janvier 2019
Commerce et urbanisme
E-commerce et livraisons alimentaires
du dernier kilomètre
Analyse exploratoire
des préférences des consommateurs
E-commerce et livraisons alimentaires du dernier kilomètre : analyse exploratoire des préférences des consommateurs,
Riurba no
7, janvier 2019.
URL : https://www.riurba.review/article/07-commerce/livraisons/
Article publié le 1er janv. 2019
- Abstract
- Résumé
E-commerce and last-mile food deliveries: exploratory analysis of consumer preferences
As a result of the e-commerce evolution, the last mile issue is actually challenging the business models of retailers, logistics providers and all the urban freight stakeholders. This paper presents the question of the last mile of food products evaluated depending of consumer preferences, as well as by the operational solutions found by logistics providers. The results show the growth in the volume of online food shopping in Paris. Food e-commerce players are innovating by implementing new last mile delivery strategies in line with consumer preferences.
Les livraisons du dernier kilomètre résultent de la croissance du e-commerce depuis ces dernières années, générant de nouveaux flux logistiques dans les espaces urbains. Ce constat est d’autant plus accentué dans les grandes métropoles connaissant une concentration démographique et des spécificités urbaines très hétérogènes. Cet article présente la problématique du dernier kilomètre des produits alimentaires analysée du point de vue des préférences des consommateurs et des solutions opérationnelles apportées par les prestataires logistiques. Les résultats montrent la croissance du volume des courses alimentaires en ligne à Paris. Les acteurs du e-commerce alimentaire innovent en mettant en place de nouvelles stratégies de livraison du dernier kilomètre en phase avec les préférences des consommateurs.
post->ID de l’article : 3646 • Résumé en_US : 3663 • Résumé fr_FR : 3660 •
Introduction
Le commerce électronique ou e-commerce peut être défini comme étant un ensemble de procédures et de technologies qui automatisent les tâches des transactions financières par des moyens électroniques…, c’est un nouveau concept qui comprend le processus d’achat et de vente ou d’échange de produits, de services ou d’informations via des réseaux informatiques, dont Internet.Aujourd’hui, l’e-commerce connaît une croissance du volume des transactions générant de plus en plus des flux physiques pour livrer les consommateurs finaux. À l’échelle mondiale, la Chine, le Japon ainsi que les États-Unis représentent collectivement 70 % de la valeur mondiale des biens de grande consommation dans le commerce électronique, en 2017. Le Royaume-Uni (12 %), la France (8 %) et la Corée du Sud (8 %) sont également des acteurs importants de ce marché (Kantar Worldpanel[1]Kantar Worldpanel. (2018). Finding growth in reinvented retail, june.).
Globalement, le marché européen du commerce électronique des produits alimentaires reste moins développé par rapport aux marchés chinois et américain. De même, le marché français a connu une évolution depuis les années 2012 mais avec une tendance très faible. Par ailleurs, le principal facteur qui influence les consommateurs de ce marché, contrairement au marché traditionnel, est le gain de temps lié à la gestion des courses. Sachant que la livraison à domicile reste toujours le mode de livraison dominant, plusieurs questions se posent sur l’aménagement urbain (stationnement de livraison, état du trafic commercial en ville, implantation et organisation de lieux dédiés à la récupération des colis…), qui pourrait être le facteur clé de succès de la croissance des livraisons en point relais. Par conséquent, on peut déduire que l’enjeu principal qui empêche aujourd’hui la croissance du e-alimentaire est la gestion de la livraison du dernier kilomètre.
Pour les consommateurs, la livraison du dernier kilomètre est cruciale dans la décision d’achat. Conscients de cet enjeu, les e-commerçants offrent une variété d’attributs et de choix possibles pour le lieu de la livraison, la vitesse de livraison (Holdorf et Haassis, 2014) ainsi que pour l’heure à laquelle le consommateur pourrait être livré.
Si l’e-commerce permet d’éviter les coûts liés au déplacement des consommateurs pour effectuer leurs achats, ces derniers multiplient les commandes en ligne, ce qui génère, du point de vue logistique, l’éclatement des flux et la multiplication des livraisons dans les espaces urbains. En effet, l’e-commerce est en train de modifier les habitudes de consommation en offrant une multitude d’options et de produits aux consommateurs en BtoB et en BtoC[2]BtoB signifie « Business to Business ». Cette abréviation renvoie à l’ensemble des activités réalisées entre deux entreprises ou au sein d’un réseau d’entreprises. Elle comporte à la fois les relations commerciales et les aspects logistiques liés à l’échange de bien et/ou services.
BtoC signifie « Business to Consumer ». Cette abréviation renvoie aux activités commerciales, de livraison et de paiement des transactions économiques à destination des consommateurs particuliers. L’e-commerce / achat en ligne en fait partie..
Aujourd’hui, le marché de l’e-commerce représente environ 8 % de la consommation française, mais sa part de marché diffère selon les secteurs.
En effet, l’e-commerce alimentaire occupe aujourd’hui la 11e place sur le marché du e-commerce en France. Ce secteur a connu une hausse de 12 % entre 2014 et 2017.
En 2017, les dépenses des ménages en termes d’achats en ligne de produits alimentaires online GMS représentaient 4 %, contre 0.3 % en moyenne avant 2012, avec des parts de marché faibles pour les produits frais tels que les fruits, les viandes ou encore les poissons. En revanche, elles sont plus importantes pour les produits de consommation courante et relativement lourds, comme les boissons (eaux en bouteille, jus de fruits), les produits de l’alimentation infantile et les céréales du petit-déjeuner (Kantar Worldpanel[4] Op. cit.).
Pour se positionner sur ce marché, les acteurs du secteur agroalimentaire déploient leurs stratégies en tissant de nouveaux partenariats. Monoprix et Amazon Prime Now ont mis en place un partenariat dans la mesure où des produits alimentaires de la marque Monoprix sont disponibles sur Amazon Prime Now. De la même manière, Franprix accentue également sa présence dans le e-commerce en développant son service de livraison à domicile via son application lancée en 2017. Leclerc, qui n’a pas de magasin physique à Paris, décide d’attaquer également ce canal de vente en créant son propre service de livraison alimentaire, Leclerc chez moi. Ce service lancé en mars 2018 a pour objectif de produire le même chiffre d’affaires qu’un hypermarché (entre 125 et 200 millions d’euros de chiffre d’affaires annuel).
La principale difficulté du e-commerce alimentaire consiste à rentabiliser le service de la livraison à domicile. L’optimisation des tournées et leur rentabilité demeurent un vrai enjeu, en plus des externalités négatives (émissions CO2, congestion, nuisances) générées par la multiplication des livraisons en zone urbaine. Les prestataires logistiques et les transporteurs doivent rentabiliser les opérations de livraison du dernier kilomètre tout en compressant les coûts grâce à une équation d’optimisation très complexe. La livraison doit être toujours plus rapide, répondant exactement au souhait du consommateur. Ce dernier exige un service de livraison personnalisé mais sans payer de frais supplémentaires. Les produits alimentaires posent une autre contrainte liée à leurs caractéristiques, comme le contrôle de la température ou encore le poids des courses alimentaires.
Du point de vue urbain, les livraisons du dernier kilomètre sont confrontées à l’hétérogénéité des espaces urbains et à la densité urbaine (démographie, circulation, congestion…). En France, l’e-commerce génère aujourd’hui 20 à 25 % des flux de transport en ville, et sa tendance croissante pose déjà un problème majeur pour les décideurs publics et pour les entreprises, notamment dans les grandes métropoles. Ces dernières sont confrontées dès à présent à des problèmes de congestion, de pollution et de stationnement. L’espace urbain dans l’hypercentre n’étant pas extensible, sa gestion intelligente, dynamique et partagée semble être une solution incontournable à court terme.
Du point de vue réglementaire, certaines villes imposent des restrictions aux transporteurs et aux livreurs pour accéder aux zones urbaines, notamment aux centres-villes (créneaux horaires limités, péage).
Afin de mettre l’accent sur la problématique du dernier kilomètre en lien avec l’e-commerce, cet article traite le cas des produits alimentaires pour les consommateurs parisiens passant leur commande en ligne. Il se déroule en quatre parties. La première présente l’intérêt de la recherche en questionnant la relation micro-économique entre e-commerce et préférences des consommateurs pour les modes de livraison pour les produits alimentaires. La seconde partie présente la méthodologie suivie, faisant le lien entre les changements des habitudes de consommation et la configuration des chaînes logistiques alimentaires avec un focus sur le dernier kilomètre. La troisième partie propose un état de l’art sur la relation entre e-commerce alimentaire et préférences des consommateurs pour la livraison du dernier kilomètre. Cette partie illustre également les stratégies de réponse à l’œuvre de la part des transporteurs, des start-ups, etc. Enfin, la dernière partie traite le cas des livraisons alimentaires à Paris.
Intérêt de la recherche
Le concept de supply chain management est important et doit être souligné dès lors qu’on s’intéresse aux produits alimentaires, eu égard à leurs caractéristiques et aux impératifs logistiques associés, comme la température, la fraîcheur et les délais de livraison (Gonzales-Feliu et al., 2014[5]Gonzalez-Feliu J, Semet F, Routhier JL (dir.). (2014). Sustainable Urban Logistics: Concepts, Methods and Information Systems, Berlin, Springer Verlag, EcoProduction.). Sur le plan opérationnel, la supply chain des produits alimentaires est complexe et nécessite une optimisation sans faille des processus logistiques. Les travaux de recherche ayant abordé la problématique du dernier kilomètre des produits alimentaires demeurent très limités, notamment en raison de la complexité opérationnelle qui en découle et que nous illustrons sur la figure 3.
En effet, si les travaux de recherche traitant la question des livraisons du dernier kilomètre des produits alimentaires sont peu nombreux, ceux établissant le lien entre les comportements des consommateurs et notamment leurs préférences concernant les options de livraison demeurent très limités dans la littérature scientifique récente.
De manière générale, la logistique du e-commerce alimentaire demeure complexe. Le dernier kilomètre est coûteux étant donné la fragilité des biens ainsi que la rapidité de leur péremption. De plus, le dernier kilomètre devient plus difficile à gérer quand les erreurs d’adresse ou les absences des clients viennent impacter les tournées de livraison et générer des flux associés à la planification d’une nouvelle tournée ou de retour de la commande en entrepôt. La question de l’étalement urbain est également problématique, notamment dans les grandes métropoles (Paris, New-York, Londres…) imposant aux plateformes logistiques une localisation en périphérie, ce qui rallonge le dernier kilomètre avec des contraintes additionnelles en termes de chaîne du froid pour les produits alimentaires.
Globalement, le coût de la livraison du dernier kilomètre des produits alimentaires est particulièrement élevé par rapport à d’autres secteurs d’activité. De nombreux acteurs du e-commerce alimentaire testent de nouvelles solutions de livraison. Amazon, par exemple, a récemment décliné en Europe son service de livraison à domicile des produits alimentaires frais avec son service Amazon Fresh. En France, le service ChronoFresh, crée en 2015 par Chronopost, répond également à cette problématique en proposant des livraisons express de produits alimentaires sous température dirigée permettant le respect de la chaîne du froid.
Pour la plupart des prestataires logistiques collaborant avec des enseignes de grande distribution, l’enjeu consiste à trouver la capacité de transport permettant de livrer le client final, chez lui, au travail, en vacances, etc. Pour répondre à ces contraintes opérationnelles du dernier kilomètre, des start-ups fleurissent autour de technologies disruptives en développant des plateformes collaboratives qui font le lien entre transporteurs et consommateurs pour la partie aval du dernier kilomètre. Ensuite, intervient la question de trouver la capacité de transport permettant de répondre aux préférences des consommateurs, ces derniers souhaitant être informés en temps réel sur le processus de livraison tout en se réservant le droit de changer d’avis ou encore d’être absents à la dernière minute. Afin d’illustrer cela, la figure 4 dresse une photographie du panorama concurrentiel actuel concernent le last mile des produits alimentaires généré par les activités du e-commerce :
Cette figure renvoie à la notion de crowd-sourcing[6]Le crowd-sourcing ou crowd-logistics opère au travers de plateformes collaboratives et d’applications numériques qui connectent tant des individus que des entreprises (mobilité partagée, livraisons collaboratives, etc.). Elle propose un meilleur usage de ressources logistiques distribuées et sous-exploitées en mobilisant des individus pour réaliser ad-hoc des services logistiques basiques. La coordination de ces services, appelés crowd-sourcing (économie collaborative) est garantie par les plateformes digitales dites collaboratives (source : www. theconversation.com).. Étymologiquement, il s’agit d’un partage de créativité et de savoir-faire en vue de développer une intelligence collective dans une approche horizontale de management de la performance. Sur le plan opérationnel, il s’agit de produire des tâches traditionnellement faites par des employés. Ces tâches effectuées peuvent être rémunérées sur la base d’un modèle économique collaboratif. En logistique urbaine, on parle de plus en plus de crowd-sourcing deliveries. En intégrant le crowd-sourcing, le modèle économique du dernier kilomètre peut se définir autour des variables suivantes présentées en figure 5.
Stuart, par exemple, est une start-up qui met en relation des particuliers pour répondre à la demande de livraison à domicile, mais les livreurs doivent obligatoirement posséder le statut d’autoentrepreneur. Certains travaillent déjà avec Vente Privée, Sushi Shop ou Carrefour. Des sociétés de transport peuvent également s’y inscrire afin d’optimiser leurs tournées (éviter le retour à vide) mais aussi des étudiants ou des salariés qui souhaitent arrondir leur fin de mois. Un algorithme qui prend en compte le poids, la taille des colis, la distance à parcourir et le mode de déplacement du livreur permet de géolocaliser les livreurs à la demande. La plateforme peut s’interfacer avec le système informatique d’autres sociétés via une API (Application Programming Interface). Le mode de transport est souvent le vélo, mais on peut faire appel à des véhicules motorisés pour effectuer le dernier kilomètre au départ du magasin ou de l’entrepôt.
Méthodologie
Les produits alimentaires concernés par l’e-commerce sont les produits secs, frais et surgelés. Nous focalisons notre analyse sur les préférences des consommateurs parisiens pour comprendre les attributs des livraisons du dernier kilomètre.
Cet article propose une revue de la littérature scientifique relative à la prise en compte des préférences des consommateurs dans la spécification de modèles logistiques du dernier kilomètre. Appliqués à la logistique du dernier kilomètre, peu de travaux de recherche ont questionné la relation microéconomique entre e-commerce et préférences des consommateurs pour les attributs de la livraison du dernier kilomètre.
L’analyse des pratiques de livraison en lien avec les préférences des consommateurs parisiens effectuant leurs courses en ligne que nous proposons dans cet article est mise en évidence en utilisant, d’une part, les résultats de l’enquête OpinionWay[7]Opinionway, 2019, base 2 011 personnes, « Services à la livraison : réalités sur les attentes des Français »., de données STATISTA sur les modes de livraisons caractérisant les préférences des e-consommateurs. Enfin, nous nous basons sur un entretien réalisé auprès du prestataire IDLogistics afin de mettre en évidence les créneaux de livraison les plus demandés par les consommateurs effectuant leurs courses alimentaires en ligne.
Cet article a été réalisé dans le cadre d’un travail de recherche collaboratif mené avec les étudiants du MSc DISC (Digital and Innovative Supply Chain) de NEOMA BS. Leur implication et leurs apports en termes de données et de benchmark sur les pratiques observées pour les livraisons du dernier kilomètre ont permis de finaliser cette contribution.
État de l’art sur les préférences des consommateurs
pour les livraisons du dernier kilomètre
Le dernier kilomètre, en logistique, consiste à transférer les produits de l’entrepôt (hub) à la destination finale (client). Le dernier kilomètre représente la dernière étape de la chaîne logistique. L’objectif du dernier kilomètre consiste à livrer le client final rapidement tout en respectant les options de livraison désirées par le client.
Avec la demande croissante de commerce de détail omnicanal, la logistique est devenue une fonction stratégique dans l’e-commerce. Les acteurs du e-commerce sont amenés à ajuster leurs stratégies logistiques, notamment pour disposer d’une capacité de transport flexible répondant aux variations des volumes et aux pics d’activité (Wilson-Jeanselme et Reynolds, 2006[8]Wilson-Jeanselme M, Reynolds J. (2006). « The advantages of preference-based segmentation: An investigation of online grocery retailing », Journal of Targeting, Measurement and Analysis for Marketing, n° 14(4), p. 297-308. ; Hübner et al., 2016[9]Hübner AH, Kuhn H, Wollenburg J. (2016). « Last mile fulfilment and distribution in omni-channel grocery retailing: a strategic planning framework », International Journal of Retail & Distribution Management, n° 44(3), p. 228-247.). En raison de l’augmentation des commandes en ligne, la livraison du dernier kilomètre est plus importante que jamais.
Afin d’optimiser les services de livraison du dernier kilomètre pour les produits alimentaires et mettre en place le design logistique optimal, il paraît crucial de comprendre en amont les motivations des consommateurs et leur préférence pour les attributs de la livraison (heure, lieu…).
L’industrie du commerce électronique étant en plein essor au cours des dernières décennies, les attentes des consommateurs se sont simultanément diversifiées. Les entreprises de commerce électronique doivent continuer à satisfaire les besoins des consommateurs en adaptant leur logistique aux préférences de ces derniers.
Afin de mieux comprendre cette relation, nous avons recensé quelques travaux de recherche récents questionnant la relation microéconomique entre e-commerce et préférences des consommateurs pour les livraisons du dernier kilomètre (tableau 1).
En ayant recours à l’e-commerce, les consommateurs souhaitent que leur commande soit acheminée rapidement, aux horaires demandés et de manière fragmentée à chaque fois qu’ils commandent en ligne. Cette tendance ne fait qu’augmenter depuis que des géants comme Amazon et Alibaba tissent une toile commerciale mondiale proposant la quasi-totalité des biens et services dont nous avons besoin. En 2015, l’e-commerce représentait 7,3 % des ventes au détail à l’échelle mondiale, et ce chiffre devrait atteindre 12,4 % en 2019.
Pour accompagner cette tendance, les progrès de la technologie ont fait de la livraison « juste à temps » une norme pour bon nombre de commerces. Le commerce en zone urbaine est soumis à de fortes pressions en raison des loyers élevés, des surfaces de vente disponibles et de la nécessité de maximiser chaque mètre carré générateur de revenus. Il en résulte moins d’espace pour stocker les produits, ce qui entraîne un besoin plus fréquent de fragmenter les livraisons. Le même constat est observé chez les consommateurs qui préfèrent se faire livrer en flux tendus pour ne pas disposer de stocks (surface des logements en Ile-de-France).
Sur le plan logistique, l’e-commerce continue à redéfinir le maillage logistique urbain et de restructurer la fonction même du prestataire logistique. Aujourd’hui, ces entreprises ont recours à des systèmes d’information intelligents permettant une gestion optimisée des commandes, de stock et de picking au sein des entrepôts. Ces derniers deviennent également de plus en plus automatisés et équipés des dernières technologies (robots préparateurs de commandes, drones pour effectuer les inventaires…). Au niveau du transport, les TMS (Transport Mangement Systems) prennent le relais avec un haut niveau d’interopérabilité en amont et en aval, garantissant une fluidité des flux le long de la supply chain. Ces TMS permettent un pilotage en temps réel des tournées de livraison en calculant le nombre de colis à livrer, les trajets à parcourir pour une planification optimisée, tout en intégrant l’impact environnemental. Les livreurs sont systématiquement équipés de smartphones avec une application dédiée pour suivre leurs tournées. Sur le plan de la chaîne du froid, les acteurs innovent au niveau des équipements, des matériaux, ainsi que sur l’optimisation des temps opératoires. La flotte est souvent équipée d’un système Track et Trace permettant de faire un suivi de chaque véhicule en contrôlant sa température pour sécuriser la chaîne du froid, mais aussi en assurant un relevé des températures des bacs et des colis à l’intérieur des camions (senseurs digitaux, RFID). Le suivi GPS permet de son côté de calculer le temps potentiel de retard afin d’avertir les clients par SMS de tout aléa survenant lors du processus d’acheminement.
Si l’on considère les commandes en ligne de produits alimentaires, le recours à Internet séduit de plus en plus de consommateurs, notamment dans les grandes métropoles.
La livraison de courses alimentaires à domicile est un marché en croissance dans lequel plusieurs modèles économiques s’opposent. D’une part, certains acteurs de la grande distribution proposent un panel de produits provenant directement de leurs magasins. Les entrepôts de l’enseigne livrent les magasins qui desservent ensuite les clients directement à leur domicile ou en point retrait. D’autre part, la livraison à domicile peut s’effectuer directement via un entrepôt dédié aux activités du e-commerce vers les clients finaux.
L’avantage du premier modèle, bien qu’il propose un référentiel de produits moins important, est d’optimiser les coûts de livraison du dernier kilomètre. Quant au second modèle, il demeure moins rentable, mais offre plus de choix au consommateur final, un arbitrage très difficile sur un segment de marché hyper concurrentiel comme celui de la grande distribution. Ces deux modèles impliquent souvent des délais de livraison complètement différents. Dans les heures qui suivent pour le premier, le lendemain pour le second.
Pour les livraisons à domicile le lendemain, cette solution cible les courses dites familiales, pour un montant élevé et une quantité de produits importante. Ces livraisons sont distribuées à partir d’entrepôts appelés « hub » situés en périphérie. Des enjeux logistiques se posent ainsi à plusieurs niveaux de la chaîne logistique : à celui de l’offre, pour correspondre aux attentes des clients, mais également en ce qui concerne le caractère réalisable de la livraison ; à celui des processus opérationnels en entrepôt qui doivent être les plus rapides et efficaces possible ; enfin, au niveau de la localisation de l’entreposage, proche du client ou non, sur un lieu centralisateur unique ou organisé à partir de plusieurs sites.
La livraison des courses à domicile représente un véritable défi logistique en termes de réduction du temps de livraison pour satisfaire les attentes des consommateurs sans pour autant diminuer la qualité du service proposé. C’est pour cela que l’offre de livraison en moins de deux heures a émergé. Les distributeurs promettent même parfois une livraison en moins d’une heure. Dans ce cas, la livraison s’effectue depuis les magasins de proximité. Ce type de livraison touche notamment les jeunes consommateurs ou ceux qui souhaitent effectuer des courses d’appoint et être livrés rapidement. Le panier moyen de ce type de livraison est de 50 € en région parisienne. Les principaux acteurs de la grande distribution utilisent donc leurs enseignes de proximité.
Les enjeux de ce type de livraison résident dans le transport. Très réglementé, il s’effectue le plus souvent en véhicule à deux roues, motorisé ou non, et de plus en plus avec des modes doux comme les véhicules électriques ou les cargo-bikes. La préparation de la commande doit être rapide et coordonnée en temps réel entre le client et le livreur.
Le tableau 3 dresse une typologie des acteurs de la grande distribution concernés par la problématique des livraisons du dernier kilomètre, ainsi que les stratégies de livraison proposées par chacun d’entre eux en France et aux États-Unis.
Analyse exploratoire des tendances de livraison
des produits alimentaires à Paris
Pour une ville comme Paris, plusieurs réflexions autour de la logistique urbaine du dernier kilomètre sont menées. Elles donnent lieu le plus souvent à des projets expérimentaux innovants, comme les entrepôts urbains à proximité de la Seine intégrant une dimension environnementale dans le design et la construction. Ces centres urbains de consolidation du fret préconisent une multimodalité avancée et une complémentarité entre les réseaux et les moyens de transport dans l’espace urbain. D’autres initiatives sont en cours, comme la gestion dynamique des espaces publics, la mutualisation fret-voyageurs, les entrepôts mobiles ou les drives urbains. Toutes ces initiatives ne permettront pas d’apporter une réponse singulière à la problématique du dernier kilomètre à Paris. Une vraie intelligence collective autour de ce sujet doit mobiliser les acteurs publics et privés afin d’apporter des solutions multiacteurs à la problématique des marchandises en ville, notamment à Paris avec toutes ses spécificités socio-économiques et urbaines qui en découlent. En observant les expériences étrangères, certaines métropoles comme New York ont adopté le concept de livraison en horaires décalés « Off-Hour-Delivery », le soir et tôt le matin, afin d’éviter les problématiques de congestion et de stationnement inapproprié en journée. Ce programme de livraison a enregistré pour la ville de New-York des résultats intéressants sur le plan environnemental.
En France, les préférences des consommateurs pour les livraisons des produits commandés en ligne se déclinent comme indiqué en figure 8.
Récemment, l’enquête menée par Opinionway en collaboration avec GS1 auprès d’un panel de 2 011 individus concernant l’intention d’utiliser différents modes et attributs de livraison à domicile en France fait ressortir les résultats indiqués dans la figure 9.
On s’aperçoit qu’en France, les consommateurs accordent une importance particulière au suivi de leur commande, sans pour autant exiger une livraison express (en 1 ou 2 heures). Les consommateurs souhaitent également avoir la possibilité de déballer leur colis devant le livreur. Concernant les délais de livraison, 56 % des intentionnistes souhaitent recevoir leur colis le lendemain de la commande, en fin de journée. Ils sont par ailleurs peu favorables à utiliser un service de livraison en horaires décalés. Une autre tendance relativement connue demeure la livraison le samedi matin.
Pour les livraisons de courses à domicile, le marché parisien est certainement le plus intéressant à étudier vu la densité urbaine et le mode de vie des Parisiens. C’est un marché dynamique avec un gros potentiel de croissance mais qui demeure fortement concurrentiel en plus des contraintes économiques et urbaines spécifiques à la ville de Paris.
L’analyse des données issues d’IDLOGISTICS relatives à la livraison des courses alimentaires à Paris montre que le panier moyen est de 115 €, avec un poids d’environ 44 kg par commande. Les données d’IDLOGISTICS montrent une variabilité de la demande enregistrant des pics d’activité notamment en fin de journée. Les clients souhaitent être livrés à leur retour du travail entre 17h et 20h.
Les consommateurs proposent leur disponibilité sur des plages horaires très limitées et très contraignantes pour les transporteurs. D’après le prestataire ID Logistics, la majorité des clients souhaitent être livrés deux jours après leur commande. De plus, les clients souhaitent être informés en temps réel de l’acheminement de leur commande et de disposer d’un service après-vente réactif.
Le défi des livraisons alimentaires du dernier kilomètre consiste à proposer aux clients les bons produits, au bon moment et sans surcoût additionnel. Une problématique d’autant plus complexe si l’on considère la difficulté de circulation et de congestion du réseau routier à Paris en fin de journée.
Afin d’apporter des solutions opérationnelles, IDLOGISTICS a implémenté une démarche d’amélioration continue pour les livraisons à domicile. Plusieurs actions ont été mises en œuvre, comme le fait de lancer les préparations sur des prévisions de tournées en cours de journée et non plus à la fin, de réimplanter les quais d’expédition en fonction des circuits (sec, frais et surgelé), d’optimiser le flux des bacs de livraison, de mettre en œuvre des kanbans[12]L’objectif de cette méthode est de dimensionner les stocks au plus juste niveau, permettant une gestion en flux tendus de la chaîne logistique. Pour le cas d’ID Logistics, le kanban permet de réduire les délais de préparation des commandes des e-consommateurs. pour la préparation des commandes, ainsi qu’une démarche d’optimisation permettant de cadencer les réceptions. La capacité de production du site logistique en question est passée de 80 à 120 colis/h (soit 50 % de gain), les ruptures à la livraison ont diminué de 20 % à 11 %, et celles sur site ont diminué de 18 % à 5 %. La productivité du site logistique a augmenté, le temps de chargement des camions est passé de 45 à 30 min, et un gain de place dans l’entrepôt a permis de faire passer le référentiel des produits de 11 000 à 13 300.
Cet exemple montre que la problématique des livraisons alimentaires dans les grandes métropoles comme Paris demeure un terrain propice aux travaux de recherche fondamentale et expérimentale en vue d’apporter des solutions opérationnelles en adéquation avec les préférences des consommateurs et de la croissance prévue du e-commerce dans les prochaines années.
Conclusion
Cet article met l’accent sur la problématique des livraisons du dernier kilomètre des produits alimentaires pour le cas de Paris. L’intérêt de ce travail réside dans le fait que peu de travaux de recherche se sont intéressés au cas des produits alimentaires (secs, frais et surgelés) avec toutes les contraintes que cela implique dans l’organisation de la chaîne logistique (le supply chain design des Anglo-saxons), et notamment pour la partie aval du dernier kilomètre (last mile design).
L’originalité de ce travail avec toutes les limites qu’il peut comporter demeure l’exploration de la relation microéconomique entre préférences des consommateurs et design logistique du dernier kilomètre (options et attributs de la livraison). Nous avons présenté un état de l’art sur les préférences des consommateurs et leur perception du service de livraison (horaires, délais, suivi des commandes…).
Nous avons ensuite effectué une analyse exploratoire des préférences des consommateurs en nous basant sur une enquête récente menée par Opinionway, et sur les données issues d’un prestataire logistique spécialisé dans les livraisons alimentaires à Paris. Les résultats montrent que la plupart des consommateurs souhaitent une livraison en fin de journée et le samedi matin.
En ce qui concerne les livraisons alimentaires, des solutions opérationnelles peuvent être apportées grâce à la rationalisation des moyens, la mutualisation des ressources, la mise en place de réseaux de livraison collaboratifs, ou encore la mise en œuvre de solutions technologiques (partage de données, interopérabilité algorithmes…). La bataille du dernier kilomètre n’en est qu’à ses débuts, et toutes les bonnes idées sont à prendre afin d’apporter des réponses opérationnelles et durables permettant de maximiser le bien-être collectif de la société dans une démarche responsable.
Devant ce constat, il demeure intéressant de mobiliser les innovations technologiques et le potentiel du digital pour améliorer davantage la logistique urbaine du dernier kilomètre. Une meilleure connaissance de ces questions de la part des pouvoirs publics, des acteurs du e-commerce alimentaire et des prestataires logistiques est nécessaire pour une prise de conscience collective des enjeux liés à la circulation des marchandises au sein de la ville de Paris en tant que capteur et de générateur de flux. La logistique du dernier kilomètre doit mobiliser une intelligence collective au croisement de plusieurs disciplines (économie des transports, urbanisme, recherche opérationnelle, gestion logistique (supply chain management).
Parmi les préoccupations logistiques actuelles à Paris, il convient de souligner la question des lieux d’implantation des entrepôts dédiés à l’e-commerce, permettant de desservir les consommateurs parisiens. Se heurtant aux prix croissant de l’immobilier ainsi qu’aux contraintes réglementaires, ces plateformes logistiques sont alors délocalisées en périphérie de plus en plus éloignée du fait de l’étalement urbain. À mesure que ces installations s’éloignent des marchés qu’elles desservent, les trajets des camions et le nombre de kilomètres parcourus ont tendance à augmenter. Les décideurs publics favorisent de plus en plus le déploiement d’entrepôts urbains appelés aussi « centres urbains de consolidation » en vue de massifier les flux et de les consolider avant l’éclatement vers les clients finaux.
Enfin, ce travail mérite d’être prolongé en menant une analyse empirique vers un panel représentatif des consommateurs parisiens effectuant leurs courses en ligne. L’idée serait de caractériser leurs préférences en termes de livraisons du dernier kilomètre en mobilisant des modèles économétriques de type Logit basé sur les choix discrets, tout en intégrant la dimension environnementale dans les attributs du modèle. L’objectif d’un tel travail serait d’éclairer les décideurs publics, les acteurs du e-commerce ainsi que les prestataires logistiques sur l’évolution des comportements et des habitudes de consommation des Parisiens, en vue d’apporter des solutions opérationnelles et durables à la problématique du dernier kilomètre.
[1] Kantar Worldpanel. (2018). Finding growth in reinvented retail, june.
[2] BtoB signifie « Business to Business ». Cette abréviation renvoie à l’ensemble des activités réalisées entre deux entreprises ou au sein d’un réseau d’entreprises. Elle comporte à la fois les relations commerciales et les aspects logistiques liés à l’échange de bien et/ou services.
BtoC signifie « Business to Consumer ». Cette abréviation renvoie aux activités commerciales, de livraison et de paiement des transactions économiques à destination des consommateurs particuliers. L’e-commerce / achat en ligne en fait partie.
[3] Op. cit.
[4] Op. cit.
[5] Gonzalez-Feliu J, Semet F, Routhier JL (dir.). (2014). Sustainable Urban Logistics: Concepts, Methods and Information Systems, Berlin, Springer Verlag, EcoProduction.
[6] Le crowd-sourcing ou crowd-logistics opère au travers de plateformes collaboratives et d’applications numériques qui connectent tant des individus que des entreprises (mobilité partagée, livraisons collaboratives, etc.). Elle propose un meilleur usage de ressources logistiques distribuées et sous-exploitées en mobilisant des individus pour réaliser ad-hoc des services logistiques basiques. La coordination de ces services, appelés crowd-sourcing (économie collaborative) est garantie par les plateformes digitales dites collaboratives (source : www. theconversation.com).
[7] Opinionway, 2019, base 2 011 personnes, « Services à la livraison : réalités sur les attentes des Français ».
[8] Wilson-Jeanselme M, Reynolds J. (2006). « The advantages of preference-based segmentation: An investigation of online grocery retailing », Journal of Targeting, Measurement and Analysis for Marketing, n° 14(4), p. 297-308.
[9] Hübner AH, Kuhn H, Wollenburg J. (2016). « Last mile fulfilment and distribution in omni-channel grocery retailing: a strategic planning framework », International Journal of Retail & Distribution Management, n° 44(3), p. 228-247.
[10] Op. cit.
[11] Goodchild A, Wygonik E, Mayes N. (2018). « An analytical model for vehicle miles traveled and carbon emissions for goods delivery scenarios », European Transport Research Review, n° 10(8) [En ligne].
[12] L’objectif de cette méthode est de dimensionner les stocks au plus juste niveau, permettant une gestion en flux tendus de la chaîne logistique. Pour le cas d’ID Logistics, le kanban permet de réduire les délais de préparation des commandes des e-consommateurs.