juillet 2021
Enseigner par l’atelier 2
Concevoir des projets durables
Outils pédagogiques et gestion multicritères
Concevoir des projets durables : outils pédagogiques et gestion multicritères,
Riurba no
12, juillet 2021.
URL : https://www.riurba.review/article/12-atelier-2/concevoir/
Article publié le 1er oct. 2023
- Abstract
- Résumé
Designing sustainable projects: educational tools and multi-criteria management
Today, sustainable development is one of the most important aspects of the architectural and urban design. It is also the most complicated to implement due to the numerous and interdependent fields that it gathers. Many architects want to take sustainability into account in their projects but most of them don’t have the required skills to evaluate their project sustainability from the early design phase. In light of these observations, curricula in architecture and urban design appear to be the best time to teach sustainable design skills to future professionals. This article offers pedagogical tools aiming to help students to design sustainable projects and to master their multi-criteria point of view. It focuses on the use of one of them within architecture and urban design studios: the structured portfolio.
Aujourd’hui, le développement durable est un des éléments les plus importants de la conception architecturale et urbaine, mais aussi un des plus complexes, tant les différents champs qui le composent sont variés et interdépendants. De nombreux concepteurs ont l’ambition de concevoir des projets durables mais ils n’ont pas toujours les compétences nécessaires pour évaluer la durabilité de leurs projets dès le début de la conception. La formation des architectes et des urbanistes est apparue comme étant le moment le plus propice pour transmettre les compétences de conception durable aux futurs professionnels. Cet article propose des outils pédagogiques pour aider les étudiants à concevoir des projets durables et en maîtriser l’aspect multicritères. Il détaille l’utilisation d’un de ces outils au sein des ateliers d’architecture et d’urbanisme : le portfolio structuré.
post->ID de l’article : 1832 • Résumé en_US : 1859 • Résumé fr_FR : 1855 •
Introduction
La maîtrise des enjeux du développement durable est devenue, depuis plusieurs années, un élément incontournable des projets d’architecture et d’urbanisme, nécessitant la prise en compte de nombreux domaines (Raemdonck, 2013[1]Raemdonck C. (2013). Tout passif ?, A+, n° 243, p. 60-64.). Le développement durable est une conception du développement qui s’inscrit dans une perspective intergénérationnelle en prenant en compte les contraintes environnementales, sociétales et économiques (Commission mondiale de l’environnement et du développement, Brundtland and Khalid, 1988[2]Commission mondiale sur l’environnement et le développement, Brundtland GH, Khalid M. (1988). « Notre Avenir à Tous », Montréal, Éditions du Fleuve.). Ce concept fait consensus au niveau international de manière croissante, même si le choix des termes « développement » et « durable » ainsi que la définition même de « développement durable » ont fait l’objet de différentes critiques portant sur les paradoxes du concept, tels que le risque sous-jacent de la croissance économique dans la notion de développement (Aggeri, 2001[3]Aggeri F. (2001). « Développement durable et gouvernement de l’environnement : la formation d’un nouvel espace d’action collective » Séminaire Condor, Paris. [En ligne]. ; Latouche, 2003[4]Latouche S. (2003). « L’imposture du développement durable ou les habits neufs du développement », Mondes en développement, n° 121(1), p. 23-30 [En ligne].), l’immensité du sujet et la complexité de sa mise en œuvre (Strange et Bayley, 2009[5]Strange T, Bayley A. (2009). « Qu’est-ce que le développement durable ? », dans Strange T, Bayley A. Sustainable Development: Linking Economy, Society, Environment, Éditions OCDE, Paris [En ligne].), la survalorisation des impacts écologiques (Aggeri, 2001[6]Op. cit.), le risque de clivage Nord-Sud et les imprécisions sur la gouvernance (Tsayem Demaze, 2009[7]Tsayem Demaze M. (2009). « Paradoxes conceptuels du développement durable et nouvelles initiatives de coopération Nord-Sud : le mécanisme pour un développement propre (MDP) », Cybergeo : European Journal of Geography, n° 443 [En ligne].).
Les textes de référence produits par l’ONU proposent trois piliers fondateurs (écologique, social et économique — Nations unies, 1992[8]Nations unies. (1992). Conférence sur l’environnement et le développement. « Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques (CCNUCC) », Rio de Janeiro.) et un plan d’actions fondé sur 17 objectifs (Nations Unies, 2015[9]Nations unies. (2015). Sommet « Transformer notre monde : le programme de développement durable à l’horizon 2030 », New York, Nations unies.). Sur la base de ces références, toute démarche de conception durable est fondamentalement multicritère (Aknin et al., 2002[10]Aknin A, Froger G, Geronimi V, Meral P, Schembri P. (2002). « Environnement et Développement : quelques réflexions autour du concept de “développement durable” », Développement durable ? : doctrines, pratiques, évaluations, p. 51-71, Paris, IRD. [En ligne].). En 2005, l’Unesco a lancé une « décade pour l’éducation au développement durable », mettant en évidence l’importance de l’éducation pour promouvoir un développement durable de nos sociétés. L’éducation au développement durable est aujourd’hui reconnue internationalement comme un élément fondamental de tout enseignement de qualité. Dans le cadre de cette recherche, en accord avec les recommandations de l’Unesco (Unesco, 2014[11]Unesco. (2014). « Unesco roadmap for implementing the global action programme on education for sustainable development », Paris. [En ligne]. ; Wyness et Sterling, 2015[12]Wyness L, Sterling S. (2015). « Reviewing the incidence and status of sustainability in degree programmes at Plymouth University », International Journal of Sustainability in Higher Education, n° 16(2), p. 237-250 [En ligne].), nous adhérons au principe que l’apprentissage de la durabilité s’appuie sur la multiplicité des approches pédagogiques, et qu’il n’existe pas un contenu standard à appliquer à chaque domaine d’étude (Tilbury et Wortman, 2004[13]Tilbury D, Wortman D. (2004). Engaging people in sustainability, Cambridge, UK, IUCN Publication Services [En ligne].). À l’instar de différentes universités, nous proposons des pistes de réflexions qui pourront être adaptées selon les contextes, afin d’approfondir l’apprentissage du développement durable appliqué à l’urbanisme et à l’architecture.
Les critères durables à prendre en compte en architecture et en urbanisme recouvrent des sujets variés, depuis des préoccupations locales spécifiques à un projet — le quartier est-il desservi par un réseau de transport efficace ? Y trouve-t-on des espaces verts de qualité favorisant la biodiversité ? Qu’en est-il de la qualité de l’air ? Est-il possible, pour les habitants, de s’inscrire dans une collectivité, de créer du lien social ? Quelles sont les performances environnementales des bâtiments ? –, jusqu’aux questionnements globaux touchant à la production énergétique, la préservation de l’environnement, les communautés humaines (Vallance, Perkins et Dixon, 2011[14]Vallance S, Perkins HC, Dixon JE. (2011). « What is social sustainability? A clarification of concepts », Geoforum, n° 42(3), p. 342-348 [En ligne].) et une approche holistique des villes et de leurs évolutions futures (Vaz, 2016[15]Vaz E. (2016). « The future of landscapes and habitats: The regional science contribution to the understanding of geographical space », Habitat International, n° 51, p. 70-78 [En ligne]. ; Li et al., 2018[16]Li N, Chan D, Mao Q, Hsu K, Fu Z. (2018). « Urban sustainability education: Challenges and pedagogical experiments », Habitat International, n° 71, p. 70-80 [En ligne].).
Les outils mis à disposition des architectes et des urbanistes pour concevoir des projets durables s’intègrent difficilement dans leur réalité professionnelle, tant d’un point de vue de l’expertise nécessaire à l’utilisation de ces outils que du temps requis pour les mettre en œuvre(Mahdavi et El-Bellahy, 2005[17]Mahdavi A, El-Bellahy S. (2005). « Effort and effectiveness considerations in computational design evaluation: A case study », Building and Environment, n° 40(12), p. 1651-1664 [En ligne].). Un premier type d’outils à disposition des concepteurs sont les outils de simulation numérique des bâtiments et des quartiers. Ils peuvent être utilisés en tant qu’outil d’évaluation multicritère ou même d’optimisation du projet architectural ou urbain durable (Nematchoua, Sevin et Reiter, 2020[18]Nematchoua MK, Sevin M, Reiter S. (2020). « Towards sustainable neighborhoods in Europe: Mitigating 12 environmental impacts by successively applying 8 scenarios », Atmosphere, n° 11, p. 603 [En ligne].). Toutefois, ils demandent une expertise scientifique importante ainsi que beaucoup de temps pour l’utilisation itérative que demande la gestion multicritère d’un projet durable. Ils sont donc difficilement manipulables au quotidien. Leur utilisation est de ce fait déléguée à des bureaux d’études spécialisés (Mahdavi et El-Bellahy, 2005[19]Op. cit.). Les solutions durables sont alors étudiées en fin de conception plutôt qu’intégrées tout au long du projet. Cette ségrégation des rôles est dommageable car elle se limite souvent à ajouter des artifices durables à posteriori, ce qui affaiblit la lecture du projet et limite l’émergence de solutions intégrées et de savoir-faire durables.
Un second type d’outils peut alors être utilisé afin d’intégrer certaines solutions durables au travail de conception : les méthodes d’évaluation environnementale, telles que BREEAM Communities (UK), HQE Aménagement (FR) ou LEED Neighbourhood Development (USA). Ce sont des outils intéressants car ils permettent de parcourir un certain nombre de concepts durables. Cependant, si ces outils permettent d’appréhender l’aspect multicritères de la conception durable, ils en occultent la gestion en laissant au concepteur la compréhension et la maîtrise des interactions entre les différents critères durables.
Enseigner l’approche multi–critères
de la conception durable
L’importance croissante que prennent les enjeux de durabilité dans les projets architecturaux et urbanistiques du xxie siècle rend indispensable leur enseignement au sein des programmes de cours (Altomonte, 2009[20]Altomonte S. (2009). « Environmental education for sustainable architecture », Review of European Studies, n° 1(2), p. 12-21 [En ligne]. ; Wade, 2016[21]Wade R. (2016). « Education for sustainability-challenges and opportunities: The case of RCES (Regional Centres of Expertise in education for Sustainable development) », Management in Education, n° 30(3), p. 131-136 [En ligne].). En effet, les programmes d’enseignement de l’architecture et de l’urbanisme semblent être le meilleur moment pour que les futurs concepteurs développent les compétences de conception durable nécessaires pour leur vie professionnelle (Altomonte 2009[22]Op. cit.). Il faut enseigner mais aussi éduquer au développement durable, c’est-à-dire permettre aux étudiants d’acquérir des connaissances et des aptitudes spécifiques, grâce à l’enseignement, mais également de participer au développement plus global d’une approche de la complexité inhérente à la durabilité, grâce à l’éducation (Pellaud, 2013[23]Pellaud F. (2013). « Au fait, éducation au développement durable, ça veut dire quoi ? », Revue francophone du développement durable, n° 1. ; Gómez-Pablos, Martín del Pozo et Muñoz-Repiso, 2017[24]Gómez-Pablos B, Martín del Pozo VM, Muñoz-Repiso A. (2017). « Project-based learning (pbl) through the incorporation of digital technologies: An evaluation based on the experience of serving teachers », Computers in Human Behavior, n° 68, p. 501-512 [En ligne].).
Enseigner la conception de projets durables demande une évolution des méthodes pédagogiques utilisées dans la majorité des formations d’architecture et d’urbanisme. L’apprentissage par projet, hérité de la pédagogie socioconstructiviste (Béland et Leduc, 2017[25]Béland S, Leduc D. (2017). Regards sur l’évaluation des apprentissages en arts à l’enseignement supérieur, Québec, Presses de l’Université du Québec.) et incarné par le studio de projet, correspond à l’enseignement majoritairement dispensé dans les écoles d’architecture et d’urbanisme (Hanin et al., 2012[26]Hanin Y, Declève B, De Herde A, Masson O. (2012). « Architecture et urbanisme », dans Crochet M (dir.), Des écoles spéciales à l’EPL. 50 ans de science et de technologie à l’UCL, Louvain, Presses universitaires de Louvain, p. 119-134. ; Long, 2012[27]Long JG. (2012). « State of the studio: Revisiting the potential of studio pedagogy in U.S.-based planning programs », Journal of Planning Education and Research, n° 32(4), p. 431-448 [En ligne]. ; Vella et al., 2014[28]Vella K, Osborne N, Mayere S, Baker D. (2014). « Studio teaching in Australian planning curriculum », dans Imran M, Ross J, Luxmoore J, Planning, politics and people: Proceedings of the Australia and New Zealand association of planning schools conference, Massey University, Palmerston North, New Zealand.). Reconnu pour ces qualités d’apprentissage dans les domaines de l’architecture et de l’urbanisme (Brocato, 2009[29]Brocato K. (2009). « Studio based learning: Proposing, critiquing, iterating our way to person-centeredness for better classroom management », Theory Into Practice), le cadre pédagogique proposé par le studio de projet a pour ambition de permettre une intégration totale, dans le projet, des multiples enjeux vus dans les différents cours théoriques. Toutefois, ce cadre n’offre explicitement aucun guide aux étudiants dans ce processus d’intégration complexe. Les étudiants, grâce au studio de projet, apprennent à concevoir des projets à travers un processus d’expérimentation par essais et erreurs, ponctué par des séances de retours critiques (Milovanovic, 2019[30]Milovanovic J. (2019). « Exploration de la pédagogie du studio de projet d’architecture. Effet de l’écosystème de représentations du projet sur la situation de la session critique », thèse de doctorat, École nationale supérieure d’architecture de Nantes, 325 p.) proches de l’apprentissage par mentorat (Cross, 2006[31]Cross N. (2006). « Designerly ways of knowing », Springer, Londres [En ligne]. ; Lawson et Dorst, 2009[32]Lawson B, Dorst K. (2009). Design Expertise, Londres, Routledge [En ligne]). Les risques et limites du studio de projet comme méthode pédagogique sont largement discutés dans la littérature : asymétrie de pouvoir entre enseignants et étudiants (Dutton, 1987[33]Dutton TA. (1987). « Design and Studio Pedagogy », Journal of Architectural Education, n° 41(1), p. 16-25 [En ligne]), impression de jugement personnel plutôt que d’évaluation objective face aux manques d’explications critiques formulées par l’enseignant (Sidawi, 2016[34]Sidawi B. (2016). « The role of healthy social interaction and communications in provoking creativity in the design studio », Higher Education Pedagogies, n° 1(1), p. 64-81 [En ligne].), pression sur les étudiants en termes de performances (Sara et Parnell, 2013[35]Sara R, Parnell R. (2013). « Fear and learning in the architectural crit », Free Journal for Architecture, n° 5(1), p. 101-125.). . Enfin, le manque d’intégration entre le studio de projet et les cours dédiés à la durabilité des milieux bâtis ne permet pas aux étudiants de développer l’approche interdisciplinaire, réflexive et critique, nécessaire à l’intégration de la durabilité dans la conception de leurs projets (Altomonte et al., 2013[36]Altomonte S, Reimer H, Rutherford P, Wilson R. (2013). « Towards education for sustainability in university curricula and in the practice of design », dans Lang W, PLEA 2013: Sustainable Architecture for a Renewable Future, Stuttgart, Fraunhofer IRB Verlag.).
La pédagogie traditionnelle du studio comporte cependant de nombreuses opportunités d’amélioration (Milovanovic, 2019[37]Op. cit.) pour répondre aux limites formulées : (1) l’apprentissage expérientiel (Kolb, 1984[38]Kolb DA. (1984). Experiential learning: Experience as the source of learning and development, Englewood Cliffs, NJ Prentice Hall.), fondé sur une commande réelle liée à des contraintes budgétaires et aux exigences d’un commanditaire (Carriou, 2018[39]Carriou C. (2018). « Former “hors les murs”. L’expérience des “commandes financées” au sein du master d’urbanisme de l’université Paris-Nanterre », dans Les activités et les métiers de l’architecture et de l’urbanisme au miroir des formations, Paris, éditions de la Villette, Cahiers Ramau, n° 74-86.) ; (2) des retours réguliers, bien argumentés et constructifs (Sidawi, 2016[40]Op. cit.) ; (3) le développement de la créativité des étudiants par l’incitation à tester différents scénarios (Cennamo et Brandt, 2012[41]Cennamo K, Brandt C. (2012). « The “right kind of telling”: Knowledge building in the academic design studio », Educational Technology Research and Development, n° 60(5), p. 839-858. ; Mewburn, 2012[42]Mewburn I. (2012). « Lost in translation: Reconsidering reflective practice and design studio pedagogy », Arts and Humanities in Higher Education, n° 11(4), p. 363-379 [En ligne]) ; (4) l’utilisation de stratégies et d’outils d’aide à la conception adaptés au niveau des étudiants et aux objectifs pédagogiques (Curry, 2014[43]Curry T. (2014). « A theoretical basis for recommending the use of design methodologies as teaching strategies in the design studio », Design Studies, n° 35(6), p. 632-646 [En ligne] ; Lebahar, 2001[44]Lebahar JC. (2001). « Approche didactique de l’enseignement du projet en architecture : étude comparative de deux cas », Didaskalia, n° 19, p. 39-77.) ; (5) l’évaluation du processus de conception et pas seulement du projet final ; (6) la confrontation aux acteurs de terrain et aux décideurs politiques (Gomes et Bognon, 2018[45]Gomes P, Bognon S. (2018). « L’atelier pédagogique en urbanisme : apport des commanditaires à l’apprentissage par problèmes appliqués », Territoire en mouvement, p. 39-40 [En ligne]) ; (7) l’utilisation de l’auto-évaluation pour accroître la réflexivité des étudiants (Dutton, 1987[46]Op. cit. ; McClean, Lamb et Brown, 2013[47]McClean D, Lamb N, Brown A. (2013). « Marginal voices: Capitalising on difference in the design studio », Free Journal for Architecture, n° 85. ; Mewburn, 2012[48]Op. cit.) ; (8) le développement d’une culture de la coconception, permettant aux étudiants de collaborer entre eux, avec les enseignants ou un panel d’experts (Dutton, 1987[49]Op. cit. ; Sidawi, 2016[50]Op. cit.) ; (9) l’utilisation de différents outils de représentation du projet : croquis, diagrammes, plans, coupes, maquettes physiques, maquettes numériques, simulations et animations (Dorta, Kinayoglu et Boudhraa, 2016[51]Dorta T, Kinayoglu G, Boudhraa S. (2016). « A new representational ecosystem for design teaching in the studio », Design Studies, n° 47, p. 164-186 [En ligne].).
Différentes expérimentations et améliorations pédagogiques des ateliers peuvent donc être mises en œuvre dans l’enseignement de l’architecture et de l’urbanisme. Dans cette recherche, à la mise en place de l’apprentissage par projet, s’ajoute la complexité de l’enseignement de la durabilité architecturale et urbaine, dont l’expérimentation est généralement très limitée dans les cursus en architecture et en urbanisme (Li et al., 2018[52]Op. cit.). L’acquisition par les étudiants des nouvelles « compétences durables » passe par une mise en pratique des connaissances théoriques à travers des projets concrets en lien avec le monde réel (Kokotsaki, Menzies et Wiggins, 2016[53]Kokotsaki D, Menzies V, Wiggins A. (2016). « Project-based learning: A review of the literature », Improving Schools, n° 19(3), p. 267-277 [En ligne].), au sein des ateliers d’architecture et d’urbanisme (Altomonte, 2009[54]Op. cit.). Les étudiants doivent y intégrer des contraintes fonctionnelles, techniques et esthétiques, mais aussi celles liées au développement d’un projet durable, formant un ensemble de critères définis pour l’exercice, selon les particularités du contexte local (dans ses multiples dimensions : climatique, naturelle, bâtie, culturelle, sociale, etc.) mais aussi des exigences pédagogiques de l’enseignant (Tilbury et Wortman, 2004[55]Op. cit. ; Wyness et Sterling, 2015[56]Wyness L, Sterling S. (2015). « Reviewing the incidence and status of sustainability in degree programmes at Plymouth University », International Journal of Sustainability in Higher Education, n° 16(2), p. 237-250 [En ligne].). Un projet intégré de ce type demande une grande capacité de maîtrise interdisciplinaire de la part des étudiants. Pour les amener à maîtriser ces enjeux multiples et leurs interactions, des outils pédagogiques spécifiques à l’apprentissage de la durabilité des projets architecturaux et urbains doivent être définis.
La création de ces outils spécifiques a pour objectif de permettre aux étudiants d’évaluer et d’améliorer leurs projets à travers un processus de conception itératif actif dans lequel ils peuvent décider de modifier ou non leur projet en fonction des résultats de l’évaluation. La finalité de ces outils pédagogiques n’est pas une évaluation complète et précise de la durabilité d’un projet, mais l’amélioration de la prise en compte du développement durable dans le processus de conception, grâce à une meilleure compréhension globale de l’interdépendance entre les choix de conception et les critères de durabilité.
Méthodologie de recherche
Cette recherche concerne le développement et l’évaluation de dispositifs pédagogiques pour l’enseignement de la conception de projets durables, adaptés aux ateliers d’architecture et d’urbanisme. Le domaine de recherche porte sur trois cours dispensés aux étudiants du bachelier et du master ingénieur civil architecte, dont l’un d’entre eux est également donné aux étudiants du Master de spécialisation en urbanisme et aménagement du territoire (MSUAT) et aux étudiants du Master en géographie à finalité spécialisée en urbanisme et aménagement du territoire (MGUAT), au sein de l’université de Liège, en Belgique (Figure 1). En 3e année du cursus Ingénieur civil architecte (bachelier 3), les étudiants suivent le cours d’atelier d’architecture IIIB, dans lequel ils abordent la composition d’un projet urbain à l’échelle de l’ilot. En 4e année (master 1), ils participent, en parallèle du cours d’atelier d’architecture IV, au cours de Conception architecturale et urbaine durable, grâce auquel ils intègrent dans leur projet en développement les contraintes de durabilité liées au référentiel HQE de « Certification NF Haute Qualité Environnementale » (Certivea). Enfin, en dernière année du cursus Ingénieur civil architecte (master 2) ainsi que dans le cadre des formations en Urbanisme et Aménagement du territoire (MSUAT et MGUAT) de l’ULiège, les étudiants conçoivent un nouveau quartier au sein du cours de Projet de quartier durable en s’appuyant notamment sur le référentiel Quartiers durables développé en Wallonie (Marique et Teller, 2014[57]Marique AF, Teller J. (2014). « Le référentiel quartiers durables : un nouvel outil d’aménagement durable en Wallonie », 2e rencontres de l’urbanisme durable : retour d’expériences, Paris [En ligne].).
L’objectif commun de ces trois cours est d’amener chaque étudiant à réfléchir à l’intégration multicritères des contraintes liées au développement durable lors de la conception d’un projet. Ces contraintes s’ajoutent aux contraintes structurelles, fonctionnelles, spatiales et formelles, inhérentes à tout projet. Les étudiants doivent donc intégrer de nouveaux mécanismes de composition à ceux qu’ils ont déjà acquis. Il s’agit ici d’activer les connaissances théoriques liées à la conception durable (matériaux à faible impact environnemental, techniques de construction durable, réseaux urbains efficaces, etc.) vues en amont dans le cursus universitaire et de les convoquer dans le processus de conception du projet.
Une particularité de l’enseignement proposé dans cette recherche, inhérente à de nombreuses formations en urbanisme, est qu’il convoque plusieurs profils d’étudiants (ingénieurs architectes, urbanistes et géographes) ayant suivi des formations de base différentes. Certains étudiants suivent les trois cours successivement durant trois années consécutives, tandis que d’autres ne suivent qu’un seul de ces cours et bénéficient donc d’un bagage disciplinaire moins large. L’enseignement du projet durable à travers les trois cours de notre domaine de recherche doit donc être conçu à la fois de manière transversale et progressive pour les étudiants qui suivent les trois cours, mais également de manière cohérente et efficace pour ceux qui ne suivent qu’un seul cours.
En se basant sur les différentes catégories présentées par le projet européen Educate (Altomonte et al., 2013[58]Op. cit.), les enseignements dispensés dans ces trois cours sont qualifiés de la manière suivante : l’atelier d’architecture IIIB est un enseignement linéaire, le cours de Conception architecturale et urbaine durable (CAUD) est un enseignement totalement intégré, et le cours Projet de quartier durable, regroupant les trois profils d’étudiants, est un enseignement partiellement intégré. En effet, contrairement à l’atelier d’architecture, les deux autres cours comprennent un enseignement théorique sur les projets durables, construit autour de plusieurs thématiques qui sont également intégrées dans l’exercice de conception demandé aux étudiants. Dans le cours CAUD, il est demandé aux étudiants d’atteindre la haute qualité environnementale pour le bâtiment conçu dans le cadre du projet intégré d’atelier IV. Les exigences de l’exercice de Conception architecturale et urbaine durable viennent donc se greffer aux exigences habituelles du cours d’atelier. Enfin, le cours de Projet de quartier durable dispense des enseignements sur les principes de la conception de quartiers et d’espaces publics durables, directement en lien avec le projet d’urbanisme développé par les étudiants dans ce même cours.
La littérature scientifique met en évidence plusieurs stratégies pour faciliter l’apprentissage de la durabilité (Tilbury et Wortman, 2004[59]Op. cit. ; Unesco, 2014[60]Op. cit. ; Educate, 2016[61]Educate. (2016). « Sustainable Architectural Education », White Paper. ; Li et al., 2018[62]Op. cit.) : faire des liens entre les modules théoriques et pratiques par des mises en application, favoriser le travail d’équipe, encourager l’apprentissage actif type « apprentissage par problème », promouvoir une approche holistique de la conception durable… Par ailleurs, dans cette multimodalité de stratégies d’apprentissage, le défi est que le programme dispensé puisse s’adapter à différents profils d’étudiants en architecture et en urbanisme, afin de permettre à chacun d’interagir, de construire et d’exploiter ses compétences, tout en entrant dans un processus de conception durable (Pellaud, 2013[63]Op. cit.). Dans notre recherche, nous avons non seulement mis en place, dans ces trois cours, différentes stratégies d’apprentissage reconnues pour leur efficacité dans ce domaine (apprentissage par problème, travail d’équipe, etc.) mais nous avons également conçu différents outils pédagogiques spécifiques pour permettre aux étudiants de développer leurs compétences en conception de projets durables.
Une procédure d’évaluation de ces outils pédagogiques a été créée pour permettre leur amélioration et leur validation. À la fin de chaque cours, une enquête récolte le point de vue des étudiants par rapport aux méthodes pédagogiques utilisées ainsi que leur auto-évaluation quant aux compétences développées grâce au cours. Cette évaluation des étudiants est combinée à l’évaluation des enseignants sur la qualité des projets produits, fondée sur leur évaluation continue du processus de conception des étudiants à travers des séances interactives hebdomadaires ainsi que la défense orale et la remise des productions attendues en fin de projet. Cette double évaluation permet, au cours des années, d’analyser l’évolution des productions et des ressentis des étudiants en fonction des méthodes pédagogiques mises en œuvre, ainsi que de juger la pertinence et l’efficacité des stratégies d’apprentissage et des outils pédagogiques choisis, afin de les améliorer si besoin selon un processus itératif. La ligne de progression de la figure 2 montre comment s’articulent les temps d’évaluation des enseignants et des étudiants dans le cadre de cette recherche.
Les outils pédagogiques
Le développement « d’événements d’apprentissage-enseignement » (Leclercq et Poumay, 2008[64]Leclercq D, Poumay M. (2008). Le modèle des événements d’apprentissage-enseignement, Liège, Université de Liège [En ligne].) doit être réfléchi par l’enseignant pour permettre aux étudiants de construire des connaissances et développer des compétences à travers des mises en situations nouvelles (Jonnaert, 2002[65]Jonnaert P. (2002). Compétences et socioconstructivisme : un cadre théorique, Louvain-la-Neuve, De Boeck & Larcier. ; Leclercq et Poumay, 2007[66]Leclercq D, Poumay M. (2007). « Comment savoir ce que l’on sait ? », dans Leclercq D (dir.), Psychologie éducationnelle de l’adolescent et du jeune adulte, p. 203-264, Liège, Éditions de l’Ulg [En ligne].). Les outils pédagogiques proposés dans cette recherche sont de différentes formes et permettent de s’adapter aux besoins spécifiques du cours concerné et aux capacités des étudiants qui le suivent.
Le premier outil pédagogique testé est ce que nous avons nommé le portfolio structuré. Il s’agit d’un portfolio d’étudiant, à finalité formative (Layec, 2006[67]Layec J. (2006). Auto-orientation tout au long de la vie : le portfolio réflexif, Paris, L’Harmattan.) et d’évaluation (Dévé, Gagnayre et D’Ivernois, 2009[68]Dévé V, Gagnayre R, d’Ivernois JF. (2009). « Le portfolio : définitions et perspectives pédagogiques à partir d’une analyse de textes canadiens et européens », Éducation du patient et enjeux de santé, n° 27(1), p. 13-23.), structuré en différents chapitres correspondant aux principales étapes d’un projet ainsi qu’aux aspects particuliers du projet à détailler. Cet outil sera expliqué en détail dans le chapitre suivant. Il est utilisé de façon transversale, dans les trois cours du domaine d’étude. La création d’un portfolio permet aux étudiants de prendre conscience du processus de conception du projet et de se souvenir des choix qui ont été posés à chaque étape ainsi que de leurs justifications. Pour l’enseignant, le portfolio permet de vérifier l’avancée de chaque projet et la bonne compréhension des étudiants par rapport aux enjeux et contraintes du projet, ainsi que de déceler les éventuels blocages en cours ou à venir. Un autre dispositif pédagogique proposé est l’analyse de cas concrets de projets durables, sélectionnés en fonction du projet d’atelier, pour permettre aux étudiants d’appréhender la réalité de la conception durable. Dans le cours « Projet de quartier durable », par exemple, en parallèle du cours théorique et du projet, il est demandé aux étudiants de présenter par groupe un exemple de quartier existant répondant aux exigences du projet qu’ils doivent concevoir, et de fournir à tous les étudiants une analyse de ce quartier en mettant l’accent sur la façon dont les enjeux durables ont été intégrés au projet. Les étudiants rassemblent pour ce faire différents éléments, tels que les plans et les caractéristiques de l’ambiance urbaine créée (plan lumière, acoustique…), les intentions et stratégies des concepteurs (panel d’acteurs, outils mobilisés…), des données quantitatives (coût de construction, consommation énergétique, densité de logements…), des données d’utilisateurs (fréquentation des espaces publics, ressenti des habitants, confort des piétons et cyclistes…). Sur cette base, ils développent une réflexion critique sur la composition et l’aménagement du quartier étudié. Cette présentation de cas concrets a un double intérêt : elle exige des étudiants un esprit d’analyse et un exercice de compréhension critique, tout en fournissant à l’ensemble de la classe un bagage de connaissances globales et des références variées de projets durables.
Les référentiels d’évaluation de la soutenabilité des projets d’architecture et d’urbanisme, tels que « HQE Aménagement » (France) ou encore le référentiel Quartiers durables (Belgique), sont également de bonnes bases pour aider les étudiants à avoir une vue étendue des critères qui participent à un projet durable. Couplés au portfolio structuré, ils permettent de nourrir la réflexion des étudiants et de leur faire prendre conscience de l’importance de la gestion multicritères et des implications qu’ont certains critères les uns sur les autres. C’est cette combinaison d’outils qui est utilisée dans le cours CAUD (sur base du référentiel HQE) ainsi que dans le cours « Projet de quartier durable » (sur base du référentiel Quartiers durables). L’utilisation couplée des référentiels de durabilité, avec le portfolio qui propose des questions ouvertes invitant à une réflexion multidimensionnelle sur le projet, permet d’éviter une approche trop limitative de la prise en compte environnementale et durable, parfois induite par l’utilisation des référentiels et systèmes de labellisation.
Un autre type de stratégies d’apprentissage est de travailler avec les étudiants sur des méthodes d’évaluation quantitative détaillée de certains critères durables afin de les familiariser avec leurs ordres de grandeur (par exemple, les impacts environnementaux tels que les émissions de gaz à effet de serre, l’écotoxicité, la toxicité humaine…) et leur permettre de réfléchir aux solutions à mettre en place dans leur projet en lien avec les aspects étudiés. Certains logiciels de simulation et d’évaluation numérique peuvent être utilisés, tels que les outils d’analyse en cycle de vie des bâtiments (Pleiades-ACV (Izuba), TOTEM, etc.), pour que les étudiants apprennent à maîtriser des outils qui pourront les aider dans leur vie professionnelle future. Par exemple, dans le cours « Projet de quartier durable », en parallèle de l’évaluation quantitative globale des critères durables réalisée à l’aide du référentiel Quartiers durables, d’analyses sensibles sur le site et d’enquêtes auprès des riverains, une évaluation du coût de construction et du coût environnemental du projet est proposée sur la base d’un outil de calcul simplifié conçu à partir de bases de données chiffrées (bordereau des prix unitaires de l’Union Royale Professionnelle d’Architectes 2020 et base de données TOTEM). Cela permet aux étudiants de mettre en perspective l’aspect financier des solutions choisies par rapport à leurs bénéfices sociaux et environnementaux. Enfin, un type moins formel d’outils est aussi étudié dans cette recherche dans le but de libérer les questionnements des étudiants et leur permettre des échanges plus spontanés. Sans entrer dans les détails de leur mise en œuvre, il peut s’agir de débats autour de l’importance des projets durables initiés grâce à l’utilisation d’outils de type « Wooclap », de jeux en équipe (serious game), où les étudiants manipulent des notions pratiques et théoriques, ou encore de workshops autour d’une thématique précise.
À la fin de chaque exercice, il est demandé aux étudiants un retour sur les outils pédagogiques utilisés. Les étudiants développent ainsi une compréhension critique de l’utilisation des outils pédagogiques proposés (portfolio, logiciel, etc.) et des méthodes d’évaluation multicritères de projets.
Le portfolio structuré,
un outil d’aide à la gestion multicritères
de la conception de projet durable
Dans cet article, nous avons choisi de nous concentrer sur un outil pédagogique en particulier : le portfolio structuré du projet durable. Il s’agit d’un portfolio structuré en différents chapitres correspondant aux principales étapes d’un projet ainsi qu’aux aspects de la durabilité à y intégrer. Cette structure permet aux étudiants de prendre conscience, dès le début du projet, de l’ensemble des étapes de conception d’un projet, d’appréhender très rapidement l’aspect multicritères du projet et de clarifier les objectifs à atteindre.
Le portfolio de l’étudiant est un outil pédagogique spécialement utile dans le cadre de l’enseignement par projets car il facilite l’implication des étudiants dans l’auto-évaluation de leur projet ainsi que dans une réflexion sur leur processus de conception. Pourtant efficace, il est trop peu souvent utilisé dans l’enseignement de l’architecture et de l’urbanisme (Van den Toorn et Have, 2012[69]Van den Toorn M, Have R. (2012). « Notebooks as didactic tool in design education », ENMA 2012: Proceedings of the 2012 international conference on engineering and mathematics [En ligne].). Dans la littérature pédagogique, il n’existe pas de consensus sur la définition du portfolio (Dévé, Gagnayre, et D’Ivernois, 2009[70]Op. cit.). Selon les courants pédagogiques, cet outil prend des formes variées et recouvre des objectifs différents. Le portfolio est d’abord décrit comme un « document écrit dans lequel les acquis de formation d’une personne sont définis, démontrés et articulés en fonction d’un objectif » (Legendre, 1993[71]Legendre R (dir.). (1993). Dictionnaire actuel de l’éducation, Paris, Eska.). Il est souvent compris comme « un échantillon de preuves, sélectionnées par l’étudiant pour rendre compte de ses apprentissages » (Tardif, Fortier et Préfontaine, 2006[72]Tardif J, Fortier G, Préfontaine C. (2006). L’évaluation des compétences : documenter le parcours de développement, Montréal, Chenelière-éducation.). Romainville et Fischer (2020[73]Romainville M, Fischer L. (2020). « Dilemmes relatifs à l’usage du portfolio en enseignement supérieur », Évaluer : journal international de recherche en éducation et formation, vol. 6 [En ligne].) précisent qu’il est un ensemble d’éléments significatifs des apprentissages des étudiants, et que les formes utilisées par les enseignants sont variées, tant au niveau des modalités d’organisation qu’au niveau des fonctions qu’on leur attribue.
Le portfolio structuré, notion propre à cette recherche, a pour objectif l’appropriation des connaissances et des compétences par les étudiants, ainsi que l’ancrage de réflexes d’apprentissage qui serviront l’étudiant au-delà de ses études (Gauthier, 2009[74]Gauthier PD. (2009). « La réflexivité dans la démarche portfolio », ResearchGate [En ligne].). On peut le rapprocher d’un portfolio à finalité formative (Layec, 2006[75]Op. cit.) aussi appelé portfolio des apprentissages ou portfolio de progression (Dévé, Gagnayre, et D’Ivernois, 2009[76]Op. cit.). L’étudiant, par la construction de son portfolio, rassemble ses savoirs dans un but précis et, par cette démarche, crée de nouvelles compétences (Van Nieuwenhoven, Bélair et Wouters 2010[77]Van Nieuwenhoven C, Bélair L, Wouters P. (2010). « Le portfolio comme outil de consignation ou d’évaluation authentique », dans Paquay L, Van Nieuwenhoven C, Wouters P, L’évaluation, levier du développement professionnel ?, Louvain-la-Neuve, De Boek Supérieur, p. 161-75.). Ces compétences sont, d’une part, pratiques et pourront être mises au service de la conception d’un projet durable (dimensionner une citerne d’eau de pluie ou une noue, connaître le coefficient d’imperméabilisation d’un revêtement de sol, etc.), mais aussi transversales, liées à la réflexivité, la recherche de solutions et – ce qui nous intéresse principalement dans cette recherche – la gestion multicritères d’un projet. Le portfolio structuré est aussi un portfolio d’évaluation (Dévé, Gagnayre, et D’Ivernois, 2009[78]Op. cit.), dans lequel l’étudiant doit démontrer qu’il a atteint les compétences attendues par l’énoncé.
Les méthodes d’enseignement ont un impact sur l’apprentissage des étudiants (Fischer et al., 2020[79]Fischer M, Mottier-Lopez L, Girardet C, Tessaro W. (2020). « Le portfolio dans l’enseignement supérieur : perceptions de étudiants et intentions des enseignants », Évaluer : journal international de recherche en éducation et formation, n° 6(1) [En ligne].). Un outil mal défini peut devenir un vecteur de non-compréhension entre étudiants et enseignants, et conduire à un désinvestissement commun (Van Tartwijk et al., 2007[80]Van Tartwijk J, Driessen E, Van Der Vleuten C, Stokking K. (2007). « Factors influencing the successful introduction of portfolios », Quality in Higher Education, n° 13(1), p. 69-79 [En ligne].). Au vu de l’aspect multifonctionnel du portfolio, il est donc important de le structurer pour correspondre aux objectifs pédagogiques visés. Selon Leclercq (2006[81]Op. cit.), un système pédagogique doit être cohérent sur trois points : « les objectifs à poursuivre, les méthodes pédagogiques à mettre en œuvre et les outils d’évaluation à élaborer ». Ce principe de la triple concordance permet d’assurer une efficacité du dispositif pédagogique pour qu’il soit porteur de sens pour les étudiants qui y sont soumis (Leclercq et Poumay, 2004[82]Leclercq D, Poumay M. (2004). La triple concordance en formation, Liège, Université de Liège, Form@sup. ; Leclercq, 2006[83]Leclercq D. (2006). La triple concordance o-m-e dans les systèmes éducatifs, Liège, Université de Liège [En ligne]. ; Leclercq et Poumay, 2006[84]Leclercq D, Poumay M. (2006). Sept principes de la triple concordance (objectifs, méthodes, évaluation) en formation, Liège, Université de Liège. ; Verpoorten et al., 2005[85]Verpoorten D, Leclercq D, Poumay M et al. (2005). BE-COME-RIR: La démarche d’un projet en formation, Développement professionnel en enseignement supérieur, Liège, LabSET-ULg.). Le tableau 1 illustre la triple concordance entre objectifs, méthode et évaluations dans le cadre de l’utilisation du portfolio structuré dans cette recherche.
En les guidant tout au long du projet, le portfolio structuré aide les étudiants à maitriser l’aspect multicritères de la conception de projets durables et à développer leur réflexivité, tout en leur servant d’instrument de gestion du projet durable. Pour les enseignants, il sert de base aux feedbacks formatifs réguliers donnés tout au long du projet et les aide à évaluer le projet, non seulement à travers le produit final (ce qui est assuré par la défense du projet devant un jury extérieur) mais aussi en tant que processus de conception (Romainville et Fischer, 2020[86]Op. cit.).
En reprenant les critères de définition de l’utilisation d’un portfolio dans l’enseignement supérieur (Fischer et al., 2020[87]Op. cit.), le tableau 2 définit plus précisément le portfolio structuré utilisé dans cette recherche pour faciliter le développement de projets durables.
Le portfolio structuré se présente sous la forme de plusieurs « chapitres » dans lesquels différentes questions sont soumises à la réflexion des étudiants, afin de les amener à prendre conscience de l’aspect multicritères du développement durable et à susciter chez eux une réflexion transversale. La finalité de cet outil vise à ce que, après avoir utilisé cette démarche à plusieurs reprises, les étudiants aient intégré dans leur pratique des automatismes réflexifs et des compétences en conception multicritère.
Pour illustrer ce dispositif pédagogique, la figure 3 montre la première page du portfolio structuré proposé aux étudiants du cours d’Atelier d’architecture IIIB de l’ULiège en 2020-2021.
Dans cet extrait, les deux premiers chapitres du portfolio sont présentés. Il s’agit des deux premières étapes du projet, à savoir le diagnostic du site, qui permet d’analyser et de comprendre le contexte dans lequel va s’insérer le projet et d’en tirer des objectifs de conception, et le schéma d’intention qui va esquisser la façon dont ces objectifs vont prendre forme. Chaque chapitre comprend une série de questions ouvertes, qui ont pour but de guider la réflexion de l’étudiant. Ces questions ne représentent pas de façon exhaustive l’ensemble des questions qu’il faut se poser lors de la création d’un projet mais elles permettent aux étudiants de s’engager dans le processus de conception. D’autres paramètres de réflexion viendront s’ajouter pour chaque projet en fonction de ses spécificités. Cette façon de découper le processus cognitif de conception d’un projet permet aux étudiants de comprendre clairement les différentes étapes attendues, ce qu’elles convoquent comme connaissances et compétences, et d’adopter, de ce fait, un apprentissage actif (Khorshidifard, 2011[88]Khorshidifard S. (2011). « A paradigm in architectural education: Kolb’s model and learning styles in studio pedagogy », ARCC Conference Repository [En ligne].). De plus, la définition précise des objectifs du cours entraine un engagement plus important des étudiants et une meilleure compréhension étudiants/encadrants lors des discussions formatives et, à terme, lors de l’évaluation (Doheim et Yusof, 2020[89]Doheim RM, Yusof N. (2020). « Creativity in architecture design studio. Assessing students’ and instructors’ perception », Journal of cleaner production, n° 249, 119418 [En ligne]. ; Fenwick et Parsons, 1999[90]Fenwick TJ, Parsons J. (1999). « Using Portfolios to Assess Learning » [En ligne].).
Dans le cas particulier d’un projet durable, s’ajoutent aux processus de conception standards, des étapes de réflexion visant à atteindre des critères énergétiques, environnementaux, sociaux, de bien-être et de santé des habitants, participatifs, patrimoniaux et de coût. La figure 4 donne un extrait du portfolio du cours « Projet de quartier durable » de l’ULiège en 2020-2021, où l’on retrouve plus spécifiquement des critères environnementaux.
Par les différentes questions données en réflexion aux étudiants, cet extrait montre la complexité des interactions qui ont lieu pendant la conception d’un projet. Il est important pour les étudiants d’avoir en tête, dès le début de la conception, l’ensemble des critères sur lesquels ils devront travailler, afin de pouvoir trouver des solutions intégrées (Mavromatidis, 2018[91]Mavromatidis L. (2018). « Coupling architectural synthesis to applied thermal engineering, constructal thermodynamics and fractal analysis: An original pedagogic method to incorporate ‘sustainability’ into architectural education during the initial conceptual stages », Sustainable Cities and Society, n° 39, p. 689-707 [En ligne].). Dès le début du cours, une première lecture du portfolio leur donne cette vue d’ensemble. Au fur et à mesure de leur avancement, les étudiants approfondissent les différents points tout en ayant toujours sous les yeux l’entièreté des exigences. Cette approche les aide à envisager et maitriser l’interdépendance des critères de la durabilité : par exemple, la récolte d’eau de pluie pour réduire l’utilisation d’eau potable entraine l’utilisation de matériaux imperméables sur certaines surfaces, et le choix de ces matériaux a une incidence à la fois sur le visuel du projet mais aussi sur son impact environnemental et sur son coût final. En répondant aux questions du portfolio structuré, les étudiants font des liens entre les différentes notions. Lorsque survient un changement d’un des choix au cours de la conception, ils sont plus à même de refaire le chemin inverse pour contrôler les implications de ce changement sur l’ensemble du projet, qui devient ainsi plus cohérent, structuré et pertinent.
L’évaluation du portfolio structuré par les enseignants se fait en deux temps : une évaluation informelle, régulière, à des échéances fixées, qui a pour but de donner un retour formatif aux étudiants et une évaluation formelle finale. Ces deux niveaux d’évaluation du portfolio sont complémentaires et donnent la possibilité aux étudiants d’améliorer leur projet tout au long du quadrimestre, tout en les aidant à mieux comprendre l’évaluation finale et à prendre conscience des compétences qu’ils ont acquises ou pas (Georges et Pansu, 2011[92]Georges F, Pansu P. (2011). « Feedbacks at school: A guarantee to regulate school behaviors », Revue française de pédagogie, n° 176(3), p. 101-146 [En ligne].).
Il est à noter que le portfolio structuré, développé dans cette étude, n’est pas un recueil de présentation du projet final de type book, ni un carnet de croquis de type carnet de travail (Van den Toorn et Have, 2012[93]Op. cit.). Cependant, il a en commun avec ce dernier l’accompagnement quotidien de la conception du projet par un dispositif pédagogique tourné vers une démarche guidée et ponctuée d’interactions avec l’enseignant. Le rôle des encadrants est de stimuler les étudiants et de les mener vers leurs objectifs. Toutefois, l’utilisation du portfolio est exigeante pour les enseignants car elle leur demande une grande flexibilité ainsi qu’un investissement en temps non négligeable pour la correction des portfolios. Il est également important que les encadrants soient à même, par leur pratique, de mettre en relation les étudiants avec le monde professionnel réel, afin d’éviter que le portfolio ne reste un outil trop théorique. De plus, un tel dispositif ne peut fonctionner que grâce à un engagement proactif des étudiants dans leurs apprentissages. Ils doivent s’autoréguler tout au long du projet et construire leurs connaissances de manière transversale, sans se limiter au cadre spécifique du cours, en allant puiser dans l’ensemble des matières mises à leur disposition dans leur cursus (Li et al., 2018[94]Op. cit.). Sans ce double engagement étudiant/encadrant, le dispositif pédagogique mis en place dans le portfolio structuré du projet durable ne peut fonctionner.
Les projets :
exemples de mise en pratique
du portfolio structuré
Cette dernière section a pour objectif de montrer en situation les principes pédagogiques décrits plus haut. Les deux projets présentés sont issus, pour le projet 1, du cours d’atelier d’architecture IIIB et, pour le projet 2, du cours « Projet de quartier durable » de l’année 2020. Après une succincte description du contexte du projet donné dans l’énoncé, des extraits du portfolio structuré, complété par les étudiants, seront présentés.
Projet 1 :
« Densifier la campagne urbaine »
L’objectif de cet exercice est la transformation d’un lotissement résidentiel à Boncelles, en périphérie de la ville de Liège, en Belgique. La figure 5 montre une modélisation aérienne du périmètre d’étude, qui se compose d’un lotissement résidentiel d’une superficie de 2,5 ha et d’une zone verte non aménagée d’une superficie de 3,7 ha, localisés au sein d’un îlot périurbain ancien. Le lotissement, en forme de cul-de-sac, regroupe 29 parcelles dédiées majoritairement à des habitations pavillonnaires.
Le défi majeur de cet exercice consiste à démontrer que le lotissement résidentiel pavillonnaire initial est susceptible d’évoluer vers un nouvel aménagement de qualité en palliant les aspects négatifs liés à ce type d’urbanisation, ce qui nécessite de densifier la trame bâtie, de désenclaver le lotissement pour éviter le phénomène de l’entre-soi, d’ajouter des fonctions connexes à celle du logement et, en corollaire, de diminuer l’usage de l’automobile et donc de promouvoir la mobilité douce, proposer des espaces publics de qualité et un chaînage d’espaces libres articulés avec un parc.
Les extraits du portfolio structuré du projet du groupe d’étudiants présenté ici ont pour but de montrer l’appropriation de l’outil et les processus réflexifs qu’il a permis. La figure 6 montre la photo d’une maquette de travail effectuée au début du projet. Elle était accompagnée du commentaire suivant : « Pour cette maquette de travail, nous avons décidé de nous concentrer sur la façon par laquelle nous allons densifier le secteur. En effet, l’utilisation de la maquette nous permet de travailler rapidement la forme du projet tout en voyant les problèmes de lumière dans les habitations. Nous nous en servons également pour améliorer la cohérence architecturale entre les tours d’habitation et le lotissement, en faisant varier les hauteurs des faîtes et la morphologie des habitations ». Ce commentaire souligne le travail métacognitif qu’effectue ce groupe d’étudiants en explicitant leur façon de réfléchir et en mettant en avant ce que cela leur permet de comprendre.
La figure 7 représente ensuite le travail du plan-masse de ce même groupe, accompagné dans le portfolio du texte suivant : « Nous voyons que la coulée verte traverse le lotissement depuis les tours jusqu’au parc. (…) Par exemple, un aménagement avec des herbes hautes, des arbustes, quelques arbres, conserve la mise à distance, offre une évapotranspiration appréciable en été et laisse passer la lumière en hiver. (…) Nous proposons de reboiser, avec notamment des arbres fruitiers, des chênes et des bouleaux. Ceci se fera notamment au sud, afin d’offrir des zones d’ombre en été. (…) La densification du lotissement implique nécessairement une hausse de la quantité d’eau de pluie à gérer, son traitement se fera par l’installation de noues sur les terrains des nouvelles habitations. L’objectif est de soulager le réseau existant et de créer une zone dans le parc qui ne subira pas la sécheresse. Cette zone servira de tampon de biodiversité avec l’implantation d’herbes hautes, de fleurs sauvages et d’arbustes. » Ce commentaire montre la gestion des implications qu’ont les choix de conception les uns sur les autres et la façon dont le groupe les considère. Une amorce de réflexion durable peut être observée dans les réflexions liées à la biodiversité, aux choix des essences végétales, à la gestion de l’eau de pluie, à la surchauffe estivale…
Enfin, le dernier extrait, en lien avec les figures 7 et 8, permet de constater la capacité du groupe à synthétiser les principes mis en place dans leur projet : « Le plan masse final reprend les intentions suivantes : une coulée verte allant des tours d’habitation jusqu’au parc réservé aux piétons et cyclistes, une voie carrossable à sens unique dessert le lotissement, ainsi que de nombreuses voies piétonnes et des espaces publics valorisés grâce à la végétation et à la permaculture. La densification du lotissement est douce mais pensée de manière à ce que chaque habitation dispose d’un jardin extérieur de dimension moyenne donnant sur des espaces publics où la végétation permet de maintenir l’intimité auparavant assurée par de grandes surfaces de jardin. Dans ce master plan final, les formes de la coulée verte et des cheminements piétons dans le parc sont plus simples : sinusoïdale, cercle, droite. »
L’outil pédagogique qu’est le portfolio structuré facilite l’esprit de synthèse et le recul des étudiants sur leur travail. Ils peuvent prendre conscience du chemin parcouru et des choix forts qu’ils ont posés.
Projet 2 :
« Aménagement d’un quartier durable
en connexion avec l’Université de Liège »
Dans ce projet, il est demandé aux étudiants de développer un aménagement de quartier durable sur le campus de l’ULiège. Ce quartier est dédié au logement ainsi qu’aux activités universitaires. Le programme comprend des logements destinés aux étudiants et aux familles, un bâtiment universitaire, un espace public de rencontre connecté avec le quartier existant, un ensemble de fonctions liées à la vie étudiante (laverie, petits commerces de proximité, salles de réunion…).
Dans le portfolio, il était demandé aux étudiants d’analyser le site sous différents points de vue : mobilité, bruit, typologie, activité… Les étudiants du groupe 1 ont choisi de représenter leurs analyses via des cartes schématiques, dont deux exemples sont présentés à la figure 9. Suite à cette analyse, les étudiants concluent : « Nous sommes en présence d’un quartier fractionné. On y retrouve du logement au niveau de la Cense-Rouge et du village du Sart-Tilman, une zone étudiante avec l’université de Liège, et enfin une zone d’activité professionnelle avec le Science-Park. Ces trois principaux pôles sont à l’heure actuelle complètement déconnectés. Cela s’explique par le fait que le quartier est clairement fragmenté avec ces trois pôles mais également par la présence de la route du Condroz qui vient couper en deux le quartier, limitant ainsi les interactions entre les différents pôles. Ce constat nous a conduits à nous poser la question suivante : comment reconnecter ces trois pôles ? » Cet extrait montre le rôle du portfolio structuré pour aider les étudiants à prendre conscience de leur processus de conception.
En plus de répondre aux critères repris dans le portfolio structuré, ce groupe a choisi d’ajouter une explication sur leur façon de travailler. Cette analyse est reprise à travers quelques extraits de leur portfolio structuré, présentés dans les figures 10 à 13.
Ce type de prise de recul sur leur propre processus de conception prouve que les étudiants, à travers l’utilisation du portfolio, ont réussi à percevoir les mécanismes de réflexion qui entrent en jeu. Ils mettent en avant le travail de retour interne, propre à leur groupe, ainsi que le retour avec l’encadrant. Ces retours représentent des étapes de recentrement sur les choix opérés et sont donc des éléments clés dans le processus de conception (Georges et Pansu 2011[95]Op. cit.). Enfin, on constate également qu’ils ont pris conscience de la temporalité des choix de conception et de la simultanéité de certains de ceux-ci, comme c’est le cas pour l’étude de coût qui est réalisée en parallèle de l’aménagement urbain.
Ce groupe conclut en fin de processus de conception : « Nous avons, par l’intermédiaire de cet exercice, eu l’opportunité de réaliser un travail très complet. Dans chacune de nos solutions, nous avons adopté une approche multicritère en considérant les contraintes techniques, économiques, environnementales et esthétiques. Nous avons pu observer que l’approche urbanistique est une approche qui ne propose pas une solution parfaite mais une solution issue de compromis. (…) Nous nous sommes servis du « référentiel quartier durable » comme fil directeur afin de concevoir un quartier respectant au mieux les problématiques environnementales, sociétales, économiques et énergétiques. Le principal enjeu de cet exercice résidait dans l’aménagement urbanistique. (…) Nos prises de décisions se sont une nouvelle fois réalisées en adoptant une posture multicritère. Finalement, nous avons eu l’opportunité de réaliser un chiffrage de notre projet. Cela nous a permis de comprendre que chacun de nos choix avait un impact significatif sur le coût final du projet. »
On peut constater que les étudiants du groupe 1 maîtrisent l’aspect multicritères de la conception durable. Ils ont mis en place des stratégies pour y répondre et ils ont pu observer les différentes implications des différents critères entre eux. Enfin, leur réflexion les a conduits à prendre conscience de la posture du compromis qu’un concepteur doit adopter face à une problématique urbaine donnée.
Plusieurs autres groupes ont exprimé à travers leur portfolio leur compréhension et capacité d’intégration de l’aspect multicritères dans le projet urbain durable qui leur était proposé.Un groupe souligne : « L’évolution de notre projet est développée, pour souligner l’impact des différents critères environnementaux, écologiques ou encore techniques sur la conception de notre quartier. » Par cet extrait, ce dernier groupe montre lui aussi sa capacité à appréhender l’aspect multicritères de la conception urbaine durable.
Ces différents exemples mettent en exergue le rôle du portfolio structuré, qui permet une approche réflexive de l’étudiant, à la fois sur sa compréhension des processus de conception architecturale ou urbaine, mais aussi sur l’intégration multicritères qu’exige l’élaboration de projets durables.
Conclusion
La maîtrise des enjeux durables et la gestion multicritères qui en découle sont les piliers d’une conception de projets de qualité en urbanisme et en architecture. Les professionnels de demain doivent posséder ces compétences afin de pouvoir poser des choix éclairés dès le début de la conception de leurs projets. L’enseignement de cette démarche aux étudiants architectes et urbanistes demande des outils spécifiques que la pédagogie traditionnelle du projet n’apporte pas. Le principal défi est de développer des réflexes d’intégration des aspects du développement durable dès le début du processus de conception, ainsi que d’aider les étudiants à prendre en compte la complexité des liens d’interdépendance entre les différents critères durables pour améliorer leurs décisions.
Les outils pédagogiques développés dans cette recherche n’ont pas tous le même impact. Certains ont pour but d’éveiller des questionnements ou de sensibiliser à ce qu’est une conception durable, alors que d’autres sont des aides à la conception. L’important dans cette approche par outils est d’adapter ces derniers aux niveaux des étudiants concernés et à l’objectif pédagogique établi. Il est important de noter que l’outil n’est pas une fin en soi mais un support sur lequel se construisent les connaissances et les compétences des étudiants.
Le portfolio structuré, présenté dans cet article, est un exemple d’outil pédagogique utile dans ce contexte. Il aide les étudiants à prendre conscience de l’aspect multicritères de la conception durable. Il s’agit d’un dispositif où l’étudiant est actif et maître de son apprentissage. L’enseignant devient alors une ressource auquel l’étudiant fait appel pour vérifier sa trajectoire réflexive. Cependant, l’étudiant étant dans un processus d’apprentissage, il est important de s’assurer que les retours des enseignants vers les étudiants soient réguliers et formateurs. C’est dans ce contact régulier que l’efficacité des outils pédagogiques peut être jugée, et que certaines modifications ou réajustements peuvent se faire, si nécessaire, afin de s’adapter au mieux aux compétences disciplinaires et transversales à développer.
La difficulté qui peut être vue par rapport à une généralisation de l’usage du portfolio structuré dans le cadre des ateliers d’architecture et d’urbanisme réside dans la nécessité d’un engagement accru des enseignants et des étudiants pour sa bonne mise en œuvre. Toutefois, lorsque le contexte le permet, il est utile d’envisager cet outil pédagogique d’aide à la gestion multicritères pour faciliter l’élaboration de projets d’architecture durable et de projets d’urbanisme, par essence interdisciplinaires. Une fois les principes de la conception durable intégrés, les étudiants, devenus professionnels, pourront réactiver leurs compétences dans la vie active et s’aider, si besoin, de certains outils proposés pendant leur apprentissage.
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