janvier 2019
Commerce et urbanisme
Vers la fin du développement durable comme outil de justification
du projet ?
Un éclairage par les concours de projet urbain
Vers la fin du développement durable comme outil de justification du projet ? Un éclairage par les concours de projet urbain,
Riurba no
7, janvier 2019.
URL : https://www.riurba.review/article/07-commerce/justification/
Article publié le 1er janv. 2019
- Abstract
- Résumé
Towards the end of sustainable development as a project justification tool? A look at urban project competitions
This article examines the ways in which designers in architecture, urbanism and landscape agencies, in France, take sustainable development into account into urban design processes. Based on the in situ observation of a Parisian agency of about twenty designers between 2010 and 2013, it analyses three urban design competition situations. These singular phases jointly explore: 1) the multiplicity of sustainable development logics of appropriation in such agencies (both in terms narrative forms, content mobilized and collaborations envisaged); 2) and the diversity of (converging or conflicting) professional practices logics observed in urban design agencies. Finally, we make the assumption of the end of a period of justification of urban project by sustainable development.
Cet article analyse les logiques d’intégration du développement durable, comme contenant et comme porteur de contenus dans le processus de conception urbaine au sein des agences privées d’architecture, d’urbanisme et de paysage, en France. S’appuyant sur et prolongeant les résultats d’une enquête par immersion (entre 2010 et 2013) au sein d’une agence parisienne, nous analysons trois situations de concours de projets urbains, moments d’observation privilégiés (et singuliers) pour éclairer conjointement 1) la diversité des logiques d’appropriation du développement durable dans ces agences (tant dans les modalités de mise en récit que dans les contenus mobilisés et les collaborations envisagées) ; 2) la diversité des logiques d’action (convergentes ou divergentes) au sein de telles organisations. Finalement, nous faisons l’hypothèse de la fin d’une période de justification du projet urbain par le développement durable.
post->ID de l’article : 3744 • Résumé en_US : 3787 • Résumé fr_FR : 3783 •
Au-delà de la définition commune du développement durable, issue du rapport « Our common future » soumis à l’Assemblée générale des Nations Unies par Madame Gro Harlem Brundtland en 1987, celui-ci a fait l’objet de très nombreuses appropriations, souvent diverses voire contradictoires, chez les acteurs politiques, opérationnels mais aussi scientifiques. Un des objectifs du présent travail est de nourrir la connaissance sur la diversité des appropriations possibles et ses raisons explicatrices. De ce fait, nous ne lui donnerons pas, a priori, de statut (ex : concept, théorie, paradigme), ni de définition — puisque c’est précisément ce que nous cherchons à comprendre du point de vue des professionnels observés. C’est la raison pour laquelle celui-ci apparaît systématiquement en italique.
Introduction
En France, les travaux sur la transformation des modes de faire la ville contemporaine se sont particulièrement structurés dans les années 1990 et 2000, à l’image, notamment, des séminaires EuroConception puis du Réseau Activités et Métiers de l’Architecture et de l’Urbanisme, le réseau RAMAU. Un ensemble de travaux mettait alors en évidence certaines évolutions saillantes dans les modes de fabrication de la ville : de nouvelles formes de division du travail dans la production architecturale et urbaine et la transformation des relations entre maîtres d’ouvrage publics et maîtres d’œuvre ; la complexification et la technicisation des processus de conception ; la reconnaissance de l’incertitude et la remise en cause, au moins partielle, de l’approche rationaliste de l’aménagement et de l’urbanisme. Ces écrits mettaient également en valeur la spécificité du cadre français marqué par des bouleversements singuliers au tournant des années 1970-1980, à travers la loi sur l’architecture de 1977, puis les lois de décentralisation et la loi relative à la maîtrise d’ouvrage publique au début des années 1980. C’est dans ce contexte que la notion de projet urbain a trouvé, en France, sa légitimité comme outil de régénération urbaine et de marketing territorial. Cette période a amené les acteurs de la maîtrise d’ouvrage publique et de la maîtrise d’œuvre – dont les concepteurs en agence[1]Le terme « agence » ne renvoie pas aux structures associatives publiques que sont les agences d’urbanisme en charge d’accompagner les collectivités dans la définition de leurs politiques d’aménagement et d’urbanisme. Dans l’ensemble de l’article, le terme « agence » désigne les bureaux d’études en architecture et/ou paysage et/ou urbanisme. Ces agences privées intégrées au sein d’équipes de maîtrise d’œuvre, dont elles sont souvent mandataires, répondent à des commandes publiques ou privées (de l’étude préopérationnelle à la conception et au suivi de la réalisation de projets). Ces agences peuvent avoir des tailles, des statuts juridiques et des modes d’organisation très singuliers. Il ne s’agit pas ici d’en montrer les différentes catégories. Il s’agira, en revanche, de qualifier l’agence que nous avons observée (infra) pour la situer dans le paysage des agences françaises. – à se réorganiser, se diversifier, se complexifier et se techniciser.
Au début des années 2010, un cycle de quatre rencontres organisées par le RAMAU illustrait le rapprochement progressif des questionnements sur l’évolution des métiers et compétences de la fabrique urbaine et la littérature, déjà abondante, sur le développement durable comme nouvel horizon sociétal (Roudil, 2012[2]Roudil N. (2012). « Fabriquer la ville à l’heure de l’injonction au “durable” – Introduction », Métropolitiques, octobre. [En ligne ; Biau, Fenker, Macaire, 2013[3]Biau V, Fenker M, Macaire É (dir.). (2013). L’implication des habitants dans la fabrication de la ville – Métiers et pratiques en question, Cahiers RAMAU 6, Paris, Éditions de la Villette, 362 p. ; Debizet, Godier, 2015[4]Debizet G, Godier P. (2015). « Savoirs et modèles en transition : constats et pistes de recherche », dans Debizet G, Godier P (dir.), Architecture et urbanisme durables. Modèles et savoirs, Cahiers RAMAU 7, Paris, Éditions de La Villette, p. 276-286. ; Grudet, Macaire, Roudil, 2017[5]Grudet I, Macaire E, Roudil N. (2017). Concevoir la ville durable. Un enjeu de gestion, Cahiers RAMAU 8, Paris, Éditions de La Villette, 184 p.). À la même période, le réseau Approches Critiques du Développement Durable (ACDD) voyait le jour pour « participer à la théorisation de certains fondements de la critique du développement durable »[6]« Présentation du réseau ». reseaucritiquesdeveloppementdurable.fr [En ligne. À ce jour néanmoins, les écrits interrogeant l’évolution des pratiques de conception s’appuient avant tout sur l’analyse de projets et/ou par l’analyse par entretiens auprès d’acteurs. Moins d’écrits, en revanche, s’appuient sur des observations in situ desorganisations professionnelles et des processus en train de se faire. De plus, peu de situations de concours de projets urbains ont été analysées. Activité importante en France (Biau, Sineus, 2017[7]Biau V, Sineus M. (2017). Les pratiques du concours d’architecture en Europe. Zoom sur l’Allemagne, les Pays-Bas, la Pologne et la Suisse, rapport pour la mission interministérielle pour la qualité des constructions publiques et le ministère de la Culture et de la Communication, Paris, Centre de Recherche sur l’Habitat (UMR LAVUE), 139 p. ; Macaire, Zetlaoui-Léger, 2017[8]Macaire E, Zetlaoui-Leger J. (2017). Étude qualitative et quantitative sur les concours d’architecture en France 2006-2015, rapport final : synthèse des résultats et propositions, rapport pour la mission interministérielle pour la qualité des constructions publiques, Paris, Laboratoire Espace Travail (UMR LAVUE), 113 p.) ce dernier est un moment d’observation particulièrement riche, tant il convoque (non sans quelques tensions et contradictions parfois) une grande diversité des logiques mobilisées au sein des agences d’architecture, d’urbanisme et de paysage : logiques de projection et de conception, de représentation et de communication, de collaboration (mais aussi de rapports de forces entre membres d’une même équipe de maîtrise d’œuvre), ou encore logiques de travail intensif dans le temps court de quelques semaines. Les situations de concours constituent ainsi une fenêtre d’observation tout à fait intéressante pour éclairer les modes de fonctionnement de telles organisations, tout comme pour rendre compte des logiques diverses d’appropriation du développement durable dans ces agences.
Le présent article s’appuie et prolonge les résultats d’une enquête par immersion (réalisée dans le cadre d’une thèse en Convention Industrielle de Formation par la Recherche[9]Intitulée « Les concepteurs en agence d’architecture, d’urbanisme et de paysage à l’épreuve du développement durable », soutenue en novembre 2015.), dans le temps long (entre 2010 et 2013), sur l’appropriation du développement durable par les concepteurs d’une agence parisienne d’architecture, d’urbanisme et de paysage. Pour respecter les règles d’anonymat, cette agence (dont les caractéristiques générales sont présentées ci-après) sera appelée l’agence Lilas.
Dans cet article, nous posons les questions suivantes : comment le développement durable est-il mobilisé par les membres d’une agence en phase de concours de projets urbains ? Que disent les différentes formes de mobilisation sur les logiques de fonctionnement des agences d’architecture, d’urbanisme et de paysage ? Que disent-elles sur la capacité ou non du développement durable à constituer aujourd’hui un outil de justification du projet urbain ?
Après avoir présenté la méthodologie de recherche puis les trois cas d’étude, nous montrons la diversité des configurations de mise en récit formelle de la prise en compte du développement durable dans les rendus proposés par l’équipe de maîtrise d’œuvre. Nous analysons ensuite les différentes modalités de prise en compte des principes de durabilité dans les réflexions internes au moment de concevoir les projets étudiés. Nous montrons enfin comment les concepteurs observés se positionnent (souvent de manière ambiguë) vis-à-vis des Bureaux d’Études Techniques (BET) qui, dans les années 2000, se sont progressivement spécialisés ou ont construit de nouvelles compétences en matière de développement durable.
Une observation in situ
L’observation a été menée au sein d’une agence privée d’architecture, d’urbanisme et de paysage située à Paris, qui, au moment de notre arrivée, était composée de plus de vingt salariés. Construite autour d’activités de maîtrise d’œuvre de projets d’architecture dans les années 1980, elle a développé dès la fin des années 1990 des compétences en matière d’urbanisme et de paysage, du fait notamment de l’obtention de missions d’architectes-urbanistes coordonnateurs de ZAC de grande ampleur associées à des missions de maîtrise d’œuvre d’espaces publics. « L’agence Lilas représente un type bien spécifique d’agence d’architecture en France, compte-tenu de sa situation, de sa taille, de son chiffre d’affaires, du type de projets sur lesquels elle intervient et des professions qu’elle regroupe. […] Notons qu’1 % seulement des agences françaises employaient, en 2011, plus de vingt salariés […] (cf. ministère de la Culture et de la Communication, “Mini-chiffres clés de la profession d’architecte – édition 2012”). Cette dernière se situe dans les 11 % [d’agences] où le paysage et l’urbanisme ont constitué, en 2011, les domaines d’activité majoritaires (cf. Ordre des architectes, 2012[10]Observatoire de la profession – Conseil national de l’ordre des architectes. (2012). « Comment les architectes résistent-ils à la crise ? Les principaux enseignements de l’étude menée en juillet 2012 », Cahiers de la profession, n° 45, 13 p.). [L’agence Lilas se situe, à cette période, dans les 5 % des agences françaises ayant le chiffre d’affaires le plus élevé]. Une autre spécificité de cette agence tient au fait que son dirigeant a accepté d’intégrer, pendant plusieurs années, un doctorant en CIFRE, ce qui n’est pas commun et révèle, notamment, une volonté de réflexivité. Ces éléments sont importants puisqu’ils rappellent les limites, assumées, de la généralisation possible des résultats de cet article » (Tribout, 2017, p. 98-99[11]Tribout S. (2017). « La conception à l’épreuve de la gestion des eaux pluviales », dans Grudet I, Macaire E, Roudil N, Concevoir la ville durable. Un enjeu de gestion, Cahiers RAMAU 8, Paris, Éditions de La Villette, p. 98-99.).
Sur ce terrain, nous avons mis en œuvre une observation participante, elle-même inscrite dans une démarche de recherche-action. Une telle méthode s’avère pertinente pour dépasser les discours publics des acteurs et comprendre les cadres cognitifs de ces derniers, les valeurs et compétences qu’ils mobilisent, et le sens qu’ils confèrent à leur action. Elle permet de suivre au plus près l’acte de conception. Nous avons ainsi pu observer les pratiques d’un groupe social dont nous avons fait partie pendant trois ans. Notre présence et nos interventions avaient un double objectif : produire de nouvelles connaissances sur le terrain concerné, mais aussi produire un changement par la mise en œuvre d’une démarche de « réflexions et formation collaboratives » au sein de l’agence. Celle-ci s’est notamment traduite par l’organisation d’ateliers de travail (séances de présentations thématiques suivies de débats avec les membres de l’agence – 45 au total). Cette démarche visait, à la demande du patron de l’agence, à construire un regard critique et une culture partagée à l’égard du développement durable.
Du fait du double travail d’observation scientifique et de participation à différentes activités opérationnelles, ce travail mobilise deux types de récit : un récit d’expérience et le récit d’analyse. Le récit d’expérience, qui décrit des situations observées et auxquelles nous avons participé, sera mis en forme par des paragraphes aux marges plus importantes, une police plus petite et l’utilisation du « je ». Dès lors qu’il s’agit d’opérer une prise de recul pour analyser, en tant que chercheur, les situations observées, le « nous » est utilisé et les paragraphes retrouvent une mise en forme classique.
Dans cet article, nous analysons trois situations de concours menées par l’agence Lilas entre 2011 et 2013, dont deux auxquelles nous avons participé, l’Île-sur-Saône et Technopolis. Le troisième projet est l’Écoquartier du Troisième[12]L’intitulé de ces projets est fictif, pour respecter les règles d’anonymat souhaitées dans ce travail.. Nous analyserons principalement les documents rendus par l’Agence Lilas, ainsi que, pour les deux premiers, les observations in situ des situations de concours. Le tout sera mis en regard des exigences formulées au sein des règlements de concours et/ou cahiers des clauses techniques particulières.
Présentation de trois cas
L’Île-sur-Saône, premier projet analysé, a fait l’objet d’un concours entre juin et novembre 2011. Il concerne la reconversion d’un quartier de trois hectares, situé sur une île en cœur de ville traversée par la Saône. Un hôpital, dont les activités sont alors sur le point de déménager, compose le quartier. Son réaménagement, après rachat des terrains par la collectivité, doit renforcer les liens : « entre la ville ancienne située sur la rive droite, et la ville de l’extension rive gauche […]. La réappropriation des berges de Saône est également un élément majeur qui participera au remodelage de cette partie de ville »[13]Cet extrait est issu du document programmatique du concours d’urbanisme de l’Île-Sur-Saône, transmis par la maîtrise d’ouvrage en 2011. Pour ce passage, comme pour l’ensemble des extraits de cahiers des charges et rendus mobilisés dans la suite de l’article, il ne nous semble pas opportun de préciser les numéros de page puisque l’analyse est totalement anonymisée.. Le site de projet est inscrit dans le Plan de Sauvegarde et de Mise en Valeur de la ville (PSMV). Il est également en zone inondable, contraint de ce fait par le Plan de Prévention des Risques d’Inondation (PPRI). Le marché doit durer 6 ans. Il s’étend des études préopérationnelles jusque l’encadrement des constructions de chaque lot bâti et de l’espace public. Il s’agit d’intervenir sur le bâti existant, doté de fortes valeurs patrimoniales, de concevoir plusieurs îlots neufs à la suite de démolitions prévues, et de penser un espace public tout autant à l’intérieur du quartier que le long des berges, au sud. Pour répondre à ce projet, l’équipe de maîtrise d’œuvre est coordonnée par l’agence Lilas (par deux architectes, une architecte-urbaniste-paysagiste, et nous-même) et intègre sept cotraitants aux compétences variées : économie, architecture du patrimoine, conception lumière, programmation urbaine, BET spécialisé en « HQE, Fluides et Environnement », en « bâtiment », en « voirie et réseaux divers et gestion de l’eau ».
Le projet dénommé Technopolis, quant à lui, est situé au sud d’une ville d’environ 60 000 habitants, en première couronne d’Île-de-France. Il s’étend sur près de 60 ha. Accueillant, en 2012, une ancienne zone industrielle aux nombreuses parcelles mutables, ainsi qu’un parc de hautes technologies, il est bordé au nord et à l’ouest par différents quartiers résidentiels, composés de tissus pavillonnaires ou de logements collectifs de petite taille. Il est, au sud et à l’est, longé par une autoroute. Au cœur du périmètre d’intervention, est prévue l’implantation, dans le courant des années 2020, d’une station du Grand Paris Express. Le site du projet est situé à environ deux kilomètres du centre historique de la commune qui l’accueille. Il s’agit de proposer la construction d’un technopole fondé sur un nouveau modèle d’activités industrielles de pointe, non plus fermées à leur environnement, mais intégrées à la vie urbaine qui l’entoure et qui s’y développerait. Il s’agit donc, en parallèle, d’assurer une continuité et non une rupture avec les quartiers limitrophes, par la construction de logements, équipements et commerces, et l’implantation d’une nouvelle gare du Grand Paris Express. L’équipe coordonnée par l’agence Lilas (par un paysagiste, une urbaniste-paysagiste, deux architectes, une urbaniste et nous-même) intègre quatre cotraitants : un économiste, un spécialiste de la mobilité et des transports, un consultant autour des questions relatives aux problématiques de renouvellement urbain, et un BET spécialisé sur les questions d’environnementet de développement durable.
L’Écoquartier du Troisième, enfin, a été conçu dans le cadre d’un concours pour l’aménagement d’un « écoquartier[14] Le terme « écoquartier » et tous les passages entre guillemets du présent paragraphe, sont extraits du « Programme du concours d’urbanisme », pièce rédigée et transmise par le maître d’ouvrage commanditaire. » au cœur de la ville-centre d’une communauté de communes de 20 000 habitants. « Ville à la campagne » selon la maîtrise d’ouvrage, cette dernière est marquée par la proximité d’une agglomération de plus de 100 000 habitants et d’une métropole française du Sud-Est de la France. De nombreux actifs travaillent dans l’une ou l’autre de ces agglomérations. La ville en question, entourée d’espaces naturels et de reliefs prononcés (coteaux et plateaux), est marquée par la présence de paysages industriels des décennies précédentes et par un développement anarchique de logements pavillonnaires sur les coteaux environnants. Situé en fond de vallée, le centre-ville « a souffert de l’intensification de la circulation automobile » en son cœur. C’est dans ce contexte que la ville a souhaité définir et mettre en œuvre un projet « d’écoquartier du centre urbain », sur une superficie de près de 30 hectares. Cinq objectifs majeurs sont identifiés : « recoudre la ville autour de l’ écoquartier et structurer la ville » ; « l’écoquartier, porte de la ville — donner une image attractive de la ville » ; « l’écoquartier, un quartier à vivre — accroître la qualité des espaces publics et le confort piétons » ; « l’écoquartier, un pôle de développement complémentaire du centre-ville — renforcer le poids résidentiel et économique du quartier » ; « l’écoquartier, un modèle pour le développement de la commune — expérimenter un développement urbain durable et innovant ». L’équipe coordonnée par l’agence Lilas (par un paysagiste-urbaniste, un architecte) intègre plusieurs cotraitants, dont deux BET, l’un spécialisé sur la gestion des eaux pluviales et l’assainissement et un autre sur la « haute qualité environnementale ».
Une diversité des configurations
de mise en récit du développement durable:
au croisement d’injonctions extérieures, de la culture d’agence
et des marges de manœuvre individuelles
Suite à la présentation synthétique des cas d’étude, il s’agit d’analyser, dans un premier temps, la manière dont le développement durable est formellement mobilisé par l’Agence Lilas et ses partenaires dans les rendus de ces trois concours.
Diversité des configurations de mise en récit
Pour le projet de l’Île-sur-Saône, le mémoire[15]Les passages entre guillemets dans le présent paragraphe et les notes de bas de page associées sont extraits du « Mémoire technique » rendu par l’Agence Lilas en 2011 dans le cadre du concours de l’Île-sur-Saône. est introduit par un texte d’une page présentant l’approche de l’agence[16]Ce préambule avait été écrit par moi-même, à la demande du directeur et de certains salariés qui souhaitaient un document présentant la conception officielle de l’agence. Ce préambule se situe à la convergence de réflexions collectives et de ma propre conception de ce que pouvait être un développement urbain durable. en matière de développement durable. Celle-ci se veut « exhaustive »[17]« …proposant de dépasser une “approche strictement écologique et technique de la durabilité́ urbaine, pour donner toute leur place aux dimensions économique et sociale »., « systémique »[18]… pour « mettre en lien les différents champs d’action et […] en mettant en avant l’idée selon laquelle chaque action révèle différents enjeux à la fois écologiques, économiques et sociaux »., « territorialisée »[19]… considérant que c’est « l’identification d’enjeux territoriaux qui a permis de définir des champs d’intervention pertinents et les moyens de les mettre en œuvre ». et « partagée »[20]… proposant de tendre vers des initiatives d’ « autopromotion » ou « la mise à disposition de jardins partagés » où les habitants auraient un rôle à jouer dans la conception puis la gestion d’une partie du quartier.. Suite au préambule et aux chapitres consacrés à « l’Argumentation du projet » et aux « Principes d’aménagement », un « Volet “développement durable” » est rédigé[21] S’ensuivent le « Phasage général » et le « Chiffrage du projet ».. Celui-ci décline les objectifs et moyens mis en œuvre pour répondre aux sujets suivants : « écologie et technique [gestion des eaux pluviales et usées et des contraintes d’inondation, stratégie énergétique, gestion des déchets], gestion des déplacements, approche sociale et écologique de l’espace ouvert, gestion de l’éclairage urbain, implication habitante ».
Le mémoire final pour le projet Technopolis est lui composé de six chapitres : « Argumentation du projet » ; « Notre projet à l’échelle du périmètre opérationnel » ; « Notre projet à l’échelle de la future gare » ; « Mise en œuvre opérationnelle du projet » ; « Évolution des quartiers limitrophes » ; « Conclusion : les atouts de notre projet ». Contrairement au concours précédent, aucun chapitre n’est consacré au développement durable. Le premier chapitre rappelle la compréhension du territoire et de ses enjeux et les objectifs majeurs du projet. Il consacre un paragraphe au développement durable, à travers une conception à la fois « systémique », « exhaustive », « partagée », « territorialisée », « multiscalaire » et « prospective ». La démarche de « réflexions et formation collaboratives » est rappelée comme une spécificité de l’agence. Le sixième et dernier chapitre de conclusion montre en quoi le projet proposé répond aux critères de durabilité présentés en introduction. Le cœur du mémoire présente le projet à différentes échelles et s’attache à répondre aux objectifs annoncés, sans consacrer, contrairement au projet précédent, de chapitre spécifique au développement durable. Le terme « développement durable » n’y est d’ailleurs jamais employé, sauf à une reprise[22]Chapitre 2 : « Les pages précédentes ont révélé une approche à la fois sociale et économique du développement durable. […] Nous souhaitons à présent développer les orientations retenues en termes d’écologie et de technique »..
Pour l’Écoquartier du Troisième, plusieurs documents sont rendus, dont une plaquette de présentation du parti urbanistique, paysager et architectural du projet, une plaquette de « notices techniques » autour de la programmation détaillée du logement, de la gestion des eaux pluviales et montrant en quoi le projet répond aux critères d’évaluation et indicateurs quantitatifs définis au préalable par la maîtrise d’ouvrage. Outre ces deux mémoires, huit panneaux sont proposés pour rendre compte du projet d’ensemble, puis détailler chaque secteur de projet. Dans l’ensemble de ces documents, le terme « développement durable » n’est jamais utilisé. Point d’introduction présentant l’approche et la démarche de l’agence en la matière, ni de chapitre consacré à ce dernier.
Le tableau ci-dessus synthétise la manière dont les rendus de concours mettent en récit la prise en compte du développement durable dans les trois projets et les approches alors mobilisées. Il rappelle également les modalités de notre participation à chaque concours. Il révèle alors trois configurations de mise en récit du développement durable et laisse supposer l’existence d’au moins deux supplémentaires (observées dans d’autres cas non analysés ici) :
la première est qualifiée « d’explicite et sectorielle » (illustrée par l’Île-sur-Saône) : l’approche du développement durable est explicitement définie, déclinée ensuite en une série d’actions thématiques formellement distinctes du parti architectural, urbain et paysager, laissant supposer que les actions en matière de durabilité s’ajoutent au projet davantage qu’elles n’en sont intégrées ;
la deuxième configuration est qualifiée « d’explicite et intégrée » (illustrée par Technopolis) : l’approche du développement durable est explicitement définie. Celui-ci est appréhendé comme un prisme qui justifie l’identité du projet dans son ensemble et se diffuse dans les orientations de projet ;
la troisième configuration est qualifiée de « nulle[23]Le qualificatif « nulle » ne doit pas être compris comme un jugement de valeur, mais au sens de « inexistant », « absent ». » (illustrée par l’Écoquartier du Troisième) : l’approche du développement durable n’est pas définie, et celui-ci ne constitue pas une justification du projet ;
non illustrée ici mais observée dans d’autres situations, une quatrième peut être qualifiée de « non définie et sectorielle » : l’approche en matière de développement durable n’est pas définie, mais une liste d’actions en son nom est annoncée en marge du projet. Une cinquième peut être qualifiée d’ « explicite et nulle » : l’approche du développement durable est définie, sa prise en compte est annoncée, mais ne donne lieu à aucune action particulière ou orientation du projet. Elle est formellement assez proche de la configuration « explicite et intégrée », et il faut alors observer de l’intérieur les processus de conception pour savoir si une situation relève de l’une ou l’autre de ces approches.
Ces configurations permettent de qualifier différentes manières de mettre en récit la prise en compte du développement durableet de faire (ou non) de ce dernier un principe de justification des choix de conception, comme nous allons le voir à présent.
Répondre et dépasser les exigences des commanditaires
Ces configurations peuvent tout d’abord être comprises comme une réponse aux exigences des commanditaires. Le règlement de concoursdu projet de l’Île-sur-Saôneexigeait que des « ambitions environnementales » (entendues comme un ensemble de performances a minima autour de « la stratégie énergétique, la prise en compte de l’architecture bioclimatique, le rapport entre surfaces perméables et imperméables, les modalités de gestion de l’eau ») soient exposées dans un volet à part, une fois les propositions globales d’aménagement présentées. Pour le projet Technopolis, le cahier des clauses particulières précise que les préoccupations de développement durable devront constituer « l’identité du projet d’aménagement souhaité ». Plus loin, le développement durable est présenté comme une des « problématiques générales à illustrer », comme une « démarche qui doit […] être traduite dans toutes les dimensions de l’opération ». La réponse de l’équipe semble ainsi concorder avec les exigences du commanditaire. Pour l’Écoquartier du Troisième, on retrouve bien une correspondance entre l’absence de mobilisation du développement durable comme principe de justification, autant du côté de la maîtrise d’ouvrage que du rendu de l’équipe de maîtrise d’œuvre. À l’inverse, l’un comme l’autre mobilisent à de nombreuses reprises le terme « écoquartier », révélant une adaptation étroite des grammaires de projet en fonction de celles mobilisées par la commande. Pour autant, le contenu des mémoires montre une capacité de dépassement des exigences. Ainsi, par exemple, le volet « Développement durable » à l’Île-sur-Saône (plutôt que « Ambitions environnementales ») dépasse les approches énergétique, bioclimatique et hydraulique exigées, et mobilise aussi les questions de mobilité, d’éclairage et plusieurs actions relevant de la dimension sociale de la durabilité (autour des questions de mixité sociale et de participation habitante).
Mais ces différentes configurations peuvent également être comprises comme le reflet d’une évolution du discours officiel de l’agence en matière de développement durable, au fil de la démarche de réflexions internes.
Le reflet d’une évolution de la culture interne de l’agence
Ces différentes configurations peuvent également être comprises comme le reflet d’une évolution du discours officiel de l’agence en matière de développement durable, au fil de la démarche de réflexions internes.
Entre les concours de l’Île-sur-Saône et Technopolis, l’approche de l’agence en matière de durabilité va s’étoffer, en ajoutant aux dimensions systémique, exhaustive, territorialisée et partagée de la durabilité, les dimensions multiscalaire et prospective ; dimensions mobilisées à Technopolis. Ces configurations diverses reflètent aussi une évolution du statut officiellement accordé au développement durable au sein de l’agence, sous notre impulsion et en accord avec nombre de ses membres :
Je proposais à l’époque que le développement durable constitue davantage un prisme interrogeant l’ensemble du projet plutôt qu’il ne soit réduit à une liste de thèmes périphériques sur le plan de la conception.
Cette évolution des statuts, d’un objet ou d’une catégorie à un nouveau paradigme (Béal et al., 2011[24]Béal V, Gauthier M, Pinson G (dir.). (2011). Le développement durable changera-t-il la ville ?, Saint-Étienne, Presses Universitaires de Saint-Étienne, 464 p.) n’est pas sans poser de questions pour les professionnels.
Quelques heures avant de rendre le projet de Technopolis, un débat a surgi sur les risques d’une absence de chapitre explicitement consacré au développement durable pour l’évaluation du projet. Je maintenais l’idée d’une approche intégrée et non sectorielle, ce qui fut finalement accepté. Le jour de l’audition, le directeur de l’agence présente le développement durable comme une démarche transversale et globale. Un membre du jury déclare que la prise en compte du développement durable« transpirait » dans l’ensemble du projet. L’agence terminera finalement première ex-aequo, obtenant la totalité des points possible pour le critère : « Intégration des principes d’innovation et de développement durable ». Quelques semaines plus tard, le chef de projet revient, au cours d’un atelier, sur la place accordée au développement durable et précise : « Pour une fois, on a eu l’impression que c’était pas un chapitre rajouté pour rentrer dans les cases, on a eu l’impression qu’on avait vraiment une approche pragmatique et prospective pour définir ce qu’était la durabilité, et comment on pouvait la mettre en place dans toutes les thématiques du sujet ».
Ce moment de doute dans le processus de projet est révélateur d’un processus de changement (tâtonnant et non systématique) dans la manière d’appréhender le développement durable. Le débat montre que les démarches diffuses et parfois peu visibles ne sont à cette période qu’assez peu acceptées ou avec inquiétude, et que la prise en compte dudéveloppement durable constitue encore, à cette période, un objet d’affichage important. Mais le retournement de situation, dans ce cas, et la reconnaissance collective de l’intérêt d’une telle approche révèlent les signaux d’une évolution des approches et statuts accordés au développement durable.
Pour autant, les rendus de concours de l’Écoquartier du Troisième, auquel nous n’avons pas participé montrent que les évolutions ne sont pas toujours continues au sein d’une organisation, ni nécessairement partagées par l’ensemble de ses membres. On peut voir, dans cette troisième configuration (qualifiée, pour rappel, de « nulle »), une rupture autant qu’une continuité avec les configurations précédentes. Il y a rupture en ce que l’équipe de conception n’a pas jugé utile de présenter l’approche de l’agence en matière de développement durable. Les concepteurs (profitant peut-être de notre absence de participation) n’y ont certainement pas vu un intérêt. À l’inverse, il y a continuité avec le projet Technopolis, en ce que les actions mises en œuvre ne sont pas appuyées explicitement sur la quête de durabilité.
À ce stade, l’analyse révèle une diversité de configurations de mise en récit du développement durable dans les productions des concepteurs. Cette diversité peut ainsi être comprise comme une réponse aux exigences extérieures à l’agence, celles des commanditaires, à la culture interne de l’agence, et aux marges de manœuvre individuelles ou collectives activées au fil de la démarche. Les évolutions de ces configurations révèlent quant à elle la non-linéarité des transformations au sein de telles organisations, les tâtonnements et constructions intellectuelles chemin faisant. Du point de vue du développement durable, cette première étape montre le passage progressif de la mobilisation du développement durable porteur de thématiques très spécifiques et souvent périphériques, à undéveloppement durabledont la conception s’élargit et se diffuse implicitement au sein des rendus. À tel point que le développement durable comme contenant et justification ne semble plus systématiquement faire sens.
Pour autant, ces configurations ne disent pas le degré d’intégration des principes de durabilité dans les réflexions en phase de conception de projet. Elles appellent en outre à interroger d’autres grammaires que celle, unique, du développement durable pour analyser les processus d’intégration de ce dernier en phase de conception. C’est ce que nous proposons de faire à présent.
Du contenant au contenu
Rappelons pour l’Île-sur-Saône que les thèmes abordés au nom du développement durable étaient les suivants : « écologie et technique, gestion des déplacements, approche sociale et écologique de l’espace ouvert, gestion de l’éclairage urbain, implication habitante ». Ces sujets peuvent être classés en deux catégories. Une première renvoie à des sujets d’intervention historiques, à forte dimension spatiale, et dont la quête de durabilité constitue un facteur, parmi d’autres, de renouvellement. Renouvellement qui peut se concrétiser par une évolution des objectifs associés, mais aussi par une complexification et une technicisation importantes. C’est le cas du traitement des espaces ouverts, de la gestion des mobilités, de la gestion des eaux pluviales. La prise en compte des risques d’inondations a également orienté certaines implantations de bâti et structures davantage flottantes le long des berges. D’autre part, plusieurs actions en matière d’efficacité énergétique ont eu un impact sur le design de projet (hauteurs et orientations de bâti), tout comme certains dispositifs de mobilisation habitante (parcelles réservées pour des jardins communautaires). Aux côtés de ces actions, d’autres, plus récentes et moins éprouvées, semblent avoir, au stade du concours, moins d’impact sur l’organisation spatiale du projet. C’est le cas du traitement des déchets, qui prend de plus en plus de place dans les propositions des concepteurs, au nom d’une approche écologique, voire écosystémique de la ville (Terrin, 2014[25]Terrin JJ. (2014). Le projet du projet. Concevoir la ville contemporaine, Marseille, Parenthèses, 320 p.), ou ici au nom du développement durable. C’est aussi le cas des outils proposés pour favoriser l’implication habitante en phase de conception (auto-promotion).
À Technopolis, l’approche du développement durable ne devait donc pas concerner quelques sujets mais l’ensemble des choix de conception.
Trois temps ont structuré la période dédiée au concours. Un premier, consacré à la prise de connaissance du territoire, suivi d’un deuxième, qui a consisté à rencontrer et échanger avec les cotraitants pour concevoir le projet et passer des premières esquisses au plan masse définitif. Un troisième temps a consisté à formaliser les documents de rendu.
L’analyse de l’ensemble des réunions montre que ce sont les données du territoire (situation du quartier dans la ville, rapport aux axes autoroutiers ; intégration du quartier dans un réseau de pôles économiques), les futurs projets dont la localisation était déjà arrêtée (gare du Grand Paris Express), la qualité du cadre de vie, la quête d’acceptabilité sociale du projet (du point de vue des formes urbaines) et, bien entendu, la recherche d’un équilibre financier, qui ont orienté la composition et l’organisation spatiale du projet. Ces données et les échanges menés ont pu être associés aux principes du développement durable dans des écrits scientifiques, mais aussi dans les pratiques de l’agence Lilas, à d’autres moments et/ou avec d’autres concepteurs. Ici, pourtant, mis à part au cours des échanges ténus avec le BET (infra), le terme développement durable n’a quasiment jamais été employé. La formalisation du plan-masse, exercice et document profondément central dans l’acte de conception, n’a pas ou peu été orientée explicitement par la quête de durabilité.
Pour l’Écoquartier du Troisième, le terme « développement durable » n’est jamais mobilisé dans le rendu. Pour autant, le mémoire est composé de plusieurs sujets, qui dans d’autres cas auraient pu être associés au développement durable : « Hiérarchie viaire : tisser des liens privilégiés entre le centre-ville et l’écoquartier » ; « Mobilités douces » ; « Trame verte et bleue : révéler le “déjà-là” » ; « Formes urbaines : diversifier les modes d’habiter ». Les actions en faveur de la trame verte et bleue renvoient tout autant à la défense de l’environnement végétal et aquatique qu’à sa mise en valeur comme élément de paysage de nature en ville. Elles reposent aussi sur la prise en compte des caractéristiques du territoire d’intervention. Les modes d’habiter la ville à la campagne renvoient à l’imaginaire de la nature en ville, voire au retour de l’urbain à la campagne. La mise en valeur des mobilités douces renvoie à la requalification de l’espace public et à la quête de réduction des nuisances engendrées par les véhicules polluants et parfois dangereux.
Récupération, technicisation, complexification,
puis émancipation des sujets
liés au développement durable
Ces cas semblent dessiner une dynamique que l’on peut qualifier en deux temps. Nous relevons tout d’abord plusieurs sujets qui, pour certains, dès les années 1960, semblaient être réinterrogés et dont la quête de durabilité a pu constituer, au cours des années 2000 et 2010, un nouveau principe de justification. C’est le cas du traitement des espaces ouverts, publics, semi-publics et privés. Pour l’Île-sur-Saône, les objectifs affichés sont la création d’espaces « sources d’appropriation », non voués au seul transit, la perméabilité entre les espaces de statuts différents, l’articulation entre espaces intimistes ou plus ouverts. Cette conception de l’espace ouvert s’inscrit en rupture avec la conception fragmentée et fonctionnaliste des espaces urbains défendue par le mouvement progressiste (Choay, 1965[26]Choay F. (1965). L’urbanisme, utopies et réalités, Paris, Points, 446 p.) d’après-guerre. Elle est une forme de réponse à la demande sociale de qualité de vie en ville, dès les années 1960 (Busquet, 2008[27]Busquet G. (2008). « Le rôle et le statut de la ville dans la pensée politique de gauche depuis les années 1960 en France : entre espace-enjeu et espace-instrument », dans RESO (ESO) et CRAPE, actes du colloque international « Espaces de vie, espaces-enjeux : entre investissements ordinaires et mobilisations politiques ». [En ligne]. Disponible sur : http://eso.cnrs.fr, (consulté le 01/02/2019).). C’est aussi le cas de l’implication habitante relevant davantage d’une approche procédurale, que bien des écrits ont reliée à la quête de durabilité (ex : Biau, Tapie, 2009[28]Biau V, Tapie G. (2009). « Fabriquer les espaces bâtis, concevoir et coopérer », dans Biau V, Tapie G (dir.), La fabrication de la ville. Métiers et organisations, Marseille, Éditions Parenthèses, p. 167-204. ; Hamman, Blanc, 2009[29]Hamman P, Blanc C. (2009). Sociologie du développement durable urbain. Projets et stratégies métropolitaines françaises, Bruxelles, PIE Peter Lang, 260 p. ; Maljean-Dubois, 2009[30]Maljean-Dubois S. (2009). « L’émergence du développement durable comme paradigme et sa traduction juridique sur la scène internationale », dans Villalba B (dir.), Appropriations du développement durable. Émergences, diffusions, traductions, Villeneuve-d’Ascq, Presses Universitaires du Septentrion, p. 67-106. ; Biau, Fenker, Macaire, 2013[31]Op. cit.), mais dont l’émergence est antérieure à celle du développement durable.
Toujours dans ce premier temps, sous l’irruption et la diffusion du développement durable comme horizon politique et opérationnel, des sujets historiquement mobilisés de manière sectorielle dans la production urbaine (ex : eaux pluviales, énergie, mobilités) ont pu être requestionnés (Villalba, 2009[32]Villalba B (dir.). (2009). Appropriations du développement durable. Émergences, diffusions, traductions, Villeneuve d’Ascq, Éditions du Septentrion, 388 p.), à la fois technicisés, au profit d’une diffusion et d’une normalisation de certains principes majoritairement environnementaux (Roudil, 2012[33]Op. cit. ; Émelianoff, 2015[34]Émelianoff C. (2015). « La ville durable, questions à la recherche », dans Debizet G, Godier P (dir.), Architecture et urbanisme durables. Modèles et savoirs, Cahiers RAMAU 7, Paris, Éditions de La Villette, p. 52-66. ; Debizet, Godier, 2015[35]Op. cit.), mais aussi complexifiés : par la diversité des objectifs (ex : environnementaux, sociaux, économiques) associés à chacun de ces sujets et par la reconnaissance de leurs interrelations, incarnant alors une forme de raisonnement systémique (Biau, 2012[36]Biau V. (2012). « Axe 1 : Recomposition des cultures et compétences professionnelles », dans Terrin JJ, Vardouli S, Marie JB et al., Écoquartiers II. Évolutions de la conception urbaine et architecturale face aux enjeux du développement durable. Axes de recherche et actions – Futurs – Documents annexes, Paris, LEAV et RAMAU, p. 17-20.) auquel peuvent contribuer les tentatives de traduction opérationnelle du développement durable.
Mais le dernier cas d’études analysé semble symboliser un deuxième temps, depuis les années 2010, au cours duquel les sujets identifiés ci-dessus ont progressivement regagné leur indépendance vis-à-vis du développement durable qui en serait de moins en moins le fer de lance. À l’image de l’Écoquartier du Troisième, et comme évoqué plus haut, les sujets centraux du projet ne sont pas associés explicitement au développement durable comme ils avaient pu l’être dans d’autres concours, mais plus généralement dans bien des écrits scientifiques et documents politiques et règlementaires (Boissonade, 2015a[37]Boissonade J (dir.). (2015a). La ville durable controversée. Les dynamiques urbaines dans le mouvement critique, Paris, Petra, 488 p. ; Romagnoli, Vecchio, 2015[38]Romagnoli E, Vecchio C. (2015). « Les termes de la ville durable », dans Debizet G, Godier P (dir.), Architecture et urbanisme durables. Modèles et savoirs, Cahiers Ramau 7, Paris, Éditions de La Villette, p. 52-66.) au cours des dernières années : c’est le cas de la territorialisation de l’action (Faburel, 2006[39]Faburel G. (2006). « Développement durable et territorialisation de l’action urbaine en France », dans Dorier-Apprill E, (dir.),Paris, Armand Colin, coll. Ville et Environnement, p. 101-106.) ou du moins de la mise en valeur des liens entre développement durable et territoires (Theys, 2002[40]Theys J. (2002). « L’approche territoriale du “développement durable”, condition d’une prise en compte de sa dimension sociale », Développement durable et territoires, Dossier 1. [En ligne]. Disponible sur : https://developpementdurable.revues.org/1475, [consulté le 01/02/2019]. ; Zuindeau, 2010[41]Zuindeau B (dir.). (2000). Développement durable et territoire, Villeneuve d’Ascq, Presses Universitaires du Septentrion, 517 p., etc.), de la défense de l’environnement, de la biodiversité en ville, de la remise en cause du grand partage nature/culture, du renforcement de la qualité de vie, pour ne citer que quelques exemples.
Après une période de récupération, de technicisation et de complexification de sujets mobilisés au nom du développement durable, le troisième cas d’étude (sans faire généralité), symbolise ainsi l’ouverture d’une période de détachement entre le développement durable comme contenant et ce qui a pu constituer, au moins un temps, son contenu.
Appauvrissement ou complexification de la pensée ?
Explicitement ou implicitement liés à la quête de durabilité, les sujets mobilisés dans les trois concours ont pour certains une dimension spatiale forte à l’échelle urbaine, paysagère ou architecturale. D’autres, en revanche, participent moins, au stade du concours, à l’organisation spatiale du projet. De ces constats, deux hypothèses peuvent être formulées. La première est qu’au moins une partie des actions mises en œuvre au nom du développement durable n’a pas d’impact sur le cœur de l’activité de conception en phase de concours (la formalisation du plan-masse). La deuxième, qui suit la précédente, est que ce mot d’ordre amène d’autant plus les concepteurs à appréhender le projet autrement que par sa spatialité et sa forme.
Deux évolutions sont alors possibles. Soit ces nouvelles orientations sont confortées et c’est alors la place historiquement accordée à la spatialité des projets qui est sinon bouleversée du moins réinterrogée, tout comme dès lors la place du dessin (comme outil de construction de la pensée et de formalisation graphique) et d’une certaine manière la valeur de l’instantanéité. Réduite, celle-ci pourrait laisser davantage de place à la complexité du propos et du projet. Dans le cas contraire, parce que cette culture instantanéiste est fortement ancrée dans les pratiques des concepteurs, qu’elle est renforcée par les logiques inhérentes aux activités de concours mais aussi par un mode de pensée propre à la société occidentale contemporaine (Ost, 2001[42]Ost F. (2001). « Le développement durable, notion de recherche et catégorie pour l’action. Canevas pour une problématique hybride », dans Jollivet M (dir.), Le développement durable, de l’utopie au concept. De nouveaux chantiers pour la recherche – Natures Sciences Sociétés, Paris, Elsevier, 288 p. ; Gori, 2011[43]Gori R. (2011). La dignité de penser, Paris, Les liens qui libèrent, 190 p.), la complexité et le systémisme prônés par le développement durable pourraient en être freinés et réduits.
Il s’agit à présent d’analyser la manière dont les concepteurs de l’agence Lilas et les ingénieurs des BET spécialisés en matière de développement durable ont collaboré dans le processus de conception des projets analysés[44]N’ayant pas participé au concours sur l’Écoquartier du Troisième, seuls les deux premiers cas sont ici analysés.. Ce troisième temps permet ainsi de mettre à l’épreuve des logiques de collaborations interprofessionnelles, les exigences de complexité prônées par le développement durable.
Le rôle des bureaux d’études techniques
en matière de développement durable
ou les attentes complexes des concepteurs
Des collaborations faibles
Pour l’Île-sur-Saône, le BET n’a quasiment pas participé à la conception du projet. Ce n’est qu’une fois le plan-masse stabilisé que les premiers échanges ont eu lieu. Il lui fut alors demandé d’apporter son regard critique sur les gabarits et l’implantation des bâtiments, mais aussi de proposer une stratégie énergétique et de gestion des déchets. Les documents reçus furent jugés par l’Agence Lilas, comme peu satisfaisants et éclairants, ils n’ont pas été utilisés en l’état. Notons que le BET avait exigé, à l’époque, de n’intervenir dans le projet que lorsqu’il serait avancé. Mais nous verrons que d’autres raisons expliquent son intervention périphérique dans le processus de conception.
Dans le cas de Technopolis, deux temps d’échanges, à distance, ont eu lieu, à travers l’envoi par le BET d’un premier « rapport d’analyse environnementale » un mois après le début du projet. Le document traite tour à tour des caractéristiques du milieu physique et naturel, des ressources locales et réseaux, des contraintes locales et d’urbanisme, et des possibilités de recours aux énergies renouvelables. Une synthèse de quelques lignes présente le traitement des eaux pluviales, les performances thermiques et acoustiques des bâtiments, l’accessibilité par les transports en commun ou « doux », et l’insertion du projet dans le tissu urbain, comme des enjeux importants à développer. Ce document est alors perçu, au sein de l’agence Lilas, comme trop généraliste. Son apport pour la conception du projet est jugé limité. Un deuxième rapport, identique ou presque au premier et complété d’une analyse du plan masse, est renvoyé le mois suivant par le BET. Les remarques et suggestions proposées concernent ainsi la structure générale du plan-masse, l’intégration du projet dans son environnement, la répartition des fonctions urbaines. Mais elles concernent aussi différents aspects sociaux et sensibles (mixité sociale, vent, acoustique, ambiances nocturnes), ou plus techniques. Au fil des semaines, le projet se précise puis se stabilise. L’affinage du plan-masse permet de réduire le sentiment de rupture avec les quartiers limitrophes. Pour autant, cette évolution n’est pas tant le fruit d’une prise en compte des préconisations des ingénieurs que la réponse à un enjeu que l’agence Lilas avait considéré comme important. Ce sont par ailleurs les discussions avec les partenaires spécialisés en économie de la construction et en renouvellement urbain qui ont amené à préciser le type et la répartition des logements sociaux sur le secteur. Les questions de transport et d’organisation du parvis autour de la future gare ont quant à elles été précisées en collaboration entre le bureau d’études dédié et l’agence. En revanche, les préconisations énergétiques et de gestion des eaux pluviales ont été retenues et figurent explicitement dans le mémoire de rendu.
Quel que soit le projet, nous assistons à une très faible participation des BET chargés des questions de développement durable dans le processus de conception. Ces constats ne sauraient être généralisés. En revanche, ils dessinent, assurément, une modalité de collaboration (ici faible), et mettent en avant les logiques possiblement à l’œuvre dans ces phases si singulières que sont les concours.
Logiques comptables et compétences en construction
Du côté des ingénieurs, le désir d’intervenir tardivement révèle une « culture comptable » forte, où dans un souci de rentabilité de chaque mission, le temps alloué dépend des honoraires alors perçus et où, ce faisant, « la mission s’arrête quand le temps de travail prévu et rémunéré est écoulé » (Biau, 2002, p. 91[45]Biau V. (2002). La dévolution des marchés publics de maîtrise d’œuvre en Europe (Allemagne, Belgique, Danemark, Espagne, France, Italie, Pays-Bas, Portugal, Royaume-Uni), rapport de recherche pour le ministère de la Culture et de la Communication (direction de l’Architecture et du Patrimoine), Paris, Centre de Recherche sur l’Habitat (UMR LOUEST), 242 p.). Au-delà, ces constats révèlent les difficultés cognitives rencontrées au début des années 2010 par le monde de l’ingénierie, qui vit alors un processus de (re)construction de leurs compétences en matière de développement durable. À cette période, ils sont parfois eux-mêmes dépassés par les dispositifs techniques dont il leur est demandé de vérifier le fonctionnement, comme le rappelait François Grether, en 2012, lors d’un entretien semi-directif réalisé dans le cadre de notre thèse. Le socle commun permettant une collaboration réelle avec les concepteurs semble alors ténu.
L’ambivalence des concepteurs
face aux nouvelles expertises
Mais les observations révèlent plus généralement l’ambivalence des concepteurs vis-à-vis de nouvelles expertises (ici environnementales et de développement durable). D’un côté, ils reconnaissent l’intérêt de ces dernières pour faire face aux exigences des commanditaires : « On ne peut pas être spécialistes en tout. Quand je vois tous les sujets qu’on évoque, ça me donne le tournis, on a déjà des rôles très conséquents de coordinateurs de projet […] et en plus on doit être spécialistes de tous les sujets en écologie, etc. » (paysagiste, 2013[46]Extrait d’une prise de parole d’un paysagiste au cours d’un atelier de travail réalisé en 2013.). La multiplication de nouveaux acteurs implique dès lors une désectorisation des interventions et une complexification des processus de conception et de production urbaine : « Dans le “développement durable”, tous les acteurs doivent travailler ensemble. C’est un petit peu nouveau parce que, jusqu’à présent, le gars dans son bâtiment, il faisait ce qu’il voulait » (paysagiste, 2011).
Pour autant, ces transformations naissantes ne sont pas sans conséquences, que ces derniers qualifient de contraintes ou difficultés. Alors qu’ils mobilisent du temps (de management) et de l’argent (par les honoraires qu’ils touchent), certains partenaires, dotés notamment de compétences techniques, ne semblent pas apporter suffisamment aux projets. La pluridisciplinarité n’est pas vécue ici comme source d’enrichissement des projets. Les concepteurs regrettent souvent le manque d’adaptation des documents reçus, mais aussi le manque de compétences de leurs partenaires ingénieurs : « C’est des mecs qui mettent des recettes, qui ne regardent pas le projet, ils s’en foutent » (architecte-urbaniste-paysagiste, 2012).
Finalement, l’énergie mobilisée pour contacter les BET et tenter d’intégrer des propositions jugées peu satisfaisantes, est vécue comme une perte de temps pour les concepteurs, synonyme d’improductivité et d’inutilité. En outre, dans un contexte de crise, où les maîtres d’ouvrages publics ont tendance à réduire les montants alloués aux études, les équipes de maîtrise d’œuvre reçoivent des honoraires moindres, qu’ils doivent partager entre des acteurs plus nombreux.
De plus, cette multiplication semble en partie incompatible avec les logiques de la créativité en phase de conception. Pour l’Île-sur-Saône, faire intervenir les ingénieurs une fois le projet ficelé, c’est considérer que les BET n’ont pas à intervenir dans l’acte même de conception et qu’ils n’ont d’intérêt que pour garantir la faisabilité et le faible impact des projets sur l’environnement. C’est donc considérer les actions techniques en matière de développement durable comme importantes mais dont la prise en compte est secondaire. Pour Technopolis, seules les préconisations énergétiques et de gestion des eaux pluviales issues du deuxième rapport furent prises en compte. Là aussi, ce que ces derniers semblent accepter de la part des BET concerne les aspects avant tout techniques qui, dans ce cas, n’ont impacté que faiblement l’organisation spatiale du projet. Les concepteurs semblent, d’un côté, attendre des BET qu’ils apportent à leur projet, tout en mettant en œuvre des processus de mise à distance des ingénieurs afin de garder la main sur le cœur du projet.
Ainsi, alors que la prise en compte du développement durable dans sa complexité exige des compétences très pointues (que détiennent notamment les ingénieurs) et des compétences plus généralistes (que détiennent les concepteurs), celles-ci ne sont pas articulées. Le développement durable interroge ainsi la chaîne de conception, l’articulation des savoirs et compétences, et dès lors le rôle de l’interdisciplinarité et de l’interprofessionnalité (Evette, 2001[47]Evette T. (2001). « L’interprofessionalité ? Un point de vue », dans Evette T, Thilbault E (dir.), Interprofessionnalité et action collective dans les métiers de la conception urbaine et architecturale, Cahiers RAMAU 2,Paris, Éditions de La Villette, p. 9-13. ; Symes, 2001[48]Symes M. (2001). « La durabilité : une question multidimensionnelle traversant les opérations », dans Evette T, Thilbault E (dir.), Interprofessionnalité et action collective dans les métiers de la conception urbaine et architecturale, Cahiers Ramau 2,Paris, Éditions de La Villette, p. 39-46. ; Hamman, Blanc, 2009[49]Op. cit. ; Béal et al., 2011[50]Op. cit. ; Terrin, 2014[51]Op. cit.). Ces constats interrogent en outre la capacité de l’ « idéal » de développement durable (Béal et al., 2011[52]Op. cit.) à produire une forme d’éthique collaborative, alors que concepteurs et ingénieurs sont pris dans des logiques de concurrence à la fois marchande et professionnelle.
En guise de discussion
Dans cet article, il s’agissait d’analyser trois situations de conception de projet urbain en phase concours, observées au sein d’une agence singulière d’architecture, d’urbanisme et de paysage, au début des années 2010 ; et plus précisément de comprendre comment le développement durable avait pu être mobilisé, tant dans les rendus officiels de concours que dans les réflexions liées à la conception de ces trois projets. Il s’agissait, en outre, d’analyser comment s’étaient construites les relations de collaborations entre l’agence et les BET mobilisés au sein de chaque équipe de maîtrise d’œuvre.
Vers la fin du développement durable
comme principe de justification ?
L’analyse des rendus dessine cinq configurations de mise en récit de la prise en compte du développement durable en phase de concours : « non-définie et sectorielle » ; « explicite et sectorielle » ; « explicite et intégrée », « explicite et nulle » ; « nulle ».
La diversité des manières de définir (ou non) le développement durable révèle, chez les concepteurs, le passage d’approches peu construites associées à une série d’actions écologiques et techniques (contenant quasi absent et contenus peu questionnés) aux tentatives de construction intellectuelle plus fine de ce que pourrait être un développement urbain durable (mise en valeur du contenant), avant finalement de s’en départir progressivement au profit d’actions émancipées de la quête de durabilité (fuite du contenant et normalisation du contenu). Nous faisons ainsi l’hypothèse que le développement durablene constituerait plus, ou moins systématiquement, un principe de justification générale du projet urbain. C. Emelianoff (2015[53]Op. cit.) postulait une désactivation du contenu du développement durable du fait de l’écart entre les ambitions initiales du développement durable et la manière dont il a été approprié au cours des dernières décennies. Souscrivant à cette hypothèse, nous postulons en complément à une désactivation du contenant (Debizet, et al., 2019[54]Debizet G., Roudil N, Henry E., Tribout S. (2019). « Effets du développement durable sur la conception architecturale et urbaine – Conversation croisée à partir de 20 ans de cahier Ramau », dans Biau V, Godier P (dir.), RAMAU, vingt ans de recherches sur la fabrication de la ville, Cahiers Ramau 10, Paris, Éditions de La Villette.).
Les configurations ainsi qualifiées révèlent différents statuts accordés au développement durable. Dans les discours (ici au sein des rendus), il peut être appréhendé comme une catégorie d’actions ou davantage comme un paradigme orientant l’ensemble du projet. Mais si l’on croise cette analyse formelle avec l’observation des pratiques, nous constatons qu’il constitue avant tout un récit (Boissonade, 2015a[55]Op. cit.) de projet, qu’il soit partiel ou plus englobant.
Ces configurations nous renseignent enfin sur les logiques de fonctionnement de l’agence observée et éclairent plus largement ce monde de la conception en agence. Elles invitent à comprendre ces agences comme des organisations qui, toute de manière singulière, articulent des logiques diverses, convergentes autant que divergentes.
L’appartenance conjointe à plusieurs mondes
qui se nourrissent ou s’opposent
Ces logiques dessinent un système d’appartenance conjointe à plusieurs mondes définis par la théorie des économies de la grandeur (Boltanski, Thévenot, 1991[56]Boltanski L, Thévenot L. (1991). De la justification : les économies de la grandeur, Paris, Gallimard, 496 p.) puis complétés les années suivantes pour la « cité écologique » (Lafaye, Thévenot,1993[57]Lafaye C, Thevenot L. (1993). « Une justification écologique ? Conflits dans l’aménagement de la nature », Revue française de sociologie, n° 34-4, p. 495-524.) et pour la « cité par projet »[58]Bien des auteurs ont eu l’occasion de mobiliser cette grille de lecture dans le champ de l’urbain croisé à celui sur le développement durable (ex : Haller H. (2019). « Concevoir des bâtiments performants : prescriptions publiques, coordination, apprentissage », thèse de doctorat, UMR Pacte, université Grenoble Alpes, 319 p. ; Boissonade J. (2015b). « Une approche pragmatiste dans la critique du développement durable », dans Boissonade J (dir.) (2015a), op. cit ; Damay, 2015 (Damay L. (2015). « Le cas du RER à Bruxelles : une grandeur verte furtive au sein des arènes publiques », dans Boissonade J, La ville durable controversée. Les dynamiques urbaines dans le mouvement critique, Paris, Petra, p. 227-253) ; Lejeune et Villalba, 2015), notamment pour analyser les grammaires à l’œuvre dans une série d’épreuves (au sein de projets urbains et d’infrastructure analysés). Ces écrits la mobilisent moins, en revanche, pour qualifier les logiques d’un type d’acteur en particulier (ici les concepteurs en agence). C’est ce que nous proposons de faire ici. (Boltanski, Chiapello, 1999[59]Boltanski L, Chiapello È. (2016) [1999]. Le nouvel esprit du capitalisme, Paris, Gallimard, 972 p.). L’analyse montre finalement que les concepteurs en agence répondent à certaines logiques :
du monde de l’« inspiration » : lorsqu’il s’agit d’imaginer, de penser et de représenter un projet, en se soustrayant, au moins un temps, des logiques de maîtrise et d’efficacité ;
du monde « marchand » : par l’intégration des agences dans un système de concurrence professionnelle (avec les agences de même nature) et interprofessionnelle (nous l’avons vu avec les BET), particulièrement activé en phase de concours, mais que l’on retrouve dans d’autres situations, notamment de candidature, d’appels d’offres ou de communication ;
du monde « industriel » : par la recherche d’efficacité, de productivité, de maîtrise des délais et donc des coûts, notamment quand leur action s’inscrit dans des délais contraints et que les honoraires sont calculés selon le temps passé sur chaque tâche ;
du monde de l’« opinion » : par la quête de reconnaissance nationale voire internationale, à travers les projets gagnés et réalisés, par l’affichage d’une identité propre, notamment, comme ce fut le cas pour l’agence Lilas, autour des questions de durabilité ;
du monde « civique » : lorsque les acteurs imaginent leur projet urbain durable comme un moyen de servir l’intérêt général ;
du monde « écologique » : lorsqu’ils proposent des actions en faveur de la gestion des eaux pluviales et usées, de la biodiversité, du tri des déchets, de l’utilisation d’énergies renouvelables, de la baisse de la place de l’automobile, etc. ;
enfin du monde « par projet » : lorsqu’ils sont amenés à constituer des équipes et à mettre en réseau des acteurs aux compétences très différentes ; lorsque, plus généralement, ils tissent et alimentent des réseaux de partenaires ; lorsque, par ailleurs, ils activent des marges de manœuvre individuelles ou collectives pour mener des actions qui ne leur sont pas imposées[60]Cela est vrai pour l’agence observée alors même que les acteurs interrogés étaient salariés. C’est d’autant plus le cas pour les très nombreuses agences de plus petite taille et fonctionnant en libéral. (ex : dépassement des exigences des commanditaires, prise de distance vis-à-vis d’une culture en train de se construire autour de la durabilité, comme ce fut le cas pour l’Écoquartier du Troisième, participation volontaire à la démarche de « formation et réflexions collaboratives » mise en place au sein de l’Agence Lilas entre 2010 et 2013).
Ces logiques peuvent se nourrir les unes des autres. Qu’elles se fondent sur un engagement « écologique » ou plus généralement « civique » et/ou sur le seul désir d’acquérir une « opinion » favorable aux yeux du commanditaire, les postures en faveur de la durabilité urbaine constituent, au début des années 2010, un argument important et quasi inévitable pour l’obtention de nouveaux marchés. Dans ce cas, les logiques du monde « écologique », « civique » et/ou de l’ « opinion » nourrissent les logiques du monde « marchand » (Lejeune, Villalba, 2015[61]Lejeune C, Villalba B. (2015). « La justification durable comme extension du productivisme », dans Boissonade J (dir.) (2015a), op. cit., p. 255-285.). L’obtention de nouveaux marchés peut conduire à une reconnaissance d’autant plus forte pour les agences et leurs partenaires (co-traitants ou sous-traitants). Les logiques du monde marchand nourrissent alors celles du monde de l’opinion. En parallèle, l’analyse montre comment les logiques d’efficacité et de productivité impactent les logiques de travail en phase de concours (compte-tenu des délais courts) et peuvent conditionner l’obtention de marchés. Ici les logiques du monde « industriel » servent celles du monde « marchand ».
Mais les logiques de ces mondes ne sont pas toujours compatibles et peuvent entrer en « conflit » (Boltanski, Thévenot, 1991[62]Op. cit.). Ainsi l’analyse montre comment les concepteurs observés ne se satisfont pas de « recettes » ou documents génériques envoyés par leurs partenaires, notamment BET. Portés par les logiques de l’ « inspiration », les concepteurs dénoncent ici les logiques « industrielles » du monde de l’ingénierie. À l’inverse, en dénonçant la complexification des modes de coordination du fait d’une multiplication des partenaires et dès lors l’augmentation du temps de travail, ils se montrent là défenseurs de logiques d’efficacité, de productivité et d’utilité contre ce qui pourrait être perçu comme une ouverture à de nouveaux champs d’expertise susceptibles de nourrir la créativité et donc les logiques de l’ « inspiration ». La phase de concours révèle bien ici les tensions entre les mondes industriels et de l’inspiration, face auxquelles les concepteurs doivent constamment trouver des équilibres.
Nous observons enfin des cas plus complexes encore où deux mondes peuvent se nourrir tout en entrant en conflit. Comme vu ci-dessus, par leur capacité à mettre en réseau et à associer différentes expertises, ils peuvent favoriser l’émergence de nouvelles idées de projet. En cela, les logiques des mondes de l’ « inspiration » et « par projet » convergent. Mais lorsque, consciemment ou inconsciemment, ils procèdent à une mise à distance des expertises pourtant impliquées dans l’équipe de projet, leur permettant ainsi de maintenir leur propre espace professionnel, les logiques issues de ces deux mondes entrent en conflit.
Enfin, notons que ce qui pouvait nourrir les logiques de l’opinion, et ce faisant du monde marchand à une période, peut, quelques années plus tard, se montrer contre-productif. À ce titre, la diffusion massive du développement durabledans les discours des concepteurs ne permet plus (ou moins) à ce dernier de constituer un moyen de distinction. Finalement, cette raison, associée à la complexité cognitive de mobiliser une notion englobante et systémique pour penser tout acte de conception, confirme un peu plus l’hypothèse de la fin d’une période de justification par la durabilité, et de saturation des « représentations et [de] l’argumentation développées par les acteurs publics et privés » (Boissonade, 2015a, p. 9[63]Op. cit.).
[1] Le terme « agence » ne renvoie pas aux structures associatives publiques que sont les agences d’urbanisme en charge d’accompagner les collectivités dans la définition de leurs politiques d’aménagement et d’urbanisme. Dans l’ensemble de l’article, le terme « agence » désigne les bureaux d’études en architecture et/ou paysage et/ou urbanisme. Ces agences privées intégrées au sein d’équipes de maîtrise d’œuvre, dont elles sont souvent mandataires, répondent à des commandes publiques ou privées (de l’étude préopérationnelle à la conception et au suivi de la réalisation de projets). Ces agences peuvent avoir des tailles, des statuts juridiques et des modes d’organisation très singuliers. Il ne s’agit pas ici d’en montrer les différentes catégories. Il s’agira, en revanche, de qualifier l’agence que nous avons observée (infra) pour la situer dans le paysage des agences françaises.
[2] Roudil N. (2012). « Fabriquer la ville à l’heure de l’injonction au “durable” – Introduction », Métropolitiques, octobre. [En ligne, 01/02/2019].
[3] Biau V, Fenker M, Macaire É (dir.). (2013). L’implication des habitants dans la fabrication de la ville – Métiers et pratiques en question, Cahiers RAMAU 6, Paris, Éditions de la Villette, 362 p.
[4] Debizet G, Godier P. (2015). « Savoirs et modèles en transition : constats et pistes de recherche », dans Debizet G, Godier P (dir.), Architecture et urbanisme durables. Modèles et savoirs, Cahiers RAMAU 7, Paris, Éditions de La Villette, p. 276-286.
[5] Grudet I, Macaire E, Roudil N. (2017). Concevoir la ville durable. Un enjeu de gestion, Cahiers RAMAU 8, Paris, Éditions de La Villette, 184 p.
[6] « Présentation du réseau ». reseaucritiquesdeveloppementdurable.fr [En ligne, 06/03/19].
[7] Biau V, Sineus M. (2017). Les pratiques du concours d’architecture en Europe. Zoom sur l’Allemagne, les Pays-Bas, la Pologne et la Suisse, rapport pour la mission interministérielle pour la qualité des constructions publiques et le ministère de la Culture et de la Communication, Paris, Centre de Recherche sur l’Habitat (UMR LAVUE), 139 p.
[8] Macaire E, Zetlaoui-Leger J. (2017). Étude qualitative et quantitative sur les concours d’architecture en France 2006-2015, rapport final : synthèse des résultats et propositions, rapport pour la mission interministérielle pour la qualité des constructions publiques, Paris, Laboratoire Espace Travail (UMR LAVUE), 113 p.
[9] Intitulée « Les concepteurs en agence d’architecture, d’urbanisme et de paysage à l’épreuve du développement durable », soutenue en novembre 2015.
[10] Observatoire de la profession – Conseil national de l’ordre des architectes. (2012). « Comment les architectes résistent-ils à la crise ? Les principaux enseignements de l’étude menée en juillet 2012 », Cahiers de la profession, n° 45, 13 p.
[11] Tribout S. (2017). « La conception à l’épreuve de la gestion des eaux pluviales », dans Grudet I, Macaire E, Roudil N, Concevoir la ville durable. Un enjeu de gestion, Cahiers RAMAU 8, Paris, Éditions de La Villette, p. 98-99.
[12] L’intitulé de ces projets est fictif, pour respecter les règles d’anonymat souhaitées dans ce travail.
[13] Cet extrait est issu du document programmatique du concours d’urbanisme de l’Île-Sur-Saône, transmis par la maîtrise d’ouvrage en 2011. Pour ce passage, comme pour l’ensemble des extraits de cahiers des charges et rendus mobilisés dans la suite de l’article, il ne nous semble pas opportun de préciser les numéros de page puisque l’analyse est totalement anonymisée.
[14] Le terme « écoquartier » et tous les passages entre guillemets du présent paragraphe, sont extraits du « Programme du concours d’urbanisme », pièce rédigée et transmise par le maître d’ouvrage commanditaire.
[15] Les passages entre guillemets dans le présent paragraphe et les notes de bas de page associées sont extraits du « Mémoire technique » rendu par l’Agence Lilas en 2011 dans le cadre du concours de l’Île-sur-Saône.
[16] Ce préambule avait été écrit par moi-même, à la demande du directeur et de certains salariés qui souhaitaient un document présentant la conception officielle de l’agence. Ce préambule se situe à la convergence de réflexions collectives et de ma propre conception de ce que pouvait être un développement urbain durable.
[17] « …proposant de dépasser une “approche strictement écologique et technique de la durabilité́ urbaine, pour donner toute leur place aux dimensions économique et sociale ».
[18] … pour « mettre en lien les différents champs d’action et […] en mettant en avant l’idée selon laquelle chaque action révèle différents enjeux à la fois écologiques, économiques et sociaux ».
[19] … considérant que c’est « l’identification d’enjeux territoriaux qui a permis de définir des champs d’intervention pertinents et les moyens de les mettre en œuvre ».
[20] … proposant de tendre vers des initiatives d’ « autopromotion » ou « la mise à disposition de jardins partagés » où les habitants auraient un rôle à jouer dans la conception puis la gestion d’une partie du quartier.
[21] S’ensuivent le « Phasage général » et le « Chiffrage du projet ».
[22] Chapitre 2 : « Les pages précédentes ont révélé une approche à la fois sociale et économique du développement durable. […] Nous souhaitons à présent développer les orientations retenues en termes d’écologie et de technique ».
[23] Le qualificatif « nulle » ne doit pas être compris comme un jugement de valeur, mais au sens de « inexistant », « absent ».
[24] Béal V, Gauthier M, Pinson G (dir.). (2011). Le développement durable changera-t-il la ville ?, Saint-Étienne, Presses Universitaires de Saint-Étienne, 464 p.
[25] Terrin JJ. (2014). Le projet du projet. Concevoir la ville contemporaine, Marseille, Parenthèses, 320 p.
[26] Choay F. (1965). L’urbanisme, utopies et réalités, Paris, Points, 446 p.
[27] Busquet G. (2008). « Le rôle et le statut de la ville dans la pensée politique de gauche depuis les années 1960 en France : entre espace-enjeu et espace-instrument », dans RESO (ESO) et CRAPE, actes du colloque international « Espaces de vie, espaces-enjeux : entre investissements ordinaires et mobilisations politiques ». [En ligne]. Disponible sur : http://eso.cnrs.fr, (consulté le 01/02/2019).
[28] Biau V, Tapie G. (2009). « Fabriquer les espaces bâtis, concevoir et coopérer », dans Biau V, Tapie G (dir.), La fabrication de la ville. Métiers et organisations, Marseille, Éditions Parenthèses, p. 167-204.
[29] Hamman P, Blanc C. (2009). Sociologie du développement durable urbain. Projets et stratégies métropolitaines françaises, Bruxelles, PIE Peter Lang, 260 p.
[30] Maljean-Dubois S. (2009). « L’émergence du développement durable comme paradigme et sa traduction juridique sur la scène internationale », dans Villalba B (dir.), Appropriations du développement durable. Émergences, diffusions, traductions, Villeneuve-d’Ascq, Presses Universitaires du Septentrion, p. 67-106.
[31] Op. cit.
[32] Villalba B (dir.). (2009). Appropriations du développement durable. Émergences, diffusions, traductions, Villeneuve d’Ascq, Éditions du Septentrion, 388 p.
[33] Op. cit.
[34] Émelianoff C. (2015). « La ville durable, questions à la recherche », dans Debizet G, Godier P (dir.), Architecture et urbanisme durables. Modèles et savoirs, Cahiers RAMAU 7, Paris, Éditions de La Villette, p. 52-66.
[35] Op. cit.
[36] Biau V. (2012). « Axe 1 : Recomposition des cultures et compétences professionnelles », dans Terrin JJ, Vardouli S, Marie JB et al., Écoquartiers II. Évolutions de la conception urbaine et architecturale face aux enjeux du développement durable. Axes de recherche et actions – Futurs – Documents annexes, Paris, LEAV et RAMAU, p. 17-20.
[37] Boissonade J (dir.). (2015a). La ville durable controversée. Les dynamiques urbaines dans le mouvement critique, Paris, Petra, 488 p.
[38] Romagnoli E, Vecchio C. (2015). « Les termes de la ville durable », dans Debizet G, Godier P (dir.), Architecture et urbanisme durables. Modèles et savoirs, Cahiers Ramau 7, Paris, Éditions de La Villette, p. 52-66.
[39] Faburel G. (2006). « Développement durable et territorialisation de l’action urbaine en France », dans Dorier-Apprill E, (dir.),Paris, Armand Colin, coll. Ville et Environnement, p. 101-106.
[40] Theys J. (2002). « L’approche territoriale du “développement durable”, condition d’une prise en compte de sa dimension sociale », Développement durable et territoires, Dossier 1. [En ligne]. Disponible sur : https://developpementdurable.revues.org/1475, [consulté le 01/02/2019].
[41] Zuindeau B (dir.). (2000). Développement durable et territoire, Villeneuve d’Ascq, Presses Universitaires du Septentrion, 517 p.
[42] Ost F. (2001). « Le développement durable, notion de recherche et catégorie pour l’action. Canevas pour une problématique hybride », dans Jollivet M (dir.), Le développement durable, de l’utopie au concept. De nouveaux chantiers pour la recherche – Natures Sciences Sociétés, Paris, Elsevier, 288 p.
[43] Gori R. (2011). La dignité de penser, Paris, Les liens qui libèrent, 190 p.
[44] N’ayant pas participé au concours sur l’Écoquartier du Troisième, seuls les deux premiers cas sont ici analysés.
[45] Biau V. (2002). La dévolution des marchés publics de maîtrise d’œuvre en Europe (Allemagne, Belgique, Danemark, Espagne, France, Italie, Pays-Bas, Portugal, Royaume-Uni), rapport de recherche pour le ministère de la Culture et de la Communication (direction de l’Architecture et du Patrimoine), Paris, Centre de Recherche sur l’Habitat (UMR LOUEST), 242 p.
[46] Extrait d’une prise de parole d’un paysagiste au cours d’un atelier de travail réalisé en 2013.
[47] Evette T. (2001). « L’interprofessionalité ? Un point de vue », dans Evette T, Thilbault E (dir.), Interprofessionnalité et action collective dans les métiers de la conception urbaine et architecturale, Cahiers RAMAU 2,Paris, Éditions de La Villette, p. 9-13.
[48] Symes M. (2001). « La durabilité : une question multidimensionnelle traversant les opérations », dans Evette T, Thilbault E (dir.), Interprofessionnalité et action collective dans les métiers de la conception urbaine et architecturale, Cahiers Ramau 2,Paris, Éditions de La Villette, p. 39-46.
[49] Op. cit.
[50] Op. cit.
[51] Op. cit.
[52] Op. cit.
[53] Op. cit.
[54] Debizet G., Roudil N, Henry E., Tribout S. (2019). « Effets du développement durable sur la conception architecturale et urbaine – Conversation croisée à partir de 20 ans de cahier Ramau », dans Biau V, Godier P (dir.), RAMAU, vingt ans de recherches sur la fabrication de la ville, Cahiers Ramau 10, Paris, Éditions de La Villette.
« Les termes de la ville durable », dans Debizet G, Godier P (dir.), Architecture et urbanisme durables. Modèles et savoirs, Cahiers Ramau 7, Paris, Éditions de La Villette, p. 52-66.
[55] Op. cit.
[56] Boltanski L, Thévenot L. (1991). De la justification : les économies de la grandeur, Paris, Gallimard, 496 p.
[57] Lafaye C, Thevenot L. (1993). « Une justification écologique ? Conflits dans l’aménagement de la nature », Revue française de sociologie, n° 34-4, p. 495-524.
[58] Bien des auteurs ont eu l’occasion de mobiliser cette grille de lecture dans le champ de l’urbain croisé à celui sur le développement durable (ex : Haller H. (2019). « Concevoir des bâtiments performants : prescriptions publiques, coordination, apprentissage », thèse de doctorat, UMR Pacte, université Grenoble Alpes, 319 p. ; Boissonade J. (2015b). « Une approche pragmatiste dans la critique du développement durable », dans Boissonade J (dir.) (2015a), op. cit ; Damay, 2015 (Damay L. (2015). « Le cas du RER à Bruxelles : une grandeur verte furtive au sein des arènes publiques », dans Boissonade J, La ville durable controversée. Les dynamiques urbaines dans le mouvement critique, Paris, Petra, p. 227-253) ; Lejeune et Villalba, 2015), notamment pour analyser les grammaires à l’œuvre dans une série d’épreuves (au sein de projets urbains et d’infrastructure analysés). Ces écrits la mobilisent moins, en revanche, pour qualifier les logiques d’un type d’acteur en particulier (ici les concepteurs en agence). C’est ce que nous proposons de faire ici.
[59] Boltanski L, Chiapello È. (2016) [1999]. Le nouvel esprit du capitalisme, Paris, Gallimard, 972 p.
[60] Cela est vrai pour l’agence observée alors même que les acteurs interrogés étaient salariés. C’est d’autant plus le cas pour les très nombreuses agences de plus petite taille et fonctionnant en libéral.
[61] Lejeune C, Villalba B. (2015). « La justification durable comme extension du productivisme », dans Boissonade J (dir.) (2015a), op. cit., p. 255-285.
[62] Op. cit.
[63] Op. cit.