juillet 2021
Enseigner par l’atelier 2
La ville de demain
Par Philippe Panerai
La ville de demain : par Philippe Panerai,
Riurba no
12, juillet 2021.
URL : https://www.riurba.review/article/12-atelier-2/ville-de-demain/
Article publié le 1er oct. 2022
post->ID de l’article : 2025 •
Philippe Panerai a récemment publié aux PUF (Presses Universitaires de France) un petit ouvrage sur le thème audacieux de la « La ville de demain ». La photo de couverture (empruntée au Getty), si elle s’accorde avec l’hommage appuyé au pavillon et avec l’appel aux vertus de l’eau, étonne (détonne ?). La maladie qu’a surmontée Panerai, en l’occurrence le Covid-19, est à l’origine, dit-il, de son besoin de réfléchir aux lieux où nous vivrons à l’avenir. Sa réflexion, partant du constant de la fuite des villes par de nombreux habitants, du double fait du confinement et du télétravail, est largement embrayée sur la question du chez soi, du logement ou de la maison, qui se doivent d’être, selon lui, appropriables.
Le début du livre revient sur le débat autour de cette question, en mai 1968, au sein de la défunte section architecture de l’École des beaux-arts. Panerai rappelle les bouleversements qui s’en sont suivis, et l’oreille attentive qu’a été la sienne à la parole du sociologue Henri Lefebvre. Alors enseignant à Nanterre, ce dernier dénonce la pratique capitaliste de l’urbanisme et proclame Le Droit à la ville dans un ouvrage éponyme paru en mars 1968.
À la suite de cette courte première partie, Panerai se demande, dans une seconde qui contient l’essentiel de son propos, ce qu’il en est aujourd’hui du droit à la ville. Il aborde la question à travers quatre chapitres qui lui permettent de passer de l’échelle du chez soi, appropriable, à celle des « tissus urbains », à rassembler dans leur diversité, puis celle de la ville, à réunifier par « un jeu de centralités », enfin à la question de l’eau dont il pense qu’elle peut jouer un rôle positif « pour accorder la ville et le territoire ».
Dans son chapitre sur le logement, tout en partant d’une critique nuancée des grands ensembles, il se déclare partisan, dans la foulée de bien d’autres architectes, de l’augmentation de la surface du logement, à concevoir traversant et non mono-orienté. Un second objectif est celui d’un espace extérieur d’au moins 15 m2 et un troisième, celui de l’évolutivité du logement. À l’appui de son argumentation, il propose au lecteur une « visite guidée », celle de l’appartement témoin d’Auguste Perret au Havre. Panerai se lance ensuite dans un « Éloge des pavillons », suivant en ce sens, dans la foulée de ce qu’avait pu en dire l’école de Lefebvre, les habitants plutôt que les urbanistes (et l’État) qui s’alarment à juste titre de l’étalement urbain. Sans entrer dans une distinction entre maison et pavillon, qu’il ne fait pas, bien qu’il souligne son estime pour les maisons en rangées londoniennes (terraces) — il aurait pu aussi mentionner la tradition néerlandaise —, Panerai se montre critique à l’égard du « lotissement trop lâche ». Sans mentionner l’expérience Bimby, reproduction d’une tendance déjà spontanément en œuvre, il se déclare partisan d’évolutions modérées des tissus pavillonnaires, en leur gardant les « qualités d’usage recherchées par leurs habitants tout en permettant des densifications partielles ».
L’échelle « supérieure », celle des « tissus urbains », est ensuite abordée, en premier lieu à travers la question du foncier, de ses effets délétères en France, à la différence des pratiques vertueuses des Pays-Bas, puis à cette évolution de la trame urbaine qui efface les découpages parcellaires fins au profit des macro-lots. Ces derniers, à la faveur de programmes qui sont censés favoriser la mixité, entraînent beaucoup de confusion dans les gestions des copropriétés. Après avoir noté ce que la Gated Community doit au sentiment d’insécurité et donne d’enfermement consenti, comble de la séparation, Panerai se livre à une réflexion sur le concept de tissu urbain : il a sa préférence sur celui de forme urbaine. Il permet notamment de comprendre les relations entre « les espaces publics, les découpages fonciers, et l’ensemble du bâti ». Il est à la fois un concept opératoire, pour lire la ville, mais aussi un concept opérationnel, pour la fabriquer.
Au chapitre qui suit, puisant ses références dans l’école de Annales, dans l’apport de la sociologie urbaine inspirée par Lefebvre et celui de Muratori à propos de Venise, Panerai nous parle du plan de la ville dont il nous dit qu’il « est d’abord celui de ses espaces publics ». Il précise en quoi la ville désigne aujourd’hui une agglomération avec une diffusion qui ne concerne pas seulement les métropoles. Cet étalement urbain, engendré par la motorisation automobile, conduit à une imbrication de la ville et de la campagne, mais aussi à « un entrelacs » de voiries déconcertant. Il propose par conséquent de « redonner aux voiries un caractère d’espaces publics », ce qui rejoint les thèses du Danois Jan Gehl sur la ville à taille humaine. Ainsi, l’urbain « globalisé » doit associer différents modes de transports, « à commencer par la marche du piéton ». En conclusion de ce chapitre, Panerai estime que l’on doit penser la ville, grande ou petite, à partir des centralités multiples qui la caractérisent aujourd’hui, tout en veillant à « apprivoiser » des confins mal intégrés et valorisés. Ainsi l’image de la constellation, l’idée d’un polycentralisme hiérarchisé, seraient les caractéristiques les plus appropriées, selon Panerai, pour qualifier la ville contemporaine.
En fin d’ouvrage, Panerai se saisit d’un aspect particulier de la nature, aujourd’hui plébiscitée pour son retour en ville, dans son plaidoyer pour la ville de demain : les « chemins de l’eau ». Partant, pour ce qu’il le concerne, de son expérience professionnelle récente, il renoue avec ce qui a inspiré la géographie de Reclus et sa fameuse coupe sur la vallée, reprise aussi bien par Geddes au début du xxe que par les rebelles du Team Ten. Les comblements, canalisations ou autres enterrements de l’eau nous ont en effet éloignés de ce qui fondait aux origines la formation des villes, leur relation à la mer, au fleuve ou à la rivière. Bien des villes étaient en effet d’autres Venise, comme Nantes était celle de l’Ouest. Panerai dit ainsi en quoi l’attention à l’eau est une limite à l’imperméabilisation et, par voie de conséquence, une ouverture à la biodiversité. Comme les grandes voies, d’ailleurs souvent elles-mêmes déterminées par les replis des vallées, « les chemins de l’eau forment système », ils façonnent les territoires. Penser la ville de demain, conclut Panerai, consiste aujourd’hui à « assembler les fragments d’une urbanisation qui juxtapose des tissus hétérogènes ». L’ouvrage est très bien écrit ; il tire profit de la riche expérience de son auteur, professeur et chercheur pionnier dans la réflexion sur la ville contemporaine, avant son retour à une pratique professionnelle enrichie par la précédente. L’ouvrage s’appuie par ailleurs tant sur les leçons de cette pratique que de multiples lectures et observations sur de nombreux terrains de par le monde. Sans dogmatisme, l’auteur défend des thèses dont certaines se prêtent au débat, comme son « hommage au pavillon ». Mais beaucoup d’autres, en particulier celles relatives au « chez soi », aux « tissus urbain » et aux « chemins de l’eau », témoignent d’une pensée socioécologique qui n’a pas enfermé l’architecture dans un autisme encore trop répandu dans cette discipline.