frontispice

Léviathan ou Picrochole ?
La planification spatiale en France,
entre vision stratégique et dépendance
aux formes du pouvoir local.
Un éclairage à partir des schémas
de cohérence territoriale

• Sommaire du no 2

Christophe Demazière UMR CNRS 7324 CITERES, université de Tours Nicolas Douay Université Paris-Diderot, UMR Géographie-Cités José Serrano Université François-Rabelais, Tours, UMR CITERES

Léviathan ou Picrochole ? La planification spatiale en France, entre vision stratégique et dépendance aux formes du pouvoir local. Un éclairage à partir des schémas de cohérence territoriale, Riurba no 2, juillet 2016.
URL : https://www.riurba.review/article/02-planification-strategique/leviathan/
Article publié le 1er juil. 2016

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Christophe Demazière, Nicolas Douay, José Serrano
Article publié le 1er juil. 2016
  • Abstract
  • Résumé

Leviathan or Picrochole? Spatial planning in France, between strategic vision and dependence on local forms of power. The case of urban development plans

This paper analyzes the making of spatial plans in French cities — and specifically the urban development plans (UDP) — in the light of the communicative approach to strategic spatial planning. With the emphasis on processes and on the involvement of stakeholders, does the UDP follow this model? Or should we consider that the UDP is an heir to the model of traditional land use planning? After explaining in more detail the theoretical positions of the communicative approach to spatial planning (section 1), we will go back to the successive intentions of the French legislature regarding strategic spatial planning (section 2). Noting that the strategic and communicative turn operated by the UDP is limited, our primary explanation will focus on the close links, in the French case, between planning practices and the distribution of powers and competences in public policy (section 3). We argue that the forms taken by France through decentralization and the development of collaborative groupings of municipalities are not congruent with a communicative approach to spatial planning (section 4). We will illustrate this view by examining the approach of land resources in the planning exercise (section 5).

L’objectif de cet article est d’analyser les pratiques de planification spatiale dans les grandes agglomérations françaises — et plus précisément les Schémas de Cohérence Territoriale (SCoT) — par rapport au courant communicationnel de la théorie de la planification stratégique spatialisée. Par l’accent mis sur l’élaboration d’un projet et l’ouverture aux parties prenantes, le SCoT s’apparente-t-il à ce modèle ? Ou bien s’inscrit-il en filiation du modèle traditionnel de planification de l’usage des sols ? Après avoir exposé plus en détail les positions théoriques du courant communicationnel de la planification spatiale (section 1), nous reviendrons sur les intentions successives du législateur français concernant la planification stratégique (section 2). Constatant que le tournant stratégique et communicationnel opéré par les SCoT est somme toute limité, notre explication principale portera sur les liens étroits, dans le cas français, entre les pratiques de planification et la répartition des pouvoirs et des compétences en matière d’action publique (section 3). Nous arguerons que les formes prises en France par la décentralisation et l’essor de la coopération intercommunale ne sont pas congruentes avec une planification spatiale communicationnelle (section 4). Nous illustrerons ce point de vue en examinant l’approche de la ressource foncière dans l’exercice de planification (section 5).

Cet encadré technique n’est affiché que pour les administrateurs
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Introduction

Étudiant des démarches de planification dans de grandes agglomérations européennes, différents chercheurs ont mis en avant la notion de Planification Stratégique Spatialisée (PSS) (Albrechts et al., 2003[2]Albrechts L, Healey P, Kunzmann K. (2003). Strategic Spatial Planning and Regional Governance in Europe, Journal of the American Planning Association, vol. 69, n° 2. ; Salet et Faludi, 2000[3]Salet W, Faludi A (dir.). (2000). The Revival of Strategic Planning, Amsterdam, Royal Netherlands Academy of Arts and Sciences.). La définition la plus courante est celle de P. Healey (1997[4]Healey P. (1997). Collaborative Planning, Shaping Places in Fragmented Societies, Vancouver, University of British Columbia Press.) : l’activité de planification y est envisagée comme « un effort collectif pour imaginer (ou ré-imaginer) une ville, une région urbaine ou un territoire plus important, et transformer cette nouvelle vision spatiale en termes de coordination des politiques publiques et des réalisations des acteurs privés » (cité par Motte, 2006[5]Motte A. (2006). La notion de planification stratégique spatialisée en Europe (1995-2005), Paris, PUCA, ministère de l’Équipement., p. 45.). Il existe une césure entre la PSS et les conceptions et les pratiques antérieures (Douay, 2007[6]Douay N. (2007). “La Planification urbaine à l’épreuve de la métropolisation : enjeux, acteurs et stratégies à Marseille et à Montréal”, thèse de doctorat en urbanisme, université de Montréal et université d’Aix-Marseille.). Tout d’abord, les trois termes composant la PSS ont un contenu précis (Healey, 1997[7]Healey P. (1997), op. cit. ; Motte, 2006[8]Motte A. (2006), op. cit.). La dimension planificatrice met en exergue la capacité à se projeter à l’échelle de plusieurs générations, en particulier en matière d’investissement en infrastructures et d’attention à la qualité de vie et à l’environnement. Ceci demande un réel effort de prospective. La dimension spatiale considère un territoire précis et implique une focalisation sur le « où » des décisions. La dimension stratégique signifie que l’on veut avoir une vision d’ensemble, mais elle implique aussi une sélection des actions à initier. Albrechts (2004[9]Albrechts L. (2004). Strategic (spatial) planning re-examined, Environment and Planning B 5, p. 743-758.) ajoute deux points importants. Tout d’abord, l’élaboration du plan va de pair avec l’organisation des structures de mise en œuvre et donne toute sa place à l’évaluation et à la révision permanente. Par ailleurs, les pilotes du plan portent une attention plus forte et plus systématique qu’auparavant aux acteurs situés en dehors de la sphère traditionnelle de la planification. On peut penser à tous les agents du développement urbain qui n’appartiennent pas à la sphère publique, mais qui jouent néanmoins un rôle clé dans les opérations d’aménagement, en les rendant possibles (propriétaires fonciers), en les réalisant (promoteurs…) ou encore en étant destinataires des projets (ménages, entreprises) (Demazière, 2012[10]Demazière C (dir.). (2012). Viabilité de l’économie productive des régions urbaines : investigation à partir de la planification stratégique. Une comparaison entre la France et l’Angleterre, rapport de recherche pour le PUCA, université de Tours [En ligne). Il en résulte que le chaînage entre plan et projets opérationnels est mieux assuré, grâce à la convergence des stratégies qu’assure la réalisation du plan stratégique. L’organisation de la participation est un trait distinctif entre la PSS et des exercices de planification réalisés dans des cercles restreints de décideurs. Comme nous le verrons plus loin, certains auteurs vont jusqu’à considérer que la planification stratégique est avant tout une activité de communication, visant à faire émerger des éléments communs de langage (Balducci, 2013[11]Balducci A. (2013). ‘Trading Zone’: A Useful Concept for some Planning Dilemmas, dans Balducci A, Mäntysalo R, Urban Planning as a Trading Zone, Dordrecht, Springer, p. 23-36.). C’est à ce courant communicationnel de la PSS que nous ferons plus amplement référence dans cet article, considérant qu’il est à même d’éclairer les pratiques françaises de planification de ces quinze dernières années.

En France, le cadre de la planification a été profondément modifié ces dernières décennies, entraînant de nouvelles procédures et finalités, prises en charge par de nouveaux acteurs. Les lois de décentralisation du 2 mars 1982 et de répartition des compétences des 7 janvier et 22 juillet 1983 ont d’abord eu pour effet de transférer l’essentiel des compétences d’urbanisme et donc de la planification spatiale aux communes. Ces compétences ont été progressivement étendues aux intercommunalités par la Loi d’Orientation pour l’Aménagement et le Développement Durable du Territoire (LOADDT) du 25 juin 1999 et la loi Solidarité et Renouvellement Urbains (SRU) du 13 décembre 2000. Les principaux outils qui avaient été définis par la Loi d’Orientation Foncière (LOF) de 1967 ont été renouvelés. Pour ce qui concerne la planification des grandes agglomérations, le Schéma de Cohérence Territoriale (SCoT) a été mis en avant. Plus récemment, au travers des lois Grenelle I du 3 août 2009 et Grenelle II du 12 juillet 2010, le législateur a voulu une relance de la planification spatiale, en la souhaitant plus stratégique et à même de contribuer au développement territorial durable. Cependant, malgré le cadre juridique posé et les efforts des préfets pour convaincre des vertus d’une planification spatiale rénovée, la décentralisation conduit à ce que la mobilisation des parties prenantes et la définition des objectifs du SCoT sont tributaires des volontés des élus locaux, ce qui donne lieu à des processus et à des résultats hétérogènes (Jarrige et al., 2005[12]Jarrige F, Thinon P et al. (2005). La prise en compte de l’agriculture dans les nouveaux projets de territoires urbains. Exemple d’une recherche en partenariat avec la communauté d’agglomération de Montpellier. Symposium : Territoires et enjeux du développement régional, Lyon. ; Desjardins et Leroux, 2007[13]Desjardins X., Leroux B. (2007). Les schémas de cohérence territoriale : des recettes du développement durable au bricolage territorial, Flux, n° 69, p. 6-20. ; Loudiyi, 2008[14]Loudiyi S. (2008). Le SCoT, instrument de gouvernance territoriale ? La conduite locale de la concertation dans le Pays du Grand Clermont, Norois, n° 209, p. 37-56. ; Serrano et al., 2014[15]Serrano J, Demazière C, Nadou F, Servain S. (2014). « La planification stratégique spatialisée contribue-t-elle à la durabilité territoriale ? La limitation des consommations foncières dans les SCoT à Marseille-Aix, Nantes-Saint-Nazaire, Rennes et Tours », Développement durable et territoires, n° 5(2) [En ligne). Au final, entre Léviathan — une approche descendante de la planification spatiale visant à brider les volontés locales — et Picrochole — des luttes incessantes entre institutions locales pour affirmer des priorités qui ne sont pas cohérentes à l’échelle du grand territoire de la région urbaine —, quelle tendance l’emporte ?

Pour traiter cette question, nous souhaitons situer le système français de planification et les pratiques de réalisation des SCoT dans les grandes agglomérations françaises par rapport au courant communicationnel de la théorie de la planification stratégique spatialisée. Par l’accent mis sur l’élaboration d’un projet et l’ouverture aux parties prenantes, le SCoT s’apparente-t-il à la PSS ? Ou bien le résultat (le plan) est-il privilégié par rapport au processus d’élaboration ? Le SCoT s’inscrit-il en filiation ou en rupture du modèle traditionnel de planification de l’usage des sols ? Après avoir exposé plus en détail les positions théoriques du courant communicationnel de la planification spatiale, nous aborderons ces questions en revenant sur les intentions successives du législateur concernant cet outil, puis en faisant une analyse secondaire de la littérature française sur les pratiques de planification. Constatant que le tournant stratégique et communicationnel opéré par les SCoT est somme toute limité, notre explication principale portera sur les liens forts entre les pratiques de planification et la répartition des pouvoirs et des compétences propre à la France. Nous arguerons que les formes prises en France par la décentralisation et l’essor de la coopération intercommunale ne sont pas congruentes avec une planification spatiale communicationnelle. Nous illustrerons ce point de vue en examinant l’approche de la ressource foncière dans la pratique de planification.

Les débats théoriques au regard de la planification française

La distance entre le contenu des théories et la réalité des normes juridiques et de leurs applications pratiques sur le territoire nous incite à nous interroger sur les liens complexes qui les unissent. Les théories et les normes juridiques se construisent souvent à partir des pratiques tout en proposant de les faire évoluer. Et les pratiques se nourrissent des théories et des normes tout en alimentant leurs développements : « Theories are tools that mask as much as they reveal. » (Allmendinger, 2002[16]Allmendinger P. (2002). Planning Theory, New York, Palgrave, p. 24.). Dans ce sens, l’évolution des pratiques de la planification urbaine correspond probablement moins à une succession de ruptures paradigmatiques qu’à une évolution progressive et concomitante de différentes influences théoriques (Douay, 2007[17]Douay N. (2007), op. cit., 2008[18]Douay N. (2008). « Shanghai : l’évolution des styles de la planification urbaine », Perspectives chinoises, n° 4, p. 16-26.). Il se pose ainsi la question de l’articulation des différentes dimensions théoriques de la planification entre elles. Après avoir dominé la pratique pendant plusieurs décennies, le modèle traditionnel de planification spatiale a été remis en cause, ou plutôt enrichi, par les approches stratégique et collaborative (Albrechts et al., 2003[19]Albrechts L. et al. (2003), op. cit.). Dans le monde occidental, on observe donc, « dans la pratique, une convergence des modèles avec une planification moins spatiale, plus stratégique mais pas encore tout à fait collaborative » (Douay, 2013a[20]Douay N. (2013a). « La planification urbaine française : théories, normes juridiques et défis pour la pratique », L’information géographique, n° 77, p. 54.). Cependant, il semble que la pratique française de la planification de ces dernières années reste marquée par une approche très spatialisée, où la production de normes renvoie essentiellement à une dimension juridique qui consiste à réguler les droits à construire. La recherche d’une sécurité juridique prime souvent sur les autres dimensions, notamment politiques. On peut faire ici le parallèle avec le cas de l’Italie, où Crosta (1995[21]Crosta P. (1995). La politica del piano. Milan, Franco Angeli.; cité par Balducci, 2013[22]Balducci. (2013), op. cit.) a discerné une attitude « nomo-dépendante » (dépendante des lois) des milieux professionnels de la planification, attitude qui consiste à demander des lois qui renforcent toujours plus le statut légal des plans. Or les courants stratégiques et communicationnels montrent que d’autres approches de la planification sont concevables et qu’elles ont peut-être plus d’impact sur l’évolution des territoires.

Dans un contexte de néo-libéralisme à partir des années 1980, l’apport du courant stratégique est avant tout la recherche d’une plus grande efficacité, avec la montée en puissance du référentiel du projet. Plus qu’un contenu, il s’agit de faire émerger un processus sociétal de mobilisation et de coordination dont le projet serait le catalyseur, afin de rassembler acteurs publics et aussi privés dans leurs pluralités. D’un point de vue substantiel, il s’agit souvent de développer une dimension prospective et d’assurer la mise en cohérence des politiques de développement territorial. Enfin, la dimension de plus en plus collaborative de la planification renvoie à la diversification des acteurs urbains dans un contexte de décentralisation et d’affirmation du pouvoir local. L’objectif est alors de coordonner les différentes formes de ressources et de légitimités, afin d’assurer la mise en œuvre effective des politiques.

Quant au courant communicationnel en planification, il a pour origine les États-Unis, où, à partir d’études de cas, Innes avance l’idée selon laquelle la planification est d’abord définie par la communication : « what planners do most of the time is talk and interact (…) this ‘talk’ is a form of practical, communicative action » (Innes, 1998[23]Innes J. (1998). « Information in communicative planning », Journal of the American Planning Association, n° 4, p. 52.). Ce constat l’amène à suggérer l’émergence d’un nouveau paradigme en faveur d’une planification communicationnelle. Dans la même perspective, Healey (1997[24]Healey P. (1997), op. cit., 2007[25]Healey P. (2007). Urban Complexity and Spatial Strategies: a relational planning for our times, Londres, Routledge.) développe des travaux sur la planification de grandes agglomérations en Angleterre, puis à l’échelle européenne. Elle émet alors l’idée que la mission primordiale des acteurs de la planification est la communication avec les autres participants aux processus d’élaboration des politiques publiques (nous soulignons). Ce tournant théorique en faveur de la communication se base sur les éléments suivants : « (1) all forms of knowledge are socially constructed; (2) knowledge and reasoning may take many different forms, including storytelling and subjective statements; (3) individuals develop their views through social interaction; (4) people have diverse interests and expectations and these are social and symbolic as well as material; (5) public policy needs to draw upon and make widely available a broad range of knowledge and reasoning drawn from different sources. » (Healey, 1997[26]Healey P. (1997), op. cit., p. 29.). En bref, pour que la planification ait un impact sur les comportements et pour qu’elle diffuse vers les politiques sectorielles, l’activité de planification doit valoriser et intégrer des formes de pensée et d’expression très variées. L’approche communicationnelle reconnaît la valeur sociale de la planification, qui permet de poser les bases de l’avenir à long terme d’un territoire, mais elle la conçoit de façon assez différente de ce qu’induit une loi en termes de procédure.

Le SCoT, un document pivot de la hiérarchie des normes
qui témoigne d’une pratique encore spatialisée

Dans un État non fédéral comme l’est la France, le système juridique français est uniforme sur l’ensemble du territoire et organisé autour d’une hiérarchie de normes (Douay, 2013a[27]Douay N. (2013a), op. cit.). L’échelon central conçoit une norme devant être appliquée sur l’ensemble du territoire, même si des règles différentes sont formulées selon les situations territoriales (Ile-de-France, littoral, montagne…) Toutefois, la mise en œuvre du droit de l’urbanisme est très variable. La recherche d’une certaine souplesse s’est traduite par « une application individualisée, spatialisée et temporalisée du droit » dont le contenu apparaît ainsi comme « éclaté » (Driard, 1998[28]Driard JH. (1998). Les caractères du droit de l’urbanisme, dans Le coin du droit de l’urbanisme [En ligne).

Dans les grandes agglomérations françaises, les Trente Glorieuses ont vu la mise en place, à l’initiative de l’État, d’une planification spatiale à plusieurs échelles : la commune avec le plan d’occupation des sols, le grand territoire avec le schéma directeur (Motte, 1995[29]Motte A (dir.). (1995). Schéma directeur et projet d’agglomération : un renouvellement du mode de gestion des espaces urbanisés français (1981-1993), Nantes, Juris Service éditions.). Tandis que l’État central définissait les grands objectifs de la planification, notamment à travers la loi d’orientation foncière, la réalisation des plans était assurée par les services déconcentrés de l’État. Les processus décisionnels et les méthodes mises en œuvre rattachent ces pratiques au modèle traditionnel de la planification. Au début des années 1980, la décentralisation a modifié la répartition des compétences en matière d’urbanisme et a bouleversé le système de planification. Au même moment, le constat a été fait, dans l’ensemble du monde occidental, de l’affaiblissement de la capacité de la planification spatiale à maîtriser les aléas du moyen terme (Albrechts, 1991[30]Albrechts L. (1991). Changing roles and positions of planners, Urban Studies, n° 28(1), p. 123-137.). En particulier, les documents de planification à vaste échelle, tels que les schémas directeurs en France, se sont révélés incapables d’assurer réellement la fonction de prévision qui leur était attribuée en matière d’usage des sols (Motte, 1995[31]Motte A. (1995), op. cit.).

L’État français garde des prérogatives importantes. Il définit les normes juridiques de rang supérieur et contrôle la légalité des actes des collectivités locales. Dans cette relation entre le niveau central et le local, le territoire est reconnu comme « patrimoine commun de la nation », dont il découle que « chaque collectivité publique en est le gestionnaire et le garant dans le cadre de ses compétences » (Code de l’urbanisme, art. L. 110). Avec la notion de garant, les collectivités doivent répondre devant la nation du territoire qu’elles gèrent. Pour encadrer l’exercice des compétences locales, différentes lois ont fixé des règles spécifiques de protection des territoires à enjeux (littoral, montagne…), les documents d’urbanisme des différentes collectivités ainsi que les relations entre les collectivités et entre leurs multiples documents.

En 2000, lors de la présentation du projet de loi SRU à l’Assemblée nationale, Jean-Claude Gayssot, ministre de l’Équipement, des Transports et du Logement, propose de « substituer au schéma directeur, trop rigide, peu adaptable et donc souvent rapidement inopérant, un schéma de cohérence territoriale alliant la souplesse à l’efficacité[32]Allocution de Jean-Claude Gayssot, ministre de l’Équipement, des Transports et du Logement, présentation du projet de loi « Solidarité et renouvellement urbains » à l’Assemblée nationale, séance du 8 mars 2000, p.1629-1630 des débats retranscrits. ». Sur le fond, le SCoT « aura vocation à exprimer la stratégie globale de l’agglomération et à énoncer les choix principaux en matière d’habitat, d’équilibre entre zones naturelles et urbaines, d’infrastructures, d’urbanisme commercial ». Ces objectifs sont certainement en résonance avec les principes du développement territorial durable (Demazière, 2012[33]Demazière C. (2012), op. cit.). Mais la planification rénovée doit aussi chercher à dépasser l’émiettement communal français, porteur d’incohérences territoriales dans les choix opérés. Tout en respectant l’autonomie des collectivités locales, le législateur va énoncer des incitations à l’élaboration qui peuvent connaître une graduation et aller vers une quasi-obligation (Lerousseau et Manson, 2011[34]Lerousseau N, Manson C. (2011). SCoT et articulation juridique des planifications, dans GRIDAUH, communication actualisée, initialement présentée lors de la journée d’étude « SCoT et dynamiques territoriales », organisée à l’université de Tours, le 19 mars 2010 [En ligne). Le SCoT crée « un cadre unique de négociation de stratégies entre zones urbaines et périurbaines, voire rurales, qui font partie (…) d’un même espace de vie[35]Allocution de Jean-Claude Gayssot, op. cit. ». L’établissement public en charge du SCoT est pérenne et de nombreuses arènes de discussion lui sont ouvertes : association à l’élaboration des Plans Locaux d’Urbanisme (PLU), ouverture à la participation des habitants (Desjardins et Leroux, 2007[36]Desjardins X, Leroux B. (2007), op. cit.). En termes d’échelle, le SCoT peut concerner une ou plusieurs structures de coopération intercommunale. Les communes s’impliquent dans l’élaboration d’un SCoT à travers une structure de coopération intercommunale qui est censée refléter leurs intérêts. Par ce biais, elles sont engagées dans un diagnostic et un projet à une échelle spatiale qui les dépasse et à un horizon temporel de 10 à 15 ans, bien supérieur à la durée du mandat électoral municipal.

Le SCoT remplace l’ancien schéma directeur d’aménagement et d’urbanisme créé par la LOF, qui s’était transformé en schéma directeur avec la loi du 7 janvier 1983. Au 1er janvier 2015, la France comptait près de 448 SCoT (approuvés, en cours ou en projet) concernant 25 137 communes soit 77 % de la population française et 60 % du territoire national. Ces chiffres traduisent une véritable relance de la planification territoriale. L’élaboration d’un SCoT renvoie à un projet de nature politique, à l’échelle d’une ou plusieurs intercommunalités. Le SCoT n’est pas un outil opérationnel qui peut porter des actions ou « forcer à faire », mais il établit un cadre, des contraintes qui assurent les conditions de réalisation de ces actions, par exemple avec la loi Grenelle qui lui donne un nouveau pouvoir d’injonction, notamment en matière de densité urbaine, sur les PLU des communes faisant partie de son périmètre.

Le SCoT constitue un cadre juridique que tous les autres documents d’urbanisme (PLU, PDU, PLH…) doivent respecter par voie de compatibilité[37]Le code de l’urbanisme introduit une hiérarchie entre les différents documents d’urbanisme, plans et programmes, et un rapport de compatibilité entre certains d’entre eux. La notion de compatibilité n’est pas définie juridiquement. Cependant la doctrine et la jurisprudence permettent de la distinguer de celle de conformité, beaucoup plus exigeante. Le rapport de compatibilité exige que les dispositions d’un document ne fassent pas obstacle à l’application des dispositions du document de rang supérieur. La notion de « compatibilité » existait déjà du temps des schémas directeurs.. Par rapport aux anciens schémas directeurs, le SCoT est moins focalisé sur la destination générale des sols et plus sur la stratégie et la prospective. Avec un objectif de mise en cohérence territoriale, le SCoT traite de la localisation des différentes fonctions et équipements. Il doit traiter également des grands équilibres du développement (extension/renouvellement/protection des secteurs naturels), de la mixité sociale, de la diversité des fonctions urbaines ou encore de la gestion économe de l’espace. Il doit aussi permettre de mieux lier les enjeux d’urbanisme et de déplacements, le SCoT devant favoriser l’urbanisation des secteurs desservis par les transports publics. Par ailleurs, le SCoT définit les localisations préférentielles des commerces et des zones d’aménagement commercial.

L’élaboration du SCoT renvoie à un processus partagé et concerté entre les personnes publiques associées (État, régions, départements, chambres consulaires, autorités organisatrices des transports…), mais aussi avec les représentants du monde socio-économique et associatif. La concertation est un processus continu qui se poursuit même après l’arrêt du projet au cours de l’enquête publique. Toutefois, cet exercice est rendu ardu par la dimension du territoire d’assiette du SCoT. Les périmètres peuvent prendre des formes très diverses avec généralement plusieurs dizaines de communes de plusieurs intercommunalités, mais peinent parfois à prendre en compte l’ensemble d’une aire urbaine (Desjardins et Leroux, 2007[38]Desjardins X, Leroux B. (2007), op. cit.). De nombreux SCoT dit « défensifs » se sont constitués aux abords des grandes agglomérations, par peur de devoir intégrer le projet du cœur de l’agglomération. Le cas de l’agglomération Marseille-Aix illustre ce phénomène : début 2013, on comptait 6 démarches de SCoT pour 7 EPCI dans l’aire urbaine (Douay, 2013b[39]Douay N. (2013b). Aix-Marseille-Provence : accouchement d’une métropole dans la douleur, Métropolitiques, 18 décembre [En ligne). Pour répondre au défi du « territoire pertinent », des démarches d’» inter-SCoT » émergent au sein des régions métropolitaines (Lyon, Toulouse, Strasbourg…) pour associer différents SCoT entre eux. Ces collaborations sont alors de nature politique et technique sans toutefois avoir une portée réglementaire.

Planification spatiale, construction sociale du territoire
et gouvernance

Les travaux du courant communicationnel en planification, notamment ceux de Healey (1997[40]Healey P. (1997), op. cit., 2007[41]Healey P. (2007), op. cit.), Innes (1995[42]Innes J. (1995). « Planning theory’s emerging paradigm: communicative action and interactive practice », Journal of Planning Education and Research, n° 14(3), p. 183-189., 1998[43]Innes J. (1998), op. cit.) ou Albrechts (2004[44]Albrechts L. (2004), op. cit.), visent à montrer que, par la communication, des perceptions ou des significations communes peuvent naître, des idées peuvent s’affiner et devenir discours. La réalisation de cartes compte moins ici que la formation d’un discours sinon commun, du moins partagé par les acteurs engagés dans l’élaboration du plan. Par ailleurs — et ceci est important à mettre en exergue dans le contexte institutionnel français —, suivre ce courant revient à dire que la planification n’est pas seulement l’affaire des techniciens (bureaux d’études, agences d’urbanisme…) et des grands élus intercommunaux qui pilotent la structure portant le SCoT. La pertinence de l’exercice et son effectivité ultérieure demandent une mobilisation large, à commencer (sans s’y restreindre) par celle des décideurs des politiques publiques communales. En effet, l’organisation du pouvoir local est telle que les actions communales (délivrance de permis de construire, projets de zone commerciale, programme d’habitat…) sont en lien plus ou moins étroit avec le niveau intercommunal, selon le niveau d’apprentissage de la coopération intercommunale. Le niveau communal est donc un premier niveau de mobilisation nécessaire lors de la réalisation d’un plan. Il faut aussi que cet effort s’articule avec la mobilisation de parties prenantes extérieures à la sphère publique.

L’accent mis par Healey et Innes sur la communication converge avec certains travaux menés en France en géographie, science régionale ou science politique, sur la notion de territoire et sur la gouvernance territoriale. Dans ces approches, le territoire n’est pas un espace sur lequel se déploient les politiques de développement descendantes (Houée, 1989[45]Houée P. (1989). Les politiques de développement rural. Des années de croissance au temps d’incertitude, Paris, Syros. ; Pecqueur, 1996[46]Pecqueur B (dir.). (1996). Dynamiques territoriales et mutations économiques, Paris, L’Harmattan.). C’est un construit social permanent, matérialisé par des relations et des échanges. Le territoire forme un système qui réunit des groupes d’intérêt divers (collectivités territoriales, chambres consulaires, administrations, associations…) dont les objectifs stratégiques, les temporalités, les espaces de références peuvent être divergents. L’existence et la cohérence du territoire sont basées sur une proximité géographique et organisationnelle des acteurs (Kirat et Torre, 2008[47]Kirat T, Torre A. (2008). Territoires de conflits. Analyses des mutations de l’occupation de l’espace, Paris, L’Harmattan.). Les acteurs se côtoient et partagent des normes.

Un tel réseau d’acteurs interagissant de manière plus ou moins coordonnée dans le but d’atteindre un objectif de développement peut être considéré comme un système dynamique complexe (Leloup et al., 2005[48]Leloup F, Moyart L, Pecqueur B. (2005). La gouvernance territoriale comme nouveau mode de coordination territoriale ?, Géographie, économie, société, n° 7(4), p. 321-331.). Cette approche conceptuelle permet de mettre en exergue certaines caractéristiques du réseau d’acteurs et de sa dynamique. Tout d’abord, le système territoire ne peut exister que grâce à un lien de partenariat et de négociation qui permet de grouper les acteurs autour du projet de territoire et de transformer la perception et les actions de concurrence en solidarités et synergies. Cette forme de gouvernance est comprise comme un processus non seulement de coordination des acteurs mais aussi d’appropriation des ressources et de construction de la territorialité. Le territoire ne se réduit pas à un échelon spatio-administratif mais est un construit social d’un « dedans » par rapport à un « dehors[49]Ibid. ». Ceci concourt à délimiter une identité. Néanmoins, le système n’est pas fermé. Les acteurs entretiennent des relations entre eux mais ils sont aussi en relation avec des acteurs situés à d’autres échelles spatiales ou qui se rattachent à d’autres territoires[50]Ibid..

Les travaux menés dans ces approches ont fourni un canevas d’analyse des approches de développement territorial, dans lesquelles les acteurs mobilisent des ressources non marchandes en vue du développement économique (Pecqueur, 1996[51]Pecqueur B. (1996), op. cit.). Au-delà des situations territoriales où l’histoire longue a fait émerger une identité commune aux acteurs — comme dans les systèmes productifs locaux (Courlet et Pecqueur, 1992[52]Courlet C, Pecqueur B. (1992). Les systèmes industriels localisés en France : un nouveau modèle de développement, dans Benko G, Lipietz A (dir.), Les régions qui gagnent, Paris, Presses Universitaires de France.) —, ces travaux pointent l’importance de la diffusion de l’information, élément jugé capital pour l’innovation et le développement futur. Il s’agit là d’une convergence forte avec le courant communicationnel en planification. Pour autant, les travaux sur le territoire comme construit social s’en distinguent dans la mesure où ils n’abordent guère la dimension spatiale des stratégies de développement, pas plus que le long terme.

En politiste, Pinson (2004[53]Pinson G. (2004). Le projet urbain comme instrument d’action publique, dans Lascoumes P, Le Galès P, Gouverner par les instruments, Paris, Presses de sciences Po, p. 199-233.) insiste sur la double dimension, à la fois technique et sociale, du SCoT. D’un côté, cette démarche met en œuvre des techniques et des compétences pour atteindre des objectifs, de l’autre elle mobilise des connaissances et des interprétations des acteurs. Le projet d’aménagement qu’énonce le SCoT est un acte politique qui suppose la participation des acteurs du territoire. La mobilisation des acteurs est déterminante quant aux solutions élaborées pour le projet d’aménagement, car elle a un effet sur les enjeux identifiés, les objectifs formulés et les solutions mises en avant. Pour produire une vision partagée du territoire, les acteurs se réunissent, échangent de l’information et dressent un diagnostic souvent alimenté par des états des lieux et des études ad hoc. Cette phase ne consiste pas en l’appropriation d’un diagnostic produit entièrement par des experts extérieurs. Il y a une production propre au collectif, à partir de ses propres références. Le processus produit aussi des normes et des régulations, c’est-à-dire que les acteurs apprennent à agir ensemble pour et par la mise en œuvre du projet imaginé.

Tel qu’imaginé par le législateur, l’élaboration du SCoT doit donner lieu à une large concertation. Elle mobilise les établissements publics de coopération intercommunale et leurs communes adhérentes, le département, la région, l’État. Les collectivités voisines du territoire du SCoT, les chambres consulaires ainsi que le public et des associations doivent également être consultés. Par contre, l’organisation de la concertation reste à la discrétion du syndicat mixte menant l’élaboration du schéma. Aussi, un président de syndicat portant un SCoT n’hésite pas à déclarer lors d’une table ronde organisée à l’université de Tours : « le SCoT, c’est l’affaire des élus ». Selon son point de vue, la complexité des enjeux abordés et la grande taille du périmètre de réflexion justifient que l’élaboration du diagnostic soit restreinte à quelques élus volontaires qui réagissent au fur et à mesure des apports techniques.

Cependant, en fonction des acteurs mobilisés et effectivement présents, il existe un risque de passer à côté d’enjeux qui resteront mal identifiés, masqués ou encore minoritaires. En décortiquant le processus d’élaboration du SCoT de Clermont-Ferrand, Loudiyi (2008[54]Loudiyi S. (2008), op. cit.) montre que les points de vue divergent entre la communauté d’agglomération et les représentants des espaces périurbains et ruraux. Dans ce contexte, les questions jugées difficiles sont systématiquement écartées, au profit d’une vision consensuelle, mais aussi édulcorée, des enjeux du territoire. Chemin faisant, l’objectif n’était pas de faire émerger une vision du territoire propre au collectif mais de partager unanimement un projet de territoire. La priorité est d’atteindre le consensus, quitte à escamoter le débat et la réflexion autour de questions originales ou nécessitant une réflexion approfondie.

Si on suit le courant communicationnel des travaux sur la planification, les informations échangées sont la clé pour aboutir à une vision partagée et à des collaborations. Les élus réunis dans un syndicat mixte bénéficient souvent du travail d’un bureau d’études ou d’une agence d’urbanisme pour alimenter leur réflexion. Ce savoir expert est amalgamé avec des savoirs profanes par les élus. Malgré ce travail de réflexion collectif, l’orientation du projet vers des solutions collaboratives n’est pas évidente. Les différences d’approche, entre les services de l’État qui ont une culture technique mais aussi l’expérience (et la nostalgie ?) de la planification à vaste échelle, et les collectivités territoriales, qui ont une culture politique, sont souvent source d’incompréhension (Lardon et al., 2008[55]Lardon S, Tonneau JP et al. (2008). Dispositifs de gouvernance territoriale durable en agriculture. Analyse de trois situations en France et au Brésil, Norois, n° 209, p. 17-36.). Le dialogue peut également être heurté entre des structures intercommunales qui ont peu de ressources en ingénierie territoriale, empêchant de générer une vision unifiée des enjeux majeurs du territoire concerné (Demazière, 2012[56]Demazière C. (2012), op. cit.). Dans un territoire, les acteurs sont en situation d’asymétrie, d’incertitude et d’incomplétude de l’information (Lardon et al., 2008[57]Op. cit.). Ils sont porteurs de visions contradictoires, ce qui impose un effort important pour rapprocher les stratégies. Ce n’est pas qu’un problème de bonne volonté ou de méthodes de communication : dans le contexte français, les organisations impliquées, les structures de coopération intercommunale notamment, pèsent dans la gouvernance et les formes de planification pratiquées.

Une mise en commun intercommunale
qui l’emporte sur la planification interterritoriale

En encourageant la coopération intercommunale, l’État français a cherché à enrayer la concurrence territoriale des communes pour certaines politiques locales, notamment celles qui concernent l’action économique ou l’habitat (Baraize et Négrier, 2001[58]Baraize F, Négrier E (dir.). (2001). L’invention politique de l’agglomération, Paris, L’Harmattan.). Contemporaine de la loi SRU, la loi du 12 juillet 1999, dite loi Chevènement, a visé à simplifier et à unifier le statut de l’intercommunalité, notamment à travers plus d’homogénéité dans les règles qui régissent les Établissements Publics de Coopération Intercommunale (EPCI). Grâce à la bonification de la dotation globale de fonctionnement et au travail de persuasion des préfets, la coopération intercommunale fit un bond en avant spectaculaire sur le plan quantitatif. Une impulsion supplémentaire a été donnée à travers la loi de réforme des collectivités territoriales en 2010. Début 2015, 94,0 % de la population française et 99,8 % des communes sont regroupées en communautés ou métropoles ; les proportions étaient respectivement de 60,1 % et 58,0 % en 2000. À fiscalité unique, les 226 communautés d’agglomération regroupant au minimum 50 000 habitants, les 9 communautés urbaines et les 11 métropoles abritent la moitié de la population française. Au cœur des grandes aires urbaines, ces EPCI agrègent souvent à la ville-centre les communes de première et deuxième couronne. Ils rassemblent, en moyenne, 70 % de la population sur 30 % du territoire de l’aire urbaine. L’espace périurbain alentour est organisé en communautés de communes.

La fiscalité locale, dépendante de la présence et de l’attractivité des entreprises au travers de la perception de la taxe professionnelle, a pendant longtemps été au cœur des compétitions de proximité entre communes. En prétendant réguler cette concurrence fiscale, la loi Chevènement l’a en fait exacerbée, la faisant passer du niveau communal au niveau intercommunal. Comme les EPCI détiennent désormais la compétence d’aménagement de l’espace et de développement économique, la concurrence entre territoires d’un même espace fonctionnel est potentiellement amplifiée (Demazière, 2012[59]Demazière C. (2012), op. cit.). D’un côté, la fiscalité locale acquittée par les entreprises est le seul impôt perçu directement par l’EPCI, en lieu et place des communes. De l’autre, les communes du lointain périurbain, qui subissaient l’influence de la commune-centre sans pouvoir agir sur leur foncier, le peuvent désormais, grâce à la mutualisation des moyens que permet l’EPCI.

La loi Chevènement a donc contribué à faire apparaître de nouveaux joueurs en matière d’action économique locale. Au sein d’un même bassin d’emploi, les concurrences entre EPCI ont pu entraîner, notamment en secteur périurbain, des projets à vocation économique qui modifient sensiblement l’usage des sols (Demazière, 2012). En réaction, l’EPCI situé en zone centrale a pu être tenté de réaliser lui aussi des projets à vocation économique en extension urbaine plutôt qu’en renouvellement urbain, comme y invitait la loi SRU. Mais si cette tendance a pu être mise en évidence sur certains territoires français, comme les agglomérations de Marseille-Aix, Nantes, et Tours (Serrano et al., 2014[60]Serrano J. et al. (2014), op. cit.), il faut aussi concevoir qu’ailleurs il y ait pu y avoir, à l’occasion de l’élaboration d’un SCoT, des discussions entre EPCI sur l’intensité de la mobilisation future du foncier pour le développement économique.

Au moment où la loi Chevènement a conduit les élus communaux à une importante réorganisation du pouvoir local, le SCoT était censé devenir le document pivot des politiques sectorielles (déplacement, habitat, équipement commercial…), mais aussi des actions spatialisées des EPCI. Son élaboration implique la définition d’un projet collectif et transversal, par des élus issus de structures intercommunales diverses, parfois récemment créées. Desjardins et Leroux (2007[61]Desjardins X, Leroux B. (2007), op. cit.) ont montré la grande diversité des modes de portage et d’élaboration des SCoT. Parfois, le périmètre se limite aux contours d’une intercommunalité, alors que l’échelle des problèmes qu’il est censé traiter (consommation foncière, ségrégation socio-spatiale, usage de l’automobile…) est plus vaste. Plus globalement, relever le défi d’un projet spatial tentant de concilier gestion environnementale et développement territorial durable se heurte au maillage institutionnel. Les EPCI sont les acteurs majeurs du SCoT, dans leur périmètre ou dans le cadre d’un syndicat qui les associe à d’autres. Par ailleurs, compte tenu des compétences qu’ils exercent, ce sont les mêmes EPCI qui mettent en œuvre les orientations du SCoT. Or les tensions entre EPCI, mais aussi entre planification et projet, sont particulièrement vives en matière d’action économique locale. Lors d’exercices de planification stratégique spatialisée, les EPCI qui aménagent décident aussi collectivement de la localisation future des projets. Ils sont censés arbitrer entre renouvellement urbain ou extension, fixer des seuils de densité d’emplois qui s’imposeront ensuite dans la réalisation des projets, etc. Autrement dit, les EPCI sont à la fois concurrents pour capter les entreprises et obligés de coopérer, à l’occasion d’exercices de planification, pour rationaliser leurs stratégies et ainsi limiter leur volonté de puissance foncière. Face à ce constat, et malgré la volonté réaffirmée par le législateur — à travers les lois Grenelle — que la planification stratégique spatialisée favorise la réduction de l’impact des activités économiques en matière de consommation foncière, nous pouvons nous demander quelles sont les pratiques effectives.

Le SCoT au cœur des apprentissages du développement durable ?
Les arbitrages en matière de foncier

Au pourtour des grandes agglomérations, les espaces périurbains sont convoités car ils offrent une disponibilité foncière qui peut permettre la réalisation de nouvelles infrastructures, d’ensembles résidentiels, d’équipements nuisants, ou encore l’implantation de certaines activités économiques. Dans cette dernière section, nous analyserons comment, dans le contexte français, la planification spatiale traite la demande de conversion d’espaces agricoles ou naturels vers la création ou l’extension de sites d’activités (bureaux, usines, entrepôts…). Aborder cette question suppose de rendre compte des arrangements d’acteurs locaux impliqués dans l’activité de planification, dans le cadre de procédures et d’orientations définies au niveau national.

Entre 2000 et 2006, le poids des territoires artificialisés a augmenté en France de 0,40 point chaque année, correspondant à un surcroît de 221 000 ha sur 6 ans (CGDD, 2015[62]Commissariat Général au Développement Durable. (2015). L’occupation des sols en France : progression plus modérée de l’artificialisation entre 2006 et 2012, Le point sur, n° 219, 4 p. ). L’augmentation est de 0,16 point entre 2006 et 2012 (87 000 ha) mais ce ralentissement du rythme d’artificialisation est essentiellement lié à celui des forêts et espaces semi-naturels, tandis que le recul des terres agricoles est, entre 2006 et 2012, peu différent de celui observé entre 1990 et 2000. Or l’usage des sols est encadré en France par des plans réalisés à l’échelle communale ou intercommunale. De plus, depuis les années 1990, l’État a fait de la planification spatiale un outil au service du développement territorial durable. Dès lors, comment expliquer que la planification spatiale ne parvienne pas véritablement à réguler les demandes foncières ? Pour répondre à cette question, nous privilégierons ici une lecture en termes de jeux d’acteurs.

Pour les acteurs attachés à la préservation des espaces agricoles, la loi SRU a de prime abord été considérée comme une avancée importante pour la prise en compte des espaces agricoles périurbains. Ainsi, selon le collectif Terres en ville (2009[63]Terres en villes, Certu et al. (2009). Prendre en compte l’agriculture et ses espaces dans les SCoT, Paris, Lavoisier-Certu.), l’élaboration des SCoT devait permettre de faire passer le devenir des espaces agricoles de question secondaire à question incontournable. Les facteurs jugés favorables étaient l’élargissement des périmètres couverts par le nouveau document, l’association d’acteurs comme la chambre d’agriculture (défenseur de la profession agricole) et la démarche de projet concrétisée dans un document : le projet d’aménagement et de développement durable. Cependant, les retours d’expérience montrent que de nombreux acteurs émanant du monde agricole estiment avoir été peu écoutés dans le processus de concertation propre à un SCoT (Terres en Ville, 2009). Pour Rio (2008[64]Rio P. (2008). Aider à construire la légitimité du gestionnaire d’un territoire environnementalement cohérent, Norois, n° 209, p. 57-73.), un double effort serait à conduire : réussir à regrouper les acteurs situés à l’intérieur du périmètre fonctionnel défini par des processus biophysiques et expliciter les objectifs de développement des communes et des EPCI. Ceux-ci considèrent les enjeux environnementaux par rapport à un ensemble d’autres objectifs. Au total, il s’agirait à la fois de faire converger les stratégies de développement mais aussi de faire remonter les enjeux environnementaux dans les priorités de l’agenda politique.

Le SCoT est une arène dans laquelle les communes et les EPCI doivent confronter les uns aux autres leurs projets respectifs de développement. Ces acteurs peuvent se voir disputer leur autonomie pour décider de l’affectation des sols. Les débats peuvent conduire ou non à une certaine internalisation des nouvelles normes de protection de l’environnement. L’objectif de limitation de l’artificialisation des espaces agricoles a été sans cesse renforcé depuis les années 2000. Suite aux lois Grenelle, parmi les documents qui composent un SCoT, le document d’orientations et d’objectifs « arrête des objectifs chiffrés de consommation économe de l’espace et de lutte contre l’étalement urbain, qui peuvent être ventilés par secteur géographique[65]Art. L. 122-1-5 du Code de l’urbanisme. », mais aucun élément chiffré ne figure dans la loi. De plus, si on se reporte aux travaux du courant communicationnel sur l’évolution de la planification spatiale dans le contexte de l’Angleterre, le changement du contenu des plans « ne tient pas seulement à la formalisation d’une législation nouvelle (…) : il implique aussi la mutation des discours dans toutes les arènes de dialogue importantes pour qu’une politique publique prenne effet » (Vigar et al., 2000[66]Vigar G, Healey P, Hull A, Davoudi S. (2000), Planning, Governance and Spatial Strategy in Britain, Londres, Macmillan, p. 50-51.). Ceci signifie que les priorités énoncées au niveau national doivent être traduites en idées et arguments pertinents pour les acteurs locaux. Sinon, ceux-ci risquent de résister au changement ou de canaliser l’évolution dans une direction qui leur est familière.

Or la question foncière renvoie à des enjeux non stabilisés et à une action publique segmentée (Bodiguel et al., 2013[67]Bodiguel L, Fabry M, Germain P et al. (2013), Les évolutions des modes de gouvernance des espaces agricoles ruraux périurbains face aux risques environnementaux. Approche pluridisciplinaire, dans Torre A, Wallet F, Les enjeux du développement régional et territorial en zone rurale, Paris, L’Harmattan, p. 181-221.). Face à la prise en compte des enjeux environnementaux, les élus locaux sont placés dans une véritable situation d’incertitude. L’idée de préservation des espaces agricoles par rapport à l’artificialisation se renforce, mais les échelles de définition des enjeux font apparaître une incertitude sur la définition même du problème et donc sur les instruments à mobiliser. À l’échelle locale, il s’agit de valoriser un espace pour ses aménités. À l’échelle globale, la préservation des espaces agricoles relève de la sécurité alimentaire, du changement climatique et de la biodiversité. La saisie locale des enjeux globaux est confuse, et les bénéfices locaux de leur prise en compte ne sont pas évidents. Les collectivités territoriales sont mal à l’aise, entre un État censeur qui rappelle un enjeu global de limitation de l’artificialisation des sols et une priorité partagée par la plupart des EPCI périurbains : celle de développements démographiques et d’activités économiques qui engendrent des recettes fiscales. Dans ce contexte, l’élaboration d’un SCoT et son contenu seront diversifiés selon la capacité et la volonté des EPCI concernés à articuler les enjeux et à se coordonner. Les normes d’actions et la légitimité des solutions n’étant pas encore stabilisées, c’est plus le manque d’audace que la définition de solutions collectives innovantes qui caractérise les SCoT (Jarrige et al., 2005[68]Jarrige F. et al. (2005), op. cit. ; Loudiyi, 2008[69]Loudiyi S. (2008), op. cit. ; Serrano et al., 2014[70]Serrano J. et al. (2014), op. cit.).

Nous pouvons illustrer ce point par l’exemple des arbitrages en faveur de la localisation des zones d’activités économiques. Rappelons que les EPCI exercent la compétence de développement économique et, à ce titre, décident des futures zones d’activités. Ces mêmes groupements sont amenés à définir la localisation de ces espaces à l’occasion de l’élaboration d’un SCoT. En traitant la localisation des sites d’activités économiques, l’élaboration du SCoT est l’occasion d’échanges, d’arbitrages, de régulation des conflits entre enjeux de développement économique et enjeux de maintien d’espaces agricoles. Le résultat des échanges entre acteurs intervenant (les EPCI), voire avec les acteurs concernés (entreprises et leurs représentants, associations environnementales…) peut être lu dans les objectifs énoncés dans les documents produits, puis dans leur mise en œuvre. Ce sont des révélateurs à la fois de l’efficacité de la gouvernance et de la plus-value éventuellement créée au cours de la concertation.

Dans le cadre d’une recherche portant sur quatre grandes agglomérations françaises (Demazière, 2012[71]Demazière C. (2012), op. cit.), on a repéré, dans le cas du SCoT de Rennes approuvé en 2007, qu’une cartographie et des chiffres précisent les réserves foncières qui seront allouées pour les activités économiques dans les dix prochaines années sur le territoire du Pays de Rennes. Le caractère prescriptif de ces orientations y est démontré. Surtout, la réflexion du SCoT a conduit les décideurs à rechercher une spatialisation plus systématique, par l’identification de sites de développement stratégiques qui sont nommés et quantifiés[72]Syndicat mixte du SCoT du pays de Rennes. (2007a). Schéma de Cohérence Territoriale pays de Rennes, Projet d’Aménagement et de Développement Durable, Agence d’urbanisme et de développement intercommunal de l’agglomération Rennaise, p. 26 et Syndicat mixte du SCoT du pays de Rennes, (2007b), Schéma de Cohérence Territoriale pays de Rennes, Document d’orientations générales, Agence d’urbanisme et de développement intercommunal de l’agglomération Rennaise, p. 31-39.. À l’analyse économique se sont ajoutées des exigences environnementales : les zones d’activités économiques projetées doivent répondre à des exigences en matière d’intégration paysagère et doivent être desservies par des lignes de transport en commun. Ces lieux réservés et apposés par le SCoT délivrent un cadre plus précis afin de limiter « l’étalement économique » (Demazière, 2012), d’autant plus que ces réserves foncières ont été déterminées et situées en fonction des corridors écologiques, en particulier en confrontation avec la trame verte et bleue. Enfin, une particularité du SCoT rennais est la définition de « champs urbains » et de cônes de visibilité qui sont des espaces inconstructibles destinés à éviter une jonction des tissus urbains.

Par son volontarisme et sa précision, le territoire rennais semble se distinguer des autres démarches de planification menées en France. Comment l’expliquer ? Tout d’abord, cette démarche de planification est portée par le Pays de Rennes, qui regroupe une communauté d’agglomération[73]Celle-ci s’est transformée en métropole au 1er janvier 2015. et quatre communautés de communes, et non pas par un syndicat créé pour la circonstance et dont la planification serait l’unique vocation. Le choix de ce périmètre par les élus exprime la volonté de rapprocher des territoires qui coopèrent depuis longtemps. Par ailleurs, au moment de l’élaboration du projet, les représentants agricoles, ainsi que les petites communes rurales se sont exprimées en faveur d’un maintien de la fonction agricole. L’EPCI centre a porté une oreille attentive aux acteurs qui connaissent bien les activités agricoles ou qui détiennent cette ressource. Au total, les élus ont défini collectivement un espace agricole multifonctionnel (Serrano, 2015[74]Serrano J. (2015). “Aménager la multifonctionnalité des espaces périurbains”, habilitation à diriger des recherches en aménagement de l’espace et urbanisme, Marne-la-Vallée, université Paris-Est.). L’idée est que l’espace périphérique accueille une partie de la croissance démographique et économique, mais aussi qu’une partie est protégée. Ces espaces protégés ne sont pas des espaces résiduels. Au contraire, ils sont structurants puisqu’ils orientent spatialement la croissance urbaine. L’armature paysagère constitue une matrice du projet pour maîtriser les extensions urbaines et éviter l’urbanisation en continu. Elle est combinée à des orientations d’urbanisme (densification, arrêt du mitage et du développement des hameaux…).

Au total, la planification spatiale rennaise a fait émerger un récit explicatif du territoire qui comprend l’histoire du développement urbain et son identité : la ville-archipel (Dormois, 2007[75]Dormois R. (2007). Pour une analyse dynamique des ressources dans la conduite de l’action publique, dans Gumuchian H, Pecqueur B (dir.), La ressource territoriale, Paris, Economica.). Ce concept n’est pas réservé à l’univers de la planification : il a diffusé auprès des responsables des politiques locales et sectorielles comme un trait distinctif en matière d’attractivité du pays de Rennes. De même, dans les opérations d’habitat, les promoteurs privés mettent en avant un lieu où « il fait bon vivre », la singularité d’une ville-centre très urbanisée qui conserve des champs à sa porte.

Conclusion

Quinze ans après l’adoption de la loi SRU et grâce au renforcement apporté par les lois Grenelle, le SCoT est devenu, du point de vue de l’État, le document pivot du système français de planification spatiale, qui assure la prise en compte locale d’enjeux d’une toute autre ampleur géographique. Pour les chercheurs, il permet d’illustrer les grandes transformations contemporaines de la pratique de l’aménagement, mais aussi certaines limites de l’outil, au regard du courant communicationnel.

D’un point de vue procédural, dans un contexte de décentralisation, les décisions prises renvoient à un ensemble beaucoup plus large d’acteurs. Aux côtés de l’État, les communes et leurs groupements disposent d’une légitimité et de ressources de plus en plus importantes. Une ouverture est faite par le législateur en direction des acteurs économiques et de la société civile pour qu’ils participent plus fréquemment et plus intensément à l’élaboration des choix d’aménagement à long terme. Cette évolution correspond aux analyses du courant communicationnel de la planification spatiale qui vise à rassembler un large réseau d’acteurs dans l’élaboration et surtout la mise en œuvre des démarches de planification territoriale. À ceci près que, dans le contexte institutionnel français, cette ouverture est largement dépendante de la volonté des élus locaux. Le Pays de Rennes illustre un cas où la gouvernance du SCoT aboutit à ce que le collectif se saisisse des destinées du territoire, élabore une vision à partir de la prise de conscience par les acteurs de leurs ressources et de l’interdépendance de leurs actions. C’est un processus de légitimation et d’élaboration de règles pour utiliser collectivement les ressources du territoire. Toutefois, l’observation de la pratique la plus courante souligne que le processus du SCoT et ses résultats dépendent étroitement des mécanismes du pouvoir local et de ses arrangements (Demazière, 2012[76]Demazière C. (2012), op. cit.). À propos des établissements publics ou syndicats mixtes en charge d’un SCoT « comment imaginer qu’une émanation politique de troisième rang puisse imposer des contraintes à un territoire qui ne s’est pas doté d’un PLU intercommunal ? » (Planchet, 2009[77]Planchet P. (2009). Projet territorial et développement, Cahiers du Gridauh, n° 19, p. 165.). Les élus municipaux tirent leur légitimité d’une base électorale d’échelle communale. C’est donc sur la base de ces territoires communaux qu’ils entrent dans des rapports de force et des jeux de négociation. La prise en compte des logiques communicationnelles dans l’élaboration des SCoT est limitée par les structures locales du pouvoir des élus qui ne sont pas toujours favorables à la construction d’une véritable pensée intercommunale ou interterritoriale.

D’un point de vue substantiel, avec le SCoT, il ne s’agit plus de réglementer les usages des sols mais de les réguler. La logique passe de ce qui doit être fait à ce qui peut être fait. Dans la lignée du courant de la PSS, la notion de projet est de plus en plus centrale dans la planification, notamment au travers des expériences de prospective qui visent à mettre en récit l’avenir du territoire. En effet, le SCoT est potentiellement un bon outil pour avoir un espace assez large pour jouer sur les complémentarités entre urbain et rural, et pour faire interagir des acteurs sur des enjeux forts des territoires fonctionnels.

Les dimensions procédurale et substantielle de la planification contemporaine illustrent bien l’importance de la communication entre les acteurs afin de construire des représentations et des discours collectifs. Toutefois, même si cette évolution communicationnelle est importante, il convient de souligner qu’au regard des autres configurations nationales, la pratique française se singularise toujours par l’importance apportée à l’espace. Dans un contexte national marqué par la prégnance des acteurs publics, l’approche spatiale de la planification se focalise surtout sur la définition juridique de la destination de l’usage des sols de manière à guider l’élaboration des plans locaux d’urbanisme. Ainsi, le tournant communicationnel est largement inachevé et la pratique française correspond plutôt à un modèle hybride. L’avenir dira si les réformes actuelles qui visent à renforcer le contenu démocratique des intercommunalités, par l’élection en 2020 d’une partie des conseillers au suffrage universel direct, et leur pouvoir par le renforcement des compétences en matière de planification, permettront de s’extraire de cette dépendance aux formes actuelles de la construction intercommunale.


[1] Rottner, Jean (2015). « Passer à l’action dans les campagnes urbaines », atu37.org [En ligne].

[2] Albrechts L, Healey P, Kunzmann K. (2003). Strategic Spatial Planning and Regional Governance in Europe, Journal of the American Planning Association, vol. 69, n° 2.

[3] Salet W, Faludi A (dir.). (2000). The Revival of Strategic Planning, Amsterdam, Royal Netherlands Academy of Arts and Sciences.

[4] Healey P. (1997). Collaborative Planning, Shaping Places in Fragmented Societies, Vancouver, University of British Columbia Press.

[5] Motte A. (2006). La notion de planification stratégique spatialisée en Europe (1995-2005), Paris, PUCA, ministère de l’Équipement., p. 45.

[6] Douay N. (2007). “La Planification urbaine à l’épreuve de la métropolisation : enjeux, acteurs et stratégies à Marseille et à Montréal”, thèse de doctorat en urbanisme, université de Montréal et université d’Aix-Marseille.

[7] Healey P. (1997), op. cit.

[8] Motte A. (2006), op. cit.

[9] Albrechts L. (2004). Strategic (spatial) planning re-examined, Environment and Planning B 5, p. 743-758.

[10] Demazière C (dir.). (2012). Viabilité de l’économie productive des régions urbaines : investigation à partir de la planification stratégique. Une comparaison entre la France et l’Angleterre, rapport de recherche pour le PUCA, université de Tours [En ligne].

[11] Balducci A. (2013). ‘Trading Zone’: A Useful Concept for some Planning Dilemmas, dans Balducci A, Mäntysalo R, Urban Planning as a Trading Zone, Dordrecht, Springer, p. 23-36.

[12] Jarrige F, Thinon P et al. (2005). La prise en compte de l’agriculture dans les nouveaux projets de territoires urbains. Exemple d’une recherche en partenariat avec la communauté d’agglomération de Montpellier. Symposium : Territoires et enjeux du développement régional, Lyon.

[13] Desjardins X., Leroux B. (2007). Les schémas de cohérence territoriale : des recettes du développement durable au bricolage territorial, Flux, n° 69, p. 6-20.

[14] Loudiyi S. (2008). Le SCoT, instrument de gouvernance territoriale ? La conduite locale de la concertation dans le Pays du Grand Clermont, Norois, n° 209, p. 37-56.

[15] Serrano J, Demazière C, Nadou F, Servain S. (2014). « La planification stratégique spatialisée contribue-t-elle à la durabilité territoriale ? La limitation des consommations foncières dans les SCoT à Marseille-Aix, Nantes-Saint-Nazaire, Rennes et Tours », Développement durable et territoires, n° 5(2) [En ligne].

[16] Allmendinger P. (2002). Planning Theory, New York, Palgrave, p. 24.

[17] Douay N. (2007), op. cit.

[18] Douay N. (2008). « Shanghai : l’évolution des styles de la planification urbaine », Perspectives chinoises, n° 4, p. 16-26.

[19] Albrechts L. et al. (2003), op. cit.

[20] Douay N. (2013a). « La planification urbaine française : théories, normes juridiques et défis pour la pratique », L’information géographique, n° 77, p. 54.

[21] Crosta P. (1995). La politica del piano. Milan, Franco Angeli.

[22] Balducci. (2013), op. cit.

[23] Innes J. (1998). « Information in communicative planning », Journal of the American Planning Association, n° 4, p. 52.

[24] Healey P. (1997), op. cit.

[25] Healey P. (2007). Urban Complexity and Spatial Strategies: a relational planning for our times, Londres, Routledge.

[26] Healey P. (1997), op. cit., p. 29.

[27] Douay N. (2013a), op. cit.

[28] Driard JH. (1998). Les caractères du droit de l’urbanisme, dans Le coin du droit de l’urbanisme [En ligne].

[29] Motte A (dir.). (1995). Schéma directeur et projet d’agglomération : un renouvellement du mode de gestion des espaces urbanisés français (1981-1993), Nantes, Juris Service éditions.

[30] Albrechts L. (1991). Changing roles and positions of planners, Urban Studies, n° 28(1), p. 123-137.

[31] Motte A. (1995), op. cit.

[32] Allocution de Jean-Claude Gayssot, ministre de l’Équipement, des Transports et du Logement, présentation du projet de loi « Solidarité et renouvellement urbains » à l’Assemblée nationale, séance du 8 mars 2000, p.1629-1630 des débats retranscrits.

[33] Demazière C. (2012), op. cit.

[34] Lerousseau N, Manson C. (2011). SCoT et articulation juridique des planifications, dans GRIDAUH, communication actualisée, initialement présentée lors de la journée d’étude « SCoT et dynamiques territoriales », organisée à l’université de Tours, le 19 mars 2010 [En ligne].

[35] Allocution de Jean-Claude Gayssot, op. cit.

[36] Desjardins X, Leroux B. (2007), op. cit.

[37] Le code de l’urbanisme introduit une hiérarchie entre les différents documents d’urbanisme, plans et programmes, et un rapport de compatibilité entre certains d’entre eux. La notion de compatibilité n’est pas définie juridiquement. Cependant la doctrine et la jurisprudence permettent de la distinguer de celle de conformité, beaucoup plus exigeante. Le rapport de compatibilité exige que les dispositions d’un document ne fassent pas obstacle à l’application des dispositions du document de rang supérieur. La notion de « compatibilité » existait déjà du temps des schémas directeurs.

[38] Desjardins X, Leroux B. (2007), op. cit.

[39] Douay N. (2013b). Aix-Marseille-Provence : accouchement d’une métropole dans la douleur, Métropolitiques, 18 décembre [En ligne, consulté le 10/3/2014].

[40] Healey P. (1997), op. cit.

[41] Healey P. (2007), op. cit.

[42] Innes J. (1995). « Planning theory’s emerging paradigm: communicative action and interactive practice », Journal of Planning Education and Research, n° 14(3), p. 183-189.

[43] Innes J. (1998), op. cit.

[44] Albrechts L. (2004), op. cit.

[45] Houée P. (1989). Les politiques de développement rural. Des années de croissance au temps d’incertitude, Paris, Syros.

[46] Pecqueur B (dir.). (1996). Dynamiques territoriales et mutations économiques, Paris, L’Harmattan.

[47] Kirat T, Torre A. (2008). Territoires de conflits. Analyses des mutations de l’occupation de l’espace, Paris, L’Harmattan.

[48] Leloup F, Moyart L, Pecqueur B. (2005). La gouvernance territoriale comme nouveau mode de coordination territoriale ?, Géographie, économie, société, n° 7(4), p. 321-331.

[49] Ibid.

[50] Ibid.

[51] Pecqueur B. (1996), op. cit.

[52] Courlet C, Pecqueur B. (1992). Les systèmes industriels localisés en France : un nouveau modèle de développement, dans Benko G, Lipietz A (dir.), Les régions qui gagnent, Paris, Presses Universitaires de France.

[53] Pinson G. (2004). Le projet urbain comme instrument d’action publique, dans Lascoumes P, Le Galès P, Gouverner par les instruments, Paris, Presses de sciences Po, p. 199-233.

[54] Loudiyi S. (2008), op. cit.

[55] Lardon S, Tonneau JP et al. (2008). Dispositifs de gouvernance territoriale durable en agriculture. Analyse de trois situations en France et au Brésil, Norois, n° 209, p. 17-36.

[56] Demazière C. (2012), op. cit.

[57] Op. cit.

[58] Baraize F, Négrier E (dir.). (2001). L’invention politique de l’agglomération, Paris, L’Harmattan.

[59] Demazière C. (2012), op. cit.

[60] Serrano J. et al. (2014), op. cit.

[61] Desjardins X, Leroux B. (2007), op. cit.

[62] Commissariat Général au Développement Durable. (2015). L’occupation des sols en France : progression plus modérée de l’artificialisation entre 2006 et 2012, Le point sur, n° 219, 4 p. 

[63] Terres en villes, Certu et al. (2009). Prendre en compte l’agriculture et ses espaces dans les SCoT, Paris, Lavoisier-Certu.

[64] Rio P. (2008). Aider à construire la légitimité du gestionnaire d’un territoire environnementalement cohérent, Norois, n° 209, p. 57-73.

[65] Art. L. 122-1-5 du Code de l’urbanisme.

[66] Vigar G, Healey P, Hull A, Davoudi S. (2000), Planning, Governance and Spatial Strategy in Britain, Londres, Macmillan, p. 50-51.

[67] Bodiguel L, Fabry M, Germain P et al. (2013), Les évolutions des modes de gouvernance des espaces agricoles ruraux périurbains face aux risques environnementaux. Approche pluridisciplinaire, dans Torre A, Wallet F, Les enjeux du développement régional et territorial en zone rurale, Paris, L’Harmattan, p. 181-221.

[68] Jarrige F. et al. (2005), op. cit.

[69] Loudiyi S. (2008), op. cit.

[70] Serrano J. et al. (2014), op. cit.

[71] Demazière C. (2012), op. cit.

[72] Syndicat mixte du SCoT du pays de Rennes. (2007a). Schéma de Cohérence Territoriale pays de Rennes, Projet d’Aménagement et de Développement Durable, Agence d’urbanisme et de développement intercommunal de l’agglomération Rennaise, p. 26 et Syndicat mixte du SCoT du pays de Rennes, (2007b), Schéma de Cohérence Territoriale pays de Rennes, Document d’orientations générales, Agence d’urbanisme et de développement intercommunal de l’agglomération Rennaise, p. 31-39.

[73] Celle-ci s’est transformée en métropole au 1er janvier 2015.

[74] Serrano J. (2015). “Aménager la multifonctionnalité des espaces périurbains”, habilitation à diriger des recherches en aménagement de l’espace et urbanisme, Marne-la-Vallée, université Paris-Est.

[75] Dormois R. (2007). Pour une analyse dynamique des ressources dans la conduite de l’action publique, dans Gumuchian H, Pecqueur B (dir.), La ressource territoriale, Paris, Economica.

[76] Demazière C. (2012), op. cit.

[77] Planchet P. (2009). Projet territorial et développement, Cahiers du Gridauh, n° 19, p. 165.