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Ce numéro de la RIURBA s’inscrit dans le champ des réflexions scientifiques sur les activités productives. Il fait écho aux préoccupations politiques et pratiques qui en font un objet de politiques publiques et interrogent leurs conditions d’implantation, d’intégration territoriale et urbaine, de fonctionnement, leurs effets sur la revitalisation des territoires et plus largement leur relation à l’aménagement spatial, en zones denses, dans les villes petites et moyennes, dans les espaces peu urbanisés. En témoignent les discours sur la métropole productive, la ville fabricante, la réindustrialisation des territoires, aux échelles européennes, nationales et locales (Crague et Levratto, 2022[1] ; Fedeli et al., 2022[2] ; Gros-Balthazard et Talandier, 2023[3]).

La notion « d’activités productives » qui est en jeu dans ces politiques publiques s’éloigne de celle « d’économie productive » (ou de sphère productive) telle que catégorisée en France par l’INSEE qui, d’une part, l’oppose à une économie présentielle et, d’autre part, efface la dichotomie entre activités manufacturières et activités tertiaires, tandis que la ville productive met l’accent sur les activités industrielles, manufacturières et artisanales et s’avère difficile à saisir au moyen de la nomenclature de l’INSEE (Arab, Crague, Miot, 2023[4]). C’est de ces activités-là dont il est ici question, que l’on évoque la smart manufacturing ou les giga-factories, les ateliers de réparation automobile ou d’imprimerie, de distribution de matériaux de construction ou les fermes urbaines… ou encore que l’on parle de grandes firmes industrielles, de PME/PMI ou d’entreprises artisanales.

Mais, si le retour des activités productives est ardemment souhaité dans de nombreux pays (en Europe occidentale, par exemple), il n’en demeure pas moins difficile, battant en brèche des années de délocalisation de la production et de désindustrialisation. Les potentiels de réindustrialisation sont divers, selon que l’on se trouve dans des pays de tradition industrielle ancienne ou d’industrialisation plus récente, et selon le degré d’inscription dans la mondialisation des territoires concernés. La ville productive en Chine n’a que peu en commun avec la ville productive des États-Unis d’Amérique ou dans d’autres pays européens. Mais elle y est aussi réinterrogée, et bien souvent dans sa relation aux enjeux écologiques, perçue comme un levier irréductible ou comme un frein incompatible.

Ce numéro sera particulièrement attentif aux propositions qui s’inscriront dans une perspective couplant ville productive et transition écologique et qui, sous cet angle, interrogeront les enjeux et les débats ainsi posés à l’aménagement et à l’urbanisme. L’éventail du champ de questionnements est large, interpellant la planification industrielle, l’objectif de zéro artificialisation nette autant que la cohabitation entre activités industrielles, fonctions résidentielles et préservation de la biodiversité ; la réorganisation et la reconception de la relation emploi/logement/mobilités ; les conditions financières et urbanistiques de production d’un immobilier productif ; la maintenance, la réparation et la circularité ainsi que leurs incidences sur l’urbanisme et l’aménagement ; les transformations spatiales à l’aune du réaménagement économique des territoires ; la ville productive décarbonée…

À l’heure d’un discours sur la réindustrialisation, il ne faut pas non plus perdre de vue que la relation industrie-aménagement-environnement n’est pas nouvelle et peut mériter une mise en perspective historique au regard des enjeux contemporains.

Trois axes peuvent être distingués. Les propositions peuvent relever prioritairement d’un axe ou au contraire les articuler, ou encore ouvrir d’autres perspectives susceptibles d’enrichir les enjeux et débats pour l’aménagement et l’urbanisme que pose la ville productive à l’heure de la transition écologique.

Axe 1 : Aménagement productif, travail et enjeux de revitalisation urbaine

La question des territoires productifs renvoie à plusieurs enjeux d’aménagement de l’espace qu’il conviendra d’interroger à travers les permanences et mutations contemporaines, et leur conséquence en matière de justice socio-spatiale et environnementale.

Assiste-t-on aujourd’hui à un phénomène de (re)concentration des activités autour de grands corridors ou pôles spécialisés qui s’affirmeraient aux échelles nationales et internationales ? Quels sont alors les effets induits pour les espaces d’insertion de ces activités ? D’un autre côté, la résurgence des districts artisanaux spécialisés (dentelle, porcelaine, bois, verre…) autour de savoir-faire patrimoniaux est-elle réellement possible et avec quels effets escomptés sur les villes petites et moyennes (Warnant, 2023[5]) ? De même, observe-t-on une reproduction de la division spatiale entre production, formation et recherche-développement ?

Par ailleurs, l’intégration dans le tissu urbain pose la question des zones préférentielles pour la localisation des activités, et donc de la dialectique déclassement/reclassement de certains quartiers en fonction du type d’activité et des services associés qui s’y installent. Par exemple, l’économie numérique et les industries créatives ont pour conséquences des effets d’éviction, de transformation rapide et de gentrification… À l’inverse, d’autres quartiers sont victimes d’une image industrieuse marquée freinant la requalification urbaine. Pourront-ils se régénérer à travers un retour d’activités manufacturières en ville (PUCA, 2020[6]) ? Et comment ces évolutions interrogent-elles les politiques publiques adjacentes en matière d’emploi[7] ou de formation et de logement de la main-d’œuvre ?

Enfin, plus récemment, l’hypothèse selon laquelle les activités productives « en ville » favoriseraient les coopérations territoriales et la dimension métropolitaine (renforcement des liens entre cœurs métropolitains et petites villes péricentrales et périurbaines…) a été testée sur différents territoires européens (ESPON, 2021[8] ; Fedeli et al., 2022) : la présentation de résultats significatifs et contributions à ce débat sont attendues.

Axe 2 : Action publique, planification et foncier productif

Les activités productives peuvent être abordées sous l’angle de la réindustrialisation et de la relocalisation des activités manufacturières ou abordées comme un levier de régénération urbaine (occupation des rez-de-chaussée, des locaux commerciaux vides, des zones d’activités périphériques en déclin, des sites de friches industrielles ou agricoles…) et de développement territorial dans le cadre de la planification spatiale et des stratégies de restructuration territoriale.  

Le réaménagement des zones et parcs d’activités, très souvent localisés en périphérie, interroge lui aussi, avec la question de la transition énergétique, la gestion des déchets, la lutte contre le gaspillage foncier, les nouvelles chaînes logistiques nécessaires et, au-delà de la seule écologie industrielle, l’organisation de la circularité (Brunner 2011[9] ; Aurez et Lévy, 2013[10] ; Leducq, 2020[11]) etc. Ainsi, comment continuer à produire voire renforcer la capacité productive écologique des territoires tout en préservant les sols de l’artificialisation nette et des nuisances écologiques ?

Ce paradoxe apparent interpelle tout particulièrement l’approche foncière de la ville productive et notamment l’action publique et ses prérogatives en matière de planification, de zonage, de choix d’aménagement. Alors que le foncier productif a été un parent pauvre de l’action publique (Cerema, 2017[12]), il redevient un sujet majeur du redéploiement industriel (Crague, 2023) et même, pour certains, une condition de l’attractivité des industriels (Eury, 2022[13]) tout en posant la question de la sensibilité environnementale des sites d’implantation et se heurtant à la politique du « zéro artificialisation nette ». Comment la tension entre implantation industrielle et enjeux écologiques se manifeste-t-elle et est-elle prise en charge ? Comment la production rapide d’un foncier industriel appelée par la politique industrielle française est-elle mise en œuvre ? Quels en sont les instruments de régulation et opérationnels, qui en sont les acteurs, quelles en sont les traductions spatiales ? Et, finalement, de quelle écologie est-il question ?

Axe 3 : La ville à l’épreuve de l’immobilier productif et de la mixité fonctionnelle

En ville, c’est la cohabitation des usages qui peut s’avérer complexe à gérer, non seulement en raison de la diversité d’acteurs en présence (entreprises, habitants, services des collectivités territoriales…), mais aussi en raison de la cohabitation fonctionnelle, ses nuisances réciproques, ses risques voire ses incompatibilités. La difficulté proviendrait aussi d’une approche des collectivités en silo, et donc d’un dialogue compliqué entre milieux économiques et milieux de l’aménagement, entraînant des incohérences dans la gestion de la ville productive et la mixité fonctionnelle (lieux de vie/nouveaux lieux de travail…). Cela questionne aussi l’acceptabilité du retour de la production en ville par ses habitants. En effet, outre le problème spécifique aux installations industrielles classées, les externalités négatives sont nombreuses (pollutions sonores, olfactives, émissions d’aérosols, etc.) et le coût pour la remise en question de projets de densification du territoire peut être important (ex. : l’incendie Lubrizol à Rouen ayant reporté le projet d’écoquartier…).

L’urbanisme, ses méthodes et les professionnels de l’urbain sont ainsi questionnés dans leurs pratiques, innovations, conflits pour une ville productive plus écologique et juste.

Une autre difficulté à laquelle se heurte le projet de ville productive concerne la capacité à produire des locaux d’activité. Autant la production de logements est adossée à un système d’acteurs, à un cadre juridique et financier, à des standards et des normes, autant la production de locaux d’activité, particulièrement en zone urbaine dense, interroge les formes urbanistiques de l’insertion des locaux, les typologies architecturales, les systèmes d’acteurs, en particulier la place des promoteurs et investisseurs, le prix de sortie de l’immobilier souvent peu compatible avec les capacités financières des entreprises cibles (Rappaport, 2017[14] ; Arab, 2019[15] ; Schrock, Wolf-Powers[16] ; Arab, Crague, Miot 2023). Comment dès lors accueillir ces activités de maintenance, de réparation, de gestion des déchets et d’économie circulaire que suppose une approche écologique de l’activité économique et de la ville[17] ? Quels enseignements tirer d’expériences, expérimentations, réussites et échecs pour produire des connaissances nouvelles et alimenter les débats et enjeux que l’immobilier productif pose à l’urbanisme ?

Calendrier indicatif

  • Lancement et mise en ligne de l’appel : octobre 2023
  • Déclaration d’intention (format > résumé 1 page, 5 références) : 15 novembre 2023
  • Retour aux auteur.e.s sur leur proposition d’article (oui/non & commentaire) : 30 novembre
  • Date de soumission de la V1 : 15 février 2024
  • Retour aux auteur.e.s : mi-mars 2024
  • Date de soumission de la V2 (si accepté avec modifications) : fin mai 2024
    Préparation de l’édition des articles : juillet-septembre 2024
  • Mise en ligne du N°16 juillet-décembre : Rentrée 2024

Consignes aux autrices et auteurs

Les articles attendus peuvent reposer sur des études de cas, comparatives ou non, menées à différentes échelles et dans différents contextes (urbanisme opérationnel ou stratégique, politiques urbaines) et alimenter des réflexions théoriques. Ils peuvent s’inscrire dans un ou au croisement des axes proposés. Nous attendons des auteurs et autrices que les articles proposés s’inscrivent dans la ligne éditoriale, celle d’une revue internationale de recherche sur et pour l’urbanisme. Suite à la déclaration d’intention (cf. calendrier ci-dessus), les textes peuvent être proposés en français ou en anglais. Ils seront soumis à une évaluation en double aveugle.

Soumission des articles

Les auteurs et autrices adresseront leurs articles avant le 15 février 2024 aux coordinatrices du numéro nadia.arab@u-pec.fr et divya.leducq@univ-lille.fr, en copie à secretariat@riurba.review dans le format précisé à la page des Proposer un article à la revue.

Pour toute précision, les responsables du n°16 sont

Nadia ARAB, Professeure des universités, École d’Urbanisme de Paris, EA 7374 Lab’URBA, Université Paris Créteil nadia.arab@u-pec.fr

Divya LEDUCQ, Professeure des universités, Institut d’Aménagement, d’Urbanisme et de Géographie de Lille, URL 4477 Territoires, Villes, Environnement & Société, Université de Lille divya.leducq@univ-lille.fr


[1] Crague G. et Levratto N. (2022) « Au-delà de la relocalisation de l’industrie : la ville productive », Métropolitiques, 10 janvier.

[2] Fedeli V., Huber P., Hill A., Tosics I. and China A. (2022) Re-assembling the productive city, Luxembourg : ESPON, 156 p. 

[3] Gros-Balthazard M. et Talandier M. (2023) « Reconquête industrielle : quelle place pour les villes petites et moyennes en France et en Europe ? », EchoGéo, 63.

[4] Arab N., Crague G. et Miot Y. (2023) Vers un nouvel agir métropolitain. Presses des Ponts.

[5] Warnant A. (2021) Le “problème des villes moyennes” : l’action publique face à la décroissance urbaine à Montluçon, Nevers et Vierzon (1970-2020), Thèse de Doctorat en Géographie, Paris : EHESS.

[6] Plan, Urbanisme, Construction, Architecture (2020) Ville productive.

[7] Crague G. (2022) « Où se cache l’emploi productif métropolitain ? Les enseignements du territoire Grand-Orly Seine Bièvre », Métropolitiques, 15 décembre.

[8] ESPON EGTC (2021) Policy brief: Europe’s productive cities and metros, Luxembourg, 20 p.

[9] Brunner P.H. (2011) Urban Mining : A Contribution to Reindustrializing the City. Journal of Industrial Ecology, 15, 339–341.

[10] Aurez, V. et Lévy, J.-C. (2013) Économie circulaire, écologie et reconstruction industrielle ?, Paris : Éditions CNCD.

[11] Leducq D. (2020) Ville productive, ville verte : des figures pour penser l’urbain, Mémoire d’Habilitation à Diriger des Recherches en Aménagement de l’espace et urbanisme : Université de Tours, 326 p.

[12] Cerema (2017) L’action foncière publique en faveur du logement et des zones d’activités productives. Regards croisés, 50p.

[13] Eury S. (2022) Le rôle crucial des acteurs publics locaux pour accélérer les implantations industrielles”, Administration, 274, 66-68.

[14] Rappaport N. (2017) Hybrid Factory / Hybrid City, Built Environment 43(1):72-86.

[15] Arab N. (2019) « Faire une place à l’économie productive en centre urbain dense métropolitain », in Crague G. (dir) Faire la ville avec l’industrie, Paris, Presses des Ponts, pp.121-154.

[16] Schrock G. and Wolf-Powers L. (2019) Opportunities and risks of localised industrial policy:  the case of “maker-entrepreneurial ecosystems” in the USA, Cambridge Journal of Regions, Economy and Society, 12/ 3, 369-384.

[17] Tsui T., Peck D., Geldermans B. and van Timmeren A. (2020) ‘The role of urban manufacturing for a circular economy in cities’, Sustainability 13(1): 23.