janvier 2022
L’urbanisme de crise. Un nouvel horizon pour les villes et les territoires ?
Urbanisme temporaire
ou urbanisme tactique ?
L’exemple des mobilités cyclistes
en contexte Covid dans une ville intermédiaire
Urbanisme temporaire ou urbanisme tactique ? L’exemple des mobilités cyclistes en contexte Covid dans une ville intermédiaire,
Riurba no
13, janvier 2022.
URL : https://www.riurba.review/article/13-crise/urbanisme-temporaire/
Article publié le 1er nov. 2023
- Abstract
- Résumé
Temporary or tactical urbanism as a response to Covid in a mid-sized city? The example of cycling mobility
This paper deals with the role of Covid cycling initiatives within the urban planning and design process, focusing on the so-called “tactical” dimension of this crisis response urbanism, which is here analysed from the perspective of its enunciations, spatialities, actors and practices. The urban area of Mulhouse in France, particularly affected by Covid-19 during the first lockdown in 2020, is chosen as a case study. The authors address three research questions related to the vocabulary and design approaches used by local actors; to the project scales, both in terms of temporalities and interacting stakeholders; and to the spatial characteristics of the temporary installations observed on site. What emerges is that these experiments have a temporary but not a participatory dimension. They can be likened to management tools designed for unprecedented contexts, temporarily employed before returning to more traditional planning modes, rather than enacting structural change in professional practices and urban strategy.
Cet article questionne le rôle des aménagements cyclables Covid au sein de la fabrique urbaine et se focalise sur la dimension fréquemment qualifiée de « tactique » de cet urbanisme de crise, en le réinterrogeant au concret dans ses énonciations, ses spatialités, ses acteurs et ses pratiques. Les auteurs retiennent comme cas d’étude l’aire urbaine de Mulhouse en France, particulièrement frappée par la Covid-19 lors du premier confinement en 2020. Ils abordent trois questions de recherche liées à la mise en mot / mise en projet, aux échelles des temporalités et des acteurs en interaction, et aux caractéristiques des interventions observées in situ. Il ressort que ces expériences présentent une dimension temporaire mais guère participative, et s’apparentent d’abord à un outil de gestion d’un contexte inédit, avant un retour à des modes projectuels plus traditionnels, plutôt qu’un changement structurel dans les pratiques professionnelles et dans la stratégie urbaine.
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Cet article questionne le rôle des aménagements cyclables apparus en 2020 au sein de la fabrique urbaine lors de la « première vague » de la Covid-19 en France : ces actions marquent-elles une opportunité pour l’action publique locale de se réinventer ou une occasion manquée ? Plus encore qu’en conjoncture routinière, le « dire », le « faire » et le « dire sur le faire » (Lahire, 1998[1]Lahire B. (1998). « Logiques pratiques : le “faire” et le “dire sur le faire” », Recherche & formation, n° 27, p. 15-28.) sont étroitement intriqués dans ce contexte sanitaire aigu, doublé de la tenue des élections municipales au printemps 2020. Les décideurs ont en effet à faire face à des risques impensés, les incertitudes qu’ils génèrent et les responsabilités qu’ils induisent à l’endroit d’un futur proche ou plus lointain. Du côté des concepteurs, architectes et urbanistes, la projection vers le futur s’est incarnée classiquement dans l’outil du scénario (Viganò, 2012[2]Viganò P. (2012). Les territoires de l’urbanisme. Le projet comme producteur de connaissance, Genève, Métis Presses. ; Grigorovschi, 2017[3]Grigorovschi A. (2017). « Le retour du futur : le scénario exploratoire pour une mise à jour de la pensée projectuelle », dansMazzoni C, Borghi R (dir.), Strasbourg, ville énergie. Futurs possibles, Paris, La Commune, p. 235-259.), mais aussi, avec la crise économique de 2008 conjuguée à la crise écologique globale, par la recherche de modes de faire « alternatifs », appelant à une économie de projet « frugale » (Citron, 2018[4]Citron P. (2018). Entretien publié dans Rollot M (dir.), L’hypothèse collaborative. Conversation avec les collectifs d’architectes français, Paris, Hyperville, p. 204-205 [En ligne ; Menu, 2018[5]Menu F. (2018). Entretien publié dans Rollot M (dir.). L’hypothèse collaborative. Conversation avec les collectifs d’architectes français, Paris, Hyperville, p. 226 [En ligne). Dans le cas de la pandémie de Covid-19, la responsabilité n’est pas tournée vers un avenir abstrait, le « monde d’après » est à inventer au présent.
Au temps des néologismes :
urbanisme temporaire, urbanisme tactique
Face à la crise de la Covid-19, l’urbanisme temporaire a émergé comme une réponse pour adapter rapidement les villes aux impératifs sanitaires. Renvoyant à des interventions ponctuelles, dans le temps et dans l’espace (Lecroart, 2020[6]Lecroart P. (2020). « L’urbanisme tactique, une autre façon de faire la ville à rebours de la planification », EnlargeYourParis, 24 mai. [En ligne), ce registre est vu comme « une question d’action » (Street Plans Collaborative, 2021[7]Street Plans Collaborative. (2021). Tactical Urbanist’s Guide to Materials and Design, v.1.0 [En ligne). Ce sont sans doute cette « culture un peu “bricolée” mais très agile » (Chassignet et Vidalenc, 2020[8]Chassignet M, Vidalenc É. (2020). « S’inspirer de l’urbanisme tactique pour adapter les villes à la distanciation physique », The Conversation, 23 avril [En ligne) et cette capacité d’agir vite qui l’ont propulsé sur le devant de la scène et ont aussi valu aux opérations le qualificatif d’urbanisme « tactique », dans la littérature praticienne et de recherche.
Matériellement, depuis mars 2020, divers aménagements urbains temporaires sont apparus à travers le monde, modifiant les configurations des espaces publics et les usages de mobilité : slow streets, places ouvertes, « coronapistes », etc. (ADEME, 2020[9]ADEME. (2020). Aménagements urbains temporaires des espaces publics, rapport « Flash » [En ligne). D’une part, ces transformations résonnent avec certaines valeurs défendues par les tenants de l’urbanisme tactique : celles de ville inclusive, plus juste socialement et spatialement, plus démocratique et respectueuse de l’environnement (Brenner, 2020[10]Brenner N. (2020). « Is “Tactical Urbanism” an Alternative to Neoliberal Urbanism ? », dans Courage C et al. (dir.), The Routledge Handbook of Placemaking, Abingdon, New York, Routledge, Chapter 27 [En ligne ; Lydon et Garcia, 2015[11]Lydon M, Garcia A. (2015). Tactical Urbanism: Short-Term Actions for Long-Term Change, Washington DC, Island Press.). D’autre part, des guides pratiques se multiplient, décrivant les actions à entreprendre pour répondre à la crise sanitaire en ville. Ils sont promus, à l’échelle internationale, par des figures du mouvement de l’urbanisme tactique (Lydon, 2020[12]Lydon M. (2020). Tactical Urbanism. A Tool for Crisis Management?, TUMI/NUMO Webinar [En ligne). En France, la diffusion se fait autant à partir d’établissements publics à l’échelle nationale, tel le guide du Centre d’études et d’expertise sur les risques, l’environnement, la mobilité et l’aménagement (CEREMA, 2020[13]CEREMA. (2020). Aménagements cyclables provisoires : tester pour aménager durablement [En ligne), que de structures régionales et locales, comme des agences d’urbanisme et certaines associations (par exemple : Association 2P2R, 2020[14]Association 2P2R. (2020). Développer l’usage du vélo et la marche pour répondre à la crise sanitaire et aux enjeux du déconfinement. Urbanisme tactique [En ligne ; ViaRomana, 2020[15]ViaRomana. (2020). L’urbanisme tactique pour répondre à l’urgence Covid-19. Guide pratique à destination des mairies et collectivités françaises [En ligne).
La crainte est notamment celle d’un renforcement de l’« auto-solisme », les transports en commun pouvant présenter une offre réduite et apparaître moins sûrs en termes de gestes barrières (Boullier, 2020, p. 8-9[16]Boullier D. (2020). « Quand la pandémie révèle la médiocrité de nos enveloppes d’urbanité : habit, habitat, habitacle, habitèle », RIURBA, n° 9 [En ligne). « Investir dans les chaussures, les trottinettes et la proximité, pour éviter le retour mortifère de la voiture après le Grand Confinement ? », résume Jérôme Monnet (2020[17]Monnet J. (2020). « Investir dans les chaussures, les trottinettes et la proximité, pour éviter le retour mortifère de la voiture après le Grand Confinement ? », Cybergeo, 27 avril [En ligne). Les formes urbaines contemporaines sont interrogées dans leur adéquation aux besoins des habitants (Grant, 2020[18]Grant JL. (2020). « Pandemic challenges to planning prescriptions : How Covid-19 is changing the ways we think about planning », Planning Theory and Practice, vol. 21, n° 5, p. 659-667.), alors que la pandémie pose la distanciation sociale comme première mesure sanitaire collective (Jabareen et Eizenberg, 2021, p. 57[19]Jabareen Y, Eizenberg E. (2021). « The failure of urban forms under the Covid-19 epidemic: Towards a more just urbanism », Town Planning Review, vol. 92, n° 1, p. 57-63.).
Dès lors, les néologismes ne manquent pas auprès des praticiens et des médias pour identifier des « modalités de fabrique de la ville considérées comme originales et novatrices, ce qui justifierait la création d’un nouveau lexique destiné à faire date dans la recherche urbaine » (Nédélec, 2017, p. 94[20]Nédélec P. (2017). « De nouveaux mots pour de nouvelles modalités de fabrique de la ville ? Initiatives citadines d’aménagement des espaces publics », L’Information géographique, vol. 81, n° 3, p. 94-107.). De quoi parle-t-on derrière le succès du terme d’urbanisme tactique et pas seulement temporaire, au sens de transitoire ou passager ? D’un côté, il est question d’initiatives d’abord développées « par le bas », à l’exemple de Bogota, où des pistes cyclables temporaires ont été « bricolées » en mars 2020 par des habitants puis par la municipalité au jour le jour (Chassignet et Vidalenc, 2020[21]Op. cit.). En France, le maire de Montpellier est le premier à annoncer le 13 avril des aménagements temporaires, suivi par Paris dès le lendemain, et rapidement la plupart des métropoles (Grenoble, Rennes, Lyon, Nantes, Toulouse, Lille, Bordeaux, etc.), mais aussi des communes de plus petite taille (ibid.). La France se situe au premier rang des pays européens en termes d’infrastructures cyclables Covid[22]European Cyclist Federation, COVID-19 Cycling Measures Tracker, Key Numbers [En ligneEn ligne. D’un autre côté, l’urbanisme tactique est un mode de qualification en débat parmi les urbanistes autour des principes suivants : une mise en place et une dépose rapides, des coûts limités, une logique d’usages (tester/évaluer) et d’implication citoyenne, qu’il s’agisse des mobilités, des âges de la vie ou de la place de la nature en ville (Ramos, 2018[23]Ramos A. (2018). « Le jardinage dans l’espace public : paradoxes, ruses et perspectives », Projets de paysage, 23 décembre [En ligne ; Cha, 2020[24]Cha J. (2020). « Repenser la fabrique des espaces publics de la ville contemporaine : l’exemple du prototype du Virage à Montréal », Journal of the Society for the Study of Architecture in Canada, vol. 45, n° 1, p. 23-41. [En ligne). Si l’on repère la structuration d’un milieu professionnel de « l’occupation temporaire » correspondant à l’émergence de nouveaux entrants dans le système de production urbaine, une diversité de représentations et de modes d’action se donnent à voir (Pinard et Morteau, 2019[25]Pinard J, Morteau H. (2019). « Professionnels de l’occupation temporaire, nouveaux acteurs de la fabrique de la ville ?RIURBA, n° 8.). Du reste, la notion même de projet est marquée par la force du flou, valant tantôt comme un paradigme sociétal, tantôt comme une action collective organisée (Idt, 2020[26]Idt J. (2020). « Projet urbain. Concepts hétérogènes pour objet flou », dans Bognon S, Magnan M, Maulat J (dir.), Urbanisme et aménagement. Théories et débats, Paris, Armand Colin, p. 181-195.). Saisir l’action urbaine en contexte Covid comme temporaire et/ou tactique suppose de partir de ce constat de polysémie, et de voir comment les énoncés se distribuent en fonction des groupes d’acteurs.
Dans la fabrique urbaine en France, deux catégories de projet sont traditionnellement identifiées : la planification stratégique – plutôt à long terme, fondée sur une maîtrise du temps par l’espace (Lévy, 2016[27]Lévy L. (2016). « L’urbaniste, professionnel de l’improvisation ? », Cybergeo: European Journal of Geography, rubrique Débats, 6 avril [En ligne) et privilégiant une approche globale de l’action (Andres, 2013[28]Andres L. (2013). « Differential spaces, power hierarchy and collaborative planning : A critique of the role of temporary uses in shaping and making places », Urban Studies, vol. 50, n° 4, p. 759-775.) – et le projet opérationnel, permettant à plus court terme de passer à la transformation de l’espace pour le doter des opérationnalités recherchées (Thibault, 2018[29]Thibault S. (2018). « Composition et structure du projet », dans Martouzet D (dir.), Le projet fait les acteurs. Urbanisme, complexité, incertitude, Tours, Presses Universitaires François Rabelais, p. 68-96. ; Andres, 2013[30]Op. cit.). L’urbanisme tactique propose une autre catégorie projectuelle, relevant des actions ponctuelles engagées au gré des opportunités (Andres, 2013[31]Op. cit. ; Lévy, 2016[32]Op. cit.). Ces actions installent un rapport inédit au temps (Chapel, 2012[33]Chapel E. (2012). « Urbanités inattendues. Petites fabriques de l’espace public », Inter Espace Public, n° 111, p. 56-60. ; 2018[34]Chapel E. (2018). « D’un urbanisme global à une pratique de situations spatiales ? », dans Rollot M (dir.), L’hypothèse collaborative. Conversation avec les collectifs d’architectes français, Paris, Hyperville, p. 10-16 [En ligne), ancré dans l’instantané et l’éphémère, et à caractère expérimental (Brenner, 2020[35]Op. cit.) et réversible (Chabot, 2014[36]Chabot L. (2014). « Friches temporelles et aménagements urbains temporaires », Urbia. Les cahiers du développement urbain durable, n° 16, p. 67-84.). Le mode tactique relèverait ainsi de l’« urbanisme préopérationnel », qui regroupe des études intermédiaires entre les projets de planification et ceux opérationnels, ou encore de nouveaux outils d’aménagement « complémentaires à ceux qui existent déjà » (idem). Il permettrait surtout une prise de conscience de l’importance à considérer les échelles spatiales mais également temporelles dans la production urbaine (idem ; Tonkiss, 2013[37]Tonkiss F. (2013). « Austerity urbanism and the makeshift city », City, vol. 17, n° 3, p. 312-324.), en portant la focale sur des « interstices spatiaux et temporels de la ville » (Diguet, 2018, p. 125[38]Diguet C. (2018). « Urbanisme transitoire, programmation en action : une brèche pour le droit à la ville ? », dans Rollot M (dir.), L’hypothèse collaborative. Conversation avec les collectifs d’architectes français, Paris, Hyperville, p. 10-16 [En ligne) et sur les interstices de la fabrique urbaine mainstream, à la fois « spatiaux, réglementaires, administratifs et économiques » (Chapel, 2012[39]Op. cit.).
Confronter le répertoire « tactique » à une étude de cas
Le projet « Mut’action – Mobilité et urbanisme tactique en action »[40]Le projet Mut’Action, lauréat de l’appel 2020 « Résilience Grand Est » (Burger C. (2020). « La Covid-19 : une opportunité pour transformer les mobilités par l’urbanisme tactique », The Conversation, 20 octobre [En ligne s’attache aux villes intermédiaires de la région Grand-Est en France, fortement éprouvées par la « première vague » de la pandémie (Hecker et al., 2020[41]Hecker I, Pic V, Breton D, Gagnon A. (2020). « Le Grand Est : deuxième région française la plus touchée par l’épidémie de Covid-19 », Insee Analyses Grand Est, n° 115, p. 1-4.). Les villes intermédiaires peuvent être définies comme des aires urbaines de 200 000 à 500 000 habitants exerçant des fonctions proches de celles des métropoles, mais avec un rayonnement régional (Deraëve, 2015[42]Deraëve S. (2015). « Les villes intermédiaires françaises face aux mutations des systèmes productifs : enjeux et stratégies territoriales », Bulletin de l’association des géographes français, vol. 92, n° 4, p. 524-536 [En ligne). Cette entrée est riche de sens pour croiser culture de la fabrique urbaine et expérience de l’urbanisme tactique. En effet, si l’Amérique du Nord et certains pays d’Amérique du Sud ont une assez longue tradition en la matière, en France, les systèmes de production urbaine sont davantage associés aux logiques de planification et d’urbanisme opérationnel, plutôt top-down, aux temporalités relativement longues et visant une production réussie du premier coup. C’est précisément en réaction à ces modes de faire jugés trop verticaux, lourds ou lents pour changer le cadre urbain (Lecroart, 2020[43]Op. cit.) que des évolutions se repèrent, via des trajectoires d’institutionnalisation de pratiques collectives (IAU-IdF, 2018[44]IAU-IdF. (2018). L’urbanisme transitoire. Optimisation foncière ou fabrique urbaine partagée ? [En ligne) ou d’« activisme édulcoré » (Douay et Prévot, 2014[45]Douay N, Prévot M. (2014). « Park(ing) day : label international d’un activisme édulcoré ? », Environnement Urbain / Urban Environment, vol. 8 [En ligne). Ces dynamiques mixant l’alternatif et le mainstream s’opèrent majoritairement dans les métropoles et les grandes villes, où se concentre l’activité des acteurs positionnés sur le segment de l’urbanisme temporaire et de la médiation (Macaire, 2018[46]Macaire É. (2018). « Une histoire de “collectifs” », dans ROLLOT M (dir.). L’hypothèse collaborative. Conversation avec les collectifs d’architectes français, Paris, Hyperville, p. 16-35 [En ligne). Si les villes intermédiaires semblent ainsi moins en prise avec ces idées et ces pratiques lorsque la pandémie se déclenche, elles s’en sont aussi saisies.
Nous retenons comme cas d’étude l’unité urbaine de Mulhouse – qui compte 247 065 habitants en 2018 suivant l’INSEE (RP 2018, exploitation au 01/01/2021) –, car elle a été particulièrement frappée par la Covid-19, avec une augmentation de 117,1 % des décès entre 2019 et 2020 sur la période mars-avril (Agence régionale de santé Grand Est). Seconde agglomération d’Alsace, proche de la Suisse et de l’Allemagne, Mulhouse est une ancienne ville industrielle en mutation qui, depuis les années 1990, cherche à renouveler son attractivité et à émerger comme polarité urbaine (voire métropolitaine) régionale, stratégie conditionnée par l’influence des métropoles de Bâle et de Strasbourg (Nonn, 2015[47]Nonn H. (2015). L’Alsace actuelle. Développement régional et métropolisation depuis les années 1950, Strasbourg, Presses universitaires de Strasbourg.). Pour répondre aux enjeux liés à sa fragmentation sociale et spatiale héritée du XIXe siècle, et accentuée avec la désindustrialisation des années 1970, la ville a engagé durant les trente dernières années plusieurs projets de rénovation urbaine afin de redynamiser son centre-ville historique (qui, avec la désindustrialisation, a été progressivement déserté par les ménages à revenus moyens et élevés, au profit de zones périurbaines) : rénovation de friches industrielles misant notamment sur le secteur des services et les activités culturelles, artistiques et technologiques ; réhabilitation de quartiers ouvriers ; requalification des espaces publics autour d’un nouveau tramway (deux lignes introduites en 2006) ; et transformation du quartier de la gare en quartier d’affaires bénéficiant d’un pôle multimodal, avec la liaison tram-train (2010) et l’arrivée du TGV (2011).
Tous ces aménagements jouent un rôle central pour créer un cadre urbain plus apaisé, un prérequis indispensable au développement des pratiques cyclistes. Avant l’arrivée de la pandémie, même si le retour du vélo dans les villes françaises était déjà constaté (Héran, 2018[48]Héran F. (2018). Éléments statistiques sur l’essor de l’usage du vélo dans le monde occidental et en particulier en France, Université de Lille [En ligne), sa part modale à Mulhouse reste assez faible : elle a été évaluée par l’Agence d’Urbanisme de la Région Mulhousienne (AURM) autour de 3 % en 2019, au même niveau que la moyenne nationale (AURM, 2019, p. 7[49]AURM. (2019). Connaître et faire progresser la pratique du vélo : quels leviers d’action possibles pour m2A et le Sud Alsace ? [En ligne) mais loin derrière les villes et métropoles voisines qui font figure de référence en la matière : Bâle (Suisse), avec 25 % ; Freiburg-im-Breisgau, avec plus de 25 %, occupant la deuxième position parmi les villes allemandes de plus de 200 000 habitants les plus favorables à la bicyclette (Rouiller, s.d.[50]Rouiller A. (s.d.). « À pied et à vélo », Rue de l’avenir [En ligne) ; Strasbourg, considérée comme l’agglomération la plus « cyclable » de France, avec une part modale vélo de 15 % sur la ville et 8 % sur l’agglomération ; mais aussi la ville moyenne voisine de Colmar, avec 6 % (CERTU, 2013, p. 3[51]CERTU. (2013). « L’usage du vélo en milieu urbain : une pratique qui se développe, des freins à desserrer », Mobilités et transports – Le point sur, n° 29 [En ligne). On mesure ainsi l’ambition que représente localement un objectif de 9 % de part modale du vélo – reprenant les objectifs gouvernementaux avancés à l’échelle nationale –, ainsi que la presse régionale s’en fait l’écho au cours de la campagne des municipales 2020 (Fellmann, 2020[52]Fellmann C. (2020). « Le vélo à Mulhouse : en selle pour les municipales », Dernières Nouvelles d’Alsace, 8 mars [En ligne).
En contexte Covid, cette configuration rend saillante la question des mobilités urbaines, mais aussi des « enveloppes d’urbanité »[53]À savoir « toutes les peaux techniques que notre époque a conçues et qui devraient nous permettre d’habiter des enveloppes vivables : pour les vêtements qui doivent être nos habits, pour nos logements qui devraient être notre habitat, pour nos véhicules qui deviennent des habitacles et pour nos réseaux qui pourraient devenir notre habitèle » (Boullier, 2020, p. 2)., alors que le vélo peut valoir échappatoire à la promiscuité mais peine à faire « habitacle » (contre les chocs…) (Boullier, 2020, p. 8[54]Op. cit.). La crise sanitaire va alors servir d’opportunité pour donner un coup d’accélérateur au déploiement d’aménagements cyclables. Concrètement, il en va localement de 13,5 km d’itinéraires cyclables de déconfinement, pour un coût de 110 000 €[55]Dossier de presse, Ville de Mulhouse, Journée sans voiture du 20/09/2021. (figure 1).
Notre équipe d’architectes, sociologues et urbanistes a mobilisé une veille documentaire, l’étude de la plateforme « participative » Mulhouse C’est Vous[56]Permettant aux habitants de déposer des commentaires [En ligne et des projets, documents d’urbanisme et rapports d’expertise des collectivités et agences ; un corpus de presse régionale (quotidiens Dernières Nouvelles d’Alsace et L’Alsace) dépouillé depuis janvier 2020 ; 13 journées d’observations sur site et leur restitution (ethnographie, relevés, cartographie, visuels analytiques, reportages photographiques) ; ainsi qu’une série de 24 entretiens conduits en binôme (sociologie/architecture), de février à octobre 2021, avec 17 acteurs institutionnels et sept autres parties prenantes (associatifs, etc.)[57]Nous remercions vivement Eugénie Djouadi, étudiante en master 2 Ville, environnement et sociétés à l’université de Strasbourg, et Marie Stemart, étudiante en master 2 Architecture à l’École nationale supérieure d’architecture de Strasbourg, pour leur appui respectif à la passation de certains entretiens et à la réalisation de figures appuyant notre propos, dans le cadre de leur stage diplômant., abordés à partir d’une pré-étude de la presse et des organigrammes des collectivités, puis par des contacts d’un entretien à l’autre. Afin de penser ensemble le paysage administratif, technique et politique, et les processus en jeu autour des projets urbains de mobilités, nous avons croisé les perceptions de professionnels de l’aménagement urbain, aux échelons suivants : la collectivité européenne d’Alsace, l’agence d’urbanisme de la région mulhousienne, les services de l’agglomération et de la ville, ainsi qu’un bureau d’études associé aux études stratégiques ; et également les regards des élus locaux : adjoint au maire et élus de la liste majoritaire, ainsi que de l’opposition, au niveau de la commune et de l’agglomération. Nous avons multiplié les points de vue en interrogeant des animateurs d’une association de cyclistes, d’un collectif d’usagers des transports en commun, ainsi que des représentants de professionnels de l’automobile (auto-écoles…) et des commerçants.
Ce dispositif permet de déplier trois questions : quelles mises en mot et mises en projet se repèrent auprès des acteurs, décideurs et professionnels de la ville ? Quelles échelles apparaissent sur le plan des temporalités et des acteurs en interaction ? Et quelles caractéristiques – temporaires et/ou tactiques – présentent in situ les pratiques observées ?
Fonctionner par essais et erreurs à petite échelle n’est en soi pas une nouveauté et a marqué la « mise en durabilité » des politiques urbaines françaises dans les années 2000 (Hamman, 2012[58]Hamman P. (2012). Sociologie urbaine et développement durable, Bruxelles, De Boeck. ; 2019[59]Hamman P. (2019). Gouvernance et développement durable, Paris, Bruxelles, De Boeck.), tout comme la diffusion de l’« urbanisme des modèles » (Bourdin et Idt, 2016[60]Bourdin A, Idt J. (dir.). (2016). L’urbanisme des modèles : références, benchmarking et bonnes pratiques, La-Tour-d’Aigues, Éditions de l’Aube.). Par rapport à ces constats, le triple contexte du printemps 2020 – l’actualité croissante de la transition écologique, l’échéance politique des élections municipales et une pandémie impensée qu’il faut gérer – permet de relire ensemble les spatialités d’action et les rapports de gouvernance locale. Il s’agit in fine de considérer dans quelle mesure l’expérience pandémique peut servir à promouvoir une résilience urbaine (Deas et al., 2021[61]Deas I, Martin M, Hincks S. (2021). « Temporary urban uses in response to Covid-19: Bolstering resilience via short-term experimental solutions », Town Planning Review, vol. 92, n° 1, p. 81-88.) mais aussi à catalyser, ou non, un changement à plus long terme de la fabrique urbaine.
Les aménagements Covid à Mulhouse :
quelle mise en mot et en projet ?
Le dire pour qualifier le faire
On assiste à Mulhouse, sur l’initiative de la municipalité, à des réaménagements rapides afin de produire des voies vélos via une matérialisation provisoire au sol, de couleur jaune, et/ou d’autres dispositifs (plots, etc.) assimilés à ceux signalant des zones de travaux (figure 1). Pour en parler, peu d’acteurs utilisent spontanément le terme d’urbanisme tactique ; seul un expert de l’AURM développe la notion et la requalifie rapidement de « pragmatique » : « Passer par une phase de test, […] c’est super important, et ça permet de légitimer des projets plus lourds par la suite. […]. Si on s’est planté, c’est mortel. Alors que si on passe par une phase transitoire, cela permet de faire des ajustements, on peut avoir des aménagements avec des plots, etc., c’est ce qu’on appelle un peu l’urbanisme tactique. […] Je dirais aujourd’hui l’urbanisme pas tactique mais l’approche pragmatique, c’est une entrée par l’usage » (entretien, AURM, 01/04/2021).
Ce sont d’abord les qualificatifs de « temporaire » ou « transitoire » qui sont avancés parmi les acteurs supports d’expertise : « Une grande tendance est en fait l’urbanisme transitoire. […] On applique ça aussi sur la transition dans les espaces publics avec la participation des habitants. [C’est comme] les fameuses pistes jaunes » (entretien, AURM, 23/02/2021) ; « L’urbanisme temporaire, […] ça permet à l’élu de rendre compte de ce qui est possible, de ce qui est réaliste, ça permet aux habitants de s’approprier d’une nouvelle façon l’espace public» (entretien, Agence de la participation citoyenne, ville de Mulhouse, 06/04/2021).
Les énoncés des décideurs ne sont pas davantage stabilisés : « Aujourd’hui, le récit, on est en train de l’écrire. Le discours phare de nos élus, c’est la “Ville du quart d’heure”[62]Concept d’organisation urbaine prônant un accès aux aménités du quotidien en 15 minutes à pied ou en vélo à partir de son domicile pour tout habitant, soit une ville polycentrique et faisant écho au courant du « chrono-urbanisme » (Moreno C, Allam Z, Chabaud D, Gall C. (2021). « Introducing the “15-minute city”: Sustainability, resilience and place identity in future post-pandemic cities », Smart Cities, vol. 4, n°1, p. 93-111.).. […] Il faut que nos élus, ils aient structuré les éléments de langage de tout ça et qu’ils racontent un peu l’histoire » (entretien, directeur de pôle, ville de Mulhouse, 20/04/2021). Dans ce travail de production de cohérence, la notion d’« agilité » (fréquemment rapportée dans la littérature à l’urbanisme tactique : Cha, 2020, p. 35-36[63]Op. cit.) est avancée dans les services : « On est sur des projets qui sont à court terme alors qu’ils sont d’une ampleur colossale. Donc il faut qu’on soit en mode agile. Tout s’accélère mais tout vient à un moment s’imbriquer » (ibid., 01/02/2021). En regard, les associatifs mettent à distance tout simplisme : « Cet urbanisme tactique ne prend pas du tout en compte le fait que chaque personne n’est pas juste piétonne, cycliste ou passager de bus ou automobiliste » (entretien, Association des usagers des transports du Sud Alsace, 26/03/2021). Le second mot-clé qui ressort est celui d’une démarche « itérative », qui retient l’attention car les allers-retours peuvent sembler nuancer l’impératif de rapidité : « [C’est] la méthode un peu itérative que nous souhaitons mettre en place. La concertation arrive après, oui et non. […] Il se trouve que la volonté avait été d’oser des choses que certaines associations nous avaient proposées, à savoir dès qu’on avait deux voies automobiles, d’en dédier une au vélo » (entretien, adjointe chargée des mobilités, ville de Mulhouse, 01/02/2021).
Enjeux de mobilité
et projets mulhousiens pré-Covid
À Mulhouse, 56 % des habitants de l’agglomération résident en périphérie, ce qui correspond à des flux importants de déplacements pendulaires. Les habitudes de déplacement sont également différentes entre la ville centre et la périphérie. C’est pourquoi les études opèrent une distinction entre les estimations et les objectifs de parts modales de la ville de Mulhouse et de Mulhouse Alsace Agglomération (m2A). La voiture est majoritaire dans l’agglomération comme dans le périmètre de la ville. Une augmentation du trafic routier de 18 % au sein de la m2A au cours des deux dernières décennies va de pair avec un accroissement de 15 % du parc automobile (AURM, 2020a[64]AURM. (2020a). La mobilité en 2030 dans la région mulhousienne. Des objectifs à atteindre pour m2A ! Pourquoi ? Comment ?, 1er septembre [En ligne). Dans la ville-centre, on note une stabilité, à un niveau élevé, entre 48 et 49 % sur la période. Seulement 11,5 % des trajets domicile-travail sont effectués en transports en commun, 2,7 % à pied et 0,9 % en deux-roues, sur l’ensemble des flux au sein de l’agglomération (AURM, 2020b[65]AURM. (2020b). Les trajets domicile-travail de l’agglomération mulhousienne. On décrypte pour vous, 1er octobre [En ligne). À l’échelle de la ville centre, les mobilités actives gagnent toutefois du terrain, avec 6 % et 18 % des déplacements liés au travail qui se font respectivement à vélo et à pied (idem). Entre 1990 et 2020, la part modale de la marche augmente légèrement de 33 à 36 %, tandis que celle des transports en commun reste inchangée, à 13 % (idem). Entre 2014 et 2019, le taux moyen d’occupation des arceaux à vélos est passé de 21 % à 33 %, et la capacité de stationnement a été multipliée par quatre (AURM, 2019[66]Op. cit.). Au niveau des ambitions, Mulhouse affirme vouloir augmenter la part des modes actifs à 35 % en 2033, soit environ 10 % supplémentaires (Mulhouse Alsace Agglomération, 2019[67]Mulhouse Alsace Agglomération. (2019). « Projet d’Aménagement et de Développement Durables (PADD) », Schéma de cohérence territoriale de la région mulhousienne [En ligne), en se réclamant d’exemples allemands voisins : « La marche et le vélo peuvent atteindre les 20, 30 voire 40 % [pendant la décennie 2030] comme à Münster ou Freiburg-im-Breisgau en Allemagne » (AURM, 2020a[68]Op. cit.).
Bien avant la crise sanitaire, la ville et l’agglomération de Mulhouse se sont dotées d’outils de planification et d’études pour encourager les reports modaux vers le vélo, tout en profitant de cette transition pour engager des projets de renouvellement urbain. Si l’ancien Plan d’Action Vélo 2016-2020 de la ville est resté à l’état d’intention faute de budget suffisant (entretien, service voirie, ville de Mulhouse, 20/04/2021), à l’échelle de l’agglomération le Schéma directeur cyclable, actualisé par m2A en 2019, prévoit un maillage cyclable de près de 700 km réparti sur les 39 communes. Reste qu’avec en moyenne 6 km réalisés chaque année, il faudrait plus de 60 ans pour atteindre les 400 km à créer (AURM, 2020b, p. 55[69]Op. cit.). Au niveau de la ville, un nouveau Plan Vélo a été confié pour études à l’urbaniste de renom Alfred Peter avant la crise de la Covid-19. Il couvre deux axes de travail qui se recoupent : la définition d’un nouveau Plan de mobilité cyclable, comprenant 15 km d’itinéraires supplémentaires, et un projet d’extension et requalification du centre-ville de Mulhouse (entretien, pôle voirie, ville de Mulhouse, 01/02/2021).
Ces deux projets puisent et recoupent d’autres projets stratégiques inscrits dans le Plan d’aménagement et de développement durable (PADD) de Mulhouse (Plan local d’urbanisme [PLU] revu le 25 septembre 2019), tels que Mulhouse Diagonales[70]Mulhouse Diagonales, projet démarré en 2018, vise la revalorisation des infrastructures paysagères et notamment le réaménagement des voies d’eau traversant la ville « telles des diagonales ». Un enjeu majeur du projet se situe au niveau de l’axe de l’Ill et de son canal censé devenir « une véritable diagonale verte et bleue au sein de la ville, un espace de loisirs et de détente pour les habitants, mais également un lieu où la biodiversité se développe » (PADD/PLU, 2019, p. 4-8)., présenté comme « infrastructure douce et naturelle » et « ville de bien-être et de nature » (Ville de Mulhouse, 2019, p. 4-5, 9a, 12[71]Ville de Mulhouse. (2019). Projet d’aménagement et de développement durable. Révision du plan local d’urbanisme de Mulhouse [En ligne), ou encore Mulhouse Cœur d’Agglomération[72]Mulhouse Cœur d’Agglomération, deuxième grand projet stratégique inscrit dans le PADD, vise à conforter la stratégie de redynamisation et de métropolisation de Mulhouse par la mise en synergie du centre historique, du quartier gare et du quartier Fonderie. Au-delà de ce secteur, l’ensemble de la ville centre est visé par une série d’actions de renouvellement urbain et de déploiement de la ville sur elle‐même (friches à reconvertir, conforter les grands équipements métropolitains, dynamisation des lieux de vie du centre‐ville ainsi que des cœurs de quartier en y favorisant les activités commerciales et les services, amélioration des accès routiers à la ville centre, etc.). (PADD/PLU, 2019, p. 9-15). avançant une action de redynamisation et d’élargissement du centre‐ville (idem, p. 9b) (figure 2). Enfin, un nouveau Plan Mobilité de l’ensemble de l’agglomération est en préparation, avec la mise à jour de l’ancien Plan de déplacements urbains (PDU) datant de 2013 et qui visait l’horizon 2025.
Échelles spatiales
et temporalités des aménagements Covid :
conception et mise en plans
D’après un responsable du pôle voirie de la ville, le projet d’aménagements cyclables Covid s’est appuyé sur les études du nouveau Plan Vélo et du projet d’aménagement du cœur de ville, menées avec l’assistant à maîtrise d’ouvrage (AMO) Alfred Peter (entretien, 01/02/2021). À l’échelle urbaine, il dessine une grande croix suivant deux axes nord-sud et est-ouest (figure 3). Démarrée lors du confinement de mars 2020, l’opération se réalise rapidement. En quelques semaines, la ville affiche 13,5 km d’aménagements cyclables de déconfinement, plus de deux fois les 6 km réalisés par an sur l’agglomération. À l’échelle de la rue, les aménagements ont été conçus suivant les préconisations du guide CEREMA (2020), qui fixe les typologies d’intervention selon la morphologie viaire.
Si les actions Covid s’installent dans cet interstice temporel singulier ouvert par la crise sanitaire, elles n’exploitent pas l’interstice spatial qui y est lié, celui du « grand confinement » qui vide la ville. En effet, le développement de l’urbanisme cyclable passe par l’attention à produire et offrir aux usagers des itinéraires directs et en réseau, et perçus comme sûrs et confortables en étant séparés du trafic motorisé (Rérat, 2019, p. 9[73]rérat P. (2019). « Vers un urbanisme cyclable », Tracés, n° 8, p. 6-10.), ce qui se traduit par une concurrence sur l’espace disponible. À ce titre, les espaces-supports des aménagements cyclables Covid à Mulhouse n’ont guère vocation d’interstice : les « coronapistes », grandes traversées urbaines cyclables (figure 4), se veulent davantage structure qu’interstice ; elles s’installent sur des parties de rues occupées habituellement par la circulation automobile, réduisant l’espace dédié à la voiture. C’est précisément avec la voiture que le vélo est censé rivaliser, lorsqu’une méfiance par rapport aux transports en commun s’est installée.
Échelles spatiales
et temporalités des aménagements Covid :
la mise en œuvre sur le terrain
Lorsqu’on regarde les modalités de traduction opérationnelle des « coronapistes » sur les 13,5 km affichés, seuls 8,5 km correspondent à des interventions sur le terrain en période Covid. La continuité apparente de la figure de la croix visible sur plan disparaît si l’on s’intéresse à sa matérialisation dans l’espace (figure 5) par l’alternance des tronçons Covid/pré-Covid, les intersections non traitées et la grande variété de typologies d’aménagements juxtaposées (figure 6). Si les premiers aménagements réalisés à partir de mai 2020 concernent principalement les cyclistes, la ville de Mulhouse déploie, en mai 2021, de nouvelles mesures de chrono-piétonnisation en soutien à la reprise d’activités des commerçants et des restaurateurs du centre historique (fermeture à la circulation temporaire et neutralisation de places de stationnement en faveur de l’extension ou de la création de terrasses, du 19 mai au 30 septembre 2021).
Contrairement aux autres communes de l’agglomération, Mulhouse semble être la seule municipalité à s’être saisie de la crise sanitaire pour réaliser de nouveaux aménagements en mobilités douces. En parallèle, la m2A – en tant qu’entité intercommunale – a également participé au déploiement d’arceaux à vélo provisoires dans le cadre du plan national Coup de Pouce Vélo (figure 9), accompagnant le réseau cyclable de déconfinement de la ville de Mulhouse (entretien, direction des mobilités, m2A, 16/02/2021). Sur le volet des transports urbains, l’agglomération a également permis l’ajustement des niveaux de service des transports en commun, notamment pour le personnel soignant et hospitalier pendant les confinements successifs.
L’ensemble de ces actions se caractérise par des dispositifs légers (figure 7), où le vocabulaire spatial temporaire rend difficile la perception d’un réseau continu et unitaire. Ce registre a par contre permis à la ville d’adapter les aménagements mis en place dans le temps. Depuis leur déploiement à partir de mai-juin 2020 à Mulhouse, plusieurs vagues successives d’interventions ont consisté à déposer, modifier ou pérenniser ces actions, notamment suite aux réactions et retours exprimés par les habitants (y compris via le site de l’Agence de la participation citoyenne Mulhouse C’est Vous). À l’été 2021, sur les 8,5 km d’aménagements déployés, seuls 15 % ont été effectivement pérennisés ; 73 % sont déposés ou obsolètes (soit 6,2 km), et 12 % sont toujours dans une situation temporaire (figures 8 et 9). Hormis quelques tronçons pérennisés, les aménagements Covid encore en place à l’été 2021 sont en attente d’un projet futur pour s’inscrire durablement dans le paysage urbain mulhousien. Selon le pôle de la voirie, ils nécessiteront des travaux plus conséquents de génie civil dans le cadre du nouveau Plan Vélo de la ville.
L’impact des aménagements Covid sur les projets en cours est « plutôt marginal, ce n’est pas structurel » (entretien, pôle voirie, ville de Mulhouse, 20/04/2021) car ils ne remettent pas en question les tracés des plans cyclables et schémas directeurs établis avant la pandémie. Au plus, la logique d’installations temporaires et éphémères est mise au service d’actions ponctuelles de sensibilisation et de concertation organisées par la municipalité à l’occasion de « journées sans voiture », certains dimanches de l’année 2021, à l’échelle de rues et de quartiers délimités, en relation avec l’Agence de la participation citoyenne, autour d’animations « cadrées » (balades sensibles, présentation de projets, recueil d’avis, participation associative) en lien avec les projets d’aménagements d’espaces publics inscrits dans la stratégie municipale (entretien, adjointe en charge des mobilités, ville de Mulhouse, 01/02/2021).
Entre temporalités et jeux d’acteurs
Aménager en contexte Covid pose la question de l’intégration de l’urbanisme temporaire dans la boîte à outils de la production urbaine et dans les jeux d’acteurs locaux (Law et al., 2021[74]Law L, Azzali S, Conejos S. (2021). « Planning for the temporary: Temporary urbanism and public space in a time of Covid-19 », Town Planning Review, vol. 92, n° 1, p. 65-73.). Si les « coronapistes » relèvent de l’urgence liée à la crise sanitaire, cette expérience prend ses distances avec l’aspect spontané rapporté par certains auteurs à l’urbanisme tactique – c’est-à-dire des actions débutant directement par la phase de réalisation sans passer par les phases de définition et de conception (Thibault, 2018, p. 95[75]Op. cit.). En effet, elle respecte la chronologie des phases de problématisation et des études préliminaires même si ces dernières sont très raccourcies et parfois se chevauchent (figures 8 et 9).
Cela se comprend en relation avec les motivations des aménagements cyclables temporaires à Mulhouse, qui apparaissent enchevêtrées entre plusieurs registres sanitaires et institutionnels, de demande locale face à la Covid – dans un contexte politique saillant d’entre-deux-tours « rallongé » des municipales, entre le 15 mars et le 28 juin –, comme d’intégration de l’évolution de référentiels légitimes nationaux. Les propos de ces responsables à la ville de Mulhouse permettent de le saisir : « On a senti que dans les transports en commun, il y avait une forte baisse de fréquentation liée à l’anxiété des gens d’être dans un lieu propice à la propagation du virus. […] Je ne sais pas ce qui est la cause et la conséquence mais je rappelle qu’on était aussi dans une logique de Plan Vélo, la thématique mobilité douce était ancrée chez nous. Vous mélangez tout ça […], et aussi c’était un sujet de communication fort de la part de certaines villes, donc forcément… Nous, on n’avait pas la même visibilité médiatique mais on est tout à fait dans l’esprit, et voilà on en a profité […]. Le guide du CEREMA [2020] est venu conforter un peu les orientations qu’on allait prendre, c’est très bien, ça nous a même aidés à faire des choix » (entretien, pôle voirie, 20/04/2021). « Mon prédécesseur, il a eu le culot de se dire “je vais mettre le paquet entre les deux tours”. Moi, je suis convaincue que depuis des années on a accumulé un retard, et je ne peux pas lui jeter la pierre d’avoir voulu rattraper le temps perdu entre deux tours. Il a testé, il a osé des trucs » (entretien, adjointe en charge des mobilités après les municipales, 27/05/2021).
Des temporalités raccourcies
mais toujours enchâssées
Les processus décisionnels sont compactés dans des solutions expérimentales de court terme (Deas et al., 2021[76]Op. cit.) ; cette experte associative le note : « C’est ce qu’on peut retenir peut-être de bien de cette crise, c’est qu’elle nous a permis d’agir vite et de manière un peu moins lourde administrativement. […] Allons-y, mais, par contre, avec la possibilité de se donner les moyens d’évaluer » (entretien, Automobile Club Association d’Alsace, 19/02/2021). Si le temps du projet est apparu raccourci dans sa phase de conception, il n’y a pas eu rupture par rapport aux circuits de validation usuels. Un responsable du pôle voirie à la ville de Mulhouse le fait comprendre : « Notre élu nous a passé une commande, on a quand même eu un petit temps de réflexion, qui devait être de l’ordre de 15 jours. Quand on arrivait au process de décision, il y a bien sûr eu l’élu [adjoint en charge], mais pas suffisant en soi, donc il a fallu passer quand même devant madame le maire et [le 1er adjoint]. En trois jours, on a eu quelques séances de travail, et ils ont appuyé sur le bouton » (entretien, 20/04/2021).
On peut interroger les articulations avec les projets opérationnels et stratégiques déjà là ou en cours de définition avant le confinement. Les expérimentations des « coronapistes » sont venues reboucler plusieurs projets stratégiques évoqués précédemment (figure 2) : « Le périmètre d’intervention a bougé suite à cette expérimentation où la branche Nord n’est plus l’avenue de Colmar. […] Elle va être une parallèle […] parce qu’elle vient croiser notamment un gros projet qui s’appelle “Mulhouse Diagonales”, pour découvrir la ville autrement, la nature, l’accès à l’eau » (entretien, pôle voirie, ville de Mulhouse, 20/04/2021). Des processus transactionnels sont recommencés de séquence en séquence. Les actions concrètes se comprennent en permanence par rapport à une triple temporalité : temps des projets, temps politique – scandé par les mandats électifs et les relations entre collectivités – et temps social – non linéaire dans les modes d’appropriation d’un équipement ou d’un changement de norme par les habitants (Hamman, 2019, p. 109-111[77]Op. cit.). Le premier confinement de 2020 a coïncidé avec la campagne municipale, puis le report du second tour du 22 mars au 28 juin. Des enchâssements ressortent ainsi : « Politique, volonté d’y aller mais quand même un peu de frilosité parce que voilà… 2e tour reporté. Technique… pas des freins mais on a eu des questionnements sur ce qu’on allait mettre en œuvre. En tout cas, une chose est sûre, […] on était tous d’accord sur le tracé. Parce qu’il y avait le schéma directeur, parce qu’on était en même temps sur le “réseau Vitrine Vélo” […]. La question, ce n’était pas le quoi, c’était le comment » (entretien, pôle voirie, ville de Mulhouse, 20/04/2021).
L’accélération temporelle peut alors devenir un argument de distinction dans l’action publique, pour répondre à une « attente latente », au sens de Niklas Luhmann (1985[78]Luhmann N. (1985). A Sociological Theory of Law, London, Routledge & Kegan Paul.) : « À Mulhouse, on a conscientisé […] que l’aspiration des Mulhousiens n’était peut-être pas forcément la même que celle des communes en périphérie. Quand les gens vont habiter là-bas, c’est parce qu’ils veulent une maison avec un jardin, ce qui n’est pas le standard du Mulhousien. Et donc, nous, on a un objectif d’aller beaucoup plus vite » (entretien, adjointe en charge des mobilités, ville de Mulhouse, 01/02/2021).
Or l’urbanisme de crise, s’il peut réduire les temporalités au niveau des services des collectivités, ne produit pas mécaniquement un effet similaire en matière d’acceptabilité sociale. Un responsable de l’association locale CADRes le laisse entendre : « Moi, j’ai envie de leur retourner : “Mais qu’est-ce que vous faites pour préparer les gens ? En quoi vous expliquez aux gens clairement qu’il y a une nécessité de changer radicalement ?” […] Il faut que la ville communique plus et explique, fasse plus de pédagogie » (entretien, 02/02/2021).
L’innovation des coronapistes à Mulhouse se relit alors sous l’angle de transactions de continuité[79]En matière de durabilité urbaine, une tension se manifeste entre des transactions de continuité, par exemple pour réduire les gênes ou les impacts de la circulation automobile sans remettre en question le principe de la voiture en ville (l’aménagement d’une « zone 30 » limitant la vitesse en centre-ville, etc.), et des transactions de rupture, qui proposent un changement de modèle (développer des alternatives à la voiture, comme l’usage du vélo, la marche à pied, etc.). Des divergences sur la portée des actions à entreprendre ressortent ainsi (Hamman, 2012, op. cit.)., suivant des modes de faire plus classiques et imbriqués (figure 9), comme le notent une animatrice de l’Association des usagers des transports Sud Alsace (AUTSA) et un responsable des mobilités à l’agglomération : « Au niveau de la ville, ils avaient plus ou moins l’idée de faire un axe est-ouest / nord-sud pour les vélos. C’était dans les cartons depuis un moment et, dans un contexte d’urgence, ils ont pris la carte de Mulhouse là où les aménagements étaient existants, là où il manquait des morceaux, et ils ont stabiloté » (entretien, AUTSA, 26/03/2021). « Cet axe est-ouest, c’est pas par rapport aux habitants, ça a plutôt été porté politiquement par un élu et puis par le service voirie. Il y a dans les cartons de la ville de Mulhouse depuis quelque temps une volonté de créer un “réseau Vitrine Vélo”. Et ces pistes temporaires ont souvent été sur ces itinéraires qui sont préfigurés dans ce nouveau réseau cyclable » (entretien, direction des mobilités, m2A, 16/02/2021).
Dans ce contexte, ressortent trois points saillants. Le premier a trait à la campagne électorale, qui débute avant le confinement et constitue un temps de mise sur agenda d’enjeux par les candidats. Le vélo en ville est apparu en bonne place, associé à tout un vocabulaire de l’urbanisme tactique. Le quotidien régional Dernières Nouvelles d’Alsace relaie ainsi des actions « faciles à réaliser, peu coûteuses et réalisables rapidement » dans son édition du 8 mars 2020. Les entretiens le corroborent : « Durant les élections, cette année, le vélo a pris une importance qu’il n’a jamais eue auparavant» ; «Le sujet vélo, la percée verte un peu partout en France aux municipales […], forcément c’est une prise de conscience… » (entretiens, direction des mobilités, m2A, 16/02/2021). Si la maire de Mulhouse a été réélue, le changement d’adjoint en charge des mobilités dans son équipe illustre la prégnance de la scène politique locale : « X [ancien adjoint] a géré ce dossier jusqu’au jour des élections. Mme Y [nouvelle adjointe], je ne pense pas qu’elle ait appris avant début juillet [2020] que s’ils étaient élus elle aurait la délégation voirie. […] On a organisé une séance de passation sur tous les sujets, dont les aménagements post-covid, et Mme Y a eu une autre approche » (entretien, pôle voirie, ville de Mulhouse, 20/04/2021).
Un deuxième enjeu fort des temporalités tient à la pérennisation ou non des installations Covid, que le président d’une association de cyclistes commente en ces termes : « C’est efficace, vous avez deux mètres de large avec des poteaux en plastique, donc vous vous sentez en sécurité. Mais c’est pas toujours très attractif parce que c’est sur un vieux bitume qui est tout moche. On voit que c’est du provisoire, ça reste bricolage. […] On demande depuis des années que les aménagements soient clairs. […] Comme aux Pays-Bas, […] les trottoirs c’est en gris, le macadam de la chaussée c’est en noir et puis les pistes cyclables c’est en rouge » (entretien, CADRes, 02/02/2021).
L’urbanisme tactique s’apparente-t-il alors à une parenthèse singulière, dépendante du premier confinement et du contexte électoral cumulés ? Ce chargé de mission mobilités à l’AURM note un moment d’effervescence puis un reflux : « Les coronapistes, je trouve qu’on n’en parle plus beaucoup ! […] Ça a été un coup de comm dans plein d’agglos, et au final… » (entretien, 01/04/2021). Les acteurs rencontrés opèrent une distinction entre une hypothétique pérennisation et le simple maintien, sans horizon, des dispositifs provisoires, par exemple en jouant sur les codes de couleur, du jaune au blanc, comme normalisation donnée à voir. Des interlocuteurs de l’association CADRes comme de l’AUTSA déclarent ainsi : « C’est maintenu, mais ça ressemble toujours à du provisoire, c’est-à-dire que c’est des zones délimitées avec des poteaux en plastique. Je ne sais pas finalement s’il y a une partie qui pourrait être pérennisée… » (entretien, CADRes, 02/02/2021). « C’était déjà basé sur de l’urbanisme classique existant auquel ils ont mis une couche d’urbanisme tactique en mettant du jaune, et maintenant c’est redevenu blanc. […] Il y avait des bandes cyclables existantes et ils ont mis des plots jaunes pour les délimiter, et beaucoup ont d’ailleurs été supprimés parce que ça posait un problème d’entretien de la chaussée » (entretien, AUTSA, 26/03/2021).
Un troisième aspect a trait au sens du caractère provisoire des aménagements Covid. La possibilité de revenir en arrière est avancée comme un mode de justification pour les décideurs : « Ça reste une expérimentation. D’ailleurs, on en a déposés du jour au lendemain, et c’est pas un échec pour autant » (entretien, pôle voirie, ville de Mulhouse, 20/04/2021).
Échelles d’action et jeux d’acteurs
La complexité des configurations pratiques d’action n’est pas levée par l’urbanisme tactique. Elle est au contraire le point de départ d’une compréhension relationnelle qui ne soit pas trop unifiante, et suppose ainsi d’intégrer les passages ou tensions entre échelles (Wohl, 2018[80]Wohl S. (2018). « Tactical urbanism as a means of testing relational processes in space: A complex systems perspective », Planning Theory, vol. 17, n° 4 [En ligne). À un premier niveau, les échelles du faire sont endossées en fonction des périmètres de compétences. Cela désigne les « partages » entre, d’une part, la ville et l’agglomération de Mulhouse, et, d’autre part, au sein de l’organisation municipale entre deux délégations d’adjoints : « La compétence mobilité, elle est communautaire, donc le Schéma directeur a été élaboré par l’agglo. Et le Plan Vélo, il est municipal. […] Parce que la voirie est de la compétence communale. C’est bien la complexité. […] Toutes les six semaines, on a une séance de travail entre l’adjoint à l’urbanisme et l’adjoint à la voirie, et les services. […] Parce qu’on a deux visions qui sont complémentaires mais pas toujours les mêmes, avec nos amis de l’urbanisme » (entretien, pôle voirie, ville de Mulhouse, 20/04/2021).
De là apparaît, à un deuxième niveau, l’importance d’acteurs-passeurs, susceptibles de faire lien au sein des organigrammes, à l’instar du directeur du pôle voirie et conception urbaine de la ville de Mulhouse : « C’est compliqué le contexte politique entre la ville et l’agglo. […] En tout cas, au moins pour moi qui ait un rôle de coordinateur et d’assemblier, c’est clair dans ma tête » (entretien, 20/04/2021). La fonction d’acteurs intermédiaires est corrélée avec la détention d’une expertise ou contre-expertise, technique ou d’usage. Les relations régulières entre la ville et l’association CADRes se comprennent ainsi, comme échange de points de vue informés : « J’ai encore été, la semaine dernière […], à la mairie de Mulhouse pour rencontrer la nouvelle adjointe chargée de la politique cyclable. […] Il y a toujours eu une concertation. […] On se penche autour de la table : on prévoit une bande cyclable ici, pourquoi vous ne pouvez pas faire la piste cyclable sur tout le long… des discussions très techniques » (entretien, CADRes, 02/02/2021).
Sur ce plan également, l’urbanisme dit tactique n’est, dans les faits, pas exempt de régularités dans l’appel aux professionnels de la ville : les mêmes noms reviennent comme garants. À Mulhouse, Alfred Peter est intervenu comme AMO pour la ville : « Alfred Peter ! C’est quand même une pointure… il a une carrière longue comme ça, il a fait beaucoup d’aménagements » (entretien, pôle voirie, ville de Mulhouse, 20/04/2021). L’adjointe aux mobilités de renvoyer alors une part de responsabilité quant aux aménagements qui ont été déposés : « [C’est lui] qui nous avait plus ou moins orientés sur un axe nord-sud, qui ne s’est pas avéré concluant et ne répondait pas finalement aux attentes des usagers» (entretien, 01/02/2021).
Matériellement, le gradualisme du provisoire se traduit par des discontinuités dans la mise en œuvre des tracés cyclables : « Il y a eu des réactions, je pense notamment aux automobilistes ou habitants, qui étaient des fois un peu épidermiques, et qui ont amené la ville à supprimer certains aménagements. Ce qui rend finalement plus difficile à lire la continuité entre les bouts d’aménagements qui restent » (entretien, responsables mobilités m2A, 16/02/2021). Un responsable du pôle voirie de Mulhouse reconnaît des transactions au cas par cas, entre maintien, suppression et des situations intermédiaires de dépose de dispositifs tout en laissant le marquage au sol s’effacer avec le temps : « Sur la partie [avenue de] Colmar, c’est pas un franc succès. Les cyclistes nous ont dit que ce n’était pas très sécurisant d’avoir les voitures derrière, peu d’échappatoire, donc on l’a déposée sans pour autant déposer le marquage, il vieillit, il fait sa vie. […] Mais on le garde dans un coin de la tête sinon on va créer une discontinuité » (entretien, 20/04/2021). Le processus projectuel reste entre les mains des porteurs de l’action urbaine mainstream, étant conçu et mis en œuvre par les techniciens et les élus qui puisent dans les réflexions menées avec l’AMO, lui-même une figure de référence dans le champ de l’urbanisme. Mais c’est également cette prise en main institutionnelle du projet tactique dans les villes intermédiaires qui crée sa part d’originalité : sans rupture, les acteurs municipaux font un pas de côté par rapport à leurs modes d’action habituels.
L’urbanisme sous contrainte de la pandémie :
quelle portée « tactique » ?
Une dimension temporaire effective :
tester vite et à moindre coût
« Il y a certains parcours, en tant que cycliste aguerrie, je me suis dit : “c’est du bricolage, ça ne sert à rien” » (entretien, association AUTSA, 26/03/2021) ; « Ça ressemblait à du chantier. C’est du matériel de chantier, des sortes de potelets, de barrières provisoires » (entretien, association CADRes, 02/02/2021 ; voir figure 7). Face à ces critiques, il est clairement question d’avoir agi vite et à moindre coût : « On a dû faire à moindre coût, mais pas que ça, on a dû faire très vite. C’est pour ça qu’on s’est fermés à des solutions qui auraient été peut-être plus viables techniquement mais qui n’auraient pas permis, en raison des études, de les déployer à temps. […] On assume ce choix, ça ne restait qu’un outil provisoire » (entretien, pôle voirie, ville de Mulhouse, 20/04/2021). Ce responsable des mobilités à l’agglomération mulhousienne rejoint ici son collègue de la ville et souligne le contexte Covid pour le travail des agents : « Ce sont des aménagements qui ont dû être conçus à toute berzingue, dans des équipes qui étaient en télétravail. Ils ont dû faire ça dans des conditions quand même très difficiles. […] En quelques semaines, c’est des gars qui ont fait douze kilomètres. […] Peut-être que s’il y avait eu plus de temps pour les concevoir, on aurait eu moins de dysfonctionnements, et peut-être qu’il y aurait plus de choses qui seraient restées. Mais bon, il fallait faire vite » (entretien, 16/02/2021).
L’adjointe en charge des mobilités à Mulhouse reconnaît également l’argument budgétaire : « Sur certains aménagements, on a carrément supprimé la voiture sur une file mais on n’est pas allé jusqu’au bout de la démarche […], modifier les carrefours à feux, avec une répercussion sur le transport en commun. Ce travail-là n’a pas été fait parce que l’objectif était aussi de tester à moindre coût » (entretien, 01/02/2021). On comprend ainsi que l’urbanisme relevant de la crise sanitaire a repris le concept de faire « vite et à faible coût », attaché au caractère temporaire, non seulement pour le projet-résultat mais aussi quant au projet-processus, en ce qui concerne la valeur des installations spatiales et dans les budgets alloués à ces projets.
Une dimension participative discutée
Les aménagements Covid à Mulhouse resituent le registre de la participation dans des transactions de continuité, en le déclinant via des dispositifs de concertation médiés, « octroyés » par la municipalité (Hamman, 2012, p. 120-131[81]Op. cit.), par l’intermédiaire de l’Agence de la participation citoyenne (APC) locale et d’une plateforme ad hoc : « Ils ont commencé à faire des expérimentations pendant la période de confinement puis ensuite on a concerté, sur “Mulhouse C’est Vous”, avec des boîtes à idées, de juin à septembre [2020]. On a 550 commentaires postés […], alors positifs voire très négatifs. […] À mon sens, on a fait une erreur qui est le manque d’informations en amont» (entretien, APC, Mulhouse, 06/04/2021).
La propriété participative attachée aux principes de l’urbanisme tactique apparaît ainsi en retrait par rapport à celle de l’action temporaire ; elle fait l’objet d’une traduction restrictive qui correspond à une régulation du citoyen au motif de l’urgence ou du fait que les opérations se veulent corrigeables par la suite. Les circuits experts et politiques de la décision gardent la main. Une animatrice de l’association AUTSA résume : « C’est temporaire, c’était à bas coût… mais c’était sans concertation ! » (entretien, 26/03/2021), rejointe par ce responsable de CADRes : « Les aménagements provisoires, le dialogue est venu après ! […] “Exprimez-vous sur Mulhouse C’est Vous”, et après, face à certaines pressions, on recule un peu ou on maintient. […] On peut toujours dire qu’on est dans l’urgence ! » (entretien, 02/02/2021). Si, dans la littérature, l’action collective est vue comme « fondamentale » (Chapel, 2018) en urbanisme tactique afin de mobiliser différentes expertises et s’appuyer sur des ressources et dynamiques locales pour fabriquer « la valeur d’usage » (IAU-IdF, 2018), le cas mulhousien montre que les aménagements sont nés sous la pression du déconfinement, sans temps spécifique pour la coconstruction.
Conclusion
L’urbanisme tactique est couramment rattaché à une propriété expérimentale (Deas et al., 2021[82]Op. cit.), qualifiée de « transitoire » (Monnet, 2020, p. 1-2[83]Op. cit.) ou « temporaire » (Law et al., 2021[84]Op. cit.), et à une implication citoyenne « alternative » (Monnot et Berri, 2018[85]Monnot N, Berri M. (2018). « L’urbanisme alternatif. Des laboratoires d’expérimentation aux modèles standards », Les Annales de la recherche urbaine, n° 113, p. 208-219 [En ligne) moyennant un double processus de coconception et de coconstruction (Cha, 2020, p. 31[86]Op. cit.). Si le cas mulhousien des coronapistes corrobore la première propriété – y compris dans la limite de la portée, temporelle et spatiale, des infrastructures –, elle relativise sensiblement la seconde : la mise sur l’agenda correspond à une offre politique et experte, et non à une mobilisation citoyenne (au sens de Garraud, 2019[87]Garraud P. (2019). « Agenda/Émergence », dans Boussaguet L, Jacquot S, Ravinet P(dir.), Dictionnaire des politiques publiques, Paris, Presses de Sciences Po, p. 54-61.) : la concertation est limitée, et la démarche ne s’écarte pas tant des processus mainstream. Ce constat renforce la caractéristique transitoire, conduisant soit à des suppressions après le premier confinement, soit à des « maintiens » réintégrés dans des projets plus larges : schéma directeur, plan vélo, projet de dynamisation du centre-ville, etc.
Ceci répond à la question de départ sur le succès de néologismes fluctuants : l’urbanisme cycliste mulhousien étudié en 2020 apparaît plus temporaire que tactique. Les trois jalons de la recherche initialement posés viennent ainsi converger : le lexique employé par les acteurs est bien d’abord celui du temporaire et du transitoire dans les mises en mot / mises en projet, en rapport avec les temporalités de mise en œuvre et les jeux d’acteurs, tout comme avec les caractéristiques des interventions observées in situ : rapidité et maîtrise budgétaire plus qu’ouverture ou initiative citoyennes. Au final, ces expériences, qui se situent à un moment d’effervescence du répertoire de l’urbanisme tactique dans la littérature et les médias, présentent une dimension temporaire mais pas tant participative, et s’apparentent d’abord à un outil de gestion d’un contexte sanitaire inédit, avant un retour à des modes projectuels plus traditionnels, plutôt qu’à un changement structurel dans les pratiques professionnelles et dans la stratégie urbaine.
S’agissant des services techniques qui ont porté les aménagements Covid à Mulhouse, sur la base de projets en phase d’étude, la parenthèse semble refermée – « Ça ne restait qu’un outil provisoire, une expérimentation soumise à concertation, qui nous a beaucoup enrichis » – et le moment révolu – « On a passé cette étape du provisoire, pour nous, il est loin, il est derrière. On est déjà sur le définitif » (entretien, pôle voirie, Mulhouse, 01/02/2021). En effet, avec la plupart des aménagements cyclables de déconfinement déposés, le pôle voirie poursuit, en lien avec le pôle urbanisme, les projets en cours – et notamment le projet de redynamisation et requalification du centre-ville en relation avec le plan vélo municipal (et leurs études par l’AMO Alfred Peter) – selon des modalités et des temporalités qui sont celles de l’urbanisme opérationnel. Les acteurs publics rencontrés semblent aujourd’hui majoritairement vouloir prendre de la distance par rapport au « moment » Covid (et aux difficultés liées à ces installations cyclables temporaires). La logique expérimentale ne semble poursuivie que de façon limitée, à l’occasion des « journées sans voiture », événements qui demeurent circonscrits dans le temps (animations et installations d’une journée seulement) et dans l’espace. Enfin, la logique de l’urbanisme temporaire s’est en partie repositionnée à Mulhouse au printemps 2021 sous la forme d’actions de chrono-piétonnisation à la faveur d’extensions de terrasses.
Pour les praticiens, une question ouverte est celle d’un espace des possibles renouvelé dans leurs métiers. La préoccupation des coronapistes passe par l’affirmation de « bonnes pratiques » avec, d’une part, une standardisation des dispositifs (Monnot et Berri, 2018[88]Op. cit.), leurs couleurs, leurs formes, au sol ou pour les séparateurs de flux, etc., et, de l’autre, des modes d’énonciation qui se cherchent encore : les mots labiles de l’urbanisme temporaire, transitoire ou pragmatique l’ont montré (Landgrave-Serrano et al., 2021[89]Landgrave-Serrano M, Stoker P, Jae-an CJ. (2021). « Punctual urbanisms: Rapid planning responses to urban problems », Journal of Planning Literature [En ligne). Pour les chercheurs, se focaliser sur la ville « en train de se faire » en contexte pandémique (Grant, 2020[90]Op. cit.) permet de réinterroger (« la stratégie fait-elle la ville ? » (Bourdin, 2009[91]Bourdin A. (2009). « La stratégie fait-elle la ville ? », dans Bourdin A, Prost R (dir.). Projets et stratégies urbaines, Marseille, Éditions Parenthèses, p. 258-272.)) quant à l’intentionnalité, l’articulation relationnelle entre acteurs dans leurs spatialités (Wohl, 2018[92]Op. cit.), l’intégration des contextes spatiaux et temporels, ou encore les transactions sociales (Hamman, 2019[93]Op. cit.).
L’action urbaine expérimentée à Mulhouse en contexte pandémique ne se range pas dans un espace ponctuel et bien délimité de la ville, de type friche, terrain vague, délaissé, en fin de cycle et donc en perte de valeur. En cela, la logique d’activation d’un interstice, souvent employée par les projets tactiques (Chapel, 2012[94]Op. cit. ; Chabot, 2014[95]Op. cit. ; Diguet, 2018[96]Op. cit.), diffère de celle des aménagements cyclables Covid, dont l’ambition est de fabriquer des continuités de réseau structurantes. Ces derniers s’inscrivent davantage dans des logiques d’expérimentation ou de consolidation de stratégies de planification pensées à des échelles temporelles et spatiales plus larges. De ce point de vue, le cas mulhousien relève plutôt de la stratégie, tandis qu’en termes de mise en œuvre, il utilise un panel d’instruments rattachés à la tactique : rapidité, réactivité et coûts faibles. À ce double titre, l’urbanisme temporaire engagé face à la crise sanitaire peut devenir un registre projectuel supplémentaire auquel la pensée de l’aménagement pourrait avoir recours pour intégrer la valeur d’usage suite à des expérimentations grandeur nature.
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[21] Op. cit.
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[30] Op. cit.
[31] Op. cit.
[32] Op. cit.
[33] Chapel E. (2012). « Urbanités inattendues. Petites fabriques de l’espace public », Inter Espace Public, n° 111, p. 56-60.
[34] Chapel E. (2018). « D’un urbanisme global à une pratique de situations spatiales ? », dans Rollot M (dir.), L’hypothèse collaborative. Conversation avec les collectifs d’architectes français, Paris, Hyperville, p. 10-16 [En ligne].
[35] Op. cit.
[36] Chabot L. (2014). « Friches temporelles et aménagements urbains temporaires », Urbia. Les cahiers du développement urbain durable, n° 16, p. 67-84.
[37] Tonkiss F. (2013). « Austerity urbanism and the makeshift city », City, vol. 17, n° 3, p. 312-324.
[38] Diguet C. (2018). « Urbanisme transitoire, programmation en action : une brèche pour le droit à la ville ? », dans Rollot M (dir.), L’hypothèse collaborative. Conversation avec les collectifs d’architectes français, Paris, Hyperville, p. 10-16 [En ligne].
[39] Op. cit.
[40] Le projet Mut’Action, lauréat de l’appel 2020 « Résilience Grand Est » (Burger C. (2020). « La Covid-19 : une opportunité pour transformer les mobilités par l’urbanisme tactique », The Conversation, 20 octobre [En ligne]), est porté par le laboratoire Habiter de l’Université Reims Champagne-Ardenne, sous la responsabilité de Céline Burger. Il associe à Strasbourg les laboratoires Architecture, morphologie/morphogenèse urbaine et projet (AMUP) et Sociétés, acteurs, gouvernement en Europe (SAGE), dont l’équipe de chercheurs impliqués a rédigé cet article.
[41] Hecker I, Pic V, Breton D, Gagnon A. (2020). « Le Grand Est : deuxième région française la plus touchée par l’épidémie de Covid-19 », Insee Analyses Grand Est, n° 115, p. 1-4.
[42] Deraëve S. (2015). « Les villes intermédiaires françaises face aux mutations des systèmes productifs : enjeux et stratégies territoriales », Bulletin de l’association des géographes français, vol. 92, n° 4, p. 524-536 [En ligne].
[43] Op. cit.
[44] IAU-IdF. (2018). L’urbanisme transitoire. Optimisation foncière ou fabrique urbaine partagée ? [En ligne].
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[50] Rouiller A. (s.d.). « À pied et à vélo », Rue de l’avenir [En ligne].
[51] CERTU. (2013). « L’usage du vélo en milieu urbain : une pratique qui se développe, des freins à desserrer », Mobilités et transports – Le point sur, n° 29 [En ligne].
[52] Fellmann C. (2020). « Le vélo à Mulhouse : en selle pour les municipales », Dernières Nouvelles d’Alsace, 8 mars [En ligne].
[53] À savoir « toutes les peaux techniques que notre époque a conçues et qui devraient nous permettre d’habiter des enveloppes vivables : pour les vêtements qui doivent être nos habits, pour nos logements qui devraient être notre habitat, pour nos véhicules qui deviennent des habitacles et pour nos réseaux qui pourraient devenir notre habitèle » (Boullier, 2020, p. 2).
[54] Op. cit.
[55] Dossier de presse, Ville de Mulhouse, Journée sans voiture du 20/09/2021.
[56] Permettant aux habitants de déposer des commentaires [En ligne]
[57] Nous remercions vivement Eugénie Djouadi, étudiante en master 2 Ville, environnement et sociétés à l’université de Strasbourg, et Marie Stemart, étudiante en master 2 Architecture à l’École nationale supérieure d’architecture de Strasbourg, pour leur appui respectif à la passation de certains entretiens et à la réalisation de figures appuyant notre propos, dans le cadre de leur stage diplômant.
[58] Hamman P. (2012). Sociologie urbaine et développement durable, Bruxelles, De Boeck.
[59] Hamman P. (2019). Gouvernance et développement durable, Paris, Bruxelles, De Boeck.
[60] Bourdin A, Idt J. (dir.). (2016). L’urbanisme des modèles : références, benchmarking et bonnes pratiques, La-Tour-d’Aigues, Éditions de l’Aube.
[61] Deas I, Martin M, Hincks S. (2021). « Temporary urban uses in response to Covid-19: Bolstering resilience via short-term experimental solutions », Town Planning Review, vol. 92, n° 1, p. 81-88.
[62] Concept d’organisation urbaine prônant un accès aux aménités du quotidien en 15 minutes à pied ou en vélo à partir de son domicile pour tout habitant, soit une ville polycentrique et faisant écho au courant du « chrono-urbanisme » (Moreno C, Allam Z, Chabaud D, Gall C. (2021). « Introducing the “15-minute city”: Sustainability, resilience and place identity in future post-pandemic cities », Smart Cities, vol. 4, n°1, p. 93-111.).
[63] Op. cit.
[64] AURM. (2020a). La mobilité en 2030 dans la région mulhousienne. Des objectifs à atteindre pour m2A ! Pourquoi ? Comment ?, 1er septembre [En ligne].
[65] AURM. (2020b). Les trajets domicile-travail de l’agglomération mulhousienne. On décrypte pour vous, 1er octobre [En ligne].
[66] Op. cit.
[67] Mulhouse Alsace Agglomération. (2019). « Projet d’Aménagement et de Développement Durables (PADD) », Schéma de cohérence territoriale de la région mulhousienne [En ligne].
[68] Op. cit.
[69] Op. cit.
[70] Mulhouse Diagonales, projet démarré en 2018, vise la revalorisation des infrastructures paysagères et notamment le réaménagement des voies d’eau traversant la ville « telles des diagonales ». Un enjeu majeur du projet se situe au niveau de l’axe de l’Ill et de son canal censé devenir « une véritable diagonale verte et bleue au sein de la ville, un espace de loisirs et de détente pour les habitants, mais également un lieu où la biodiversité se développe » (PADD/PLU, 2019, p. 4-8).
[71] Ville de Mulhouse. (2019). Projet d’aménagement et de développement durable. Révision du plan local d’urbanisme de Mulhouse [En ligne].
[72] Mulhouse Cœur d’Agglomération, deuxième grand projet stratégique inscrit dans le PADD, vise à conforter la stratégie de redynamisation et de métropolisation de Mulhouse par la mise en synergie du centre historique, du quartier gare et du quartier Fonderie. Au-delà de ce secteur, l’ensemble de la ville centre est visé par une série d’actions de renouvellement urbain et de déploiement de la ville sur elle‐même (friches à reconvertir, conforter les grands équipements métropolitains, dynamisation des lieux de vie du centre‐ville ainsi que des cœurs de quartier en y favorisant les activités commerciales et les services, amélioration des accès routiers à la ville centre, etc.). (PADD/PLU, 2019, p. 9-15).
[73] Rérat P. (2019). « Vers un urbanisme cyclable », Tracés, n° 8, p. 6-10.
[74] Law L, Azzali S, Conejos S. (2021). « Planning for the temporary: Temporary urbanism and public space in a time of Covid-19 », Town Planning Review, vol. 92, n° 1, p. 65-73.
[75] Op. cit.
[76] Op. cit.
[77] Op. cit.
[78] Luhmann N. (1985). A Sociological Theory of Law, London, Routledge & Kegan Paul.
[79] En matière de durabilité urbaine, une tension se manifeste entre des transactions de continuité, par exemple pour réduire les gênes ou les impacts de la circulation automobile sans remettre en question le principe de la voiture en ville (l’aménagement d’une « zone 30 » limitant la vitesse en centre-ville, etc.), et des transactions de rupture, qui proposent un changement de modèle (développer des alternatives à la voiture, comme l’usage du vélo, la marche à pied, etc.). Des divergences sur la portée des actions à entreprendre ressortent ainsi (Hamman, 2012, op. cit.).
[80] Wohl S. (2018). « Tactical urbanism as a means of testing relational processes in space: A complex systems perspective », Planning Theory, vol. 17, n° 4 [En ligne].
[81] Op. cit.
[82] Op. cit.
[83] Op. cit.
[84] Op. cit.
[85] Monnot N, Berri M. (2018). « L’urbanisme alternatif. Des laboratoires d’expérimentation aux modèles standards », Les Annales de la recherche urbaine, n° 113, p. 208-219 [En ligne].
[86] Op. cit.
[87] Garraud P. (2019). « Agenda/Émergence », dans Boussaguet L, Jacquot S, Ravinet P(dir.), Dictionnaire des politiques publiques, Paris, Presses de Sciences Po, p. 54-61.
[88] Op. cit.
[89] Landgrave-Serrano M, Stoker P, Jae-an CJ. (2021). « Punctual urbanisms: Rapid planning responses to urban problems », Journal of Planning Literature [En ligne].
[90] Op. cit.
[91] Bourdin A. (2009). « La stratégie fait-elle la ville ? », dans Bourdin A, Prost R (dir.). Projets et stratégies urbaines, Marseille, Éditions Parenthèses, p. 258-272.
[92] Op. cit.
[93] Op. cit.
[94] Op. cit.
[95] Op. cit.
[96] Op. cit.