janvier 2018
Transition énergétique
L’urbanisme au prisme de la transition énergétique
L’urbanisme au prisme de la transition énergétique,
Riurba no
5, janvier 2018.
URL : https://www.riurba.review/article/05-transition/editorial-05/
Article publié le 1er janv. 2018
post->ID de l’article : 4094 •
Éditorial
L’appel à article de ce numéro consacré à « L’urbanisme au prisme de la transition énergétique » visait à interroger les changements à l’œuvre et les manières dont l’impératif de transition énergétique « est transformé par » et « transforme » l’urbanisme. Initialement, ces changements pouvaient ainsi être abordés sous différents angles : les acteurs publics et privés (pratiques, représentations et cultures professionnelles, jeux de pouvoirs), les normes et cadres (réglementaires, juridiques, techniques), ainsi que les institutions qui structurent leur action. Les outils et les modes de représentation étaient également des aspects importants de la construction de la transition énergique par les acteurs de l’urbanisme, selon nous. En effet, ils contribuent à sa formalisation et à sa stabilisation au sein de la profession.
Nous avions souligné d’emblée que la question énergétique représente un défi contemporain majeur duquel les études urbaines comme les pratiques professionnelles de l’urbanisme ne peuvent se soustraire. Les territoires urbains sont responsables d’une part importante des émissions de gaz à effet de serre et sont fortement consommateurs d’énergie. Ils sont également désignés comme les lieux principaux de la gouvernance et de l’opérationnalisation de la « transition énergétique ». Cependant, les mondes de l’énergie et de l’urbanisme, construits autour de disciplines, de logiques professionnelles et culturelles distinctes, tendent encore à s’ignorer. Les professionnels de l’urbanisme et de la planification sont toutefois appelés à donner corps à des transitions énergétiques, en réponse au changement climatique (Davoudi et al., 2009[1]Davoudi S, Crawford J, Mehmood A (dir.). (2009). Planning for climate change. Strategies for mitigation and adaptation for spatial planners, Earthscan, 317 p.). Sur le plan de la recherche, l’analyse des relations entre villes et énergie reste à intensifier et à structurer, dans l’optique notamment de « ré-énergiser les études urbaines » (Rutherford et Coutard, 2014[2]Rutherford J, Coutard O. (2014). « Urban Energy Transitions: Places, Processes and Politics of Socio-technical Change ». Urban Studies, n° 51(7), p. 1353-1377.). Or la question de l’énergie est aujourd’hui au cœur de plusieurs travaux de ce champ, en lien avec celle des acteurs locaux, des programmes ou des normes nationaux et de leurs applications territoriales. La transition énergétique est à la fois mise en œuvre et construite au niveau local. L’urbanisme est directement concerné, que ce soit en matière de projet ou de planification.
Au sein des articles publiés, les processus de territorialisation des projets mais aussi les contenus des stratégies différenciées des territoires concernés (des villes aux territoires ruraux) ainsi que les capacités d’action sont largement abordés. La question de la coexistence et du rapprochement, voire de l’intégration, des planifications (énergétique et d’aménagement) est également traitée.
Ainsi, dans leur article, Natacha Seigneuret et Gilles Novarina analysent la reconfiguration des stratégies de planification territoriale et des démarches de projets urbains à des fins de transition énergétique. Les chercheurs font l’examen de trois villes européennes (Grenoble, Bristol, Fribourg-en-Brisgau) qui ont pour point commun d’être reconnues comme figures de proue du développement durable urbain. Ils identifient les ressources et les contraintes qui apparaissent aux acteurs en matière de transition énergétique, les outils mobilisés pour l’élaboration des stratégies et la gouvernance de celles-ci, en insistant sur le rôle différencié des acteurs. Interrogeant plus particulièrement le rôle inclusif de cette gouvernance vis-à-vis des usagers et habitants, souvent mis en avant dans le cadre des stratégies et projets urbains durables, l’article met ici en évidence des conclusions nuancées à ce sujet. Leur panorama souligne combien l’intégration des planifications énergétiques aux planifications territoriales est sujette à divers facteurs qui varient en fonction des contextes locaux.
L’article de Julie Gobert et Hiba Chakar analyse quant à lui plus précisément la stratégie d’une intercommunalité française pour mettre en place un système d’énergie décentralisé. Effectué dans le cadre d’une étude commandité par EDF, l’article analyse la stratégie d’une intercommunalité rurale, le Pays Vitryat, pour intégrer les questions de transition énergétique. Regroupant des communes en déprise démographique et difficultés économiques, la collectivité pense saisir une opportunité de développement avec l’installation d’un système d’énergie décentralisé reposant sur 33 projets simultanés. Les auteurs émettent alors l’hypothèse que la transition énergétique peut être un levier de décloisonnement entre le rural et l’urbain, et de la dévitalisation à la redynamisation. Effet d’annonce ou concrétisation d’une démarche fortement intégrative ? Les résultats des auteures semblent fortement nuancer l’intérêt de la démarche. Elles pointent notamment les difficultés de dialogue entre acteurs lors du processus décisionnel et de la prise en compte des attentes des usagers dans les propositions. L’article amène à s’interroger sur la capacité des acteurs à entreprendre des démarches systémiques et à intégrer le global au local.
L’article de Julia Frotey et Élodie Castex étudie la mise en place d’Infrastructures de Recharge pour Véhicule Électrique (IRVE). Issu des résultats du projet MOUVE en réponse à l’appel à projets IRVE de l’ADEME, l’article propose une évaluation des conséquences territoriales des choix de gouvernance lors d’un projet d’éléctromobilité. Cette étude trouve son intérêt dans l’analyse multiéchelle des jeux d’acteurs, l’État fixant les appels et la gouvernance des projets revenant aux acteurs locaux. Cette spécificité implique par conséquent une diversité d’approches dans le montage de projet à l’échelle nationale. L’article propose, dans ce contexte, un focus sur le développement de ces projets dans l’ancienne région Nord-Pas-de-Calais. Il met en évidence l’importance de la gouvernance de projet, en ce qu’elle est productrice de différenciation spatiale. Ainsi se pose la question de l’adéquation des échelles du projet, souvent bornée à des périmètres politico-administratifs, avec les besoins des utilisateurs. Un second questionnement est soulevé, celui de la pertinence du développement des dispositifs en milieu urbain face au déploiement de politiques de mobilité durable axées sur la promotion des transports doux et transports en commun. Ainsi, les documents d’urbanisme en tant que dispositifs porteurs de la transition énergétique sont également à interroger.
La coexistence des planifications et leur impact sur l’urbanisme réglementaire sont plus particulièrement abordés dans l’article d’Elsa Richard, Morgane Colombert, François Bertrand, Margot Lefranc et Fouad Eddazi. Par l’analyse bibliographique de documents de planification, les auteurs mettent en lumière une forme de cloisonnement entre les acteurs de l’urbanisme et ceux de l’énergie et du climat. Celui-ci conduit à la production de documents respectant les obligations légales notamment liées aux injonctions de la « transition énergétique » mais relevant peu de stratégies d’action plus globales. Les auteurs proposent alors de développer des modalités pour permettre l’articulation entre divers documents, d’une part, et l’intégration des questions d’énergie et de climat dans ces documents, d’autre part. Ils démontrent par leur analyse bibliographique la difficulté des collectivités territoriales à investir la question énergétique dans la planification spatiale. Face à ce constat et à la demande de nombreux acteurs de lever ces freins, des articles scientifiques questionnent les verrous structurels, comparent les leviers et analysent les solutions proposées à l’intégration des enjeux énergétiques, alors que des documents institutionnels proposent des guides de bonnes pratiques afin de « mieux faire ». L’analyse de ces propositions et l’identification de ces freins et leviers sont l’objet d’étude de cet article qui conduit à observer une convergence dans la littérature ; l’étude des enjeux « énergie-climat » liés aux questions de production, d’économies, de renouvelables est majoritairement représentée par rapport à l’étude des enjeux liés à l’adaptation.
Enfin, Sophie Rannou et Marc Dumont interrogent la capacité d’une ville moyenne à expérimenter des solutions techniques au niveau énergétique et à ériger un nouvel urbanisme « orienté énergie ». Leur travail empirique finement mené, à partir de trois années d’observation participante au sein des services d’un syndicat mixte et d’entretiens avec des acteurs locaux, montre toute la pertinence du traitement de la question énergétique à certaines échelles spatiales, mettant en avant les logiques d’apprentissages collectifs, l’évolution des cultures professionnelles et techniques et la manière dont l’énergie transforme les cadres institutionnels locaux. Aussi, la question n’est-elle pas tant celle de l’application locale de normes techniques et décisions nationales, que celle des nouveaux assemblages qui se créent, entre technique et acteurs, matérialité des flux d’énergie et modes de gouvernance.
[1] Davoudi S, Crawford J, Mehmood A (dir.). (2009). Planning for climate change. Strategies for mitigation and adaptation for spatial planners, Earthscan, 317 p.
[2] Rutherford J, Coutard O. (2014). « Urban Energy Transitions: Places, Processes and Politics of Socio-technical Change ». Urban Studies, n° 51(7), p. 1353-1377.