janvier 2023
Habitat sous tension
Construire du logement social en périurbain
Quelles adaptations et quelles stratégies
des communes face aux contraintes ?
Construire du logement social en périurbain : quelles adaptations et quelles stratégies des communes face aux contraintes ?,
Riurba no
14, janvier 2023.
URL : https://www.riurba.review/article/14-habitat/social-periurbain/
Article publié le 1er mars 2024
- Abstract
- Résumé
Building social housing in peri-urban areas: What kind of adaptations and strategies are used by municipalities to face the constraints?
The inhabitants of peri-urban municipalities refuse social housing. To avoid conflicts with their constituents, city elected officials try to make new construction invisible. To do this, they deploy two types of strategy. On the one hand, they conceal social housing by favoring specific products such as social residences and by integrating it into larger private complexes, particularly in the context of VEFA (i.e. Sale in future state of completion). On the other hand, they impose architectural characteristics that promote their integration into the local landscape.
Face à l’obligation de réaliser du logement social et aux résistances encore nombreuses que cela suscite parmi les habitants des communes périurbaines, les élus tentent d’invisibiliser les nouvelles constructions. Ils déploient pour cela deux types de stratégie. D’une part, ils dissimulent le logement social en privilégiant des structures collectives destinées à des publics spécifiques et en l’intégrant à de plus vastes ensembles privés, notamment dans le cadre de la VEFA. D’autre part, ils imposent des caractéristiques architecturales qui favorisent leur bonne intégration au paysage local.
post->ID de l’article : 4322 • Résumé en_US : 4335 • Résumé fr_FR : 4332 •
Introduction
Le périurbain a longtemps été l’archétype des espaces peuplés par les classes moyennes propriétaires de leur maison (Jaillet, 2004[1]Jaillet MC. (2004). « L’espace périurbain : un univers pour les classes moyennes », Esprit, n° 303(3/4), p. 40‑62.). Toutefois, comme le soulignent des travaux récents, ces territoires se diversifient sur les plans sociologique et générationnel, surtout en Ile-de-France où ils apparaissant comme plus « matures » (Berger et al., 2014[2]Berger M, Aragau C, Rougé L. (2014). « Vers une maturité des territoires périurbains ? Développement des mobilités de proximité et renforcement de l’ancrage dans l’ouest francilien », EchoGéo, n° 27 [En ligne). Cette notion traduit également un processus de transformations morphologiques, à la fois dans l’offre commerciale et servicielle, les dynamiques d’emplois et d’activités, ainsi que l’offre de logements. De fait, 40 % des logements se construisant dans le périurbain francilien sont en fait des logements collectifs (d’après Sit@del2, 2014, cité par Fonticelli, 2018[3]Fonticelli C. (2018). « Construire des immeubles au royaume des maisons. La densification des bourgs périurbains franciliens par le logement collectif : modalités, intérêts et limites », thèse de doctorat, Paris, Institut agronomique, vétérinaire et forestier de France. [En ligne) et, de surcroît, les logements sociaux y sont de plus en plus nombreux.
En soi, le logement social demeure un objet conflictuel et difficilement accepté, tant il demeure, à tort, largement associé au grand ensemble, métonymie de « la banlieue » et objet d’inquiétude pour des riverains souvent soucieux de préserver leur cadre de vie (Desponds, 2016[4]Desponds D. (2016). « L’habitat social : objet de toutes les inquiétudes. Arguments et formes de mobilisation dans l’agglomération parisienne », dans Desponds D, Auclair E (dir.), La ville conflictuelle. Oppositons-Tensions-Négociations, Paris, Le Manuscrit, p. 315-344.). C’est particulièrement le cas dans les communes périurbaines, espace historiquement dominé par le pavillonnaire. Cependant, depuis une vingtaine d’années, afin de faciliter les parcours résidentiels des ménages, de favoriser la mixité sociale et de respecter l’article 55 de la loi SRU et ses multiples extensions (Fauconnier, 2019[5]Fauconnier G. (2019). « La mise en œuvre de l’article 55 de la loi SRU dans les Yvelines, entre application formelle et adaptation stratégique », thèse de doctorat, université Paris-Nanterre.), plusieurs logiques incitent, voire contraignent, les élus à réaliser des logements sociaux[6]Non définie par le législateur, cette notion polysémique renvoie à l’objectif de mélanger les différentes catégories de population, en l’occurrence en jouant sur la répartition du logement social à l’échelle des agglomérations. en périurbain. Ce nouveau contexte pose alors la question de l’adaptation des politiques publiques locales à une exigence nouvelle – construire du logement social – loin d’être partagée par l’ensemble des habitants. En cela, la réalisation de logements sociaux dans le périurbain interroge l’acceptabilité de ces constructions qui dépend en fait de nombreux facteurs, tels que le dialogue engagé avec les riverains en amont, la qualité architecturale des projets, le contexte socioéconomique…
Le présent article vise à croiser les approches développées dans deux thèses soutenues en 2018 et 2019 (Fonticelli, 2018[7]Op. cit. et Fauconnier, 2019[8]Op. cit.). Ces deux thèses, menées sur des terrains qui se recoupent – l’ensemble du périurbain francilien[9]Entendu au sens de l’INSEE, 2015. pour l’une, le département des Yvelines pour l’autre – utilisaient des méthodologies complémentaires : un important travail de relevé et d’entretien avec les acteurs pour l’une, un travail à partir de matériaux quantitatifs pour l’autre. Les auteurs, respectivement inscrits en sciences du paysage et en géographie partageaient l’envie de faire dialoguer les matériaux, leurs analyses et leurs approches disciplinaires. Partant d’un constat commun – dans le périurbain francilien, la construction de logement social est, le plus souvent, imposée aux communes –, nous analyserons la façon dont les élus s’adaptent à cette obligation. Face à une difficulté récurrente d’acceptabilité du logement social par leurs administrés, comment parviennent-ils à produire du logement social dans leurs communes ? Et quelles sont les caractéristiques des logements réalisés ?
Dans un premier temps, nous évoquerons les facteurs qui contraignent les communes périurbaines franciliennes à construire du logement social ainsi que les difficultés que rencontrent les élus pour réaliser ces opérations de logement. Dans un deuxième temps, nous montrerons que les élus tentent de contrôler la réalisation des logements en cherchant à les rendre, le plus possible, invisibles.
Les ressorts de l’obligation
à construire du logement social en périurbain francilien
Une « périurbanisation » de la loi SRU
Dans sa version originelle du 13 décembre 2000, le périmètre de l’article 55 de la loi SRU concernait essentiellement les communes urbaines. Le législateur avait en effet prévu que le dispositif ne s’appliquerait qu’aux 728 communes peuplées par plus de 3 500 habitants (1 500 en Ile-de-France) et situées dans des agglomérations de plus de 50 000 habitants comprenant au moins une ville de 15 000 habitants. Eu égard à ces critères géographiques et démographiques, les communes périurbaines échappaient globalement à la mise en œuvre de la loi SRU.
La situation change une première fois avec la loi DALO de 2007 qui intègre au périmètre SRU les communes membres d’un établissement public de coopération intercommunale (EPCI) à fiscalité propre de 50 000 habitants et disposant d’une ville d’au moins 15 000 habitants. Ipso facto, 237 nouvelles communes sont incluses dans le dispositif, essentiellement des communes périurbaines appartenant à des intercommunalités répondant à ces critères. Ces communes nouvellement soumises au dispositif SRU sont toutefois dispensées du prélèvement SRU et d’éventuelles sanctions administratives jusqu’en 2014.
La « périurbanisation » du dispositif SRU se poursuit indirectement par l’évolution de la réglementation sur les intercommunalités. En 2010, la loi sur la réforme des collectivités locales impose ainsi la couverture intégrale du territoire national par des EPCI. Les communes jusqu’alors « isolées » doivent donc rejoindre un EPCI et, si celui-ci obéit aux critères énoncés supra, entrer malgré elles dans le périmètre SRU. Par la suite, la loi de Modernisation de l’action publique territoriale et d’affirmation des métropoles (MAPTAM) de 2014, et la loi portant Nouvelle organisation territoriale de la République (NOTRe) de 2015 imposent de nouvelles règles au cadre intercommunal. Tandis que la première contraint les intercommunalités franciliennes à disposer d’au moins 200 000 habitants si leur siège se situe dans l’unité urbaine de Paris, la seconde relève le seuil plancher de tous les EPCI français à 15 000 habitants. Logiquement, les lois MAPTAM et NOTRe aboutissent au phagocytage de petits EPCI n’impliquant pas la mise en œuvre de la loi SRU par des grands EPCI impliquant la mise en œuvre de la loi SRU, et donc à l’entrée dans le dispositif de nouvelles communes périurbaines.
Au total, ces diverses évolutions législatives ont contribué à une extension spatiale du périmètre SRU vers les franges externes de l’unité urbaine, comme le met en évidence cette carte réalisée à l’échelle des Yvelines.
Le mouvement de périurbanisation de la loi SRU reflue à partir de la loi Égalité et citoyenneté de 2017. Dans le but de recentrer le dispositif sur les territoires où le besoin en logements sociaux est le plus fort, le texte ouvre de nouvelles possibilités d’exemptions aux communes insuffisamment reliées aux bassins d’activités par les transports en commun[11]Ce critère est évalué par le préfet, dont la décision doit ensuite être avalisée par la commission SRU. et à celles situées dans des intercommunalités où la demande en logement social est faible[12]Pour évaluer ce critère, le législateur a créé un indicateur rapportant le nombre de demandes de logement social au nombre d’attributions à l’échelle intercommunale. Si le résultat obtenu est inférieur à deux, les communes peuvent obtenir une exemption.. En 2018, c’est cette fois la loi Évolution du logement, de l’aménagement et du numérique (ÉLAN) qui desserre l’application du dispositif SRU dans les espaces périurbains franciliens. Dans cette région où le seuil démographique retenu pour que les communes soient soumises à la loi SRU était fixé à 1 500 habitants, le législateur le relève à 3 500 habitants pour les communes situées en dehors de l’unité urbaine. Enfin, bien que proposant une approche plus « territorialisée » de l’application du dispositif SRU[13]La loi 3DS supprime ainsi l’échéance uniforme pour accéder au taux légal de logements sociaux, auparavant fixée à 2025. Désormais, les communes déficitaires doivent suivre un rattrapage « glissant » en fonction de leur taux de logements sociaux., la loi relative à la différenciation, à la décentralisation et à la déconcentration (loi 3Ds), votée en 2022, ne revient pas sur ces critères géographiques et n’aura donc pas d’effet direct sur les communes périurbaines.
Entre répulsion et attraction
Dans les communes périurbaines comme dans les communes urbaines, la réalisation de logements sociaux porte en elle le risque d’opposition des riverains sensibles aux stéréotypes négatifs associés à ces constructions encore trop souvent assimilées aux grands ensembles et aux ghettos[14]L’enquête réalisée par l’institut TNS Sofres, intitulée « Baromètre d’image du logement social », indique ainsi que 34 % des Français sont d’accord avec l’affirmation selon laquelle les logements sociaux sont des grands ensembles, et 39 % avec l’affirmation selon laquelle les logements sociaux sont des ghettos.. Bien que ce dernier terme soit inapproprié pour décrire la situation française[15]Vieillard-Baron H. (1994), Les banlieues françaises ou le ghetto impossible, La Tour-d’Aigues, L’Aube., il est régulièrement utilisé par les opposants aux projets afin d’attiser les peurs collectives. Ainsi, à Saint-Arnoult, pour s’opposer à un projet, l’opposition municipale publie un communiqué critiquant la création « d’un ensemble immobilier type HLM de 55 logements, 100 % à vocation sociale, soit environ 200 nouvelles personnes regroupées dans un quartier ghetto [dont] seulement 11 logements sur 55 réservés pour la population arnolphienne, donc 80 % des logements seront attribués à des familles extérieures à Saint-Arnoult et à revenus très modestes » (opposition municipale, Saint-Arnoult, 2015). Partant de ce pourcentage, l’auteur du texte met ensuite en garde contre le risque d’un « afflux de population de Trappes ou Mantes-la-Jolie », deux villes yvelinoises populaires, associées à l’immigration et aux violences urbaines. Le communiqué laisse donc entendre que la commune va être bouleversée par l’arrivée de nouveaux habitants considérés a priori comme différents du point de vue social mais aussi, implicitement, du point de vue ethnique. Au-delà de cet exemple, d’autres projets de logements sociaux sont dénoncés par la mobilisation de nombreux clichés. C’est ce qui transparaît à l’analyse des espaces de discussion sur Internet (articles, blogs, forum…) où les riverains expriment sans filtre leur colère. Par exemple, un projet de 69 logements sociaux à Saint-Rémy-lès-Chevreuse fait l’objet d’une pétition en ligne[16]« NON à l’urbanisation “sauvage” de Beauplan, à Saint-Rémy-lès-Chevreuse », petitionenligne.fr [En ligne qui donne lieu à une série de commentaires incisifs qui reflètent les craintes des habitants. Certains s’inquiètent ainsi du profil des futurs locataires, parfois assimilés à des « cas sociaux », à « des racailles », à des pauvres, qui risquent de provoquer une « hausse de la délinquance »…
Dans les communes périurbaines où l’interconnaissance est forte, le risque politique est redoublé. Prévoir l’implantation de logements sociaux représente donc un risque politique pour les maires qui s’exposent à l’apparition d’associations de défense du cadre de vie et à l’exploitation de l’hostilité des riverains par l’opposition municipale. Indépendamment des types de communes, les modalités des conflits d’aménagement s’avèrent assez proches ; en revanche, les arguments avancés pour s’opposer à la construction de logements sociaux diffèrent quelque peu. Ainsi, dans les communes périurbaines, les maires rencontrés évoquent des riverains surtout inquiets de l’impact de ces projets en termes de densification. En creux, on retrouve là l’idée reçue selon laquelle les logements sociaux prendraient nécessairement la forme de grands bâtiments comme des barres et des tours. Certains élus témoignent de ce vocabulaire fréquemment utilisé : « Là, on va faire, quoi, 2, 4, 6, 8 logements au total, donc c’est encore une petite opération. Il y a quand même des gens qui ont réussi à me dire : “Vous allez faire une barre HLM” » (entretien maire de Bouray-sur-Juine, 2016). « Certains habitants soutenaient que notre programme, c’était de soutenir l’extension galopante, avoir des barres dans le village. […] qu’on promettait des barres de logements. En fait, c’était du privatif et quelques sociaux. Il y avait 50 logements et 10 de sociaux dedans, pour mixer » (entretien avec l’ancien maire (2008-2014) d’Orgerus, 2017).
Dans cette perspective, selon les habitants opposés aux logements sociaux, l’identité de la commune, idéalement considérée comme un « village », serait menacée par une urbanisation jugée « débridée ». Les exemples ne manquent pas pour illustrer ce propos. Dans la commune yvelinoise de Guerville, la maire, qui a lancé divers projets de construction de logements sociaux depuis 2014, s’est ainsi vue critiquée par des habitants inquiets de voir leur hameau se transformer en un nouveau « Mantes-la-Jolie », la ville voisine où se trouve le Val Fourré, grand ensemble de plus de 6 000 logements (entretien maire de Guerville, 2016) ! Par ailleurs, à Bouray-sur-Juine, à l’occasion des élections municipales de 2014, la campagne de la liste d’opposition au maire a porté quasiment uniquement sur la question du logement social : « Si vous voulez, l’opposition a toujours existé, mais elle ne se manifestait pas, elle n’était dans rien du tout, donc elle n’a pas d’existence. Et ils se sont fédérés sur l’urbanisme. Ils ont téléphoné aux gens disant que je voulais installer des logements sociaux partout, faire des barres HLM, que je voulais faire venir Grigny… » (entretien maire de Bouray-sur-Juine, 2016). Comme à Guerville, les arguments pour rejeter le logement social portent aussi bien sur la forme urbaine « des barres HLM », sur l’ampleur des projets envisagés « des logements sociaux partout », que sur les figures urbaines repoussoirs locales, en l’occurrence Grigny, ville populaire de l’Essonne, particulièrement connue pour son quartier de grand ensemble la Grande Borne.
En dépit de cette opposition souvent mise en lumière par les médias locaux, réaliser des logements sociaux peut présenter certains intérêts pour les élus périurbains. Il en va ainsi de l’arrivée de nouveaux habitants portée par les projets, bénéfique pour les communes en déprise démographique risquant la fermeture d’équipements publics, en particulier des écoles. À ce titre, le témoignage de Jean-Louis Francart, maire de Chapet entre 2012 et 2020, est éloquent. Pour défendre la construction de logements, notamment sociaux, il met en avant l’opportunité de « redynamiser le village »[17]La Gazette des Yvelines. (2015). « Un village transformé par le futur quartier du mitan », 15 avril [En ligne. Dans cette optique, la construction de logements sociaux apparait non plus comme un problème mais comme une solution qui, en induisant un apport de nouveaux ménages, permet de sauvegarder la présence des établissements scolaires dans la commune. La réalisation de logements sociaux peut également avoir un effet positif au niveau économique, en donnant un coup de pouce aux commerces de proximité grâce à l’arrivée d’une nouvelle clientèle. Le maire de Follainville-Dennemont se réjouit ainsi de l’arrivée des locataires de la résidence intergénérationnelle implantée dans sa commune, en affirmant notamment que la « construction de cette résidence tombe à point nommé pour apporter une dynamique supplémentaire » au commerce local[18]24 février 2015. « Résidences intergénérationnelles : témoignage de Samuel Boureille, maire de Follainville-Dennemont », senioractu.com [En ligne. De son côté, le maire de Noisy-le-Roi se félicite de la création d’une soixantaine d’emplois grâce à l’implantation d’un EHPAD de 115 places dans sa commune[19]Le Mag (publication municipale de Noisy-le-Roi), janvier-février 2016, « Éditorial ».. Enfin, les habitants des communes périurbaines peuvent eux-mêmes être intéressés par la réalisation de logements sociaux en raison de leurs loyers plus accessibles que ceux du marché locatif privé. Répondre aux besoins des populations locales est d’ailleurs un motif souvent mis en avant par les maires des communes périurbaines qui réalisent du logement social, à l’instar du maire de Houdan : « J’avais besoin de logements pour les employés de l’hôpital. J’avais besoin de logements pour les vieux qui ne peuvent plus garder leur grande baraque, et pour des jeunes qui sont encore à 26 ans chez papa et maman. Les divorces, les machins, les emplois longue durée » (entretien avec le maire de Houdan, 2016). En effet, à cause de la forte hausse des prix de l’immobilier – qui pourrait d’ailleurs s’accentuer sous l’effet de la recherche accrue d’espaces ouverts depuis la crise du Covid – il devient de plus en plus difficile de se loger sur place, en particulier pour les jeunes et les familles monoparentales.
Des difficultés opérationnelles réelles
à réaliser du logement social en périurbain
S’il existe quelques exceptions notables[20]Certains élus adhérant à la logique de réaliser du logement social ont mené une politique de construction de logement social de longue haleine. C’est le cas de la commune de Houdan, dans les Yvelines, commune périurbaine exemplaire pour les politiques menées (Aragau, 2013) qui compte près de 19 % de logements sociaux pour 3 000 habitants, bien qu’elle ne soit pas soumise à l’obligation d’en réaliser., la plupart des communes périurbaines présentent un taux de logements sociaux encore assez faible. Cela s’explique par le fait que ces communes n’ont pas de « tradition » du logement social, comme c’est le cas pour de nombreuses communes urbaines. De surcroît, les communes périurbaines soumises à la loi SRU sont entrées tardivement dans le périmètre du dispositif (cf. supra). En conséquence, elles doivent suivre un calendrier de rattrapage particulièrement ambitieux pour atteindre les exigences du législateur même si, depuis la loi 3DS, les échéances sont devenues modulables. Quoi qu’il en soit, les volumes de logements à réaliser restent souvent considérables, surtout quand on les met en perspective avec la population municipale. Par exemple, pour se conformer à la loi SRU, Itteville (91), commune de 6 500 habitants, doit construire 729 logements sociaux.
Le plus souvent, les communes sont prises au dépourvu car elles n’ont pas anticipé l’application de la loi SRU et n’ont que peu de réserves foncières. C’est d’autant plus problématique que le foncier nécessaire pour réaliser du logement social est cher et difficile à mobiliser, et que les communes périurbaines disposent de peu de réserves foncières constructibles, bien qu’elles soient entourées d’espaces ouverts (Serrano et Demazière, 2016[21]Serrano J, Demazière C. (2016). « Le foncier des espaces périurbains dans la planification spatiale : une construction intercommunale et interterritoriale », Revue d’Économie Régionale & Urbaine, n° 4, p. 737‑766.). Les possibilités d’ouvrir de nouvelles zones à urbaniser en extension urbaine sont d’ailleurs de plus en plus limitées, notamment en Ile-de-France, où le SDRIF les limite fortement : les bourgs, villages et hameaux franciliens peuvent ouvrir, en extension urbaine, au maximum 5 % de la surface urbanisée existante (Fauconnier, 2019[22] Op. cit.). Avec la volonté annoncée d’aller vers un objectif « zéro artificialisation nette » (2019), les services des DDT dédiés à l’instruction des permis de construire se montrent de plus en plus sévères avec les communes périurbaines voulant ouvrir des zones à l’urbanisation. Cette orientation précoce peut d’ailleurs désormais s’appuyer sur le cadre législatif via la loi Climat et résilience. Promulguée le 24 août 2021, son article 191 fixe comme objectif un « zéro artificialisation nette » à l’horizon 2050. Pour ce faire, les collectivités locales doivent suivre un calendrier de réduction de leur rythme d’artificialisation par tranches décennales. Ainsi, pour la période 2021-2031, leur rythme de consommation foncière doit être réduit de moitié par rapport à la période 2011-2021.
Aux difficultés à trouver du foncier constructible s’ajoute la difficulté à mobiliser des bailleurs sociaux en périurbain. Ces secteurs les intéressent peu, même lorsqu’ils sont sollicités par des élus. Dans un contexte de concurrence avec la métropole parisienne, les bailleurs préfèrent intervenir en banlieue ou à Paris, où la rentabilité est plus élevée. Les opérations de logement social en périurbain cumulent en effet des inconvénients : elles sont souvent de petite taille, les élus périurbains refusant les grands programmes de logements et souhaitant avoir des opérations au nombre de logement limité, ce qui pénalise fortement les bailleurs sociaux. Ces attentes sont souvent incompatibles avec l’équilibre économique des opérations : « pour que les élus les acceptent, [il] faut vraiment que ce soit de toutes petites opérations, donc ça n’intéresse aucun bailleur » (entretien CAUE des Yvelines, 2016).
La distance à Paris pénalise également le montage financier de ces opérations, dans la mesure où le financement du logement social est étroitement lié au zonage géographique des communes[23]Il existe deux types de zonages. Le zonage ABC va faire varier les plafonds de ressources des ménages souhaitant habiter dans du logement social et fixer les plafonds de loyer du PLS. Le zonage 1, 2, 3 va, lui, permettre de fixer les montants maximums des loyers qui dépendent de la zone à laquelle appartient la commune étudiée.. Or celui-ci crée des effets de seuils favorisant certains territoires aux dépens d’autres. Ainsi, les écarts de coûts peuvent être importants : « vous pouvez avoir un écart de loyer de l’ordre de 1,5 €, 2 € au m2. Ça joue » (entretien Essonne Habitat, 2016). En effet, les prêts que souscrivent les bailleurs sociaux auprès de la Caisse des dépôts et consignations sont remboursés avec les loyers des logements sociaux. Un loyermoindre limite leur capacité d’emprunt, d’autant que les coûts de construction et d’achat du foncier varient peu de la limite d’une zone à une autre. Ils peuvent donc moins emprunter et donc peinent à financer les coûts de travaux. Ces effets de secteurs peuvent décourager certains bailleurs, comme en atteste Essonne Habitat : « Ce qui fait que, bon, moi, à Essonne Habitat, je n’ai jamais fait d’opération en zone 2 » (entretien Essonne Habitat, 2016) ; ou encore : « En Ile-De-France, entre un village qui est en zone 1 et le village d’à-côté en zone 2, les prix à l’achat sont quasiment égaux, mais les subventions nettement moins fortes » (entretien bailleur social SNL, 2017).
À ces contraintes d’ordre économique s’ajoutent d’autres difficultés liées au contexte politique périurbain : le temps pour structurer les projets y est souvent plus long, et repose essentiellement sur des équipes municipales peu constituées et pas toujours outillées pour monter des projets à la hauteur des exigences des bailleurs (Moquay et Fonticelli, 2021[24]Moquay P, Fonticelli C. (2021). « Revenir sur le déficit d’ingénierie périurbaine », dans Desponds D, Fonticelli C, Mutations périurbaines, Paris, Le Mansucrit.). D’autant qu’au moment des enquêtes de terrain menées par les auteurs de l’article, les intercommunalités dans lesquelles la plupart des communes périurbaines étaient impliquées venaient d’être redessinées du fait de la loi MAPTAM (2015). Les communes périurbaines avaient donc peu d’appui de la part des intercommunalités pour composer leurs projets, d’autant que, regroupées dans des intercommunalités plus vastes et souvent plus urbaines, les problématiques spécifiques de ces communes ont rarement été prises en compte de manière prioritaire (Fonticelli, 2018[25] Op. cit.). Dès lors, les bailleurs sociaux qui interviennent en périurbain sont souvent différents de ceux qui agissent dans le cœur de la métropole parisienne. Certains bailleurs sociaux sont localisés hors de l’Ile de France. C’est le cas notamment de l’OPAC de l’Oise qui intervient beaucoup dans le Val-d’Oise. Son directeur l’explique par une moindre concurrence et une rentabilité intéressante des opérations : « Donc, historiquement dans le Val-d’Oise, on est très présents depuis la fin des années 1990, pourquoi ? Parce qu’à l’époque, il n’y avait quasiment aucun opérateur dans le Val-d’Oise. Et la nature ayant horreur du vide, c’est naturellement que nous on s’est penchés vers ce secteur-là, qui est un secteur bien financé, où on n’a pas beaucoup de problèmes de vacance, où on n’a pas beaucoup de problèmes de 1 % pour trouver du 1 % et autre, donc c’étaient des opérations qui étaient plutôt bien financées », au point qu’en 2016, le directeur de l’OPAC de l’Oise estimait construire 1/3 des logements sociaux du groupe dans le Val-d’Oise.
Pour attirer des bailleurs sociaux, certaines communes périurbaines facilitent le montage financier des opérations. Pour ce faire, elles peuvent apporter une aide directe aux organismes HLM en leur versant des subventions pour surcharge foncière. L’aide peut également être indirecte via la vente de parcelles à des prix inférieurs à ceux du marché… Au-delà de ces démarches ponctuelles et finalement assez classiques, des communes périurbaines vont développer des stratégies ambitieuses et pérennes. Par exemple, la communauté de communes du Pays Houdanais a ainsi contractualisé avec l’organisme Logement français qui s’est engagé à réaliser des programmes de logements sociaux de petite taille sur plusieurs communes avoisinantes, espérant ainsi atteindre un seuil critique de rentabilité. Cette démarche a inspiré le département des Yvelines, qui a signé un contrat en 2015 avec trois bailleurs sociaux[26]FREHA, Immobilière 3F et Logement Français. pour qu’ils réalisent ensemble 200 logements sociaux au total, répartis en plusieurs petits programmes, appuyés par des subventions. Baptisée RuralogY’, cette initiative a permis la réalisation de 96 logements sociaux. Reconduite en 2018 jusqu’à 2022, le programme ne concerne plus que l’attribution d’une subvention complémentaire du département pour les logements sociaux réalisés dans « les secteurs à dominante rurale du département » (Règlement RuralogY, 2018-2022[27]Conseil départemental des Yvelines (2018). RuralogY’ [2018-2022] [En ligne).
En définitive, dans la plupart des communes périurbaines, la réalisation de logements dépend fortement de l’implication du maire, le véritable « chef d’orchestre », qui sollicite les bailleurs sociaux et qui s’implique fortement dans la réalisation de projets urbains (Fonticelli, 2018[28]Op. cit.). Dans un contexte où l’acceptabilité des logements sociaux reste difficile, il n’en demeure pas moins que les élus locaux cherchent à les rendre invisibles.
« Invisibiliser » les logements sociaux
Convaincus de la nécessité de réaliser des logements sociaux ou bien contraints d’en construire du fait de la loi SRU, les maires veillent à leur bonne acceptation par les habitants en cherchant à les « invisibiliser ». Dans ce but, ils font le choix de logements sociaux diversifiés du point de vue de leur production comme de leur public, et imposent des cahiers des charges précis aux bailleurs en matière d’architecture et d’urbanisme.
Des alternatives aux logements sociaux « classiques »
Afin que les futures constructions ne soient pas amalgamées à ces « HLM », les maires utilisent l’ensemble de la gamme proposée par les bailleurs sociaux et peuvent ainsi cibler les publics concernés en amont. De fait, les élus peuvent choisir d’implanter des logements sociaux « classiques », destinés à des ménages sélectionnés sur critères sociaux, ou bien des logements sociaux « spécifiques », destinés à des personnes seules sélectionnées elles aussi sur critères sociaux mais devant également appartenir à une catégorie particulière (jeunes actifs, étudiants, personnes âgées…). En outre, concernant les logements sociaux « classiques », le nombre de pièces des futurs logements influe sur la taille des ménages ; par exemple, en optant pour des F1 et des F2, les maires privilégient les célibataires et les ménages avec peu ou pas d’enfants. Enfin, il est possible d’agir sur le profil sociologique des futurs locataires à partir des modes de financement qui reposent sur des plafonds de revenus sensiblement différents[29]Cf. Action Logement. Logements sociaux PLAI, PLUS, PLS, PLI, quelles différences ? [En ligne ; ainsi, schématiquement, les PLAI (Prêt locatif aidé d’intégration) concernent les catégories pauvres, les PLUS (Prêt locatif à usage social), les catégories modestes et moyennes, les PLS (Prêt locatif social) les catégories moyennes et supérieures… Le panachage des types de logements sociaux apparaît comme une première forme d’invisibilisation, une invisibilisation induite par la fonction généraliste des bailleurs sociaux qui permet de désamorcer les craintes selon lesquelles les futures constructions n’auraient vocation qu’à loger les ménages les plus précaires[30]2015. Dix idées reçues sur le logement social, Union sociale pour l’habitat.. Mieux, la diversification des types de logements sociaux implantés peut même être présentée par les édiles comme une façon de proposer un parcours résidentiel à leurs administrés. Les élus locaux se montrent d’ailleurs soucieux de la sémantique utilisée pour décrire les futurs logements. Tandis que le terme HLM fait figure d’épouvantail et est banni de la communication des élus locaux, l’expression « logement social » est elle-même touchée par un processus de dévaluation. C’est ce que confie un chargé de mission travaillant pour le département des Yvelines : « On a certaines communes où le terme “logement social” est à proscrire. Ce n’est pas évident de faire des opérations en ne pouvant même pas utiliser les termes relatifs à ce projet. Même le terme “logement aidé” n’est pas utilisable, donc on essaye de trouver des périphrases, etc. » (entretien chargé de mission, département des Yvelines, 2016). Il arrive ainsi que des maires demandent aux aménageurs que la nature « sociale » des projets n’apparaisse pas dans leur descriptif et soient remplacés par des expressions plus neutres tels que « logements conventionnés » ou « logements aidés » (Fauconnier, 2019[31]Op. cit.).
L’invisibilisation passe également par le choix de petites opérations, « à taille humaine », selon l’expression consacrée par les élus, comprenant idéalement une dizaine de logements sociaux. Ce nombre limité n’est toutefois pas sans poser problème aux bailleurs qui ont besoin de davantage de logements pour que les projets atteignent leur seuil de rentabilité (cf. supra). L’invisibilisation est d’autant plus efficace que les logements sociaux sont souvent intégrés à de plus vastes programmes privés (Desage, 2017[32]Desage F. (2017). « Les exclus de l’inclusion. Construire du logement social en temps d’austérité et de mixité », Espaces et sociétés, n° 170(3), p. 15-32.). Ce mélange entre logements sociaux et logements privés est d’ailleurs reflété et relayé par la montée en puissance de la VEFA (Jourdheuil, 2019[33]Jourdheuil AL. (2019). « Une architecture de promoteur pour le logement social : la Véfa-HLM », thèse de doctorat, université Paris-Nanterre.), une pratique par laquelle les organismes HLM se portent acquéreurs d’une partie minoritaire d’un ensemble construit par un promoteur. Aux yeux des riverains, les logements sociaux sont donc indissociables des logements privés, ce qui, de l’aveu des élus rencontrés, favorise grandement leur acceptation. Notons toutefois que si la VEFA facilite la réalisation de logements sociaux, elle limite la progression du taux SRU en raison de la hausse parallèle du nombre de logements privés que cette pratique implique (Fauconnier, 2020[34]Fauconnier G. (2020). Les structures collectives, alternative à la construction de logements sociaux dans les communes soumises à la loi SRU [En ligne).
Au-delà de ces logements sociaux « habituels », les communes périurbaines voient également fleurir de nombreuses structures collectives comptabilisés dans la loi SRU et qui ciblent des publics particuliers. Il en va ainsi des logements-foyers pour personnes âgées qui, selon les maires rencontrés, trouvent dans les communes périurbaines des atouts particulièrement recherchés par leurs locataires : le calme, la verdure, l’espace. À la différence des autres logements sociaux, ces constructions ne suscitent pas d’hostilité particulière des riverains qui peuvent même y voir une opportunité pour leurs aînés ou, à l’avenir, pour eux-mêmes. On peut toutefois s’interroger sur l’effet de ces logements-foyers en matière de mixité sociale, pourtant présentée comme la finalité de la loi SRU. En effet, les locataires n’étant sur place que pour y passer leurs dernières années, ils n’ont pas souvent l’envie ou la capacité de s’investir dans la vie de la commune, a fortiori dans le cas des EHPAD. Dans ces conditions, les rencontres et interactions avec les autres habitants de la commune sont quasiment inexistantes… De surcroît, les locataires des logements-foyers pour personnes âgées n’ont bien entendu pas d’enfant à charge, et l’implantation de ces structures collectives ne saurait favoriser la mixité sociale dans les établissements scolaires des communes concernées. C’est regrettable, d’autant que si l’objectif de mixité sociale peut sembler un vœu pieu pour les adultes, il a plus de sens pour les enfants, à un âge où il est plus facile de transcender les différences[35]Bihr A, Pfefferkorn R. (2014). Dictionnaire des inégalités, Paris, Colin, p. 255-256.… En résumé, les habitants des logements-foyers vivent en quelque sorte « hors-sol », situation qui n’est pas sans rappeler la logique d’invisibilisation des logements sociaux, appliquée cette fois au niveau des locataires.
Une autre structure collective a le vent en poupe dans les communes périurbaines : les résidences intergénérationnelles. Elles mélangent des studios destinés à des catégories spécifiques – essentiellement des séniors mais aussi, plus rarement, des jeunes actifs voire des étudiants – avec une minorité de logements sociaux pour les familles. Ce mélange des publics séduit les élus des communes périurbaines qui y voient une solution innovante permettant de favoriser un « esprit village » en jouant sur la solidarité entre les générations et la proximité entre les habitants. Dans cette optique, les résidences intergénérationnelles ne sont pas perçues comme des logements sociaux mais comme des logements faisant cohabiter les « jeunes » et les « aînés » de la commune. Ce point de vue est notamment exprimé par le maire de Follainville-Dennemont, qui a fait le choix d’implanter une résidence intergénérationnelle de 83 appartements dans sa commune. Pour justifier ce projet, l’édile explique que cette structure collective permettra « d’apporter des solutions à nos anciens » (idem) en leur permettant de conserver leur cadre de vie tout en créant du lien social dans le cadre de la mixité intergénérationnelle. D’où l’enthousiasme autour de cette construction qui, selon lui, « a été unanimement plébiscitée par le conseil municipal et par l’ensemble des habitants » (idem). Il affirme même que de nombreux séniors de la commune sont « impatients » et lui « demandent régulièrement quand ils pourront rentrer dans cette nouvelle résidence » (idem).
En choisissant d’implanter des logements-foyers pour personnes âgées et des résidences intergénérationnelles, les communes déficitaires périurbaines limitent par la même occasion le nombre de logements sociaux classiques, destinés aux familles (Fauconnier, 2020[36] Op. cit.). En effet, les structures collectives permettent de « faire du chiffre » en réalisant un maximum de logements comptabilisés comme sociaux par l’inventaire SRU sur un minimum d’espace et en un minimum de temps. Par exemple, en implantant un unique EPHAD de 115 chambres, Noisy-le-Roi a ainsi rempli ses obligations triennales 2014-2016 ; de même, grâce à la seule résidence intergénérationnelle des Monts de Marianne (2016) composée de 83 logements, Follainville-Dennemont a vu son taux SRU gonfler de 16 points !
Notons toutefois qu’il est plus difficile d’implanter des structures collectives dans les communes périurbaines que dans celles situées au cœur des agglomérations. En effet, en plus des logements-foyers pour personnes âgées et des résidences intergénérationnelles, celles-ci construisent massivement des résidences étudiantes et des résidences pour jeunes actifs. Ces deux types de structures collectives étant destinées à des publics cherchant à vivre au cœur des agglomérations (Trouillard, 2014[37]Trouillard E. (2014). « L’ancrage territorial des résidences avec services privées en Ile-de-France : une géographie d’actifs immobiliers financiarisés ? », L’espace géographique, n° 43(2), p. 97-114.), les communes périurbaines ont de fait moins de possibilités que les communes urbaines d’implanter ces logements sociaux.
Une invisibilisation par l’architecture et l’urbanisme
Autant le logement social a pu permettre un renouveau de l’architecture contemporaine et affirmer des partis pris architecturaux marqués – pensons aux expositions Vers de nouveaux logements sociaux (vol. 1 et 2) réalisées entre 2009 et 2013 à la Cité de l’architecture et du patrimoine –, autant la discrétion ou l’intégration architecturale est de mise en périurbain.
Le logement social ne doit pas être vu
En périurbain, le logement social ne doit pas se donner à voir. À partir d’un corpus de logements[38]L’auteur a étudié l’ensemble des opérations réalisées dans des bourgs périurbains dont le permis de construire avait été déposé entre 2009 et 2014, et qui s’étaient réalisées en densification. Au total, plus d’une centaine de constructions ont été étudiées (voir Fonticelli, (2018, op. cit.) pour davantage de précisions méthodologiques), comprenant aussi bien logement social (1/3) que privé (2/3)., l’auteur a étudié les principales caractéristiques architecturales des constructions. Ainsi, fréquemment, elles sont masquées par des murs de soubassement ou par une construction existante lors de la densification des dents creuses, comme à Itteville (figures 2 et 3).
Au-delà, beaucoup de logements sociaux construits – en périurbain mais pas uniquement – revêtent une architecture pastiche ou de « néo-village » (Fonticelli, 2018[39] Op. cit.) imitant l’architecture traditionnelle des centres-bourgs : plus des 2/3 des opérations de logement social en collectif recensées[40]Ce recensement est toutefois partiel. Les données ont été extraites d’une base de données réalisée à partir du recensement des permis de construire de logement collectif déposés entre 2009 et 2013, sur plus de 200 bourgs périurbains franciliens. affichaient une allure « néo-village ». Très présente dans la construction en périurbain, même si celui-ci n’a pas le monopole du type « néo » (Nivet, 2006[41]Nivet S. (2006). « Architecture d’auteur versus produit commercial ? L’immeuble-villas et les Villas suspendues® : deux stratégies de communication », thèse de doctorat, université de Paris 8 [En ligne), le « néo-village » repose sur une implantation à l’alignement sur rue, des hauteurs modérées, l’utilisation d’enduit en façade aux couleurs crème, de toiture en pente couvertes de petites tuiles, sur l’absence de balcons, de fenêtres plus hautes que larges (Fonticelli, 2018[42]Op. cit.)… Par exemple, à Plailly (figure 4), la réalisation d’un programme d’une trentaine de logements, d’un équipement – la mairie – d’un parking et d’un parc public résultent d’une densification qui recompose un îlot entier. La trame urbaine alentour a été largement reprise, et les hauteurs des constructions voisines ont été copiées. L’insertion des constructions dans le paysage est obtenue par le mimétisme des constructions limitrophes : hauteurs, gabarits, alignements.
Ces stratégies d’invisibilisation se traduisent également par la préférence accordée à des opérations de réhabilitation plutôt que de construction neuve. Le logement social est ainsi perçu comme un moyen de favoriser des réhabilitations, et est davantage accepté s’il permet de conserver un patrimoine local dans des communes périurbaines. À ces conditions, réaliser du logement social peut être vu comme une solution, même si l’équilibre des opérations est encore plus délicat : « Parce que la réhabilitation coûte plus cher que le neuf, mais tout dépend du prix du terrain. Bon, voilà, la faisabilité après, faut voir ; mais il y a des endroits où il est très difficile de boucler l’opération parce que le prix est très cher » (entretien chargée de mission SNL, 2016).
Les ressorts du néo-village : le rôle des élus
Pas plus qu’elle n’est propre au périurbain, l’architecture « néo-village » n’est propre au logement social, mais le logement social dispose tout de même de ressorts particuliers qui la favorisent. Il en va ainsi de la crainte du rejet par les habitants d’une architecture à l’allure contemporaine affirmée qui risquerait de rappeler l’imaginaire des grands ensembles. C’est ce qui amène les élus à favoriser cette architecture, comme en témoignent architectes, bailleurs sociaux et élus : « donc, en fait, pour faire accepter l’architecture, le plus simple pour les élus, c’est de rester traditionnel, parce qu’ils vont savoir raconter quelque chose. […] Eux, ce sont les élus, ils font leur métier, chacun son métier. Donc pour convaincre une population que ça va être un bon projet [avec une architecture contemporaine], c’est extrêmement difficile. Parce que la différence fait peur » (entretien architecte Studio Nemo, 2016).
Cette homogénéisation architecturale semble largement du fait des élus. Les entretiens menés avec des chargés de mission de structures de type CAUE ou PNR qui peuvent conseiller les communes sur leurs choix architecturaux font ressortir combien le choix d’une architecture « néo-village » leur incombe. Si les PNR ou CAUE tentent de sensibiliser autour des questions d’architecture contemporaine et de montrer comment des opérations peuvent être de qualité au-delà de ce style, c’est rarement accepté et voulu par les élus municipaux. Les élus vont alors plébisciter et imposer cette architecture « néo-village » dans les PLU, que ce soit en limitant les gabarits, les hauteurs, mais aussi par le biais de l’article 11 qui règlemente l’aspect extérieur des constructions. Par exemple, le PLU de Bois-le-Roi, consulté en 2018, indique dans son article 11 rubrique « toitures » que « sont autorisés : – Les toits composés d’un ou plusieurs éléments à deux versants dont la pente sera comprise entre 35° et 45° ; – Les toits à la Mansart. L’éclairement éventuel des combles doit être assuré soit par des ouvertures en lucarnes […]. Les fenêtres de toit devront présenter une longueur mesurée dans le sens de la pente supérieure à leur largeur. […] Les toitures à pentes doivent être recouvertes par de la tuile plate (48 à 72 au m²) ou par de la tuile mécanique à pureau plat petit moule (18 à 24 au m²) de ton vieilli ou d’ardoises ». Ces éléments sont récurrents dans le style « néo ». Par leurs documents d’urbanisme, ils conduisent à homogénéiser l’architecture, notamment dans les communes rurales (Wellhoff et Pérignon, 2010[43]Wellhoff F, Perignon C. (2010). « Influence sur la qualité architecturale de la réglementation issue des documents d’urbanisme : du bon usage de l’article 11 des Plans locaux d’urbanisme », rapport public, conseil général de l’environnement et du développement durable, inspection générale de l’architecture et du patrimoine, ministère de l’Écologie, de l’Énergie, du Développement durable et de la Mer [En ligne).
Recourir au « néo-village » est également un moyen d’éviter le rejet d’opérations pouvant être lues comme du logement social par leur architecture, car, pour les élus, ce n’est plus tellement le logement social en soi qui est critiqué que le fait qu’il se voit.
Conclusion
Bien que fondés sur des approches méthodologiques différentes, les résultats de nos recherches en viennent peu ou prou aux mêmes conclusions. Que l’on privilégie l’entrée par le paysage ou l’entrée par les obligations SRU, il apparaît que la question du logement social dans le périurbain se pose avec de plus en plus d’acuité, amenant les élus locaux à s’adapter afin de concilier des attentes souvent contradictoires. Si nos terrains nous ont amenés à nous concentrer sur les Yvelines, département qui se distingue par le niveau de vie élevé de ses habitants, ce constat se retrouve a minima pour le reste du périurbain francilien, y compris dans les départements ayant connu une périurbanisation plus récente, comme la Seine-et-Marne.
Tiraillés entre l’obligation de réaliser des logements sociaux, les difficultés opérationnelles que cela implique et les réticences voire les résistances des habitants, les élus des communes périurbaines déploient des stratégies visant à « invisibiliser » les futures constructions. D’une part, ils jouent sur la grande diversité des produits proposés par les organismes HLM en privilégiant des structures collectives telles que les logements-foyers pour personnes âgées et les résidences intergénérationnelles. D’autre part, ils veillent à la bonne intégration des logements sociaux au contexte local en les disséminant à l’échelle du territoire de la commune et en imposant aux organismes HLM un cahier des charges exigeant.
L’équilibre est toutefois fragile, et le logement social, même discret, demeure controversé. Aux élections municipales de 2020, de nombreux élus périurbains porteurs de projets de logements sociaux, même sous l’impératif de la loi SRU, ont ainsi été battus, notamment à Itteville (91) et à Saint-Arnoult-en-Yvelines (78).
[1] Jaillet MC. (2004). « L’espace périurbain : un univers pour les classes moyennes », Esprit, n° 303(3/4), p. 40‑62.
[2] Berger M, Aragau C, Rougé L. (2014). « Vers une maturité des territoires périurbains ? Développement des mobilités de proximité et renforcement de l’ancrage dans l’ouest francilien », EchoGéo, n° 27 [En ligne].
[3] Fonticelli C. (2018). « Construire des immeubles au royaume des maisons. La densification des bourgs périurbains franciliens par le logement collectif : modalités, intérêts et limites », thèse de doctorat, Paris, Institut agronomique, vétérinaire et forestier de France. [En ligne].
[4] Desponds D. (2016). « L’habitat social : objet de toutes les inquiétudes. Arguments et formes de mobilisation dans l’agglomération parisienne », dans Desponds D, Auclair E (dir.), La ville conflictuelle. Oppositons-Tensions-Négociations, Paris, Le Manuscrit, p. 315-344.
[5] Fauconnier G. (2019). « La mise en œuvre de l’article 55 de la loi SRU dans les Yvelines, entre application formelle et adaptation stratégique », thèse de doctorat, université Paris-Nanterre.
[6] Non définie par le législateur, cette notion polysémique renvoie à l’objectif de mélanger les différentes catégories de population, en l’occurrence en jouant sur la répartition du logement social à l’échelle des agglomérations.
[7] Op. cit.
[8] Op. cit.
[9] Entendu au sens de l’INSEE, 2015.
[10] Fauconnier G. (2021). « L’application de la loi SRU dans les communes périurbaines », dans Desponds D, Fonticelli C, Mutations périurbaines, Paris, Le Manuscrit.
[11] Ce critère est évalué par le préfet, dont la décision doit ensuite être avalisée par la commission SRU.
[12] Pour évaluer ce critère, le législateur a créé un indicateur rapportant le nombre de demandes de logement social au nombre d’attributions à l’échelle intercommunale. Si le résultat obtenu est inférieur à deux, les communes peuvent obtenir une exemption.
[13] La loi 3DS supprime ainsi l’échéance uniforme pour accéder au taux légal de logements sociaux, auparavant fixée à 2025. Désormais, les communes déficitaires doivent suivre un rattrapage « glissant » en fonction de leur taux de logements sociaux.
[14] L’enquête réalisée par l’institut TNS Sofres, intitulée « Baromètre d’image du logement social », indique ainsi que 34 % des Français sont d’accord avec l’affirmation selon laquelle les logements sociaux sont des grands ensembles, et 39 % avec l’affirmation selon laquelle les logements sociaux sont des ghettos.
[15] Vieillard-Baron H. (1994), Les banlieues françaises ou le ghetto impossible, La Tour-d’Aigues, L’Aube.
[16] « NON à l’urbanisation “sauvage” de Beauplan, à Saint-Rémy-lès-Chevreuse », petitionenligne.fr [En ligne].
[17] La Gazette des Yvelines. (2015). « Un village transformé par le futur quartier du mitan », 15 avril [En ligne].
[18] 24 février 2015. « Résidences intergénérationnelles : témoignage de Samuel Boureille, maire de Follainville-Dennemont », senioractu.com [En ligne].
[19] Le Mag (publication municipale de Noisy-le-Roi), janvier-février 2016, « Éditorial ».
[20] Certains élus adhérant à la logique de réaliser du logement social ont mené une politique de construction de logement social de longue haleine. C’est le cas de la commune de Houdan, dans les Yvelines, commune périurbaine exemplaire pour les politiques menées (Aragau, 2013) qui compte près de 19 % de logements sociaux pour 3 000 habitants, bien qu’elle ne soit pas soumise à l’obligation d’en réaliser.
[21] Serrano J, Demazière C. (2016). « Le foncier des espaces périurbains dans la planification spatiale : une construction intercommunale et interterritoriale », Revue d’Économie Régionale & Urbaine, n° 4, p. 737‑766.
[22] Op. cit.
[23] Il existe deux types de zonages. Le zonage ABC va faire varier les plafonds de ressources des ménages souhaitant habiter dans du logement social et fixer les plafonds de loyer du PLS. Le zonage 1, 2, 3 va, lui, permettre de fixer les montants maximums des loyers qui dépendent de la zone à laquelle appartient la commune étudiée.
[24] Moquay P, Fonticelli C. (2021). « Revenir sur le déficit d’ingénierie périurbaine », dans Desponds D, Fonticelli C, Mutations périurbaines, Paris, Le Mansucrit.
[25] Op. cit.
[26] FREHA, Immobilière 3F et Logement Français.
[27] Conseil départemental des Yvelines (2018). RuralogY’ [2018-2022] [En ligne].
[28] Op. cit.
[29] Cf. Action Logement. Logements sociaux PLAI, PLUS, PLS, PLI, quelles différences ? [En ligne]
[30] 2015. Dix idées reçues sur le logement social, Union sociale pour l’habitat.
[31] Op. cit.
[32] Desage F. (2017). « Les exclus de l’inclusion. Construire du logement social en temps d’austérité et de mixité », Espaces et sociétés, n° 170(3), p. 15-32.
[33] Jourdheuil AL. (2019). « Une architecture de promoteur pour le logement social : la Véfa-HLM », thèse de doctorat, université Paris-Nanterre.
[34] Fauconnier G. (2020). Les structures collectives, alternative à la construction de logements sociaux dans les communes soumises à la loi SRU [En ligne].
[35] Bihr A, Pfefferkorn R. (2014). Dictionnaire des inégalités, Paris, Colin, p. 255-256.
[36] Op. cit.
[37] Trouillard E. (2014). « L’ancrage territorial des résidences avec services privées en Ile-de-France : une géographie d’actifs immobiliers financiarisés ? », L’espace géographique, n° 43(2), p. 97-114.
[38] L’auteur a étudié l’ensemble des opérations réalisées dans des bourgs périurbains dont le permis de construire avait été déposé entre 2009 et 2014, et qui s’étaient réalisées en densification. Au total, plus d’une centaine de constructions ont été étudiées (voir Fonticelli, (2018, op. cit.) pour davantage de précisions méthodologiques), comprenant aussi bien logement social (1/3) que privé (2/3).
[39] Op. cit.
[40] Ce recensement est toutefois partiel. Les données ont été extraites d’une base de données réalisée à partir du recensement des permis de construire de logement collectif déposés entre 2009 et 2013, sur plus de 200 bourgs périurbains franciliens.
[41] Nivet S. (2006). « Architecture d’auteur versus produit commercial ? L’immeuble-villas et les Villas suspendues® : deux stratégies de communication », thèse de doctorat, université de Paris 8 [En ligne].
[42] Op. cit.
[43] Wellhoff F, Perignon C. (2010). « Influence sur la qualité architecturale de la réglementation issue des documents d’urbanisme : du bon usage de l’article 11 des Plans locaux d’urbanisme », rapport public, conseil général de l’environnement et du développement durable, inspection générale de l’architecture et du patrimoine, ministère de l’Écologie, de l’Énergie, du Développement durable et de la Mer [En ligne].