frontispice

Ville créative et renaissance urbaine
Retour sur la genèse intellectuelle
d’un modèle urbain du XXe siècle

• Sommaire du no 6

Charles Ambrosino Institut d’urbanisme et de géographie alpine, université Grenoble Alpes

Ville créative et renaissance urbaine : retour sur la genèse intellectuelle d’un modèle urbain du XXe siècle, Riurba no 6, juillet 2018.
URL : https://www.riurba.review/article/06-modeles/creative/
Article publié le 1er juil. 2018

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Charles Ambrosino
Article publié le 1er juil. 2018
  • Abstract
  • Résumé

Creative city and urban renaissance. The intellectual genesis of a 20th century urban model               

The main objective of this article is to highlight the emergence context of the creative city concept by recalling the bond between the original idea of F. Bianchini and C. Landry (members of the think tank Comedia) and the “urban renaissance” spirit of the British New Labour urban policies throughout the 1990s. If the debates around the creative city were mainly focused on issues of attractiveness, territorial marketing and industrial clusters, they forget the initial ingredients (intellectual postulate and national context) which were/are at the origin of the formulation of what was to become one of the most important urban models of the late twentieth century.

L’objectif de cet article est de revenir sur le contexte d’émergence du concept de ville créative en rappelant la proximité des thèses initialement défendues par F. Bianchini et C. Landry (membres du think tank Comedia) avec l’esprit qui animera les représentants du New Labour britannique lors de l’élaboration de leurs politiques de « renaissance urbaine » tout au long des années 1990. Si les débats autour de la ville créative se sont principalement focalisés sur les questions d’attractivité, de marketing territorial et de renouvellement des appareils productifs urbains (au profit des industries créatives), ils oublient les ingrédients initiaux (postulat intellectuel et contexte national) pourtant à l’origine de la formulation de ce qui deviendra l’un des plus importants modèles urbains de la fin du XXe siècle.

Cet encadré technique n’est affiché que pour les administrateurs
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Introduction

La « ville créative » constitue-t-elle, à l’instar de la ville moderne, de la ville classique ou de la ville régulière, une doctrine urbanistique à proprement parler (Novarina, 2017[1]Novarina G. (2017). « La ville durable : un nouveau référentiel pour l’action urbanistique », dans Delabarre M, Dugua B (dir.), Faire la ville par le projet, Lausanne, Presses Polytechniques et Universitaires Romandes, p. 267-287.) ? La réponse est très certainement négative. S’il est vrai que certains textes (ceux de Franco Bianchini et de Charles Landry en particulier) font œuvre de manifestes développant une vision de la société urbaine ainsi que toute une série de grands principes relatifs à son organisation, il n’existe pas à ce jour de figures opératoires capables d’éclairer praticiens et autres académiques sur les modalités d’agencement des tissus urbains, la distribution spatiale des fonctions et des infrastructures ou la promotion de telle ou telle forme susceptible de dessiner le projet de la ville créative. Certes, des outils tels que les quartiers culturels, les clusters créatifs ou encore la planification culturelle témoignent d’un réel affinement des initiatives pionnières. Pour autant, ils ne constituent pas un véritable référentiel de l’action urbanistique. Mais alors, comment expliquer le formidable cursus honorum de ce concept hérité du siècle dernier et toujours aussi âprement discuté dans le monde de l’urbanisme contemporain ?

Plutôt qu’une doctrine, la ville créative s’apparente à ce qu’Ola Soderstrom (2012[2]Soderstrom O. (2012). « Des modèles urbains “mobiles” », Urbanisme, n° 383, p. 43-45.) nomme un « modèle urbain », c’est-à-dire un ensemble de « morceaux choisis » de politiques urbaines – qu’il s’agisse d’éléments de stratégies, de méthodes, de procédures ou de slogans – principalement caractérisés par leur grande « mobilité » globale. De ce point de vue, force est de constater que la ville créative ne constitue ni une solution idéale qu’il s’agirait de reproduire fidèlement, ni un assortiment cohérent d’initiatives publiques ou privées, ni même un discours sur la ville qui fasse consensus au sein des sphères académiques, praticiennes ou politiques. Tout au plus, regroupe-t-elle un champ assez varié de politiques publiques, lesquelles ne sont d’ailleurs pas toujours convoquées conjointement par les collectivités locales qui pourtant s’en réclament. La ville créative fait ainsi partie de ces modèles urbains « qui recouvrent des aspects spécifiques de politiques urbaines en circulation sans être associées à une ville en particulier[3]ibid., p. 44. », tant leur essence repose avant tout sur la capacité des gouvernements urbains à hybrider localement « bonnes pratiques » et savoir-faire situés (Arab, 2007[4]Arab N. (2007). « À quoi sert l’expérience des autres : « bonnes pratiques » et innovation dans l’aménagement urbain », Espaces et sociétés, n° 131(4), p. 33-47.).

Il est vrai que l’épisode « Florida » (cf. encadré 1), au début des années 2000, aura crispé le débat autour de sa définition et, surtout, de son application concrète. Mais à l’évidence, l’énergie déployée (dans le monde universitaire d’abord, dans la société civile ensuite) à déconstruire les préconisations de cet « assistant à maîtrise d’ouvrage » global, eut été tout aussi nécessaire si, d’aventure, les commentateurs s’étaient penchés un peu moins sur l’idéologie et un peu plus sur l’hypothèse de départ. D’autant plus que le régime critique déployé à l’égard des thèses « néolibérales » de Richard Florida s’appuie le plus souvent sur un appareil idéologique « néomarxiste » qui me semble tout aussi contestable. La joute planétaire à l’encontre de ce consultant sans frontière n’aurait-elle pas interdit le débat de fond sur ce que pourrait être une « ville créative » ? C’est précisément l’objet de cet article.

Encadré 1. La thèse de la classe créative à l’épreuve de ses critiques

Richard Florida (2002[5]Florida R. (2002). The rise of the creative class and how it’s transforming work, leisure and everyday life, New York, Basic Books.) soutient que, dans la nouvelle concurrence mondiale, les métropoles qui « gagnent » la bataille de l’innovation sont celles qui parviennent à capter les membres de ce qu’il nomme la « classe créative », regroupant l’ensemble des travailleurs rémunérés pour leur capacité de création (scientifiques, ingénieurs, artistes, architectes, etc.), mais également pour l’intelligence qu’ils déploient dans la résolution de problèmes complexes (juristes, financiers, médecins, etc.). Dès lors, le principal enjeu pour les autorités locales serait de connaître les conditions à remplir pour attirer ces individus, plus encore que les entreprises qui les emploient (Florida, 2002[6]Op. cit., 2005a[7]Florida R. (2005a). Cities and the creative class, Oxford, Routledge., 2005b7[8]Florida R. (2005b). The flight of the creative class. The new global competition for talent, New York, Harper Collins.). Dans ce cadre, l’offre culturelle et l’atmosphère « bohème » des territoires jouent bien évidemment un rôle essentiel.

Le vigoureux débat scientifique qui a fait suite aux nombreuses publications de R. Florida n’a eu d’égal que le succès médiatique de ce dernier, entre-temps devenu consultant auprès de décideurs locaux fascinés par la mécanique rhétorique de l’universitaire (essentiellement dans le monde anglo-saxon). Depuis, les « erreurs » du discours de la classe créative ont été mises à jour (Levine, 2004[9]Lévine M. (2004). « La “classe créative” et la prospérité urbaine : mythes et réalités », Conférence « Villes, régions, monde, Montréal, INRS Urbanisation. ; Peck, 2005[10]Peck J. (2005). « Struggling with the creative class », International Journal of Urban and Regional Research, n° 29(4), p. 740-770. ; Roy-Valex, 2006[11]Roy-Valex M. (2006). « La “classe créative” et la compétitivité urbaine : culture et économie ou l’envers et l’endroit d’une théorie », dans Tremblay DG et Tremblay R (dir.), La compétitivité urbaine dans le contexte de la nouvelle économie, Québec, Presses de l’Université du Québec. ; Shearmur, 2006[12]Shearmur R. (2006). « L’aristocratie du savoir et son tapis rouge. Quelques réflexions sur les thèses de Richard Florida », dans Tremblay DG, Tremblay R (dir.), La compétitivité urbaine à l’ère de la nouvelle économie : enjeux et défis, Québec, Presses de l’Université du Québec, p. 285-303. ; Pilati et Tremblay, 2007[13]Pilati T, Tremblay DG. (2007). « Cité créative et district culturel : une analyse des thèses en présence », Géographie, économie, société, n° 9(4), p. 381-401. ; Darchen et Tremblay, 2008[14]Darchen S, Tremblay DG. (2008). « La thèse de la “classe créative” : son incidence sur l’analyse des facteurs d’attraction et de la compétitivité urbaine », Interventions économiques, n° 1(37), p. 1-16. ; Vivant, 2009[15]Vivant E. (2009). Qu’est-ce que la ville créative ?, Paris, PUF. ; Martin-Brelot et al., 2012[16]Martin-Brelot H, Grossetti M, Eckert D et al. (2010). « The spatial mobility of the “creative class”: a European Perspective », International Journal of Urban and Regional Research, n° 34(4), p. 854-870.) :

indices « bidons » (centres-villes analysés au moyen de statistiques couvrant les régions métropolitaines), imprécis (trop de champs professionnels gonflent les rangs de cette classe) et peu discriminants ;

usage déplacé du terme « classe » sensé désigner un groupe homogène susceptible d’agir en acteur collectif, alors qu’il ne s’agit là que d’une somme d’individus qui, au mieux, partagent certaines pratiques de consommation ;

corrélation statistiquement non fondée entre la présence de la classe créative et le développement économique des villes ;

vision restrictive de ce qui constitue le capital humain ;

et enfin caractère erroné de l’hypothèse — pourtant centrale — de l’ultra-mobilité spatiale et professionnelle des membres de la classe créative, lesquels demeurent enchâssés dans des réseaux économiques, sociaux et culturels fortement territorialisés.

R. Florida lui-même a récemment développé certaines critiques à l’égard de ses propres travaux, constatant que la traduction dans le champ des politiques publiques de ses recommandations a pu avoir des conséquences néfastes en matière de fragmentation sociospatiale et de gentrification, renforçant ainsi les inégalités au sein des espaces urbains centraux (Florida, 2017[17]Florida R. (2017). The new urban crisis: How our cities are increasing inequality, deepening segregation, and failing the middle class, and what we can do about it, New York, Basic Books.). Plus encore, des auteurs comme Pier Luigi Sacco, Guido Ferrilli et Giorgio Tavano Blessi (2013[18]Sacco P, Luigi F, Tavano Blessi G. (2013). « Understanding culture-led local development: A critique of alternative theoretical explanations », Urban Studies, n° 51(13), p. 2806-2821.) rappellent non seulement que les logiques de l’innovation demeurent largement tributaires de processus endogènes mais également que les logiques du développement territorial s’appuient assurément sur la culture, non pas instrumentalisée tel un objet de consommation mais bel et bien valorisée comme un levier de cohésion sociale susceptible de galvaniser la qualité de vie et, a fortiori, les niveaux d’innovation et de capabilité propres à une société locale donnée.

Mon objectif est de revenir sur le contexte d’émergence de ce concept en rappelant la proximité des thèses initialement défendues par F. Bianchini et C. Landry (membres du think tank Comedia) avec l’esprit qui animera les représentants du New Labour britannique lors de l’élaboration de leurs politiques urbaines tout au long des années 1990. Si les débats autour de la ville créative se sont principalement focalisés sur les questions d’attractivité, de marketing territorial et de renouvellement des appareils productifs urbains (au profit des industries créatives), ils oublient les ingrédients initiaux (postulat intellectuel et contexte national) pourtant à l’origine de la formulation de ce qui deviendra l’un des plus importants modèles urbains de la fin du xxe siècle. La représentation de la diversité culturelle, l’articulation entre soutien aux industries culturelles et développement urbain, la gestion des problématiques de sécurité et d’animation nocturne des espaces publics, la déprise commerciale et la réindustrialisation des centres urbains, la privatisation de la fabrique urbaine et le réquisitoire contre l’urbanisme thatchérien et, plus généralement, la critique de la conduite sectorielle des politiques publiques sont autant de sujets traités dès la fin des années 1980 par les tenants de la ville créative. Il me semble opportun d’y revenir afin de mieux saisir le décalage qui s’installera entre la carrière globale du modèle et l’ambition originelle dont il émane. Les politiques et axes stratégiques de la « renaissance urbaine » promue par le gouvernement Blair à la fin des années 1990 imprimeront certains des éléments caractéristiques de la vision de la ville défendue par les artisans de la ville créative sans pour autant s’en réclamer. L’histoire de ces allers-retours entre la production intellectuelle d’un think tank et celle des politiques publiques reste à faire mais constituera néanmoins l’un des points abordés. Enfin, il est important de souligner qu’outre la littérature grise, les documents, guides et autres écrits des membres de Comedia, l’article s’appuiera sur un entretien mené en 2014 avec F. Bianchini et C. Landry précisément sur les origines de la ville créative.

« It sounds good » : de l’allitération au modèle

C’est, semble-t-il, à la fin des années 1980 que l’expression apparaît pour la première fois, à l’occasion d’un Creative City Seminar organisé par le Conseil des Arts australien, la ville de Melbourne et le ministère de la Planification et de l’Environnement de l’État de Victoria (Grodach, 2017[19]Grodach C. (2017). « Urban cultural policy and creative city making », Cities, n° 68, p. 82-91. ; Bianchini, 2018[20]Bianchini F. (2018). « Reflections on the origins, interpretations and development of the creative city idea », dans Van Damme I, De Munck B, Miles A (dir.), Cities and creativity from the Renaissance to the present, New York, Routledge, p.175-196.). L’événement se déroule en septembre 1988 et réunit à Melbourne de nombreux acteurs issus pour la plupart des mondes de l’art, de la culture mais également de l’urbanisme et du développement urbain. Ensemble, ils discutent et échangent sur « les modalités d’intégration des préoccupations artistiques et culturelles dans la vie de la cité » (Yencken, 1988[21]Yencken D. (1988). « The Creative City », Meanjin, n° 47(4), p. 595.). Si, au final, le séminaire se focalise essentiellement sur l’intégration des politiques culturelles dans la planification urbaine — à travers notamment le rôle des grands équipements culturels — David Yencken (1988[22]Op. cit.), alors ministre, prononce un discours d’ouverture aux accents plutôt visionnaires : « A creative city must be efficient. It should be a city that is concerned with the material well-being of all its citizens, especially the poor and disadvantaged. But it must be much more than that. It should be at the one time an emotionally satisfying city that stimulates creativity among its citizens ».

Rappelons néanmoins qu’à ce stade, l’expression « ville créative » ne véhicule ni perspective académique, ni ambition pratique bien stabilisée. Au mieux, renvoie-t-elle à une intuition, certes bien formulée, mais surtout séduisante. C’est, ainsi que l’affirme F. Bianchini, une « allitération attractive », « un effet de style qui sonne bien » (entretien, 4/12/2014) et qu’il n’hésitera d’ailleurs pas à employer lui-même avec son collègue et ami C. Landry, alors directeur de Comedia[23]Fondée en 1978 par Charles Landry, Comedia (résultat de la contraction entre « communication » et « média ») se présente à la fois comme un think tank, une maison d’édition (rachetée par Routledge en 1988) et une société de consulting. Si, au début des années 1980, ses activités se concentrent essentiellement sur l’application de méthodes d’identification et d’analyse des « ressources culturelles » nécessaires au développement des industries culturelles (aujourd’hui de l’économie créative), Comedia s’orientera la décennie suivante vers les questions relatives à la vie et aux politiques urbaines à travers l’articulation culture/créativité. Les années 2000 seront marquées par toute une série de travaux explorant l’urbanisme, l’interculturalité et le numérique., pour intituler l’un des premiers rapports que les deux hommes signeront conjointement, « Glasgow : the creative city and its cultural economy » (Landry et Bianchini, 1990[24]Landry C, Bianchini F. (1990). « Glasgow: the creative city and its cultural economy », Glasgow Development Agency.). Bien qu’initialement anecdotique, cet emprunt originel marquera les auteurs qui, tout au long de la décennie suivante, s’efforceront d’édifier un véritable corpus théorique et méthodologique. De fait, quand bien même la première formulation officielle de la ville créative aurait été australienne, c’est principalement en Europe qu’elle se développera, s’épaissira et s’affirmera au gré des nombreux travaux (études, rapports, monographies, ouvrages et pamphlets[25]La liste complète est disponible en ligne), colloques et séminaires menés par Comedia[26]Pour une généalogie précise de ces différents travaux et évènements professionnels, voir Bianchini (2018, op. cit.).. L’abondante production du think tank, fort de son savoir-faire d’éditeur, n’est d’ailleurs pas étrangère à la rapide popularisation de la ville créative. À cheval entre les sphères académiques et praticiennes, ses artisans ne cessent d’occuper la place publique.

Soulignons également le compagnonnage intellectuel de STADart[27]STADart est un organisme de recherche-action indépendant spécialisé dans la planification régionale et le conseil au développement des industries culturelles et créatives. Fondé en 1990 par Ralf Eben et Friedrich Gnad, STADart collaborera à de maintes reprises avec Klaus Kunzmann, professeur d’urbanisme et de planification à l’université de Dortmund, très impliqué dans la diffusion des débats autour de la ville créative en Allemagne, en Europe et, aujourd’hui, en Asie., société de consulting allemande implantée dans la Ruhr, région industrielle alors en pleine mutation. En 1994, Comedia et STADart organisent un important colloque intitulé « Creative city. British and German response to urban change ». La rencontre a lieu à Glasgow, ancien bastion industriel écossais gratifié quelques années auparavant du prestigieux label de « Ville européenne de la culture », et réunit une dizaine de villes britanniques (Bristol, Glasgow, Huddersfield, Leicester, Milton Keynes) et allemandes (Essen, Cologne, Dresde, Unna, Karlsruhe). Il en résultera deux publications majeures : l’une retraçant la teneur des débats tenus à l’occasion du colloque, The creative city in Britain and Germany (Landry et al., 1996a[28]Landry C, Bianchini F, Ebert R et al. (1996a). The Creative City in Britain and Germany, Anglo-German Foundation.) ; l’autre, aux accents plus pamphlétaires, jetant les premières pierres du modèle de la ville créative, The creative city (Bianchini et Landry, 1995[29]Bianchini F, Landry C. (1995). The creative city, Demos.). Si les ouvrages se complètent, ils abordent néanmoins deux sujets différents :

le premier s’efforce d’identifier à travers un certain nombre de grands questionnements. Quelles sont les motivations qui poussent les acteurs urbains à initier des politiques créatives ? Existe-t-il des villes plus créatives que d’autres ? Qu’appelle-t-on au juste une ville créative ? – l’ensemble des facteurs susceptibles d’influencer le développement de stratégies urbaines créatives. Sont alors pointées la qualité des infrastructures éducatives, de recherche et de communication ; la capacité d’un gouvernement urbain à identifier un problème, à le résoudre voire à le dépasser ; et la capacité des décideurs politiques à s’émanciper des normes en vigueur et à épouser les solutions créatives sécrétées de manière endogène ailleurs que dans leurs administrations ;

le second ouvrage se penche plus spécifiquement sur la manière dont la créativité — jusqu’ici essentiellement traitée dans le cadre de la sociologie des organisations ou de la recherche en psychologie — pourrait être transférée dans le champ des politiques urbaines. L’essai, publié en 1995, conclut d’ailleurs sur une présentation non exhaustive d’expériences de créativité en milieu urbain qu’un autre ouvrage The art of regeneration. Urban Renewal through Cultural Activity (Landry et al., 1996b[30]Landry C, Greene L, Matarasso F, Bianchini F. (1996). The art of regeneration: urban renewal through cultural activity, Londres, Comedia.), publié l’année suivante, viendra étayer[31]Notons que ces deux publications seront éditées par le think tank Demos, dont l’influent directeur, Geoff Mulgan, proche de Comedia depuis le milieu des années 1980, deviendra chef de cabinet auprès du Premier ministre lors de l’élection de Tony Blair en 1997..

C’est ainsi qu’au cours des années 1990, l’expression « ville créative » évolue progressivement en un véritable concept, lequel se forge au croisement de deux patrimoines intellectuels distincts : celui de C. Landry, « activiste social et culturel », « libertarien de gauche » et « entrepreneur intellectuel » (entretien, 4/12/2014), à la fois proche des idées du Labour et fortement impliqué dans le monde de l’édition alternative et radicale ; et celui de F. Bianchini, politiste italien spécialisé dans l’histoire des politiques culturelles britanniques et théoricien reconnu du cultural planning. Du reste, tous deux partagent la même curiosité culturelle et artistique, un réel ancrage à gauche et une « conviction européenne » chevillée au corps[32]Franco Bianchini, toscan d’origine, trouvera en 1992 (durant son doctorat) un poste d’enseignant chercheur à l’université De Montfort de Leicester. Charles Landry, quant à lui, grandira entre l’Angleterre (Londres), l’Allemagne (Berlin) et l’Italie (Gênes) avant d’effectuer ses études en économie politique à Bologne (Italie), ville universitaire dont « l’identité singulière et l’énergie créative le marqueront à vie » (entretien, 4/12/2014).. Mus par un « optimisme palpable » nourri par l’excitation que procurent l’embryonnaire révolution digitale et le déclin progressif des conservateurs britanniques, les acolytes voient dans la ville créative l’occasion d’accomplir un projet « idéaliste et utopique » susceptible d’éclairer Le Labour, dont le retour au pouvoir semble de plus en plus plausible (Bianchini, 2018[33]Op. cit.). Mais c’est avant tout l’expérience londonienne en matière de politique culturelle[34]Laquelle expérience constituera d’ailleurs l’un des principaux cas étudiés par Franco Bianchini dans le cadre de sa thèse de doctorat soutenue en 1996 à l’université de Manchester et intitulée : « Cultural policy and political strategy: the British Labour Party’s approach to arts policy, with particular reference to the 1981-86 Greater London Council experiment ». qui cristallisera leur entente.

Culture et développement urbain :
l’expérience pionnière du Grand Londres

Entre 1981 et 1986, le Greater London Council[35]Structure métropolitaine du Grand Londres de 1965 à 1986. (GLC) est la première institution locale britannique à expérimenter l’articulation entre soutien aux industries culturelles, politiques (multiculturelles) de « représentation » des communautés (minorités ethniques, mouvements féministes, jeunes, classe ouvrière, etc.) et développement social urbain (Montgomery, 2007[36]Montgomery J. (2007). The new wealth of cities: city dynamics and the fifth wave, Londres, Ashgate. ; Arnaud 2008a[37]Arnaud L. (2008a). « Entre expérimentation culturelle et domestication économique : les ambiguïtés d’une médiation par l’art dans le carnaval de Notting Hill et le défilé de la Biennale de la danse de Lyon », Lien social et Politiques, n° 60, p. 91-103. et 2008b[38]Arnaud L. (2008b). Réinventer la ville. Artistes, minorités ethniques et militants au service des politiques de développement urbain. Une comparaison franco-britannique, Rennes, PUR.). Les édiles londoniens s’appliquent en effet à multiplier les aides et dispositifs d’assistance aux petites entreprises culturelles, voire aux initiatives individuelles ou communautaires. L’objectif affiché est de permettre la création de lien social et d’opportunités d’emplois à destination des populations marginalisées — à ce titre, l’exemple du carnaval de Notting Hill porté par la communauté noire afro-caribéenne est édifiant (Arnaud, 2008b[39]Op. cit.). Une telle démarche n’est évidemment pas indépendante du contexte politique de l’époque. En réalité, dès la fin des années 1970, la culture fait l’objet, à Londres, d’une instrumentalisation orchestrée par le Labour — avec à leur tête le maire Ken Livingstone, alors surnommé « Ken le rouge », en réaction notamment aux politiques conduites par le gouvernement Thatcher. Les idées mobilisées sont celles de « la Nouvelle Gauche Culturelle », fortement marquée par le marxisme culturel militant et les cultural studies (Arnaud, 2008a[40]Op. cit.). Résolument réfractaire à l’idéologie conservatrice, la New Left gagne rapidement du terrain au sein des grandes capitales industrielles britanniques (Birmingham, Manchester, Sheffield lui sont bientôt acquises) et plaide pour la mise en place de politiques urbaines antiracistes, centrées sur les besoins des groupes sociaux les plus fragiles mais également susceptibles de rendre visible la diversité culturelle, qu’elle s’exprime par la voie communautaire, activiste ou radicale. À Londres, ceci se double d’une volonté de « susciter un esprit civique partagé et un véritable sentiment d’appartenance à une communauté de destin » (Bianchini, 1987[41]Bianchini F. (1987). « GLC – RIP : Cultural Policies in London 1981-1986 », New Formations, n° 1, p. 32-44.). Dans ce contexte, les politiques culturelles participent « d’une stratégie culturelle plus vaste qui va de l’utilisation de services et d’événements culturels pour promouvoir la politique socialiste de la municipalité londonienne, à l’encouragement donné aux minorités culturelles pour développer leur propre système de production et de distribution sur le marché. Il s’agit ici de contribuer à une logique d’empowerment telle qu’elle fut développée dans les années 1960 par certains militants radicaux nord-américains, mais en mettant l’accent sur la défense et le maintien des cultures minoritaires (qui englobent ici tout autant les arts que les idées, les coutumes, les réseaux, les aptitudes et le langage d’un peuple) dans le cadre d’une stratégie politique rejetant l’accentuation, dans les sociétés modernes, de l’acculturation et de la perte » (Arnaud, 2008a[42]Op. cit., p. 95.).

Parmi les principaux instigateurs de cette nouvelle philosophie de l’action publique figure Nicolas Garnham. Tour à tour distributeur de films, metteur en scène, producteur puis directeur du British Film Institute, de 1973 à 1977, cet enseignant de l’École polytechnique de Londres gagne rapidement une réputation d’expert en matière d’économie politique et de politique publique de communication (Arnaud, 2008b[43]Op. cit.). Le fondement de sa réflexion tient au fait que le marché n’est pas hostile à la culture. Au contraire, c’est une manière efficace d’allouer des ressources et d’entériner des choix. Les politiques publiques peuvent et doivent utiliser le marché comme un moyen de distribuer biens et services culturels, de manière à s’adapter aux besoins de l’audience plutôt qu’en calquant les volontés des seuls producteurs. Ces réflexions seront opérationnalisées par le GLC dans un livre blanc publié en 1984, The London industrial strategy: The cultural industries. La production marchande de la culture y est présentée comme un processus sur lequel les pouvoirs publics peuvent et doivent apposer leur intervention. Cette politique de soutien aux industries culturelles s’adresse d’ailleurs tant au système productif qu’aux réseaux de distribution[44]Elle se traduit par une assistance financière et toute une gamme de services, depuis les conseils en management et en marketing, jusqu’à l’introduction des nouvelles technologies. Les subventions visent à développer des studios d’enregistrement dans les quartiers, des maisons d’édition indépendantes et des coopératives de distribution. Parmi les outils développés, la chaîne de production des industries culturelles demeure la plus intéressante (Montgomery, 2007, p. 58-60, op. cit.). En effet, ce cadre d’analyse montre comment s’opère le passage de la captation du matériau culturel à sa transformation en bien marchand. En se plaçant du côté de l’offre culturelle, il s’agit de déterminer comment, localement, s’enchaînent les différentes étapes, depuis l’évaluation de la demande jusqu’à la consommation du produit culturel : Demande – Conception – Production – Circulation et Distribution – Commercialisation – Consommation. Chacune de ces étapes fait appel à des systèmes d’acteurs différents, lesquels mobilisent des ressources qui leur sont propres. De même, les effets de territoire sont plus ou moins évidents d’une étape à l’autre. Ce type d’étude s’avère d’autant plus efficace qu’elle permet de renseigner avec finesse l’organisation locale du marché de l’emploi. (producteurs de films, éditeurs, maisons de disques, coopérative de distribution, etc.). L’objectif est triple : éviter la mainmise des oligopoles industriels sur les petits producteurs culturels tout en limitant leur dépendance financière à l’égard des institutions publiques et en favorisant leur créativité. Tel que l’énonce L. Arnaud, « en fondant le développement économique sur la justice sociale […], le GLC tente de faire émerger une industrie plus diverse culturellement et plus représentative des différentes minorités composant la ville[45]ibid., p. 90. ».

L’abolition du GLC en 1986 a lieu dans un contexte plus large d’éradication de l’opposition politique menée par le gouvernement conservateur de l’époque. Les initiatives de soutien aux industries culturelles ne disparaissent pas pour autant, elles se reformulent en dehors de Londres, dans certaines grandes villes comme Sheffield[46]Sheffield développe, dès le début des années 1980, un quartier des industries culturelles spécialisé notamment dans le secteur musical (Brown A, O’Connor J, Cohe S. (2000). « Local music policies within a global music industry: Cultural quarters in Manchester and Sheffield », Geoforum, n° 31, p. 437-451)., Glasgow, Cardiff ou Manchester[47]Manchester développera très tôt une réelle politique d’accompagnement des entrepreneurs culturels, notamment au sein du Northern Quarter. Cela se traduira par la mise en place, à la fin des années 1990, d’un Creative Industries Development Service (O’Connor J, Gu, X (2010), « Developing a creative cluster in a postindustrial city: CIDS and Manchester », The Information Society, n° 26(2), p. 124-136). (Bianchini et Parkinson, 1993[48]Bianchini F, Parkinson M. (1993). Cultural policy and urban regeneration: the West European experience, Manchester, Manchester University Press.). Elles sont portées par des structures résiduelles agissant en véritables antichambres du développement local, en dehors du monde académique, des cercles du gouvernement[49]Celles-ci agissent dans un contexte national qui leur est peu favorable, celui d’une centralisation accrue. Il leur manque le profil, l’ambition et les ressources (politiques, financières et intellectuelles) dont bénéficiaient le GLC, alors même que leurs missions se diversifient, ce qui contribuera d’ailleurs à ce que le volet économique prenne le pas sur les autres dimensions du développement des industries culturelles. et à la périphérie des collectivités territoriales. À cette époque, la question managériale monopolise bien des débats : comment acculturer artistes et entrepreneurs culturels aux nouvelles modalités économiques de la production marchande de la culture ? Et comment intégrer le développement des industries culturelles dans une refonte plus globale des politiques urbaines ? Savoir-faire qui fait appel à de nouveaux outils analytiques, mobilisant des connaissances alternatives à celles développées dans les milieux professionnels et artistiques traditionnels. La mise en place de ce type d’action publique locale nécessite une catégorie d’experts que l’université n’est pas en mesure de fournir. À la fois observateurs et acteurs du changement, la plupart d’entre eux proviennent d’une communauté finalement restreinte de consultants en développement culturel dont les membres de Comedia font partie. Leur légitimité se construit à travers leur travail d’intermédiation entre les structures pourvoyeuses de fonds pour le développement artistique (services de l’État, agences locales de soutien à la création, fondations, etc.) et les agences publiques de développement économique local.

La ville créative,
entre cultural planning et urbanisme culturaliste

Dans un article précurseur écrit en 1987, F. Bianchini, au terme d’une analyse exhaustive de ce qu’il nomme « l’urbanisme culturel à la londonienne », épilogue en invitant le Labour à se saisir des leçons toutes fraîches du GLC plutôt qu’à s’enliser dans une opposition stérile. Au travers de la question urbaine (politiques de transport public, piétonisation et accessibilité des espaces centraux, attention à la qualité des espaces publics), ce dernier ne manque pas de questionner plus globalement la gauche britannique sur sa vision de la société et les moyens qu’elle se donne pour lui donner corps : « Although the GLC’s ‘urban populism’ may have had some impact on certain areas of the party’s campaigning, however, it still has not become part of mainstream Labour thinking. Labour could, for example, attempt to develop a strategy for Britain’s cities that would incorporate a GLC-style cultural urbanism along with cheap transport policies and adequate planning measures to make public spaces more attractive – good lighting, the closing of parts of the city to motor traffic, the redecoration of buildings and streets, the provision of public transport late at night, and so forth. This could be important both in counteracting some of the Conservative right’s arguments about ‘making the streets safe’, privatization and even home entertainment and in projecting an image of the new society Labour wants to build. » (Bianchini, 1987[50]Op. cit., p. 115.).

Une telle interrogation ne constitue-t-elle pas le fondement de la démarche intellectuelle de Comedia ? Qu’est-ce qu’une ville créative, si ce n’est l’occasion de réconcilier d’un geste égal justice sociale, politique culturelle, planification et développement urbain ? D’aucuns qualifierait une telle démarche de cultural planning, ce dont C. Landry et F. Bianchini ne se cachent d’ailleurs pas, eux qui n’ont de cesse d’affirmer que « la ville créative n’est jamais que le cultural planning appliqué à la ville » (entretien, 4/12/2014). Dès la fin des années 1980, les deux hommes formulent le constat suivant : les politiques culturelles traditionnelles reposent principalement sur une conception esthétique de la culture (l’» art » en somme) et tendent généralement à poursuivre des objectifs sectoriels (la création de bibliothèques, de musées, de théâtres) tout en soutenant des formes d’expression artistique ou culturelle sélectives. À l’inverse, les tenants du cultural planning (Bianchini, 2013[51]Bianchini F. (2013). “”Cultural planning” and its interpretations”, dans Young G, Stevenson D (dir.), Research Companion to Planning and Culture, Aldershot.) — tel qu’il est défini et s’applique en Amérique du nord (depuis les années 1970) et en Australie (depuis le milieu des années 1980) — propose de valoriser les « ressources culturelles » présentes sur un territoire en les associant aux autres ressources disponibles, de manière à créer des opportunités de développement pour l’ensemble d’une population locale. Ainsi que l’affirme F. Bianchini, le cultural planning ne consiste pas en une « planification de la culture », mais bel et bien en « une approche culturelle (au sens anthropologique) de la planification et des politiques urbaines » (entretien, 4/12/2014).

Quand bien même il s’intéresse aux aspects spécifiquement culturels du développement urbain, le cultural planning adopte néanmoins les canons de la « planification territoriale stratégique » (Demazière et Desjardins, 2016[52]Demaziere C, Desjardins X. (2016). « La planification territoriale stratégiqueRiurba, n° 2.) : reposant sur l’implication d’une pluralité d’acteurs, son but est de générer les synergies nécessaires à la construction d’une vision collective et surtout partagée des orientations de développement territorial. En favorisant les coopérations entre opérateurs publics et acteurs privés, cette forme de planification recouvre un large spectre d’interventions visant à promouvoir la vie culturelle d’une ville (ou d’une région urbaine) tout en poursuivant des objectifs de nature environnementale, sociale et économique. En ce sens, le paradigme du cultural planning (Porrelo, 2006[53]Porrelo A. (2006). L’arte difficile del cultural planning, Venise, IUAV.) désigne un processus à la fois complexe, compte tenu de sa nature holistique et des nombreux effets de rétroaction qui le caractérisent ; relationnel, puisque l’efficience de la démarche repose en grande partie sur la qualité des réseaux qui œuvrent à sa réalisation ; planifié, parce qu’il est l’aboutissement d’une stratégie et d’un plan d’action cohérent ; et, enfin négocié, puisque son existence est le résultat de la contribution et du partage entre les acteurs dépositaires du plan stratégique. Aussi le cultural planning repose-t-il sur une acception large de la culture — entendue comme un mode de vie articulant habitudes, traditions et pratiques spécifiques à une société locale — et inclut de nombreux domaines d’activité : développement économique, santé, éducation, action sociale, empowerment, tourisme, urbanisme, loisirs et, bien sûr, création artistique. D’une certaine manière, il annonce la « fin des politiques culturelles », celles-ci perdant leur autonomie, leur spécification et leur différenciation, au profit d’une logique de transversalité se fondant désormais sur une dimension territoriale et non plus sectorielle de l’action publique (Ambrosino et Guillon, 2012[54]Ambrosino C, Guillon V. (2012). « Gouverner, consommer et produire. Les trois mondes de la ville créative », dans Saez JP, Saez G (dir.), Les nouveaux enjeux des politiques culturelles. Dynamiques européennes, La découverte, p. 95-105.).

D’un point de vue plus théorique, le cultural planning tire ses racines de ce que F. Choay (1970[55]Choay F. (1970). « L’histoire et la méthode en urbanisme », Annales. Économies, Sociétés, Civilisations, n° 25(4), p. 1143-1154.) nomme « l’urbanisme culturaliste », une tradition intellectuelle sensible aux leçons de l’histoire urbaine, à l’harmonie formelle caractéristique des cités anciennes et aux dimensions culturelle et communautaire de l’espace public. Les références mobilisées par F. Bianchini (dans ses écrits mais également lors de notre entretien) sont sans équivoque : le politiste de citer Camillo Sitte, Patrick Geddes, Jane Jacobs ou encore Lewis Mumford (Bianchini, 2013[56]Op. cit. et 2018[57]Op. cit.). Selon ses dires, la filiation entre la ville créative et cette famille de pensée urbanistique s’inscrit dans un double mouvement :

celui de la « gestion humaniste » des villes, défendu au début des années 1960 par Jane Jacobs mais largement inspiré des écrits de Geddes, Mumford ou de Sitte : ici, la ville, en tant qu’artefact, se présente tel un écosystème vivant composé d’éléments physiques, de dynamiques (économiques, culturelles, sociales, etc.) et de valeurs éthiques interagissant les uns avec les autres dans un flux naturel et constant ;

et celui de la « planification radicale » considérant que l’effort de projection urbaine exige une enquête exhaustive préalable (survey) portant autant sur le passé que le présent, tant il s’agit pour le planificateur de saisir le caractère original d’un territoire (ou d’une cité) afin, non seulement, d’en développer l’esprit mais également la logique propre. Aussi, planifier un tel écosystème revient avant tout à étudier l’entièreté des ressources dont il dispose[58]F. Bianchini (2013, op. cit.) évoque à maintes reprises le célèbre triptyque identifié par Geddes : « Folk », soit l’ensemble des formes d’expression culturelle ou spirituelle d’un groupe humain, ses traditions et, plus généralement, les activités sociales et tendances culturelles qui le caractérisent ; « Work », c’est-à-dire la pluralité des activités (formelles ou informelles) économiques qui occupe une population ; et enfin, « Place », à savoir l’environnement physique, la faune, la flore, la géologie et les conditions météorologiques propres à un lieu. et cette articulation complexe qui unit les hommes à leur environnement.

De la ville et de ses « milieux créatifs »

Mais bien qu’elle poursuive les ambitions croisées du cultural planning et de l’urbanisme culturaliste, la ville créative est cependant porteuse d’une perspective nouvelle, celle de la créativité (entretien, 4/12/2014) : « Cultural resources are the raw materials of the city… replacing coal, steel or gold. Creativity is the method of exploiting these resources and helping them grow. But, rather than focusing solely on community development, the creative city strategy likewise aims to exploit cultural resources to attract the highly skilled and flexible labor force that the Creative City needs » (Landry, 2000[59]Landry C. (2000). The Creative City: a toolkit for urban innovators, Londres, Earthscan Publications, p. XXIII.).

À cet endroit, C. Landry et F. Bianchini reconnaissent tous deux avoir été marqués par quelques auteurs « pionniers », selon eux, de la théorie de la ville créative, parmi lesquels figurent deux chercheurs de l’université de Lund (Suède), Ake Anderson et Guntar Törnqvist, l’urbaniste allemand Klaus Kunzmann et, surtout, le géographe anglais Peter Hall[60]Deux notices biographiques de la Revue Internationale d’Urbanisme sur « Sir Peter Hall, une figure de l’urbanisme » : Sykes O. « Devenir de l’urbanisme et des urbanistes » [En ligneEn ligne (entretien, 4/12/2014 ; Bianchini, 2018[61]Op. cit.). Des deux premiers, ils retiennent la notion de « milieu créatif » (Törnqvist, 1983[62]Törnqvist G. (1983). « Creativity and the Renewal of Regional Life », dans Buttimer A (dir.), Creativity and context: A seminar report (Lund Studies in Geography. B Human Geography, No 500), Lund, Gleerup, p. 91-112. ; Andersson, 1985[63]Andersson A. (1985). « Creativity and Regional Development », Papers of the Regional Science Association, n° 56, p. 5-20.), désignant un ensemble d’individus et d’institutions capables d’innovation (dans le champ de l’art, de la science ou des technologies) à condition que soient réunis un certain nombre de facteurs — de « ressources » pourrait-on dire — tels que la stabilité financière, l’efficacité des infrastructures de transport et de communication ainsi qu’une certaine incertitude quant à l’avenir technologique et scientifique d’une époque. Du troisième, ils retirent une collaboration fructueuse (cf. section précédente sur les travaux menés avec STADart) mais également quelques leçons tirées des récentes évolutions de la Ruhr, marquée par la mutation soudaine de son économie manufacturière traditionnelle au profit d’industries et de services spécialisés dans les hautes technologies, largement moteurs des transformations urbaines locales. Enfin, du dernier, ils héritent de « la légitimité académique » nécessaire, pensent-ils, à leur entreprise intellectuelle. Figure nationale, bien connu des cercles politiques et praticiens, Peter Hall entreprend dès la fin des années 1980[64]Moment où C. Landry le rencontre pour la première fois, à l’occasion d’une recherche portant sur Londres en tant que ville mondiale. d’écrire un ouvrage séminal compilant rien moins que l’histoire urbaine de la créativité et de l’innovation à travers une triple lecture géographique, culturelle et économique des grandes « villes créatives » occidentales — expression qu’il reprendra à son compte — et ce depuis l’Antiquité. Il en résulte une œuvre monumentale, Cities in civilization (Hall, 1998[65]Hall P. (1998), Cities in Civilization, Londres, Pantheon Books.), dont la publication devancera de quelques mois celle de C. Landry (2000[66]Op. cit.), The creative city. A toolkit for urban innovators. Bien que les deux ouvrages suivent des chemins différents, une même question les anime : comment expliquer la nature proprement urbaine de la créativité individuelle ou collective des hommes ?

Dans son ouvrage, P. Hall retrace les trajectoires de plusieurs villes qui, à un moment donné de leur évolution, ont été des centres de création artistique et d’innovation technologique majeurs. L’auteur rappelle que les métropoles demeurent avant tout des territoires cosmopolites où se multiplient, plus qu’ailleurs, les stimulations sensorielles, notamment interindividuelles, tant le brassage des populations y est intense. Non seulement elles favorisent et permettent les expérimentations culturelles ou comportementales les plus originales, mais ce sont également des lieux où s’inventent et se renouvellent les modes et les goûts, les manières de percevoir le monde et d’en faire partie. À ce titre, les âges d’or urbains apparaissent bien souvent comme des époques de grande connivence entre artistes, mécènes et collectionneurs, en accord avec de nouveaux modes de représentation de l’expérience sensible.

Selon P. Hall, la créativité est inextricablement liée à des milieux urbains spécifiques — sur ce point, il s’accorde avec Andersson et Törnqvist. En se référant au milieu artistique du philosophe H. Taine, il retient l’hypothèse d’une « température morale », à savoir « l’état général des mœurs et des esprits » qui permet à certains talents d’être florissants et à d’autres de disparaître. Les milieux créatifs sont le fait d’outsiders, c’est-à-dire de créateurs éprouvant le besoin de manifester leur désaccord face à un ordre culturel établi. Ils apparaissent chaotiques, inconfortables et structurellement instables, tous résultant de civilisations qui présentent le paradoxe d’être à la fois prospères et sujettes à des bouleversements sociaux majeurs. P. Hall pointe également l’occurrence géographique des « chaînes d’innovation » permettant à certaines villes de polariser les talents. À l’instar de l’innovation technologique, précise-t-il, la création artistique génère des structures sociales qui articulent territorialement solidarité et relations de confiance (tacites, institutionnelles et/ou contractuelles) entre plusieurs individus et organisations — à l’instar des milieux innovateurs ou des districts industriels. Au demeurant, c’est avant tout le « hasard relationnel » (serendipity), les rencontres fortuites et aléatoires et les contacts interpersonnels directs, que permettent les concentrations métropolitaines, qui mènent à la créativité. Reprenant à son compte cette idée, C. Landry (2000[67]Op. cit., p. 133.) insiste sur le fait qu’indépendamment des échelles impliquées (quelques bâtiments, un quartier, une ville voire une région), les milieux créatifs présentent « des infrastructures à la fois “hard” et “soft” génératrices des flux d’idées et d’inventions ». De tels milieux, poursuit-il, « consistent en une disposition physique où une masse critique d’entrepreneurs, d’intellectuels, d’activistes sociaux, d’artistes, d’administrateurs, d’étudiants opèrent dans un climat d’ouverture d’esprit et cosmopolite, et où les interactions en face-à-face permettent l’émergence d’idées, d’institutions, de services, d’artefacts et de produits originaux fondateurs d’un succès économique ».

Aussi la ville créative se présente-t-elle comme un lieu ouvert, un territoire propice à la structuration d’une organisation sociale spécifique où l’on valorise les innovations, l’imagination et les idées originales. Dans cette perspective, le potentiel de créativité d’un territoire dépend fortement de la densité des interactions cognitives et sociales qu’entretiennent entre eux différents porteurs d’intérêts (stakeholders) mus par une pensée intégrative — et non sectorielle ou indexée à une discipline — et la volonté d’établir des connexions entre différents types de savoirs (figure 1). Planifier et concevoir la ville créative nécessite donc des leaders d’opinions, des modérateurs et des communicants, des créateurs et des producteurs (d’art, de connaissances, d’informations), des citoyens engagés et des acteurs issus de la société civile, suffisamment éclairés et créatifs pour bousculer en retour une culture de la planification trop verrouillée et bureaucratique (Kunzmann, 2005[68]Kunzmann K (2005) « Creativity in Planning: a Fuzzy Concept? », Disp, 162, 3, p. 5-13.). Dans ce cadre, la question de l’urbanisme, « l’art de faire la ville » (Landry, 2006[69]Landry C. (2006). The art of city making, Londres, Routledge.) est centrale, car cette volonté de changer les rapports à la sphère économique — en mettant la créativité au service du développement local plutôt qu’en en exploitant la rente au profit de quelques-uns — passe nécessairement par une transformation radicale de la ville, désormais considérée comme générateur et miroir d’une expression culturelle protéiforme, et une attention particulière à la conception, la qualité et l’esthétique des espaces publics et collectifs. Plurivoque et sporadique, cette volonté de réformer n’est pas propre à Comedia, disons simplement que le think tank agit telle une caisse de résonnance que saura saisir le jeune gouvernement New Labour à la fin des années 1990.

Revitaliser la « vie sociale publique »

« Basilon was incredibly dead at night, nothing was happening, especially between 5.30 and 8 PM. I took a lot of photographs of this. It was obvious and I identified a problem. The reason I did it was because I was not from Britain; there was a sort of evidence. It’s just a simple thing. Somebody who comes from another country can observe certain things that the people there take for granted from nature. That was one of the very first studies which I talked about not only the night time economy but of the interval between the end of the working day around 5.30 and the beginning of evening activities » (entretien, 4/12/2014). C’est ainsi que F. Bianchini introduit les résultats de la première recherche qu’il fut amené à conduire pour le compte de Comedia (Landry et Bianchini, 1991[72]Landry C, Bianchini F. (1991). Out of hours. Improving public social life during and after working hour, Calouste Gulbekian Foundation.). Intitulée Out of Hours. Improving Public Social Life During and After Working Hour (1988-1991), celle-ci se focalise sur l’observation d’une douzaine de villes moyennes britanniques, parmi lesquelles Basilon, ville nouvelle située dans l’Essex, principalement caractérisée par l’absence « mortifère » de vie sociale et culturelle. Les résultats de l’enquête sont sans appel. Le rapport fait état, à l’échelle nationale, d’une « vie sociale publique » urbaine en déclin, dont voici les principaux symptômes :

un repli généralisé des individus sur la sphère domestique, une forte ségrégation urbaine et, plus globalement, un sentiment anti-urbain généralisé ;

une absence de vie nocturne, source de criminalité, et d’un sentiment de défiance renforcée par l’ultrafonctionnalisation des territoires urbains, clivés entre espaces résidentiels (suburbs), d’une part, et espace de travail (centre-ville), d’autre part ;

et une privatisation croissante des espaces publics particulièrement gangrénés par l’irruption (volontairement) non contrôlée d’opérateurs privés et d’objets commerciaux stérilisateurs (dont le mall est certainement le plus symbolique), ainsi que la recrudescence de systèmes de vidéosurveillance.

En substance, le rapport est un prétexte pour formuler une vive critique de la « ville thatchérienne » telle qu’elle se met en place depuis une dizaine d’années (au moment où s’écrit le document) : « Our analysis suggests that both the urban policy and the political philosophy of Thatcherism directly and indirectly hindered the development of urban public realms and public social life. Thatcherism inherited elements of the legacy of anti-urbanism, and felt ideologically uneasy with cities both as centres for the generation of new ideas, movements, and challenges to the status quo, and as places where the usefulness of the principles of collective provision and consumption of services is most manifest. However, insofar as Thatcherism had a model for the city of the future, this could be characterised as the recreation of the city as a private corporation, with an emphasis on the cost-effective delivery of services to its “consumers”, in some case accompanied by a limitation of opportunities for the public scrutiny of local authority activities. The worsening of social injustice and spatial segregation by social class, and a general deterioration of the urban quality of life — chiefly the result of chronic underinvestment in infrastructure and essential public services — are among the most serious consequences of the action of Thatcherism in the urban sphere » (Bianchini, 1990[73]Bianchini F. (1990). « The crisis of urban public social life in Britain: Origins of the problem and possible responses », Planning Practice & Research, n° 5(3), p. 4-8., p. 6.).

Un tel réquisitoire intervient dans un mouvement plus global de contestation, relayé dans les sphères universitaires mais également professionnelles. Parmi les principaux détracteurs de cette pratique de l’urbanisme figure notamment l’influent architecte-urbaniste londonien Richard Rogers. Sous l’ère Thatcher, indique-t-il, « la ville a été considérée comme une arène consumériste. L’opportunisme politique et commercial a empêché de maintenir l’accent du développement urbain sur la satisfaction des vastes besoins sociaux de la société et l’a reporté sur celle des besoins circonscrits des individus » (Rogers, 2000[74]Rogers R. (2000). Des villes pour une petite planète, Paris, Le Moniteur, p. 31.). Prenant appui sur l’exemple très décrié de la régénération des Docklands (Londres), ce dernier déplore l’attitude du gouvernement central de l’époque exclusivement motivé, à le lire, par la seule logique du marché et « du retour sur investissement[75]Ibid., p. 135. ». Dans cette course effrénée à la production urbaine, le complexe monofonctionnel l’a emporté sur l’espace public et les activités mixtes, « il en résulte une surabondance de bureaux agglutinés et un mélange au petit bonheur la chance d’aménagements commerciaux s’entremêlant à des grappes de logements[76]Ibid., p.137 ». L’architecte de conclure, « l’aménagement à court terme corrompt la chance de créer des quartiers vivants et des communautés durables[77]Ibid. ».

Nombre de commentateurs de l’époque s’insurgent alors contre ce qu’il convient de nommer la « ville néolibérale ». La production urbaine ne saurait se réduire aux représentations de l’urbanité véhiculées par les grands développeurs. En effet, fabriquer l’urbain ne se résume pas à valoriser des produits immobiliers aisément accessibles en voiture mais plutôt à promouvoir un ensemble de valeurs, un esprit de citoyenneté « dont l’espace collectif est le ciment » (Bianchini, 1988[78]Bianchini F. (1988). City centres, city cultures: the role of the arts in the revitalisation of towns and cities, Londres, Centre for Local Economic Strategies.).

À l’issue du rapport, les préconisations de Comedia vont d’ailleurs dans ce sens : « The crisis of Thatcherism opens up possibilities for a progressive re-imagining of urbanity. One of the central aspects of this task will have to be the formulation of strong arguments for the revitalisation of urban public social life and the public realm. (…) We highlighted the need to adopt the following strategies:
(i) a cultural animation strategy, supported by a public space strategy;
(ii) the introduction of town card schemes and the launch of a “what’s on in town” information strategy;
(iii) an urban design and traffic circulation review, with an emphasis on the need of pedestrians, rather than motorists;
(iv) a review of the provision of street lighting;
(v) an evening transportation strategy;
(vi) a city centre image campaign and integrated management strategy;
(vii) the re-establishment of sizeable, non-ghettoised residential communities in the city centre;
(viii) the development of a waterfront-based evening economy, and of a city centre-based black enterprise development strategy.
It is clear that, in order to coordinate such a multivarious programme of interventions, the discipline of urban planning itself will have to become more holistic, and more rooted in a cultural understanding of how cities are lived » (Bianchini, 1990[79]Op. cit., p. 7.).

Ville créative et renaissance urbaine, même combat ?

Globalement, l’ensemble de ces propositions anticipe de presque dix ans celles que sera amené à formuler le gouvernement New Labour dès la fin des années 1990. Non pas que C. Landry ou F. Bianchini aient tenu le crayon, simplement, force est de constater que les idées circulent et que les relais existent. En avril 1998, Richard Rogers, ami de Tony Blair, est sollicité par le vice-Premier ministre et secrétaire d’État à l’environnement, John Prescott, pour présider l’Urban Task Force (UTF). La mission de R. Rogers est de coordonner une commission d’experts, issus des secteurs privé et public, ainsi que de nombreux groupes de travail. Parmi les experts figurent notamment P. Hall dont on connaît désormais les travaux et la proximité avec l’équipe de Comedia. L’objectif de l’UTF est d’identifier les causes du « déclin urbain » en Grande-Bretagne et d’émettre « des recommandations et des solutions pratiques afin de renflouer démographiquement villes, cités et quartiers » (UTF, 1999[80]Urban Task Force. (1999). Towards an Urban Renaissance, Londres, HMSO., p. 5.).

Dans cette optique, l’Urban Task Force multiplie les déplacements dans différentes villes anglaises mais aussi européennes et nord-américaines. Le rapport final rendu par la commission et intitulé Towards an Urban Renaissance, foncièrement pro-urbain, fait état d’une certaine vision de la ville anglaise (Ambrosino et al., 2008[81]Ambrosino C, Novarina G, Sadoux S. (2008). « L’Urban Renaissance : la ville selon Richard Rogers ? », dans Fee D, Nail S (dir.), Vers une renaissance urbaine : dix années de politique travailliste de la ville, Paris, Presses de la Sorbonne Nouvelle, p. 19-33.). Les propositions qui en ressortent visent à rendre l’espace urbain attractif aux yeux des différentes populations susceptibles d’y travailler et de l’habiter. La ville est ici considérée comme une entité globale, un tout qui doit permettre les mutations économiques contemporaines tout en satisfaisant les besoins et aspirations de chacun. La qualité de vie apparaît dès lors aussi importante que celle des infrastructures. Au cœur de cette réflexion trône la question de l’urbanité. Marqué par sa jeunesse florentine, R. Rogers lui attribue une qualité caractéristique de la ville traditionnelle dense, « la ville à l’européenne » en somme. À cet égard, les propos de P. Hall sont évocateurs : « Bien sûr, Richard croit passionnément en la ville traditionnelle, et en ce qu’il considère comme la cité européenne. Fondamentalement, il n’aime pas la tradition de la banlieue anglaise. C’est sans doute parce qu’étant né à Florence, il voit les choses à l’italienne ! Quelques-uns de ses arguments sont cependant très justes. Il faut bien se rendre compte que la plupart des aménagements que nous avons réalisés au Royaume-Uni ne sont pas satisfaisants, à cause de leur très faible densité qui ne permet pas de supporter les coûts des réseaux de transport public. Les extensions périphériques typiques des petites villes du Sud de l’Angleterre, par exemple, ne sont pas desservies par les transports publics. Ce qui ne laisse aucun choix aux habitants et les contraint d’emblée à un certain mode de vie. Richard Rogers se bat contre cela, pour d’avantage d’urbanité[82]Propos recueillis par Thierry Paquot, le 2 novembre 2000 à Londres et traduits par Annie Zimmermann [En ligne ».

R. Rogers n’aurait-il pas adopté sans le savoir les principes de la ville créative ? Les villes, comme il se plaît à l’écrire, « rassemblent des énergies physiques, intellectuelles et créatives. C’est cette dynamique sociale et culturelle, bien plus qu’un équilibre esthétique né d’un projet urbanistique, qui constitue l’essence de la beauté urbaine » (Richard Rogers, cité dans Burdett, 1996[83]Burdett R. (1996). Richard Rogers : œuvres et projets, Paris, Gallimard., p.7.). Le défi « consiste à rompre avec un système qui considère que la technique et l’argent sont les instruments du profit (…) plutôt que des moyens mis au service de la justice sociale et de la protection de l’environnement[84]Ibid., p. 8. ». S’appropriant la dichotomie « espace d’esprit ouvert/espace d’esprit étroit » (Rogers, 2000[85]Op. cit., p. 26.) façonnée par Michael Walzer, R. Rogers propose une vision de la ville privilégiant la multiplicité des usages et l’accessibilité de son « public realm » (le domaine public), véritable « ciment d’une société urbaine[86]Ibid., p. 35. ». Car l’espace d’esprit ouvert, celui qu’il plébiscite, se prête naturellement « à croiser le regard des autres et à participer » ; square animé, rue pleine de vie, marchés, parcs et terrasses de café sont autant de lieux favorables à « la mixité des âges, des races, des cultures et des activités », au « mélange de communauté et d’anonymat, de familiarité et de surprise, et même à cette sensation d’excitation dangereuse » (Rogers, 2000[87]Op. cit., p. 36.). Enfin, la conviction profonde de R. Rogers, selon laquelle il existe un lien entre forme spatiale et comportement social — « la forme de la ville peut encourager une culture urbaine qui génère la citoyenneté », écrit-il (Rogers, cité dans Burdett, 1996[88]Op. cit., p. 21.) —, trouve ses racines dans les travaux de J. Jacobs, ceux-là même qui inspirent les tenants du cultural planning depuis les années 1960.

Un tel plaidoyer à la faveur d’un urbanisme multiculturel, cosmopolite et sensible à l’esthétique et au design urbain servira de toile de fond aux multiples projets de « quartiers culturels » et autres initiatives relevant de la culture-led regeneration tant plébiscitée par le gouvernement New Labour tout au long des années 2000 (DCMS, 2001[89]DCMS. (2001). Culture and creativity: The next ten years, Londres, Department of Culture, Media and Sport/ Stationery Office. et 2004[90]DCMS. (2004). Culture at the heart of regeneration, Londres, Department of Culture, Media and Sport/ Stationery Office.). Au demeurant, cette idée que la promotion d’espaces de consommation culturelle — à travers l’implantation de commerces, d’équipements et de restaurants spécialisés ou l’organisation d’événementiels et de festivals à destination des touristes, des populations urbaines et des membres d’une élite culturelle mobile — puisse constituer un levier de développement pour les territoires socialement et économiquement déprimés — et plus particulièrement ceux concentrant les communautés ethniques minoritaires — pose question (Evans, 2003[91]Evans G. (2003). « Cultural planning in East London », dans Miles M, Kirkham N (dir.), Cultures and settlements, Bristol, Intellect, p. 15-30.). Bien des sujets épineux sont éludés, parmi lesquels figurent le maintien de la mixité sociale dans les quartiers péricentraux soumis au processus de gentrification, la lutte contre le chômage des populations immigrées ou encore le traitement de l’insécurité (ou du sentiment qu’elle génère). C’est en tout cas le postulat de Graeme Evans, spécialiste de l’histoire du cultural planning (Evans, 2001[92]Evans G. (2001). Cultural planning: an urban rennaisance?, Londres, Routledge.) au Royaume-Uni : « Both Rogers and other advocates of the “creative city” (Landry, 2000; Hall, 1998) propose interventions based on forms of colonising settlement — such as the “reclamation” of brownfield sites, canalsides, and local markets — which facilitate gentrification by appropriating space for new urban experiences based primarily on consumption. These strategies do little to alleviate unemployment and urban distress, which are peripheralized » (Evans, 2003[93]Op. cit., p. 18.).

Réhabiliter le « public realm », promouvoir « la diversité, la vitalité et l’humanité de la vie quotidienne en ville » (Rogers, 2000[94]Op. cit., p. 27.), tels sont les préceptes qui inspireront la (ré)écriture des politiques urbaines britanniques, dont on ne peut imaginer qu’ils n’aient aucun lien avec les débats, idées et divers écrits dont il est question dans cet article. Bien évidemment, il ne s’agit là que de postures dont parfois le niveau de généralité rend aisée l’hypothèse d’une éventuelle connivence. Au demeurant, l’on peut a minima envisager qu’une telle proximité témoigne de l’esprit du temps, favorable aux discours sur la nouveauté, le changement et l’imagination.

Trajectoires, récits et interprétations de la ville créative

Une question reste néanmoins en suspens, qu’en est-il dans les faits ? La renaissance urbaine s’est-elle réalisée à la lumière des écrits de Comedia ? Il nous faut planter une dernière fois le décor pour apporter une réponse. Le passage au nouveau millénaire constitue une étape clé dans l’histoire de la ville créative. En effet, le début des années 2000 est marqué par la parution de trois ouvrages majeurs, lesquels constituent autant de bifurcations, de récits (Grodach, 2017[95]Op. cit.) et de fragments de politiques publiques présidant aux interprétations désormais multiples du modèle de la ville créative :

c’est d’abord la publication de l’ouvrage The creative city (Landry, 2000[96]Op. cit.), dont l’écho sera finalement timoré (entretien, 4/12/2014). D’une certaine manière, l’approche cultural planning qu’y développe C. Landry bride la réception de son contenu. C’est que l’époque est au slogan facile et aux recettes toutes faites ;

à cet égard, la publication de The rise of the creative class and how it’s transforming work, leisure and everyday life (Florida, 2002[97]Op. cit.) aura l’effet d’une bombe : non seulement l’ouvrage devient un bestseller global en l’espace de quelques mois mais, surtout, il éclipse le contenu du premier, en jouant notamment sur une confusion tenace consistant à présenter comme créatives les villes susceptibles d’attirer et de retenir les membres de la « classe créative ». Situation d’autant plus cocasse que les deux postulats sont aux antipodes l’un de l’autre : tandis que R. Florida émet l’hypothèse que la créativité n’appartient finalement qu’à un nombre limité d’individus (les « talents ») invitant ainsi les gouvernements à déployer un arsenal de politiques publiques visant justement à les polariser, C. Landry invite ces mêmes acteurs publics à considérer que tout un chacun est capable de créativité, l’objectif étant alors de créer les conditions de son expression, de sa captation et de sa transformation en innovations sociales, économiques ou culturelles bénéfiques à l’ensemble d’une communauté donnée ;

le dernier ouvrage paraît en 2001. Intitulé The creative economy: How people make money from ideas (Howkins, 2001[98]Howkins J. (2001). The creative economy: how people make money from ideas, Londres, Allen Lane.), il se consacre cette fois-ci à ce qu’il convient désormais de nommer l’économie créative. Écrit par un économiste, John Howkins, l’essai s’inscrit dans le débat initié par le gouvernement blairiste quelques années auparavant, alors qu’il consacrait les « industries créatives[99]Pour un éclairage passionnant sur le passage des industries culturelles aux industries créatives, voir Garnham N. (2005). « From cultural to creative industries », International Journal of Cultural Policy, n° 11(1), p. 15-29. » (en lieu et place des industries culturelles). Au regard des deux précédents récits de la ville créative, celui-ci se situe en porte-à-faux : d’une part, il réduit la créativité à un fait économique et industriel là où les pionniers de la ville créative entrevoient une capacité universelle ; d’autre part, il dément les postulats de base proposés par R. Florida rappelant que la créativité, à l’instar de l’innovation, procède d’un processus endogène et ne peut être le seul fait d’une « aristocratie mobile du savoir » (Shearmur, 2006[100]Op. cit.). Dans ce contexte, la ville créative se définit comme un territoire capable de pérenniser un savoir-faire industriel local et de mettre en place les conditions propices à l’émergence d’un milieu relationnel créatif au moyen de clusters et de quartiers spécialisés (Scott, 2006[101]Scott A. (2006). « Creative cities: conceptual issues and policy questions », Journal of Urban Affairs, n° 28(1), p. 1-17.).

Ainsi, la déclinaison opérationnelle de la ville créative s’accommodera-t-elle de l’échelle du quartier comme espace de programmation mais également de projet. Faute d’être en mesure de mettre en place une véritable stratégie de cultural planning à l’échelle urbaine, ce sont bien souvent les anciens territoires de l’inner-city qui ont fait l’objet d’une régénération, mettant les activités culturelles, artistiques puis créatives au cœur du processus de transformation urbaine souhaitée. Ce recentrage sur le quartier procède de ce que certains auteurs ont nommé la « quarterisation » de la ville (Bell et Jayne, 2004[102]Bell D, Jayne M. (2004). Conceptualizing the city of quarters. Urban villages in the contemporary city, Aldershot, Ashgate.), relevant à la fois d’une forme de marketing territorial mais également de sélection d’une échelle de projet pertinente. Sur le premier plan, c’est bien souvent l’idée de village urbain, de quartier culturel ou créatif qui est valorisé (Pollard, 2004[103]Pollard JS. (2004). « From industrial district to “urban village”? Manufacturing, money and consumption in Birmingham’s Jewellery Quarter, Urban Studies, n° 41(1), p. 173-193.). Sur le second, c’est autour des questions de design urbain et de spécialisation économique que se cristallisera la mise en œuvre de la ville créative (Vescovi, 2013[104]Vescovi F. (2013). Designing the urban renaissance. Sustainable and competitive place making in England, Dortrecht, Springer.).

Épilogue

Si l’étude des « policy transfers » (Mc Cann et Ward, 2011[105]Mc Cann E, Ward K. (2011). Mobile urbanism: cities and policymaking in the global age, Minneapolis, University Of Minnesota Press.) tend désormais à se concentrer sur la réception des modèles urbains plutôt que sur les modalités de leur diffusion (Soderstrom, 2012[106]Op. cit.), peut-être faudrait-il également rappeler que le décryptage du contexte d’émergence de ces mêmes modèles est au moins aussi important que leur traduction, interprétation ou déclinaison opérationnelle sous la forme de « bonnes pratiques ». Notre long détour par la genèse intellectuelle de la ville créative montre bien à quel point l’appareillage théorique initial ne saurait être réduit aux seules théories de la classe ou des industries créatives. Non pas qu’elles n’aient aucun lien, loin de là, simplement, le postulat de départ n’est pas le même. Marqués par le thatchérisme, C. Landry et F. Bianchini se sont efforcés de construire une alternative à un mode de faire dont ils ne partageaient pas l’ADN. La créativité s’est offerte comme une occasion de réinvestir la chose publique à l’aune du cultural planning. L’histoire des idées a en effet cela de réjouissant qu’elle offre le recul nécessaire à l’observation de la tectonique des paradigmes. Les chantres actuels de ces « villes en transition », peuplées de makers nomades biberonnés au do it yourself ne s’inscrivent-ils pas dans la continuité des initiatives pionnières menées par le Grand Londres il y a de cela un peu plus d’une trentaine d’années ? Gageons de la solidité de la cuirasse intellectuelle de la ville créative, ses artisans ayant certainement encore beaucoup de choses à nous apprendre.

Remerciements

Je tiens à remercier Vincent Guillon, directeur adjoint de l’Observatoire des politiques culturelles, avec qui j’ai mené, le 4 décembre 2014, un entretien riche et passionnant avec les deux fondateurs de la ville créative, Franco Bianchini et Charles Landry, entretien que je me permets de retranscrire ici ponctuellement pour les besoins de mon argumentation.


[1] Novarina G. (2017). « La ville durable : un nouveau référentiel pour l’action urbanistique », dans Delabarre M, Dugua B (dir.), Faire la ville par le projet, Lausanne, Presses Polytechniques et Universitaires Romandes, p. 267-287.

[2] Soderstrom O. (2012). « Des modèles urbains “mobiles” », Urbanisme, n° 383, p. 43-45.

[3] ibid., p. 44.

[4] Arab N. (2007). « À quoi sert l’expérience des autres : « bonnes pratiques » et innovation dans l’aménagement urbain », Espaces et sociétés, n° 131(4), p. 33-47.

[5] Florida R. (2002). The rise of the creative class and how it’s transforming work, leisure and everyday life, New York, Basic Books.

[6] Op. cit.

[7] Florida R. (2005a). Cities and the creative class, Oxford, Routledge.

[8] Florida R. (2005b). The flight of the creative class. The new global competition for talent, New York, Harper Collins.

[9] Lévine M. (2004). « La “classe créative” et la prospérité urbaine : mythes et réalités », Conférence « Villes, régions, monde, Montréal, INRS Urbanisation.

[10] Peck J. (2005). « Struggling with the creative class », International Journal of Urban and Regional Research, n° 29(4), p. 740-770.

[11] Roy-Valex M. (2006). « La “classe créative” et la compétitivité urbaine : culture et économie ou l’envers et l’endroit d’une théorie », dans Tremblay DG et Tremblay R (dir.), La compétitivité urbaine dans le contexte de la nouvelle économie, Québec, Presses de l’Université du Québec.

[12] Shearmur R. (2006). « L’aristocratie du savoir et son tapis rouge. Quelques réflexions sur les thèses de Richard Florida », dans Tremblay DG, Tremblay R (dir.), La compétitivité urbaine à l’ère de la nouvelle économie : enjeux et défis, Québec, Presses de l’Université du Québec, p. 285-303.

[13] Pilati T, Tremblay DG. (2007). « Cité créative et district culturel : une analyse des thèses en présence », Géographie, économie, société, n° 9(4), p. 381-401.

[14] Darchen S, Tremblay DG. (2008). « La thèse de la “classe créative” : son incidence sur l’analyse des facteurs d’attraction et de la compétitivité urbaine », Interventions économiques, n° 1(37), p. 1-16.

[15] Vivant E. (2009). Qu’est-ce que la ville créative ?, Paris, PUF.

[16] Martin-Brelot H, Grossetti M, Eckert D et al. (2010). « The spatial mobility of the “creative class”: a European Perspective », International Journal of Urban and Regional Research, n° 34(4), p. 854-870.

[17] Florida R. (2017). The new urban crisis: How our cities are increasing inequality, deepening segregation, and failing the middle class, and what we can do about it, New York, Basic Books.

[18] Sacco P, Luigi F, Tavano Blessi G. (2013). « Understanding culture-led local development: A critique of alternative theoretical explanations », Urban Studies, n° 51(13), p. 2806-2821.

[19] Grodach C. (2017). « Urban cultural policy and creative city making », Cities, n° 68, p. 82-91.

[20] Bianchini F. (2018). « Reflections on the origins, interpretations and development of the creative city idea », dans Van Damme I, De Munck B, Miles A (dir.), Cities and creativity from the Renaissance to the present, New York, Routledge, p.175-196.

[21] Yencken D. (1988). « The Creative City », Meanjin, n° 47(4), p. 595.

[22] Op. cit.

[23] Fondée en 1978 par Charles Landry, Comedia (résultat de la contraction entre « communication » et « média ») se présente à la fois comme un think tank, une maison d’édition (rachetée par Routledge en 1988) et une société de consulting. Si, au début des années 1980, ses activités se concentrent essentiellement sur l’application de méthodes d’identification et d’analyse des « ressources culturelles » nécessaires au développement des industries culturelles (aujourd’hui de l’économie créative), Comedia s’orientera la décennie suivante vers les questions relatives à la vie et aux politiques urbaines à travers l’articulation culture/créativité. Les années 2000 seront marquées par toute une série de travaux explorant l’urbanisme, l’interculturalité et le numérique.

[24] Landry C, Bianchini F. (1990). « Glasgow: the creative city and its cultural economy », Glasgow Development Agency.

[25] La liste complète est disponible en ligne.

[26] Pour une généalogie précise de ces différents travaux et évènements professionnels, voir Bianchini (2018, op. cit.).

[27] STADart est un organisme de recherche-action indépendant spécialisé dans la planification régionale et le conseil au développement des industries culturelles et créatives. Fondé en 1990 par Ralf Eben et Friedrich Gnad, STADart collaborera à de maintes reprises avec Klaus Kunzmann, professeur d’urbanisme et de planification à l’université de Dortmund, très impliqué dans la diffusion des débats autour de la ville créative en Allemagne, en Europe et, aujourd’hui, en Asie.

[28] Landry C, Bianchini F, Ebert R et al. (1996a). The Creative City in Britain and Germany, Anglo-German Foundation.

[29] Bianchini F, Landry C. (1995). The creative city, Demos.

[30] Landry C, Greene L, Matarasso F, Bianchini F. (1996). The art of regeneration: urban renewal through cultural activity, Londres, Comedia.

[31] Notons que ces deux publications seront éditées par le think tank Demos, dont l’influent directeur, Geoff Mulgan, proche de Comedia depuis le milieu des années 1980, deviendra chef de cabinet auprès du Premier ministre lors de l’élection de Tony Blair en 1997.

[32] Franco Bianchini, toscan d’origine, trouvera en 1992 (durant son doctorat) un poste d’enseignant chercheur à l’université De Montfort de Leicester. Charles Landry, quant à lui, grandira entre l’Angleterre (Londres), l’Allemagne (Berlin) et l’Italie (Gênes) avant d’effectuer ses études en économie politique à Bologne (Italie), ville universitaire dont « l’identité singulière et l’énergie créative le marqueront à vie » (entretien, 4/12/2014).

[33] Op. cit.

[34] Laquelle expérience constituera d’ailleurs l’un des principaux cas étudiés par Franco Bianchini dans le cadre de sa thèse de doctorat soutenue en 1996 à l’université de Manchester et intitulée : « Cultural policy and political strategy: the British Labour Party’s approach to arts policy, with particular reference to the 1981-86 Greater London Council experiment ».

[35] Structure métropolitaine du Grand Londres de 1965 à 1986.

[36] Montgomery J. (2007). The new wealth of cities: city dynamics and the fifth wave, Londres, Ashgate.

[37] Arnaud L. (2008a). « Entre expérimentation culturelle et domestication économique : les ambiguïtés d’une médiation par l’art dans le carnaval de Notting Hill et le défilé de la Biennale de la danse de Lyon », Lien social et Politiques, n° 60, p. 91-103.

[38] Arnaud L. (2008b). Réinventer la ville. Artistes, minorités ethniques et militants au service des politiques de développement urbain. Une comparaison franco-britannique, Rennes, PUR.

[39] Op. cit.

[40] Op. cit.

[41] Bianchini F. (1987). « GLC – RIP : Cultural Policies in London 1981-1986 », New Formations, n° 1, p. 32-44.

[42] Op. cit., p. 95.

[43] Op. cit.

[44] Elle se traduit par une assistance financière et toute une gamme de services, depuis les conseils en management et en marketing, jusqu’à l’introduction des nouvelles technologies. Les subventions visent à développer des studios d’enregistrement dans les quartiers, des maisons d’édition indépendantes et des coopératives de distribution. Parmi les outils développés, la chaîne de production des industries culturelles demeure la plus intéressante (Montgomery, 2007, p. 58-60, op. cit.). En effet, ce cadre d’analyse montre comment s’opère le passage de la captation du matériau culturel à sa transformation en bien marchand. En se plaçant du côté de l’offre culturelle, il s’agit de déterminer comment, localement, s’enchaînent les différentes étapes, depuis l’évaluation de la demande jusqu’à la consommation du produit culturel : Demande – Conception – Production – Circulation et Distribution – Commercialisation – Consommation. Chacune de ces étapes fait appel à des systèmes d’acteurs différents, lesquels mobilisent des ressources qui leur sont propres. De même, les effets de territoire sont plus ou moins évidents d’une étape à l’autre. Ce type d’étude s’avère d’autant plus efficace qu’elle permet de renseigner avec finesse l’organisation locale du marché de l’emploi.

[45] ibid., p. 90.

[46] Sheffield développe, dès le début des années 1980, un quartier des industries culturelles spécialisé notamment dans le secteur musical (Brown A, O’Connor J, Cohe S. (2000). « Local music policies within a global music industry: Cultural quarters in Manchester and Sheffield », Geoforum, n° 31, p. 437-451).

[47] Manchester développera très tôt une réelle politique d’accompagnement des entrepreneurs culturels, notamment au sein du Northern Quarter. Cela se traduira par la mise en place, à la fin des années 1990, d’un Creative Industries Development Service (O’Connor J, Gu, X (2010), « Developing a creative cluster in a postindustrial city: CIDS and Manchester », The Information Society, n° 26(2), p. 124-136).

[48] Bianchini F, Parkinson M. (1993). Cultural policy and urban regeneration: the West European experience, Manchester, Manchester University Press.

[49] Celles-ci agissent dans un contexte national qui leur est peu favorable, celui d’une centralisation accrue. Il leur manque le profil, l’ambition et les ressources (politiques, financières et intellectuelles) dont bénéficiaient le GLC, alors même que leurs missions se diversifient, ce qui contribuera d’ailleurs à ce que le volet économique prenne le pas sur les autres dimensions du développement des industries culturelles.

[50] Op. cit., p. 115.

[51] Bianchini F. (2013). “”Cultural planning” and its interpretations”, dans Young G, Stevenson D (dir.), Research Companion to Planning and Culture, Aldershot.

[52] Demaziere C, Desjardins X. (2016). « La planification territoriale stratégique : une illusion nécessaire ? », Riurba, n° 2.

[53] Porrelo A. (2006). L’arte difficile del cultural planning, Venise, IUAV.

[54] Ambrosino C, Guillon V. (2012). « Gouverner, consommer et produire. Les trois mondes de la ville créative », dans Saez JP, Saez G (dir.), Les nouveaux enjeux des politiques culturelles. Dynamiques européennes, La découverte, p. 95-105.

[55] Choay F. (1970). « L’histoire et la méthode en urbanisme », Annales. Économies, Sociétés, Civilisations, n° 25(4), p. 1143-1154.

[56] Op. cit.

[57] Op. cit.

[58] F. Bianchini (2013, op. cit.) évoque à maintes reprises le célèbre triptyque identifié par Geddes : « Folk », soit l’ensemble des formes d’expression culturelle ou spirituelle d’un groupe humain, ses traditions et, plus généralement, les activités sociales et tendances culturelles qui le caractérisent ; « Work », c’est-à-dire la pluralité des activités (formelles ou informelles) économiques qui occupe une population ; et enfin, « Place », à savoir l’environnement physique, la faune, la flore, la géologie et les conditions météorologiques propres à un lieu.

[59] Landry C. (2000). The Creative City: a toolkit for urban innovators, Londres, Earthscan Publications, p. XXIII.

[60] Deux notices biographiques de la Revue Internationale d’Urbanisme sur « Sir Peter Hall, une figure de l’urbanisme » : Sykes O. « Devenir de l’urbanisme et des urbanistes » [En ligne] ; Desjardins X. « un géographe en urbanisme, un urbaniste universitaire transformé par l’action » [En ligne].

[61] Op. cit.

[62] Törnqvist G. (1983). « Creativity and the Renewal of Regional Life », dans Buttimer A (dir.), Creativity and context: A seminar report (Lund Studies in Geography. B Human Geography, No 500), Lund, Gleerup, p. 91-112.

[63] Andersson A. (1985). « Creativity and Regional Development », Papers of the Regional Science Association, n° 56, p. 5-20.

[64] Moment où C. Landry le rencontre pour la première fois, à l’occasion d’une recherche portant sur Londres en tant que ville mondiale.

[65] Hall P. (1998), Cities in Civilization, Londres, Pantheon Books.

[66] Op. cit.

[67] Op. cit., p. 133.

[68] Kunzmann K (2005) « Creativity in Planning: a Fuzzy Concept? », Disp, 162, 3, p. 5-13.

[69] Landry C. (2006). The art of city making, Londres, Routledge.

[70] Op. cit.

[71] Op. cit.

[72] Landry C, Bianchini F. (1991). Out of hours. Improving public social life during and after working hour, Calouste Gulbekian Foundation.

[73] Bianchini F. (1990). « The crisis of urban public social life in Britain: Origins of the problem and possible responses », Planning Practice & Research, n° 5(3), p. 4-8., p. 6.

[74] Rogers R. (2000). Des villes pour une petite planète, Paris, Le Moniteur, p. 31.

[75] Ibid., p. 135.

[76] Ibid., p.137

[77] Ibid.

[78] Bianchini F. (1988). City centres, city cultures: the role of the arts in the revitalisation of towns and cities, Londres, Centre for Local Economic Strategies.

[79] Op. cit., p. 7.

[80] Urban Task Force. (1999). Towards an Urban Renaissance, Londres, HMSO., p. 5.

[81] Ambrosino C, Novarina G, Sadoux S. (2008). « L’Urban Renaissance : la ville selon Richard Rogers ? », dans Fee D, Nail S (dir.), Vers une renaissance urbaine : dix années de politique travailliste de la ville, Paris, Presses de la Sorbonne Nouvelle, p. 19-33.

[82] Propos recueillis par Thierry Paquot, le 2 novembre 2000 à Londres et traduits par Annie Zimmermann [En ligne].

[83] Burdett R. (1996). Richard Rogers : œuvres et projets, Paris, Gallimard., p.7.

[84] Ibid., p. 8.

[85] Op. cit., p. 26.

[86] Ibid., p. 35.

[87] Op. cit., p. 36.

[88] Op. cit., p. 21.

[89] DCMS. (2001). Culture and creativity: The next ten years, Londres, Department of Culture, Media and Sport/ Stationery Office.

[90] DCMS. (2004). Culture at the heart of regeneration, Londres, Department of Culture, Media and Sport/ Stationery Office.

[91] Evans G. (2003). « Cultural planning in East London », dans Miles M, Kirkham N (dir.), Cultures and settlements, Bristol, Intellect, p. 15-30.

[92] Evans G. (2001). Cultural planning: an urban rennaisance?, Londres, Routledge.

[93] Op. cit., p. 18.

[94] Op. cit., p. 27.

[95] Op. cit.

[96] Op. cit.

[97] Op. cit.

[98] Howkins J. (2001). The creative economy: how people make money from ideas, Londres, Allen Lane.

[99] Pour un éclairage passionnant sur le passage des industries culturelles aux industries créatives, voir Garnham N. (2005). « From cultural to creative industries », International Journal of Cultural Policy, n° 11(1), p. 15-29.

[100] Op. cit.

[101] Scott A. (2006). « Creative cities: conceptual issues and policy questions », Journal of Urban Affairs, n° 28(1), p. 1-17.

[102] Bell D, Jayne M. (2004). Conceptualizing the city of quarters. Urban villages in the contemporary city, Aldershot, Ashgate.

[103] Pollard JS. (2004). « From industrial district to “urban village”? Manufacturing, money and consumption in Birmingham’s Jewellery Quarter, Urban Studies, n° 41(1), p. 173-193.

[104] Vescovi F. (2013). Designing the urban renaissance. Sustainable and competitive place making in England, Dortrecht, Springer.

[105] Mc Cann E, Ward K. (2011). Mobile urbanism: cities and policymaking in the global age, Minneapolis, University Of Minnesota Press.

[106] Op. cit.