiton Science and Earth Observation, Enschede, The Netherlands, 100 p.
[87] Elle n’est pas citée dans la majorité des manuels ou documents de présentation des CLT à l’étranger, par exemple l’étude de faisabilité pour la France (Attard, 2012, op. cit.), le manuel australien (Crabtree et al. (2013). The Australian Community Land Trust Manual, The University of Western Sydney, 246 p.), ou en Belgique (De Pauw et Sereno Regis, 2012, op. cit.), étudiés par l’auteure.
[88] Jaffer M. (2000). « Expanding equity by limiting equity », Property and Values: Alternatives to Public and Private Ownership, Washington DC, Island Press, p. 179
[89] “We can combine traditional ways of land ownership with the modern one of title deeds. It could be combined so that people can have land but it won’t be like cigarettes or soda, something you can sell easily” — interview de Murtaza Jaffer, dans le film de la GTZ consultant sur les aspects légaux pour le projet de CLT à Voi. Le film s’achève avec les phrases suivantes : “The once dispossessed and marginalized citizens of Tanzania-Bondeni can celebrate. Like their ancestors, they now own their land in trust”.
[90] The Ministry of local government of the Republic Of Kenya, Gtz. (1995). Our land in trust. A programme about the Community Land Trust Project in Tanzania/Bondeni in Voi, Kenya, GTZ [En ligne].
[91] Op. cit., p. 187-188.
[92] Le Community Land Act de novembre 2016 ouvre la possibilité de reconnaissance des terres communautaires (community land), que la communauté soit basée sur des liens ethniques, culturels ou de communautés d’intérêt. Cette définition large permet d’appliquer aisément ces dispositions aux communautés urbaines, notamment des quartiers précaires (Alden Wily L. (2018). « The Community Land Act in Kenya Opportunities and Challenges for Communities », Land, n° 12). Cet aspect serait à confirmer par une étude plus approfondie du processus récent de formulation de la réforme kenyane, non effectuée dans le cadre de cet article, mais approchée à travers les recherches de Francesca Di Matteo (Di Matteo F. (2017). “Community Land” in Kenya: Policy making, social mobilization, and struggle over legal entitlement, Department of International Development, London School of Economics, Working Paper, Series 2017).
[93] Op. cit., p. 170.
[94] Op. cit.
[95] Bollier D. (2014). La renaissance des communs. Pour une société de coopération et de partage, Paris, Éditions Charles Léopold Mayer, 189 p.
[96] Dardot P, Laval C. (2014). Commun. Essai sur la révolution au XXIe siècle, Paris, La Découverte. 600 p.
[97] Douay N, Prévot M. (2012). « Introduction », L’Information géographique, n° 74, p. 8-10.
[98] Op. cit., p. 177-178.
[99] Cabannes Y. (2013). Collective and Communal Forms of Tenure, UN Special Rapporteur on Adequate Housing, Background Paper, 37 p.
[100] Op. cit.
[101] Béal V, Epstein R, Pinson G. (2015). « La circulation croisée. Modèles, labels et bonnes pratiques dans les rapports centre-périphérie », Gouvernement et action publique, n° 3, p. 103-127.
[102] Op. cit.
[103] Clerc V. (2005). « Les politiques de résorption de l’habitat informel à Phnom Penh. Influence des organisations internationales et contradictions de l’action publique », Géocarrefour, n° 80.