frontispice

Expertise locale et étrangère
en Palestine
Faiblesse, fragmentation et séduction
des pratiques urbanistiques

• Sommaire du no 6

Marco Chitti Faculté de l’aménagement, université de Montréal Daniel De Leo Dipartimento di Pianificazione Design e Tecnologia dell’Architettura, université La Sapienza, Rome

Expertise locale et étrangère en Palestine : faiblesse, fragmentation et séduction des pratiques urbanistiques, Riurba no 6, juillet 2018.
URL : https://www.riurba.review/article/06-modeles/palestine/
Article publié le 1er juil. 2018

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Marco Chitti, Daniel De Leo
Article publié le 1er juil. 2018
  • Abstract
  • Résumé

National and international urban planning experts in Palestine: Weakness, fragmentation and allurement

Based on direct experiences of the authors in Palestine, this paper offers a contribution about the circulation and exchange of knowledge in the framework of international cooperation in the urban planning field of practices. Six portraits-type (3 of local and 3 of international planners) are elaborated, for underlining planners’ attitudes seem related with the weakness and the fragmentation of current planning practices, frequently seduced by International models easy-to-apply. The aim is to discuss in a larger theoretical context for trying to overcome some current problems within a more aware and useful international cooperation practices in a conflict area where the role of international aid is crucial.

Cet article, basé sur les expériences de recherche et de terrain de deux auteurs en Palestine, offre un aperçu sur la circulation transnationale des connaissances, dans le cadre de la coopération internationale en urbanisme. À partir de six profils types de praticiens de l’aménagement (3 locaux et 3 internationaux), un milieu professionnel fragmenté et une pratique faible émergent ; cette dernière est souvent séduite par des solutions clés en main et est conditionnée par les logiques du conflit et de l’industrie de l’aide. L’objectif est de comprendre comment un usage plus sélectif et avisé de l’expertise étrangère pourrait améliorer la pratique locale vis-à-vis d’une situation de conflit, où le rôle de l’aide internationale est pourtant crucial.

Cet encadré technique n’est affiché que pour les administrateurs
post->ID de l’article : 4037 • Résumé en_US : 4053 • Résumé fr_FR : 4049 •

Introduction

Depuis plusieurs années, une littérature de plus en plus conséquente s’interroge sur le phénomène hétérogène que constitue la circulation transnationale d’idées, de pratiques et de modèles en urbanisme (Chitti, 2016[1]Chitti M. (2016). La circulation nord-sud de modèles, idées et pratiques urbanistiques. Capsules thématiques. Villes régions monde [En ligne). Dans le contexte contemporain, l’assistance technique, encadrée par les différentes institutions de l’aide au développement, apparaît comme une filière importante, quoique non exclusive, de circulation d’expertises urbanistiques, allant du « Nord global » aux pays du « Sud global » (Yiftachel, 2006[2]Yiftachel O. (2006). « Essay: re-engaging planning theory? Towards “South-Eastern” perspectives », Planning Theory, n° 5(3), p. 211-222.). Dans ce débat, l’objet et la nature de la circulation ont été souvent au centre de l’attention, même si le questionnement sur les formes de l’échange transnational s’avère compliqué et parfois infructueux, en raison d’un phénomène complexe et varié dans le temps et l’espace. Parallèlement, une attention grandissante aux acteurs de la circulation internationale et aux experts en particulier (Healey, 2010[3]Healey P. (2010). “The transnational flow of knowledge and expertise in the planning field”, dans Healey P, Upton R (dir.), Crossing Borders. International exchange and planning practices, New York, Routledge, p. 1-25. ; Verdeil, 2005[4]Verdeil E. (2005). « Expertises nomades au Sud. Éclairages sur la circulation des modèles urbains », Géocarrefour, n° 80(3), p. 165-169.) a fait émerger la volonté d’un regard plus poussé sur les pratiques réelles de terrain, permettant d’encadrer l’urbanisme « voyageur » non tant comme un ensemble de théories et de modèles au sein d’un mouvement transnational, mais plutôt comme une pratique professionnelle à l’international, fondée et alimentée des savoir-faire appliqués (Chitti, 2018[5]Chitti M. (2018). « L’assistance technique nord-sud en urbanisme : circulation de modèles ou circulation d’urbanistes ? », Les annales de la recherche urbaine, n° 113.). C’est de ce déplacement du regard des théories aux pratiques, de l’objet aux acteurs de la diffusion, que naît la nécessité de mieux connaître la pluralité des figures professionnelles qui animent l’action technique en urbanisme, dans le cadre de la coopération internationale ; l’expert international « free-lance », le coopérant structuré, la firme locale à vocation régionale et internationale, le professeur universitaire et praticien ou le fonctionnaire municipal, tous ces professionnels de l’aménagement au sens large du terme structurent le « petit monde » cosmopolite de l’assistance technique et de l’aide au développement[6]Le monde de l’aide au développement rassemble une grande variété de pratiques hétérogènes, promues par les institutions nationales et qui va de la construction des infrastructures à l’humanitaire, à l’assistance technique et institutionnelle, aux formes de financement et crédit, tel que bien expliqué par Rist G. (1996). Le développement. Histoire d’une croyance occidentale, Paris, Presses de Sciences Po, p. 31., gravitant autour des projets de renforcement de capacités et de transfert de connaissance Nord-Sud en urbanisme[7]Les termes « urbanisme » et « urbanistes » sont ici utilisés au sens large pour se référer à l’ensemble des pratiques de « gestion et conception de la ville », pour paraphraser Souami et Verdeil (2006), qui mobilisent de nombreuses figures professionnelles issues de différentes filières de formation en aménagement..

Cette réflexion est particulièrement significative en Palestine, un territoire fortement dépendant de l’aide internationale en matière d’aménagement de l’espace et gouverné par des pouvoirs publics très faibles. À cause de l’occupation militaire et du morcellement territorial, la Palestine constitue un cas limite de pratiques urbanistiques, naissant et se développant quasi-exclusivement sous le parapluie des institutions internationales et de l’expertise étrangère. C’est pour cette raison qu’il est primordial de comprendre la nature et les protagonistes de cette expertise internationale, ainsi que son impact sur les milieux professionnels locaux et sur les orientations des pratiques de planification urbaine en territoire palestinien. Dans le but de déchiffrer la façon dont les expertises internationales et locales se combinent pour donner vie à un milieu professionnel stratifié et pluriel, ainsi qu’à un champ d’action professionnel morcelé, nous allons essayer de dresser un portrait critique du contexte palestinien, cas exemplaire dans le cadre de la coopération internationale, du fait des particularités de son occupation militaire et civile mais aussi du conflit spatial que celle-ci engendre (Segal, Tartakover et Weizman, 2003[8]Segal R, Tartakover D, Weizman E. (2003). A civilian occupation: The politics of Israeli architecture, New York, Verso. ; Weizman, 2012[9]Weizman E. (2012). Hollow land: Israel’s architecture of occupation, London, Verso Books.) (§2). À partir de ce cadre interprétatif, nous allons brièvement illustrer, comparer et discuter six portraits-types, représentatifs de professionnels de l’aménagement, palestiniens et internationaux. Les parcours formatifs variés de ces derniers et la portée inégale de leurs réseaux personnels et de leurs champs d’action professionnels ont contribué à éclairer notre réflexion sur les flux d’expertise, ainsi que sur la construction de connaissances et d’actions contextuelles, tout en révélant les limites et la fragmentation de ce milieu transnational (§3). Ce panoramique raisonné, nourri par la pratique et la recherche des deux auteurs, est la base d’une série de réflexions sur l’état et les limites d’un monde professionnel qui peine à prendre en charge des défis urbains apparemment insurmontables, là où il y a nécessité, si l’on veut imaginer une perspective de développement et d’amélioration des conditions de vie, qui puisse aussi passer par une gestion intelligente des transformations territoriales (§4). Finalement, nous essayerons de comprendre comment il est possible d’aller au-delà du simple constat des limites évidentes d’une pratique urbanistique faible, incertaine et fragmentée, à l’ombre de l’expertise internationale et de l’occupation, pour imaginer des évolutions possibles et des perspectives plus prometteuses, grâce à une interaction différente entre expertise locale et internationale (§5).

Pratiquer l’urbanisme à « Aidland » : le cas limite de la Palestine

Dans un pays extrêmement dépendant de l’aide internationale comme la Palestine (figure 1), la pratique de l’urbanisme est mêlée de manière indissociable à la pratique du développement, car la coopération représente, de manière directe ou indirecte, le principal maître d’ouvrage pour les professionnels de l’aménagement, internationaux et locaux. Depuis la création de l’Autorité Nationale en 1993 et l’établissement d’une souveraineté palestinienne limitée sur une partie des territoires occupés en Cisjordanie et à Gaza (les zones « A » et « B » de l’accord d’Oslo (figure 2), de nombreux efforts ont été consacrés au développement d’outils de gouvernance territoriale. Le soi-disant « plan norvégien » (1994-1998), un exercice de planification à l’échelle régionale mené par une équipe de professionnels palestiniens et norvégiens, représente le premier exemple d’une longue série de plans et projets qui ont accompagné l’émergence progressive d’une pratique urbanistique locale, sous la direction des agences internationales (voir figures 3 et 4 pour un aperçu non exhaustif des acteurs et des projets). La Palestine peut donc être considérée comme un cas extrême d’urbanisme pratiqué intégralement dans le cadre de “Aidland”, pour utiliser l’expression de David Mosse (2011[10]Mosse D. (2011). Adventures in Aidland. The Anthropology of Professionals in International Development, New York, Berghahn.), soit un ensemble d’experts et de fonctionnaires locaux et internationaux, gravitant de manière plus ou moins structurée autour des institutions de l’aide au développement. Cette omniprésence de la coopération internationale dans la pratique urbanistique palestinienne produit un effet particulier sur les échanges professionnels et la circulation des connaissances, notamment en termes d’efficacité. D’un côté, elles encadrent le transfert des connaissances par de véritables « pratiques fétiches », qui finissent par contraindre l’autonomie professionnelle et les espaces d’innovation ; de l’autre, elles conditionnent lourdement les acteurs du milieu local de l’aménagement, en les pliant aux logiques et aux temporalités d’action mobiles et contradictoires de l’industrie de l’aide au développement, avec pour résultat un cadre d’action incertain.

Dans l’ensemble des actions que l’industrie de l’aide regroupe sous l’étiquette de « renforcement de capacités techniques et institutionnelles », les projets de développement tendent à proposer des modalités de transfert de connaissances par le biais de pratiques « fétiches », ne correspondant pas nécessairement aux besoins réels du monde professionnel local et en particulier du fonctionnariat municipal, aux prises avec la gestion quotidienne des problématiques urbaines. Des pratiques « à la mode », comme le training of trainers, les démarches participatives ou encore la mise en œuvre de systèmes SIG deviennent des incontournables, des must-have que tout projet de coopération internationale doit inclure pour être à la page des meilleures pratiques de l’industrie de l’aide. En planification urbaine, la prolifération de manuels à l’usage de praticiens est un exemple éclairant de pratique « fétiche ». Censés suppléer à la fois à un manque de savoir-faire technique et de méthodes formalisées, ils deviennent souvent des cages procédurales stériles et rigides ou, pire, des objectifs en soi (De Leo, 2013[11]De Leo D. (2013). Planner in Palestina, Milan, FrancoAngeli.). Toujours élaborés en anglais sous la supervision de consultants internationaux, le contenu et la structure de ces manuels est emblématique du paradigme de « solutions au Nord et de problèmes au Sud » qui caractérise l’action à l’échelle locale de l’aide au développement (Watson, 2009[12]Watson V. (2009). « Seeing from the South: Refocusing urban planning on the globe’s central urban issues », Urban Studies, n° 46(11), p. 2259-2275 [En ligne), laissant un arrière-goût paternaliste et néocolonial[13]Nous pouvons penser ici à des cas similaires, comme l’Irak, le Liban, la Jordanie, ou encore à « l’Helvétistan » (Azerbaïdjan, Turkménistan, Kirghizstan et Tadjikistan) évoqué par Laurent Demarta (Demarta L. (2012). « Les frontières de l’humanitaire », Hermès, n° 63, p. 190-195), dénonçant comment la Suisse se paie un statut de décideur économique mondial par son action humanitaire dans cette région du monde..

Dans ce contexte particulier de la coopération technique, il est très important de comprendre à quel point les logiques et les mécanismes de l’aide au développement influencent non seulement les dynamiques de structuration des milieux professionnels locaux, l’environnement de travail et les marchés professionnels, mais aussi les compétences et les expertises mêmes qui sont mobilisées dans l’action. À l’appui des donateurs internationaux, on assiste à une prolifération d’activités qui touchent à l’urbain et à la gouvernance territoriale, souvent encadrées dans des projets qui vont du renforcement institutionnel local au développement économique ou à la protection du patrimoine. Promus par une multitude d’acteurs institutionnels (coopérations bilatérales, agences internationales, ONG), ces projets sont souvent menés sans vérification scrupuleuse de leur nécessité réelle et sans aucune coordination entre les différents acteurs, mais plutôt en suivant des logiques contradictoires de visibilité, de positionnement stratégique au sein de la communauté de donateurs et de protection de niches d’expertise nationales (Dichter, 2003[14]Dichter TW. (2003). Despite good intentions: Why development assistance to the Third World has failed, Amherst, University of Massachusetts Press. ; Eyben, 2011[15]Eyben R. (2011). “The Sociality of International Aid and Policy Convergence”, dans Mosse D (dir.). (2011). Adventures in Aidland. The anthropology of professionals in international development, New York, Berghahn, p. 139-160.). Les moyens financiers mobilisés par ces donateurs sont importants et constituent souvent une source essentielle pour les institutions et les professionnels locaux engagés dans des projets d’aménagement. Ils sont cependant extrêmement volatiles, alors que l’attention et les priorités des bailleurs de fonds internationaux se déplacent en fonction d’orientations géostratégiques ayant très peu à voir avec les nécessités du terrain. Cette logique fragmentée est renforcée par la formule, très contestée mais persistante, de « l’aide par projet » (Lecomte, 1986[16]Lecomte B. (1986). L’aide par projet : limites et alternatives, Paris, OCDE.), qui encadre l’action dans des temporalités courtes et définies, scandées par le rythme de la gestion financière du projet et de l’impératif du décaissement, tout en négligeant les temps longs et indirects de l’action professionnelle et institutionnelle en urbanisme. Tous ces éléments favorisent chez les bénéficiaires locaux, qu’ils soient professionnels ou fonctionnaires élus, une attitude souvent opportuniste visant l’accaparement de subventions et de contrats lucratifs au détriment de l’engagement professionnel et de la responsabilité vis-à-vis de la chose publique. Parallèlement, l’accumulation de projets sans résultats tangibles et sans effets mesurables malgré les ressources investies finit par amplifier la condition d’incertitude personnelle et d’inefficacité professionnelle des urbanistes locaux, exacerbant leur difficulté à imaginer, concevoir et gérer les transformations territoriales sur le long terme, ce qui constitue pourtant la quintessence de la pratique urbanistique.

Si le morcellement, la fragmentation et l’inconstance sont des éléments récurrents de l’assistance technique dans tous les pays en développement, ils s’aiguisent dans cet état général de « suspension[17]“They will continue to feed the illusion of possible peace, while buttressing a “politics of suspension”, placing the status of Palestinians in a perpetual state of uncertainty” (Yiftachel O. (2005). “Neither two states nor one: The disengagement and “creeping apartheid in Israel/Palestine”, The Arab World Geographer/Le Géographe du monde arabe, n° 8(3), p. 125-129). » qui caractérise la Palestine, aux prises avec un conflit désormais séculaire. Les compétences des experts sont ici mises à l’épreuve de manière singulière, notamment à cause de l’immense incertitude liée à l’occupation militaire et à un processus de paix, dont l’issue paraît de plus en plus problématique. Cette précarité liée au manque de perspective sur le futur démotive et affaiblit toute action de planification urbaine, bien que celle-ci soit fondamentale pour accompagner les trajectoires de transformation et de développement local[18]En renvoyant à d’autres écrits et recherches des auteurs pour plus de détails, nous donnerons ici un aperçu des enjeux de la planification urbaine en Palestine : a) faiblesse de l’Autorité Nationale sur son territoire, due à la fragmentation territoriale imposée par l’occupation et cristallisée par les accords d’Oslo ; b) manque d’informations de base et de données statistiques fiables ; c) temps d’attente très longs pour obtenir une cartographie de base ; d) ressources limitées dans la gestion du quotidien et dans les interventions en dehors de projets ponctuels de la coopération internationale ; d) nombre réduit de figures professionnelles compétentes au sein des municipalités. (De Leo, 2013[19]Op. cit.). Il est donc important de remarquer à quel point l’action de renforcement de capacités en urbanisme menée par la coopération internationale finit paradoxalement par exacerber une forme de « décapacitation » des experts et des institutions locales (Nussbaum, 2011[20]Nussbaum MC. (2011). Creating capabilities, Harvard University Press.). Cette « décapacitation », inhérente au conflit spatial en cours, contraint l’émergence d’un champ d’action professionnel local, très exposé aux aléas, à l’opportunisme, voire à une certaine improvisation de la part des différents acteurs. Faute de résultats tangibles, la planification finit par devenir une fin en soi, alors même que l’objectif principal des efforts du gouvernement palestinien et des organismes de coopération internationale qui le soutiennent, semble être de produire, bonifier et perfectionner les différents outils réglementaires de planification spatiale et économique. Cependant, peu d’attention semble être portée aux effets réels que ceux-ci ont sur les transformations du territoire ainsi que sur l’urbanisation.

Six portraits d’urbanistes en Palestine

Ceux qui ont travaillé en Palestine en tant que professionnels et chercheurs dans le domaine de l’urbanisme, comme les deux auteurs de ce texte, ont eu l’occasion de croiser une « armée » très hétérogène de coopérants, d’universitaires et de professionnels de l’aménagement locaux et internationaux. Dans ce milieu professionnel complexe, opérant dans un contexte d’occupation et caractérisé par une forte présence de l’expertise internationale, l’étude des différents « profils professionnels » est donc essentielle, afin de mieux comprendre comment les différentes figures d’experts locaux et internationaux se situent à l’intérieur du champ professionnel de l’urbanisme en Palestine. Ces profils ont été analysés sous trois angles différents :

les parcours formatifs et professionnels très variés, ayant tous des racines communes dans la grande filière de l’ingénierie et de l’architecture. Ils comportent peu de formations spécifiques en aménagement, ainsi qu’une expertise en urbanisme acquise par la pratique de terrain ;

les réseaux, longs pour certains, courts pour d’autres, définissant l’ancrage des professionnels dans leur milieu et leur capacité à profiter d’un champ de réflexions et de savoirs plus ou moins élargis ;

les champs d’action et les horizons professionnels, à géographie locale et concentrés sur les préoccupations du quotidien ou, au contraire, inscrits dans une perspective transnationale et mobile.

Ces trois angles, inspirés des réflexions de Éric Verdeil (2005[21]Op. Cit.) et de Pierre-Yves Saunier (2005[22]Saunier PY. (2005). « Épilogue : à l’assaut de l’espace transnational de l’urbain, ou la piste des mobilités », Géocarrefour, n° 80(3), p. 249-253.) sur les expertises « nomades » et mobiles, ne couvrent certainement pas l’ensemble des contraintes de relations et d’aspects qui encadrent et façonnent l’action professionnelle. Cette action est évidemment fortement conditionnée par un jeu d’acteurs complexe et multiscalaire, mélangeant enjeux politiques locaux et positionnements géostratégiques, et dépassant le contrôle et la capacité d’action des professionnels. Ces trois angles d’analyse permettent néanmoins un point d’entrée sur le monde des « urbanistes coopérants » en Palestine, afin de mieux comprendre comment la structuration de réseaux et de connaissances, de lieux et d’occasions d’échange, de relations professionnelles et personnelles, d’enjeux linguistiques et d’horizons professionnels entament l’existence d’un échange fructueux et systématique des connaissances au-delà d’épisodes épars.

Ainsi, au risque de tomber dans des descriptions caricaturales et d’oblitérer l’immense richesse ainsi que la variété de parcours uniques et personnels[23]C’est pour cette raison que nous avons préféré dresser six portraits types au lieu de nous référer à des cas ou des projets spécifiques, l’objectif étant de montrer, à travers une abstraction et une généralisation de dynamiques, comportements et perspectives récurrentes chez les différents « urbanistes coopérants », les aptitudes et les situations qui, par leur nature même, conditionnent l’action de renforcement des capacités et la diffusion des connaissances., nous avons voulu analyser ces différents « types professionnels » au moyen de six portraits, qui, sans vouloir être exhaustifs, permettent néanmoins de dresser un panorama général du milieu de la coopération technique en urbanisme dans les territoires palestiniens occupés. Nous vous présentons donc trois portraits de professionnels de l’aménagement locaux ainsi que trois portraits de professionnels de l’aménagement internationaux, tous « urbanistes coopérants » au sens large, même s’ils le sont à différents titres. Cette distinction entre les deux types de portraits est certainement un peu simplificatrice, car la dichotomie de l’ici et de l’ailleurs ne concerne que la couleur du passeport et, comme on le verra plus bas, tous les professionnels rencontrés participent à des degrés différents à des réseaux à dimension locale et transnationale, comme l’ont déjà mis en évidence Nasr et Volait (2003[24]Nasr J, Volait M. (2003). “Introduction: transporting planning”, dans Nasr J, Volait M (dir.), Urbanism: imported or exported?, Chichester, Weley-Academy, p. xi-xxxviii.).

L’universitaire proche du monde de la coopération

Polyvalent mais sceptique, souvent retranché derrière la défense de ses monopoles cognitifs et relationnels, dans un contexte de ressources limitées.

C’est une figure pivot de l’urbanisme local qui, grâce à son prestige universitaire, participe à un grand nombre d’initiatives de coopération, souvent simultanément dans tout le pays, constituant des sources de rémunération professionnelles bien plus lucratives que son travail à l’université. La surexposition d’une telle pratique engendre un stress important. Il peine à aller au-delà de son rôle de point de référence exclusif des projets et communique rarement ses connaissances et compétences avec son cercle de collègues et de collaborateurs. Les apprentissages liés à son expérience de terrain sortent ainsi rarement du cadre personnel, malgré la volonté d’en sortir et les diverses tentatives de mise en œuvre d’outils et de techniques, dans le cadre de projets de planification urbaine. Cette tendance à travailler en vase clos est renforcée par un certain scepticisme vis-à-vis des hypothèses de construction de contextes collaboratifs orientés vers un apprentissage mutuel, ouvert à la fois au monde universitaire, aux institutions locales et nationales, au troisième secteur, ainsi qu’aux associations du monde professionnel. Ce scepticisme ferme donc la porte à des pratiques plus ouvertes et collaboratives qui, loin d’être des solutions miracles, constituent néanmoins des occasions d’échange et de coordination entre les différents acteurs de la planification urbaine. Ce type de professionnel a souvent derrière lui une série d’expériences à l’international, une maîtrise ou un doctorat obtenu dans une université européenne ou américaine lui ayant permis d’acquérir une approche interdisciplinaire, ainsi que des compétences linguistiques et une bonne connaissance de l’actualité liée aux débats internationaux, principalement du monde anglo-saxon. Ses relations, étoffées par son carnet d’adresses interuniversitaire, définissent de multiples réseaux forts et structurés, dont la portée est à la fois longue et courte. Ces professionnels constituent des figures élastiques, hybrides, à la fois à l’aise dans un contexte politique et professionnel local, ainsi que dans l’espace transnational des réseaux universitaires et de coopération, des conférences et des journaux académiques.

Le haut cadre technique au sein de l’administration publique

Mains liées, mais « cœur libre »

Il s’agit d’une figure professionnelle techniquement bien définie, à tendance monodisciplinaire et peu ouverte à l’international, même si elle a parfois étudié à l’étranger, en Occident ou dans le monde arabe. Le haut cadre technique travaille dans une municipalité importante ou dans un ministère à Ramallah. Souvent recruté dans le secteur privé, avec lequel il garde une forte relation, son recrutement dépend de son affiliation et de sa proximité politique. Dans l’interaction avec les professionnels de la coopération, il montre un vif intérêt à partager sa profonde connaissance du milieu local, issue d’une longue expérience et d’un système étendu de réseaux courts, alors que ses réseaux longs sont moins importants. Dans la richesse des échanges professionnels pèsent souvent les limites de connaissance de l’anglais et une certaine méfiance vis-à-vis des intervenants étrangers, due à l’inconstance de leur engagement et des échecs récurrents déjà vécus lors de projets de coopération. Cela n’empêche pas pourtant une forte volonté de profiter des espaces d’ouverture et des opportunités d’apprentissage que représentent les collaborations internationales. Toutefois, la fragmentation des échanges et des collaborations, souvent limités aux occasions formelles des projets de coopération (séminaires de formation, réunions d’information au bénéfice des coopérants, workshops, etc.), finit par renforcer chez ces personnages un sens de « décapacitation » et une certaine méfiance vis-à-vis des « professionnels de la coopération ». Somme toute, ces figures oscillent entre une revendication légitime de leurs propres compétences techniques et du droit à pouvoir élaborer de manière autonome leurs outils face aux solutions clés en main « parachutées » par les intervenants étrangers, et une difficulté réelle à mettre en jeu ses compétences face à l’inertie politique prégnante dans leur milieu.

Les techniciens « ordinaires » du fonctionnariat public

Prisonniers de la gestion du quotidien et de l’urgence, entre résignation et impuissance

Ces techniciens dits « ordinaires » sont avant tout caractérisés par une condition diffuse d’impuissance, ainsi qu’une véritable « tyrannie du quotidien » et de l’urgence, prévalant dans la gestion quotidienne des problèmes administratifs, dans un contexte de manque généralisé de ressources. Il s’agit d’un groupe varié, peu connu (et reconnu) par les acteurs internationaux, avec des formations disparates mais essentiellement locales et exclusivement techniques (arpenteurs, géomètres, spécialistes de SIG, etc.). Leurs réseaux sont quasi exclusivement courts, mais plus faibles et limités par rapport aux cadres. Ils montrent une certaine difficulté à s’affranchir d’une idée prévalente de la planification comme simple gestion du processus de transformation urbaine par des procédures bureaucratico-administratives : vérification des permis de construire, évaluation des subdivisions parcellaires, tracement des limites de propriétés, etc. Ils restent à l’écart de la vision globale inspirant les processus de planification avancée, pourtant en train de se développer en Palestine — comme le Strategic Development and Investment Planning (SDIP) for Palestinian Cities and Towns — développement qui reste le domaine d’action exclusif des deux précédentes figures professionnelles. Malgré leur important rôle de gérants des routines de la planification, ils peinent à prendre conscience de leur pouvoir d’action au niveau de l’application des nouveaux outils, alors que leur statut économique demeure fragile et leurs compétences peu valorisées au sein de l’administration publique. De plus, leur déconnexion des réflexions plus avancées de la pratique internationale se révèle manifestement, d’un côté, dans une certaine difficulté à maîtriser les formes et les modes de la représentation propre à l’urbanisme non réglementaire (comme les cartes thématiques et les visions stratégiques sous forme de diagramme) et, de l’autre côté, un refus de prendre en compte la dimension politique sous-jacente aux grands choix d’aménagement. Dans cet horizon très local, les réseaux de longue portée ouverts par la participation au projet de coopération internationale sont perçus comme de lointains mirages, mythifiés dans leurs capacités d’apporter des connaissances (et des technologies) supérieures et résolutives, vis-à-vis d’un contexte local dont les capacités techniques sont perçues comme limitées et arriérées.

Le professionnel international « free-lance »

Vétéran de l’assistance technique, gestionnaire de projet et véritable « courtier »

Formé dans son pays d’origine, ce professionnel a commencé à travailler dans le domaine de l’assistance technique par un cas fortuit, finalement devenu un choix de carrière. Avec le temps, il est devenu un véritable vétéran de la coopération internationale, construisant son profil et sa carrière à l’international sur les camps et élargissant son champ d’action « des égouts, aux parcelles assainies, jusqu’à la ville », pour paraphraser la fameuse formule d’Ernesto Nathan Rogers sur le travail du designer, « de la cuillère à la ville ». « Homme à tout faire » de l’urbanisme coopérant, il est devenu au fil du temps un gestionnaire, recruté pour organiser l’architecture d’un projet ou en gérer les phases délicates. C’est le « courtier », le « broker » (Mosse et Lewis, 2006[25]Mosse D, Lewis D. (2006). “Theoretical approaches to brokerage and translation in development”, dans Mosse D, Lewis D (dir.), Brokers and translators. The ethnography of aid and agencies, Bloomfield, Kumarian, p. 1-26.), qui se charge de mettre les partenaires locaux et internationaux autour d’une table et qui est capable de faire le lien entre les différents consultants et les acteurs institutionnels, grâce à ses connaissances techniques et à l’expérience acquise sur le terrain. Il est à l’affût des nouveautés et des débats qui se produisent dans les réseaux transnationaux et régionaux de l’urbain, comme les conférences Habitat et les white papers des agences internationales. Les années d’expérience, les frustrations et les échecs ont développé chez lui une profonde méfiance vis-à-vis des réelles possibilités des actions de renforcement de capacités et de l’aide au développement en général. Néanmoins, la précarité de son statut l’emmène sans cesse à la recherche de nouveaux contrats. Ne pouvant se passer d’aucun, par crainte de perdre position dans un marché aussi spécifique que restreint, il se partage entre plusieurs projets, jalonnés de voyages fréquents et de très courtes permanences. La portée de son réseau est extrêmement longue et courte à la fois. Il entretient de bonnes relations avec les responsables des agences internationales, qui le sollicitent souvent lorsqu’un projet nécessite son expertise, ainsi qu’avec une poignée d’experts internationaux, à la fois collègues et compétiteurs. Localement, son réseau se compose d’une élite professionnelle, gravitant autour des projets de coopération.

Le consultant étranger

« Touriste » de la coopération internationale, hyperspécialisé et tête de file dans sa niche professionnelle

C’est un expert étranger, souvent européen, qui a développé son expertise dans un domaine particulier, comme la gestion du patrimoine urbain. Architecte ou urbaniste de formation (les deux filières se confondent dans beaucoup de pays européens), il occupe souvent une position académique dans son pays d’origine et a construit, au fil des années, une longue carrière de consultant à l’international. Il travaille principalement pour des organismes internationaux, comme le PNUD (UNDP), l’UNESCO, la Banque mondiale, ainsi que pour des coopérations bilatérales. Son réseau professionnel s’est structuré autour de ses compétences spécifiques, principalement avec des professionnels européens reconnus dans le domaine. Il collabore avec des centres d’études à portée régionale, surtout autour de la Méditerranée, et participe à plusieurs initiatives thématiques organisées dans le cadre des programmes de coopération européens, comme EuroMed. Son ancrage dans le monde universitaire lui donne le prestige et les ressources pour cultiver des contacts personnels et académiques, dans les régions latines, francophones et arabes. Il est connecté à un cercle d’experts avec lesquels il collabore sur plusieurs projets et qui lui permettent de mobiliser, au besoin, toute une série de compétences techniques accessoires, du SIG urbain à la restauration. En Palestine, il a su développer une relation durable et amicale avec des acteurs importants du milieu professionnel palestinien très exposés à l’international, comme Riwaq, Decolonizing Architecture ou le Center for Cultural Heritage Preservation de Bethléem. Très sollicité grâce à un profil unique et une expérience inégalée dans sa niche d’expertise, il se partage de façon simultanée entre plusieurs projets et voyage fréquemment. Ses déplacements à l’étranger sont pourtant de courte durée, car ses multiples engagements ne lui permettent aucun séjour prolongé sur le terrain. À l’affût des nouveautés internationales, ses collaborateurs locaux filtrent et structurent une connaissance sélective du contexte local, qui reste celle d’un « touriste » occasionnel de la coopération technique.

Le jeune professionnel international

Un débutant dans le monde de la coopération, entre idéalisme, déception et frustration

Ces jeunes professionnels intègrent le monde de la coopération pour la première fois. Ils arrivent en Palestine en début de leur carrière, embauchés comme experts « juniors » dans un projet de coopération en aménagement. Dans la plupart des cas, cette expérience à l’étranger ne constitue pas leur premier contact avec l’urbanisme à l’international. Leur profil « cosmopolite » commence à s’esquisser dès leur formation universitaire, grâce aux programmes d’échange intra et extra-européens comme Erasmus et Erasmus-Mundus, puis se poursuit dans les premières phases de leur carrière, avec des stages au sein de diverses ONG. Certains en font même un choix initial de carrière, puisque depuis une dizaine d’années, des programmes spécifiques sur la coopération technique dans l’urbain sont offerts par plusieurs universités en Europe. Ces multiples expériences à l’international permettent à ces jeunes praticiens d’avoir des réseaux très étendus et très diversifiés géographiquement, même si encore peu développés comparés à leurs collègues plus expérimentés. Localement, leur réseau est initialement quasi inexistant, mais ils parviennent à tisser des liens restreints mais très forts, bâtis dans la quotidienneté du travail, avec leurs homologues locaux. Cela dit, ce type de réseau ne leur permet pas d’accéder aux plus hauts cadres et aux décideurs politiques. Pour ces raisons, le jeune professionnel de l’aménagement coopérant a une bonne connaissance des pratiques locales et internationales, ainsi qu’une certaine conscience des limites que l’application des théories et des outils de l’urbanisme développés en Occident rencontre dans les pays en développement. Toutefois, leur réalisme ne les empêche pas d’adopter une vision romantique et « missionnaire » de l’action, souvent exacerbée dans le contexte palestinien où une certaine sympathie, voire une militance ouverte pour la cause palestinienne, renforce une volonté d’œuvrer pour une amélioration des conditions existantes, typique du monde de l’aide au développement (Li, 2007[26]Li TM. (2007). The will to improve: Governmentality, development, and the practice of politics, Durham, Duke University Press.). Par contre, la déception causée par l’énorme écart entre ces attentes et les résultats quasi inexistants de la plupart des projets est souvent cause d’une grande frustration et d’un profond questionnement sur la réelle utilité de leurs propres actions en tant que « urbanistes du développement ». Si ce questionnement amène parfois jusqu’à l’abandon de la carrière dans la coopération après les premières expériences, il est également l’occasion d’une profonde réflexion sur les problèmes, les limites et la nature même de la pratique de l’urbanisme au « Nord », comme au « Sud ».

Agir dans un milieu fragmenté : une pratique faible

Ces portraits raisonnés, qui permettent d’illustrer des figures types de professionnels de l’aménagement en Palestine, montrent avant tout une grande variété de parcours professionnels et de formations (urbanistes, architectes, ingénieurs civils, arpenteurs-géomètres, conservateurs), avec une prévalence des filières techniques de base parmi les fonctionnaires locaux, ainsi qu’une très grande multidisciplinarité parmi les experts internationaux et l’élite restreinte de professionnels palestiniens. Cette variété est, en quelque sorte, sans surprise, au regard d’une similarité assez évidente dans les secteurs de l’aménagement des autres pays du Sud de la Méditerranée (Souami et Verdeil, 2006[27]Souami T, Verdeil E. (2006). Concevoir et gérer les villes. Milieux d’urbanistes du sud de la Méditerranée, Paris, Économica.) et de la genèse, longue et complexe, de l’urbanisme comme champ d’action professionnel et disciplinaire (Gaudin, 1987[28]Gaudin JP. (1987). « À l’avance, avec méthode. Savoirs, savoir-faire et mouvement de professionnalisation dans l’urbanisme au début du siècle », Sociologie du travail, n° 29(2), p. 177-197., 1989[29]Gaudin JP. (1989). « La genèse de l’urbanisme de plan et la question de la modernisation politique », Revue française de science politique, n° 39(3), p. 296-313.). En même temps, la Palestine atteste un certain retard dans la mise en œuvre de filières de formations spécifiques en urbanisme (Bulle, 2004[30]Bulle S. (2004). Apercevoir la ville : pour une histoire urbaine palestinienne, entre monde et patrie, sentiment et influences (1920-2002), Paris, EHESS.), le premier programme spécifique n’ayant été créé qu’en 2015 à l’université An-Najah de Naplouse. Ce manque de filière locale de formation contribue sans doute à la création d’un milieu local à deux vitesses, qui émerge des différents portraits : d’un côté, une « élite » professionnelle formée à l’extérieur et connectée aux réseaux internationaux, dont elle partage le discours, les connaissances et les pratiques, lui permettant d’accéder au marché lucratif de projets de développement ; de l’autre côté, une sorte de « prolétariat » professionnel, majoritairement constitué par les techniciens municipaux, « frôlant » les projets internationaux, en manque de moyens linguistiques ainsi que de connaissances théoriques et techniques pour dialoguer pleinement avec l’expertise internationale. De ce fait, les portraits précédemment présentés illustrent la façon dont ces professionnels tissent de nombreuses relations personnelles et professionnelles, constituant un terrain d’échange de connaissances à la fois riche et fécond (voir aussi Souami, 2005[31]Souami T. (2005). « Liens interpersonnels et circulation des idées en urbanisme. L’exemple des interventions de l’IAURIF au Caire et à Beyrouth », Géocarrefour, n° 80(3), p. 237-247., pour l’importance des relations interpersonnelles). Une fréquentation continue au fil des années permet aux professionnels locaux et internationaux de bâtir des relations robustes nourries par des collaborations, des échanges et des expériences qui, sur le long terme, constituent des opportunités fertiles, non seulement pour un simple échange, mais aussi dans la perspective d’une construction partagée des connaissances dans la pratique commune. Néanmoins, ces réseaux restent très souvent isolés et déconnectés les uns des autres, sans parvenir à créer une masse critique de savoirs et connaissances pratiques, adaptés aux enjeux complexes de l’aménagement en Palestine. Ce sont des réseaux émiettés, souvent basés sur des rapports personnels durant le temps d’un projet, incapables de s’articuler autour d’un lieu de partage structuré et continu, où chacun pourrait coopérer et échanger de manière systématique ses connaissances.

De cette manière, l’état de suspension ainsi que le flou politique et législatif entourant l’aménagement d’un territoire, dont les institutions sont affaiblies par l’occupation militaire et le morcellement territorial, sont paradoxalement exacerbés par l’intervention de la coopération internationale, censée lutter contre cette impuissance par son action de renforcement des capacités techniques et institutionnelles. Malgré les bonnes intentions et les efforts souvent sincères des opérateurs, les agences internationales finissent par contribuer à l’affaiblissement du milieu professionnel local de l’urbanisme, en apportant une forme de compétition externe, en fragmentant le marché de la consultation et en favorisant des actions incohérentes, isolées et contradictoires. Les règles et les exigences des projets de développement finissent par fragiliser les dynamiques des différents acteurs ainsi que les délais des projets divers, qu’ils sont pourtant censés promouvoir. La compétition géostratégique et le manque de coordination entre les agences internationales engendrent une multiplication d’exercices professionnels inefficaces et redondants, qui ne sont que très rarement mis en œuvre par la suite. Parallèlement, certaines logiques de gestion de projet, renforçant le primat des aspects managériaux (respect des délais, appréciation quantitative plutôt que qualitative des dépenses, évaluation des résultats sur le court terme) finissent souvent par contraindre l’action professionnelle et l’interaction entre experts locaux et internationaux, à l’intérieur d’une cage bureaucratique faite de termes de référence stricts, de calendriers serrés et rigides, d’occasions d’échange éparses et normées.

En parallèle, la stratification du milieu professionnel qu’on vient d’observer contribue à une effective « décapacitation » du contexte local car, d’un côté, les logiques professionnelles portent à une certaine fragmentation des réseaux et des opportunités d’échange et, de l’autre côté, l’accès à l’expertise internationale semble être le domaine de chasse exclusif d’une couche restreinte de professionnels locaux, capables d’intercepter et de bloquer la diffusion des connaissances et des opportunités, destinées aux fonctionnaires pratiquant l’urbanisme au quotidien dans les municipalités. On observe également que chaque nouvel arrivant international n’a souvent d’autre choix que de repartir de zéro, sans pouvoir compter sur les connaissances accumulées, confinées à ces micro-réseaux déstructurés, qui se frôlent sans pourtant se croiser. Cette fragmentation est la conséquence directe d’une compétition serrée pour obtenir fonds et contrats de consultation professionnelle de coopération internationale, dans un contexte de fragmentation territoriale et de conflictualité politique interne[32]Il suffit de penser à l’état d’isolement, non seulement du reste du monde, mais de leurs propres compatriotes en Cisjordanie, dans lequel opèrent les professionnels dans la bande de Gaza, à cause du véritable siège opéré par l’État israélien et du conflit politique entre Hamas et Al-Fatah.. Ici, il est impossible de ne pas évoquer la fameuse critique de Arundhati Roy (Roy, 2014[33]Roy A. (2014). « The NGO-ization of Resistance », Massalijn, September 4.) sur les ONG dans les pays en développement et sur leur rôle dissuasif vis-à-vis des capacités d’action des acteurs locaux, tant institutionnels que de la société civile. Alors que les interventions internationales sont censées promouvoir l’autonomie et l’agencéité des acteurs locaux, dans une logique de coopération et de non-substitution, elles finissent par transférer à ces acteurs une logique de compétition, liée à la recherche de fonds et d’opportunités professionnelles. La fragmentation du champ d’action local, ainsi que la présence intermittente et parfois opportuniste de l’expertise internationale qui en dérive, empêchent finalement la création de lieux et d’occasions, favorisant une réflexion critique et autonome au sein de la communauté des praticiens locaux. Cela est d’autant plus évident si l’on considère qu’à ce jour, en Palestine, il n’existe ni revue, ni ordre professionnel autonome, ni programme d’études supérieures, ni un doctorat qui puissent faciliter la coagulation des connaissances, émergeant d’une pratique pourtant très riche sur le terrain[34]La faiblesse du système de formation palestinien est effectivement un effet recherché de l’occupation militaire (Bartolomei E, Perugini N, Tagliacozzo C. (2010). Pianificare l’oppressione, Torino, Edizioni SEB27), ainsi que la raison principale d’une véritable hémorragie des jeunes cerveaux palestiniens..

Cette fragmentation territoriale et professionnelle a eu pour résultat une certaine faiblesse de la pratique locale, se traduisant notamment chez les fonctionnaires par une résistance significative vis-à-vis de l’exercice à la fois prédictif et prescriptif de l’urbanisme, alors qu’il prévaut chez eux une préférence pour la gestion simple des processus basilaires de la transformation urbaine. Cette prédilection pour la gestion de l’existant, au détriment d’une élaboration autour de possibles scénarios d’aménagement, semble, d’un côté, être la conséquence d’une appréhension, voire une véritable crainte, à entreprendre un exercice spéculatif sur le futur, face à l’incertitude caractérisée par l’occupation militaire et, d’un autre côté, la persistance d’une conception bureaucratique et dépolitisée du rôle de l’urbaniste, se prononçant de façon obsessive pour l’accumulation des « données objectives » et envisageant les outils géomatiques comme des solutions miracles.

On serait finalement tenté de placer cette analyse très contrastée du milieu de l’urbanisme palestinien dans la perspective d’une critique postcoloniale – ou même néocoloniale – où l’Occident continue d’imposer de manière indirecte ses modèles et sa vision néolibérale du développement (Rist, 1996[35]Rist G. (1996). Le développement. Histoire d’une croyance occidentale, Paris, Presses de Sciences Po.) dans le cadre d’une dépendance économique et technique, et grâce à la cooptation des élites locales (Ward, 2000[36]Ward SV. (2000). « Re-examining the international diffusion of planning », dans R. Freestone (dir.), Urban planning in a changing world, London, E & FN Spon, p. 40-60.). Toutefois, si le prisme néo/postcolonial permet sans doute de mettre en lumière le décor de l’action des urbanistes en Palestine sous la contrainte de rapports de pouvoir inégaux, il nous semble pourtant plus opportun de mobiliser ici la belle réflexion d’Albert Memmi (1979[37]Memmi A. (1979). La dépendance, Paris, Gallimard.) sur les contradictions inextricables qui lient le dépendant à son pourvoyeur, dans une relation de dépendance réciproque, source à la fois d’avantages et d’inconvénients pour l’un comme pour l’autre et, de fait, très difficile à faire évoluer. L’indéniable dépendance de la Palestine à l’aide internationale se concrétise dans un rapport contrasté entre urbanistes locaux et internationaux, où la nécessité d’une bienveillance de la communauté internationale de donateurs et une attraction parfois acritique pour les modèles internationaux coexistent, de manière apparemment contradictoire, le tout doublé d’un sentiment d’expropriation professionnelle, accompagné de récriminations quant à la compétition impropre vis-à-vis des experts étrangers et d’un certain scepticisme sur l’applicabilité réelle des connaissances et des techniques importées. Les entrevues et les échanges informels qui ont nourri cette réflexion révèlent dans toute leur puissance le sentiment ambigu de haine-amour, soit la complexe interdépendance entre urbanistes locaux et étrangers, qui caractérise aujourd’hui le milieu professionnel palestinien. Au vu de ce constat, il paraît donc difficile d’envisager un affranchissement progressif ou, du moins, un usage plus sélectif de l’expertise internationale.

Que faire pour améliorer la pratique de l’urbanisme
avec (et malgré) la coopération internationale ?

Comme nous l’avons dit, cet article résulte de la réflexion de deux chercheurs, mais surtout de deux praticiens qui ont pu expérimenter la faiblesse et la fragmentation de la pratique de l’urbanisme en Palestine. Ce travail de terrain nous a donc amenés à nous questionner sur les moyens à mettre en œuvre afin de créer une coopération technique plus fertile pour la pratique locale. En effet, nous pensons qu’il est fondamental d’aller au-delà d’une critique, théoriquement impeccable mais opérationnellement stérile[38]« Stérile », car si elle génère une certaine compréhension, elle est incapable d’inspirer l’action., au-delà des dynamiques de pouvoir et de dépendance qui conditionnent la pratique de l’urbanisme coopérant, au risque de formuler des hypothèses d’action relevant du vœu pieux. Il est donc naturel de se poser une question : que faire pour que l’apport de l’expertise internationale soit un soutien efficace vers une véritable capacitation de l’ensemble des opérateurs de l’urbanisme palestinien[39]La nécessité de fournir des pistes d’action en vue d’une action concrète s’insère dans une approche plus large prônée par le pragmatisme critique (De Leo D, Forester J. (2018). Reimagining planning. How Italian urban planners are changing planning practices, INU Edizioni), qui rappelle aux théoriciens de la planification l’existence d’un « dirty little secret: someone has to do the job! » ? Est-il possible de contribuer de l’extérieur à l’émergence d’un milieu local de l’urbanisme capable d’agir et de réfléchir sur l’urbain, en Palestine et ailleurs dans le sud du monde, sans engendrer à nouveau les effets collatéraux des « mauvaises pratiques » de la coopération internationale ?

Selon nous, l’enjeu principal s’articule autour de l’appropriation du pouvoir d’action par le milieu local, afin que celui-ci soit capable de mettre en œuvre de manière fructueuse les nombreuses compétences professionnelles locales et étrangères sur lesquelles il s’appuie. Ceci est essentiel dans le contexte palestinien, où la coopération reste indispensable pour garantir la faisabilité notamment financière des projets d’aménagement, qui promeuvent la qualité du cadre de vie et, plus généralement, renforcent le « droit à la ville sous occupation » (Alkhalili, Dajani et De Leo, 2014[40]Alkhalili N, Dajani M, De Leo D. (2014). « Shifting realities: dislocating Palestinian Jerusalemites from the capital to the edge », International Journal of Housing Policy, n° 14(3), p. 257-267.), actuellement peu respecté. Pour cette raison, il est d’autant plus important d’envisager une pratique de la coopération technique qui puisse véritablement aider à recomposer la fragmentation interne, au lieu de l’alimenter, et à aller au-delà d’une certaine fascination pour les solutions clés en main et décontextualisées, afin d’élaborer des directions de travail plus stables et adaptées au contexte. La conscience de l’extraordinaire dépendance de la coopération engendrée par l’occupation militaire devrait pousser les opérateurs internationaux à faire face de manière plus directe aux phénomènes de séparation, de fragmentation et de dispersion des connaissances, des réseaux et des savoir-faire, mis en évidence par nos profils. Pour cela, il est important non seulement de travailler sur les outils technologiques et sur les « produits urbanistiques » (nouveaux plans et cadres juridiques), qui sont bien sûr nécessaires, quoique non suffisants en soi, mais aussi sur les processus. De plus, il faut aussi imaginer des modalités et des lieux alternatifs pour l’échange de compétences et d’expériences qui permettent d’accumuler, de partager et de pérenniser les connaissances au-delà des projets singuliers et des réseaux spontanés. Car s’il est vrai que la « décapacitation » et l’impuissance dues au conflit échappent au contrôle des professionnels et des autres acteurs du milieu, il est cependant possible et nécessaire de trouver un ou des espaces pour une action urbanistique significative ; comme dans les zones « A » et « B » qui rentrent, du moins en théorie, sous le contrôle de l’Autorité Nationale et de ses institutions de gouvernance territoriale[41]Dans la zone « C », qui correspond à environ 60 % des territoires occupés, les initiatives de transformation territoriale sont le terrain d’action quasi exclusif des autorités israéliennes, qui contrôlent la planification du réseau routier interurbain, l’accès aux ressources primaires, comme l’eau, les espaces agricoles et les pâturages, et qui promeuvent le développement immobilier de plus en plus important des colonies, notamment autour de Jérusalem Est. Voir Weizman (2012, op. cit.) »..

Le véritable défi, pour lequel il n’existe pas de solutions simples, est de recomposer le champ d’action fragmenté de l’urbanisme palestinien pour qu’il soit capable d’adapter de manière autonome les connaissances disciplinaires dont il dispose et d’élaborer dans le même temps des savoir-faire contextuels lui permettant d’œuvrer de manière plus efficace sur un territoire aussi particulier. Il s’agit de redonner pouvoir et capacité d’agir aux composantes techniques au sein des municipalités, leur permettre de briser les barrières linguistiques et les outiller pour accéder au vaste réservoir des connaissances, que la mobilité croissante et les nouvelles technologies de l’information leur mettent potentiellement à portée de main (Sanyal, 2005[42]Sanyal B. (2005). « Hybrid planning cultures: The search for the global cultural common », dans Sanyal B (dir.), Comparative Planning Cultures, New York, Routledge, p. 3-25. ; Saunier, 2005[43]Op. cit.). En ce sens, les associations professionnelles et les institutions formatives locales devraient jouer un rôle important dans la structuration des réseaux et la création de lieux de production et de partage des savoirs pour les métiers locaux de l’urbanisme.

Dans ce contexte, une coopération internationale qui veut véritablement favoriser l’amélioration des capacités d’action des institutions locales sur le territoire devrait probablement s’orienter vers un recours ouvert et moins encadré à l’expertise internationale. Un changement aussi radical ne semble pas à l’horizon, et il serait ingénu de s’attendre à ce que l’industrie de l’aide abandonne du jour au lendemain des pratiques consolidées pour explorer des approches alternatives et potentiellement risquées, malgré une conscience établie des limites de son action actuelle (Dichter, 2003[44]Op. cit.). Parallèlement, il est nécessaire d’aller au-delà des craintes de « normalisation du conflit » et de dépolitisation pourtant compréhensibles, car prendre en main la gestion des transformations territoriales, qui sont en train de changer les villes palestiniennes en profondeur, sans attendre la solution du conflit est nécessaire et urgent, « malgré » et non « à cause » du conflit[45]« Because of the occupation » est l’explication typique de tout problème qui, de manière assez ironique, est mise de l’avant chaque fois qu’on aborde un problème en Palestine. Il serait pour nous opportun de commencer à penser à ce qui peut être fait « malgré » l’occupation, plutôt qu’à ce qui ne peut être fait « à cause » de l’occupation.. Dans cette perspective, la Palestine représente une occasion particulièrement intéressante pour repenser les théories et les pratiques de l’urbanisme moderne, telles qu’actées à travers la coopération internationale et les activités de renforcement des capacités. L’exemple palestinien convoque en effet un ensemble de solutions « passe-partout » destinées à des interventions au sein du tiers-monde, composante importante d’une action, forcément imparfaite et de longue durée, qui évolue et se corrige par la pratique, et dont l’efficacité se mesure non dans l’urgence des résultats immédiats, mais sur une échelle temporelle plus large imposée par la lenteur des transformations sociales et territoriales (sociospatiales ?).


[1] Chitti M. (2016). La circulation nord-sud de modèles, idées et pratiques urbanistiques. Capsules thématiques. Villes régions monde [En ligne].

[2] Yiftachel O. (2006). « Essay: re-engaging planning theory? Towards “South-Eastern” perspectives », Planning Theory, n° 5(3), p. 211-222.

[3] Healey P. (2010). “The transnational flow of knowledge and expertise in the planning field”, dans Healey P, Upton R (dir.), Crossing Borders. International exchange and planning practices, New York, Routledge, p. 1-25.

[4] Verdeil E. (2005). « Expertises nomades au Sud. Éclairages sur la circulation des modèles urbains », Géocarrefour, n° 80(3), p. 165-169.

[5] Chitti M. (2018). « L’assistance technique nord-sud en urbanisme : circulation de modèles ou circulation d’urbanistes ? », Les annales de la recherche urbaine, n° 113.

[6] Le monde de l’aide au développement rassemble une grande variété de pratiques hétérogènes, promues par les institutions nationales et qui va de la construction des infrastructures à l’humanitaire, à l’assistance technique et institutionnelle, aux formes de financement et crédit, tel que bien expliqué par Rist G. (1996). Le développement. Histoire d’une croyance occidentale, Paris, Presses de Sciences Po, p. 31.

[7] Les termes « urbanisme » et « urbanistes » sont ici utilisés au sens large pour se référer à l’ensemble des pratiques de « gestion et conception de la ville », pour paraphraser Souami et Verdeil (2006), qui mobilisent de nombreuses figures professionnelles issues de différentes filières de formation en aménagement.

[8] Segal R, Tartakover D, Weizman E. (2003). A civilian occupation: The politics of Israeli architecture, New York, Verso.

[9] Weizman E. (2012). Hollow land: Israel’s architecture of occupation, London, Verso Books.

[10] Mosse D. (2011). Adventures in Aidland. The Anthropology of Professionals in International Development, New York, Berghahn.

[11] De Leo D. (2013). Planner in Palestina, Milan, FrancoAngeli.

[12] Watson V. (2009). « Seeing from the South: Refocusing urban planning on the globe’s central urban issues », Urban Studies, n° 46(11), p. 2259-2275 [En ligne].

[13] Nous pouvons penser ici à des cas similaires, comme l’Irak, le Liban, la Jordanie, ou encore à « l’Helvétistan » (Azerbaïdjan, Turkménistan, Kirghizstan et Tadjikistan) évoqué par Laurent Demarta (Demarta L. (2012). « Les frontières de l’humanitaire », Hermès, n° 63, p. 190-195), dénonçant comment la Suisse se paie un statut de décideur économique mondial par son action humanitaire dans cette région du monde.

[14] Dichter TW. (2003). Despite good intentions: Why development assistance to the Third World has failed, Amherst, University of Massachusetts Press.

[15] Eyben R. (2011). “The Sociality of International Aid and Policy Convergence”, dans Mosse D (dir.). (2011). Adventures in Aidland. The anthropology of professionals in international development, New York, Berghahn, p. 139-160.

[16] Lecomte B. (1986). L’aide par projet : limites et alternatives, Paris, OCDE.

[17] “They will continue to feed the illusion of possible peace, while buttressing a “politics of suspension”, placing the status of Palestinians in a perpetual state of uncertainty” (Yiftachel O. (2005). “Neither two states nor one: The disengagement and “creeping apartheid in Israel/Palestine”, The Arab World Geographer/Le Géographe du monde arabe, n° 8(3), p. 125-129).

[18] En renvoyant à d’autres écrits et recherches des auteurs pour plus de détails, nous donnerons ici un aperçu des enjeux de la planification urbaine en Palestine : a) faiblesse de l’Autorité Nationale sur son territoire, due à la fragmentation territoriale imposée par l’occupation et cristallisée par les accords d’Oslo ; b) manque d’informations de base et de données statistiques fiables ; c) temps d’attente très longs pour obtenir une cartographie de base ; d) ressources limitées dans la gestion du quotidien et dans les interventions en dehors de projets ponctuels de la coopération internationale ; d) nombre réduit de figures professionnelles compétentes au sein des municipalités.

[19] Op. cit.

[20] Nussbaum MC. (2011). Creating capabilities, Harvard University Press.

[21] Op. Cit.

[22] Saunier PY. (2005). « Épilogue : à l’assaut de l’espace transnational de l’urbain, ou la piste des mobilités », Géocarrefour, n° 80(3), p. 249-253.

[23] C’est pour cette raison que nous avons préféré dresser six portraits types au lieu de nous référer à des cas ou des projets spécifiques, l’objectif étant de montrer, à travers une abstraction et une généralisation de dynamiques, comportements et perspectives récurrentes chez les différents « urbanistes coopérants », les aptitudes et les situations qui, par leur nature même, conditionnent l’action de renforcement des capacités et la diffusion des connaissances.

[24] Nasr J, Volait M. (2003). “Introduction: transporting planning”, dans Nasr J, Volait M (dir.), Urbanism: imported or exported?, Chichester, Weley-Academy, p. xi-xxxviii.

[25] Mosse D, Lewis D. (2006). “Theoretical approaches to brokerage and translation in development”, dans Mosse D, Lewis D (dir.), Brokers and translators. The ethnography of aid and agencies, Bloomfield, Kumarian, p. 1-26.

[26] Li TM. (2007). The will to improve: Governmentality, development, and the practice of politics, Durham, Duke University Press.

[27] Souami T, Verdeil E. (2006). Concevoir et gérer les villes. Milieux d’urbanistes du sud de la Méditerranée, Paris, Économica.

[28] Gaudin JP. (1987). « À l’avance, avec méthode. Savoirs, savoir-faire et mouvement de professionnalisation dans l’urbanisme au début du siècle », Sociologie du travail, n° 29(2), p. 177-197.

[29] Gaudin JP. (1989). « La genèse de l’urbanisme de plan et la question de la modernisation politique », Revue française de science politique, n° 39(3), p. 296-313.

[30] Bulle S. (2004). Apercevoir la ville : pour une histoire urbaine palestinienne, entre monde et patrie, sentiment et influences (1920-2002), Paris, EHESS.

[31] Souami T. (2005). « Liens interpersonnels et circulation des idées en urbanisme. L’exemple des interventions de l’IAURIF au Caire et à Beyrouth », Géocarrefour, n° 80(3), p. 237-247.

[32] Il suffit de penser à l’état d’isolement, non seulement du reste du monde, mais de leurs propres compatriotes en Cisjordanie, dans lequel opèrent les professionnels dans la bande de Gaza, à cause du véritable siège opéré par l’État israélien et du conflit politique entre Hamas et Al-Fatah.

[33] Roy A. (2014). « The NGO-ization of Resistance », Massalijn, September 4.

[34] La faiblesse du système de formation palestinien est effectivement un effet recherché de l’occupation militaire (Bartolomei E, Perugini N, Tagliacozzo C. (2010). Pianificare l’oppressione, Torino, Edizioni SEB27), ainsi que la raison principale d’une véritable hémorragie des jeunes cerveaux palestiniens.

[35] Rist G. (1996). Le développement. Histoire d’une croyance occidentale, Paris, Presses de Sciences Po.

[36] Ward SV. (2000). « Re-examining the international diffusion of planning », dans R. Freestone (dir.), Urban planning in a changing world, London, E & FN Spon, p. 40-60.

[37] Memmi A. (1979). La dépendance, Paris, Gallimard.

[38] « Stérile », car si elle génère une certaine compréhension, elle est incapable d’inspirer l’action.

[39] La nécessité de fournir des pistes d’action en vue d’une action concrète s’insère dans une approche plus large prônée par le pragmatisme critique (De Leo D, Forester J. (2018). Reimagining planning. How Italian urban planners are changing planning practices, INU Edizioni), qui rappelle aux théoriciens de la planification l’existence d’un « dirty little secret: someone has to do the job! »

[40] Alkhalili N, Dajani M, De Leo D. (2014). « Shifting realities: dislocating Palestinian Jerusalemites from the capital to the edge », International Journal of Housing Policy, n° 14(3), p. 257-267.

[41] Dans la zone « C », qui correspond à environ 60 % des territoires occupés, les initiatives de transformation territoriale sont le terrain d’action quasi exclusif des autorités israéliennes, qui contrôlent la planification du réseau routier interurbain, l’accès aux ressources primaires, comme l’eau, les espaces agricoles et les pâturages, et qui promeuvent le développement immobilier de plus en plus important des colonies, notamment autour de Jérusalem Est. Voir Weizman (2012, op. cit.) ».

[42] Sanyal B. (2005). « Hybrid planning cultures: The search for the global cultural common », dans Sanyal B (dir.), Comparative Planning Cultures, New York, Routledge, p. 3-25.

[43] Op. cit.

[44] Op. cit.

[45] « Because of the occupation » est l’explication typique de tout problème qui, de manière assez ironique, est mise de l’avant chaque fois qu’on aborde un problème en Palestine. Il serait pour nous opportun de commencer à penser à ce qui peut être fait « malgré » l’occupation, plutôt qu’à ce qui ne peut être fait « à cause » de l’occupation.